Display in: English - Spanish
- 258. La plainte figure dans une communication de la Confédération syndicale des commissions ouvrières datée du 8 juillet 1986. Le gouvernement a répondu par une communication du 28 octobre 1986.
- 259. L'Espagne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations du plaignant
A. Allégations du plaignant
- 260. La Confédération syndicale des commissions ouvrières allègue que son affiliée, la Fédération de la santé, après avoir satisfait à toutes les conditions de la loi, et notamment à la notification d'un préavis de dix jours et à la constitution d'un comité de grève, a lancé un ordre de grève pour les 18, 19, 25 et 26 juin 1986 aux travailleurs employés dans certains centres sanitaires de la Communauté autonome de Madrid et relevant de la convention collective des services de santé. La grève avait pour but de débloquer la négocation sur les salaires, la "privatisation" des contrats administratifs, la réduction de la durée du travail ainsi que d'autres conditions de travail.
- 261. Le plaignant ajoute que, avant le déclenchement de cette grève légale, se sont produits les faits suivants, qui lui paraissent attentatoires à la liberté syndicale:
- - Malgré la demande faite le 14 juin, il n'y a eu ni négociation, ni intention de négocier avec la Fédération de la santé, ou avec le comité de grève compétent à cette fin, sur le maintien du service minimum pendant la grève dans les centres sanitaires dépendant de la Communauté de Madrid. Le syndicat avait dressé un plan détaillé visant à maintenir 100 pour cent de l'effectif dans les services des urgences et des soins intensifs.
- - La décision par laquelle le délégué du gouvernement imposait unilatéralement, sans consultation aucune avec le syndicat ou le comité, des services minima surabondants et attentatoires au droit de grève, a été notifiée un jour après le commencement de la grève, alors que l'entreprise, ignorant ce qu'avait pu prévoir l'autorité gouvernementale, avait déjà mis en place des services minima.
- - Avant cette tardive notification, la Communauté autonome de Madrid, organisme public affecté par la grève, avait pris la mesure illégale et clairement hostile au droit de grève d'obliger les non-grévistes à déclarer personnellement leur intention de ne pas suivre la grève, sous peine de retenues salariales.
- - Enfin, la Communauté autonome de Madrid, entreprise affectée par la grève, a fait en sa qualité d'organe de l'Etat, des déclarations publiques prétendant que la grève était illégale, s'arrogeant ainsi des facultés de juridiction incompatibles avec sa double nature d'organisme public et d'entreprise visée par l'action menée pour soutenir la négociation.
- 262. Le plaignant conclut que la conduite du gouvernement et de ses organismes publics, indépendamment de leur décision sur la composition technique des services minima, de toute façon abusive et excessive, porte atteinte au libre exercice du droit de grève.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 263. Après avoir cité la législation et la jurisprudence en matière de grève, le gouvernement déclare que, si la Communauté autonome de Madrid a jugé si urgent d'établir des services minima que rien ne permet de dire excessifs ou contraires au droit de grève, cela tient à l'imminence et à la durée de la grève (annoncée le 7 juin 1986 et ordonnée pour les 18, 19, 25 et 26 du même mois), au fait que le service à maintenir était le plus indispensable de tous pour la collectivité, et à ce que, vu la législation en la matière et la nature du service, elle considérait que la consultation et la négociation ne s'imposaient pas. Le gouvernement rapporte à ce propos l'arrêt 52/86 rendu le 14 avril par le Tribunal constitutionnel: "la doctrine de la Cour attribue la décision en la matière (il s'agit de l'établissement des services minima) à l'autorité gouvernementale compétente, seule habilitée à décider", et "permettre la consultation ou la négociation est tout autre chose que de les exiger", et encore "la négociation préalable n'est pas exclue, mais si souhaitable qu'elle puisse être, elle n'est pas indispensable à la validité constitutionnelle de la décision administrative". Le Tribunal constitutionnel avait déclaré légal le décret-loi royal no 17/1977 par arrêt du 8 avril 1981, qui traite comme suit de l'article 10, alinéa 2, du décret-loi: "(le tribunal) attribue à l'autorité gouvernementale le pouvoir d'énoncer les mesures nécessaires au maintien des services essentiels pour la communauté, pourvu que l'exercice de ce pouvoir soit sujet à la juridiction des tribunaux et au droit d'appel au présent tribunal".
- 264. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la notification des effectifs minima, un jour après le commencement de la grève, relèverait la dissimulation et la mauvaise foi du délégué gouvernemental à la Communauté autonome de Madrid, le gouvernement déclare qu'elle déforme la vérité; en effet, la note du 13 juin 1986, adressée par le délégué gouvernemental au comité de grève, atteste qu'il avait approuvé la proposition de la Communauté autonome de mettre en place un effectif minimum pendant la grève; ce fait était connu du comité de grève, comme l'a reconnu M. Antonio Sánchez, membre dudit comité, dans une lettre datée du 16 juin 1986, c'est-à-dire deux jours avant la date prévue pour la grève, et adressée au directeur général de la Santé de la Communauté autonome de Madrid. Le gouvernement souligne que la décision finale du délégué gouvernemental a été adressée dans les délais et formes voulus, même si elle a été remise par erreur au Conseil d'hygiène et de bien-être où elle a été reçue le 18 juin, comme l'atteste le registre de correspondance, et communiquée le lendemain au comité de grève. Il est donc certain que tout reproche de dissimulation, de retard volontaire ou de mauvaise foi est absolument dénué de fondement. De toute façon, chacun sait que les décisions sur le service minimum, une fois prises, sont tenues en permanence à la disposition de tout représentant du comité de grève, auquel il suffisait de s'adresser à la délégation gouvernementale la veille de la grève pour avoir connaissance exacte de la décision définitive.
