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- 216. Lorsqu'il a examiné le cas à sa quinzième session (Genève, novembre 1956), le Comité a formulé des recommandations au Conseil d'administration en ce qui concerne les allégations relatives à la législation anticommuniste et au droit de grève dans les services publics. Sur ce dernier point, après avoir examiné le décret no 0753 du 5 avril 1956 modifiant l'article 430 du Code du travail, le Comité a recommandé au Conseil d'administration:
- d'attirer l'attention du gouvernement sur les possibilités d'abus que présente l'application des dispositions qui donnent au gouvernement la possibilité d'inclure dans la définition des services publics où la grève est interdite toutes autres activités qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population, et de décider, après consultation préalable du Conseil d'Etat, quelles sont les activités qui entrent dans les catégories ainsi définies ; le Comité demande en outre au Conseil d'administration de prier le gouvernement de lui fournir des informations sur la mesure dans laquelle les dispositions en question ont été appliquées et sur la jurisprudence du Conseil d'Etat en ces matières.
- En ce qui concerne les autres allégations, relatives au massacre d'ouvriers et de paysans, le Comité, en l'absence des observations du gouvernement, a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. Le vingt-quatrième rapport du Comité a été approuvé par le Conseil d'administration à sa 133ème session (Genève, novembre 1956).
- 217. Depuis l'adoption du vingt-quatrième rapport du Comité, la Colombie a connu un changement complet de gouvernement. Le 10 mai 1957, le président alors en fonctions a donné sa démission et a été remplacé par une junte militaire qui a rendu publique son intention de poursuivre une politique libérale et d'organiser des élections libres et démocratiques. On prévoit que des élections seront tenues en 1958, d'ici quelques mois.
- 218. A ses seizième, dix-septième et dix-huitième sessions (Genève, février, mai et octobre 1957, respectivement), le Comité a ajourné l'examen des allégations restées en suspens en attendant de recevoir les observations du gouvernement sur les questions qui y étaient soulevées. Le Comité est maintenant saisi de quatre communications reçues depuis son examen du cas dans son vingt-quatrième rapport : une communication du 15 mars 1957 émanant du plaignant, deux communications du 13 décembre 1956 (ainsi qu'une annexe du 7 décembre 1957 reçue ultérieurement) et du 27 février 1957 émanant de l'ancien gouvernement, une communication du 7 janvier 1958, enfin, émanant du gouvernement actuellement au pouvoir. L'analyse ci-dessous porte uniquement sur les allégations restées en suspens et sur les communications des gouvernements respectifs mentionnés ci-dessus.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 219. Dans leurs communications des 3 mai et 30 juillet 1956, les plaignants décrivent des événements qui constituent « les plus effroyables crimes relatés dans l'histoire des pays d'Amérique latine » ; il s'agit de la violation des droits syndicaux et démocratiques, de l'extermination massive de paysans et d'ouvriers, et de génocide ; il est demandé aux Nations Unies d'intervenir pour mettre fin à une telle situation. Il est allégué que, le 24 avril 1956, une vague d'assassinats aurait été lancée « sans aucune raison ni aucune cause qui la justifient » dans différentes localités - que le plaignant mentionne nommément - du département de Tolima. Ces meurtres feraient partie d'un plan destiné à « pacifier » le pays. Le massacre aurait été effectué par des forces militaires totalisant un millier d'hommes. C'est à Santo-Domingo que les victimes - dont certaines sont désignées nommément dans la plainte - auraient été les plus nombreuses ; il est allégué qu'avant d'avoir été mis à mort, des paysans auraient été castrés et obligés de creuser leur propre fosse. A Los Brazuelos, Calarma et Guaipa, 140 paysans auraient été sauvagement assassinés ; les femmes auraient été outragées et frappées. De nombreux paysans auraient été assassinés alors qu'ils travaillaient dans les plantations de café. On compterait, parmi les prisonniers détenus dans les prisons de ces localités, des enfants mineurs. De nombreux prisonniers disparaissent mystérieusement, sans doute assassinés. Le gouvernement estimerait que « les prisonniers politiques posent un problème parce qu'ils servent de drapeau à l'agitation, alors que les morts ne peuvent servir de drapeau que pendant quelques jours ». Les autorités ecclésiastiques auraient protesté, sans résultat, auprès des autorités militaires au sujet de ces crimes ; des milliers de personnes se seraient enfuies dans d'autres régions pour sauver leur vie. Dans sa communication en date du 15 mars 1957, l'organisation plaignante déclare que le gouvernement a ordonné l'établissement d'une cour martiale pour juger le dirigeant syndical patriote Amado Zapata bien qu'il n'ait été possible de l'accuser de rien, si ce n'est de services dévoués aux masses laborieuses. Les plaignants allèguent que M. Zapata a été condamné à trois ans d'emprisonnement « pour les activités qu'il a exercées légitimement et honnêtement en sa qualité de dirigeant syndical » ; un autre dirigeant syndical, M. Isauro Yosa, aurait lui aussi été condamné à la prison. Les plaignants demandent la révision des procès et la libération des personnes intéressées.
- 220. Dans sa communication datée du 13 décembre 1956, l'ancien gouvernement déclare que ces allégations sont totalement dénuées de fondement, que l'attribution au gouvernement d'actes répréhensibles par des personnes dont les opinions sont d'extrême gauche est la conséquence de la politique de fermeté adoptée par le gouvernement pour prévenir l'infiltration communiste et que la plainte ne signale aucun préjudice causé directement à un syndicat ou à des membres d'un syndicat. D'après le gouvernement, environ quatre mois avant la date de sa réponse, des actes de banditisme se sont produits dans le département de Tolima et l'armée « a pris les mesures nécessaires pour les réprimer, en exécution de la mission qui consistait précisément à protéger les paysans contre les exactions auxquelles certains éléments terroristes, poussés certainement par un esprit de lucre, se livraient dans des régions productrices de café ». Dans l'annexe à ce document, datée du 7 décembre 1956 et signée du ministre du Travail alors en exercice - annexe qui n'est en fait parvenue au Bureau qu'en janvier 1958 - il est déclaré que les allégations en question sont sans fondement et que, de toute façon, elles sont sans rapport avec l'exercice des droits syndicaux. Le reste de la communication tend à démontrer qu'aux yeux du gouvernement, la liberté syndicale existe en Colombie ; à l'appui de cette démonstration, le gouvernement cite des extraits d'une lettre qui aurait été reçue de l'Organisation régionale interaméricaine des travailleurs (O.R.I.T.), au mois d'août 1956 au retour de Colombie d'une mission envoyée par cette organisation. Dans cette lettre, il est fait allusion à l'action du ministère du Travail de Colombie et l'on félicite le ministre de s'être fait l'avocat d'un mouvement syndical libre et indépendant, conforme aux conceptions de l'O.R.I.T.
- 221. Le gouvernement actuellement au pouvoir a, par sa lettre du 7 janvier 1958, communiqué copie d'une lettre du 12 décembre 1957 dans laquelle le secrétaire général du ministère du Travail en exercice signale que les événements ayant suscité le dépôt de la plainte se sont déroulés sous le gouvernement précédent et précise que les observations soumises au Comité et émanant de l'ancien gouvernement (analysées au paragraphe 220 ci-dessus) « constituent la réponse de ce dernier à la plainte ».
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 222. Le Comité a tenu compte du fait que, le 10 mai 1957, l'ancien gouvernement, qui avait été au pouvoir tout au long de la période au cours de laquelle les événements relatés dans la plainte se sont déroulés, a été remplacé par un nouveau gouvernement, qui, depuis, a pris des dispositions en vue de l'organisation d'élections dont on pense qu'elles auront lieu d'ici quelques mois.
- 223. Dans certains cas antérieurs, le Comité avait estimé qu'en cas de changement de régime dans un pays, le nouveau gouvernement devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences que ces faits auraient pu continuer à avoir depuis son arrivée au pouvoir, bien que les faits sur lesquels porte la plainte se soient produits sous le régime de son prédécesseur.
- 224. Le Comité a noté que le gouvernement actuellement au pouvoir n'a pas repris à son compte la réponse donnée par l'ancien gouvernement, aux termes de laquelle les allégations formulées sont sans fondement et, de toute façon, étrangères à l'exercice des droits syndicaux. L'actuel gouvernement n'a cependant fourni aucune information permettant de déterminer dans quelle mesure les événements ayant fait l'objet de la plainte ont eu des conséquences auxquelles il n'a pas encore été porté remède. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir lui fournir des informations sur les mesures prises par lui en vue de porter remède à toute conséquence que les faits incriminés auraient pu continuer à engendrer, et cela en raison de l'importance que le Conseil d'administration a toujours attachée, comme il était souligné au paragraphe 284 c) du vingt-quatrième rapport du Comité, aux libertés civiles fondamentales proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la garantie d'une procédure judiciaire régulière lors de l'examen d'accusations relatives à des infractions à la loi nationale qui peuvent avoir des conséquences sur l'exercice des droits syndicaux.
- 225. Enfin, le Comité a noté que le gouvernement n'a pas encore fourni les informations sollicitées par le Conseil d'administration au paragraphe 284 b) du vingt-quatrième rapport du Comité (voir paragraphe 216 ci-dessus) en ce qui concerne l'application des dispositions de la législation colombienne relatives à la grève dans les services publics. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement actuel sur les vues qu'il avait exprimées précédemment en ce qui concerne la question et de demander à ce gouvernement de bien vouloir lui fournir les informations sollicitées.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 226. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de noter que, le 10 mai 1957, un changement complet de gouvernement est intervenu en Colombie, l'ancien gouvernement ayant été remplacé par un nouveau gouvernement qui prend des mesures pour que des élections aient lieu d'ici quelques mois ;
- b) de noter que, bien que les événements ayant fait l'objet de la plainte se soient déroulés sous le régime de son prédécesseur, le gouvernement actuel n'a fourni aucune information permettant de déterminer dans quelle mesure les événements ayant fait l'objet de la plainte ont eu des conséquences auxquelles il n'a pas encore été porté remède, et dans ces conditions de décider, étant donné l'importance qu'il a toujours attachée aux libertés civiles fondamentales proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la garantie d'une procédure judiciaire régulière lors de l'examen d'accusations relatives à des infractions à la loi nationale qui peuvent avoir des conséquences sur l'exercice des droits syndicaux, de demander au gouvernement de bien vouloir lui fournir des informations sur les mesures prises par lui en vue de porter remède à toute conséquence que les faits incriminés auraient pu continuer à engendrer ;
- c) d'attirer l'attention du gouvernement sur les possibilités d'abus que présente l'application des dispositions du décret no 0753 du 5 avril 1956, et de prier le gouvernement de lui fournir des informations sur la mesure dans laquelle les dispositions en question ont été appliquées et sur la jurisprudence du Conseil d'Etat en ces matières ;
- d) de suggérer au gouvernement d'envisager le réexamen de sa législation et de sa pratique à la lumière des dispositions contenues dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.