- 265. En ce qui concerne la manière dont le plaignant interprète la demande faite aux travailleurs de notifier expressément leur intention de ne pas faire grève, faute de quoi ils subiraient les retenues salariales appropriées, le gouvernement signale que cette notification visait uniquement à garantir les intérêts économiques des travailleurs, et à permettre à l'administration le paiement exact et prompt de leurs salaires aux non-grévistes, de sorte qu'il ne s'agit aucunement d'une mesure de contrainte. L'administration est consciente de ce que l'exercice du droit de grève appartient aux travailleurs et à chacun d'eux, et elle ne faisait, en adressant cette circulaire, que s'acquitter de son devoir d'information envers les travailleurs. La manière dont le plaignant décrit la retenue de salaire est trompeuse, car il la présente comme une sanction alors qu'il ne s'agit pas d'autre chose que de suspension de la relation d'emploi; en effet, au droit de grève correspond pour l'entreprise le droit de suspendre le paiement des salaires aux travailleurs en grève; il n'y a donc nullement sanction, mais suspension de relation d'emploi dans tous les effets normalement associés à la prestation de travail. Le décret-loi royal no 17/77, qui modifie la réglementation de la relation d'emploi, dispose à cet égard en son article 6, paragraphe 2, que: "pendant la durée de la grève, le contrat de travail sera réputé suspendu et le travailleur n'aura pas droit à son salaire". De même, le Statut des travailleurs considère en son article 45 l'exercice du droit de grève comme un motif de suspension du contrat de travail. La Communauté autonome de Madrid n'a donc fait, par sa circulaire, rien de plus que d'informer les travailleurs de la norme applicable, garantissant ainsi leurs droits et leurs intérêts économiques.
- 266. Le gouvernement nie aussi que la Communauté autonome de Madrid ait fait, comme le dit faussement la plainte, des déclarations publiques en sa qualité d'organe de l'Etat, car cette administration autonome est une entreprise, et agit comme telle dans ses rapports avec les travailleurs à son service. C'est en effet à la justice de déclarer la grève légale ou illégale, et la Communauté de Madrid ne s'est jamais arrogé cette fonction juridique: elle a simplement indiqué que la juridiction compétente pourrait déclarer la grève illégale, du fait que la Communauté dirige des centres publics où sont rendus des services publics de première nécessité pour la collectivité, mais elle n'a aucunement méconnu que c'est au pouvoir judiciaire de se prononcer sur la légalité ou l'illégalité. Ainsi, le conseiller juridique de la présidence a dit, dans une communication écrite du 17 juin 1986, que: "... (la grève) pourra être déclarée illégale par la juridiction compétente". Dans la note adressée le 16 juin 1986 par le conseiller juridique du Service d'hygiène et de bien-être à l'un des signataires de la plainte, il est expressément dit "qu'il a consulté la Direction provinciale du travail, sans préjudice des démarches à faire ensuite auprès des organes judiciaires". Le gouvernement déclare enfin qu'il n'y a aucun vice dans la décision mise en oeuvre, par laquelle le délégué du gouvernement se rangeait à la proposition de services minima formulée par la Communauté de Madrid, et qu'il n'y a eu infraction ni à la législation sur le droit de grève, ni à la Constitution, ni à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 267. Le comité note que, dans la présente plainte, les allégations de l'organisation plaignante portent sur l'établissement du service minimum à maintenir pendant une grève de quatre jours survenue dans les services sanitaires de la Communauté autonome de Madrid.
- 268. Le comité relève que le gouvernement nie que la composition des services minima ait été notifiée trop tard, et il prend note des explications selon lesquelles, en demandant aux non-grévistes de déclarer leur intention de ne pas faire la grève, il s'agissait de garantir leurs droits ou intérêts économiques en ne retenant pas la portion de salaire correspondant aux journées de grève. Le comité note aussi les explications du gouvernement sur les déclarations publiques par lesquelles, selon le plaignant, la Communauté autonome de Madrid aurait présenté la grève comme illégale.
- 269. En d'autres circonstances, le comité a admis que la grève pouvait faire l'objet de restrictions importantes (comme dans le cas du maintien des services minima) ou même d'interdiction dans la fonction publique ou les services essentiels, au nombre desquels figurent les services de santé. Dans le cas présent, la législation espagnole permet l'exercice du droit de grève par le personnel de santé, sous réserve du maintien d'un service minimum.
- 270. En fixant les limites à respecter dans l'établissement du service minimum à assurer en cas de grève dans les services essentiels, ou pendant les grèves dont l'ampleur et la durée peuvent provoquer une crise nationale aiguë, le comité a indiqué que, dans la détermination des services minima à assurer en cas de grève, il importe que participent non seulement les organisations d'employeurs et les pouvoirs publics, mais aussi les organisations de travailleurs concernées. En effet, outre que cela permettrait un échange de vues réfléchi sur ce que doivent être en situation réelle les services minima strictement nécessaires, cela contribuerait aussi à garantir que les services minima ne soient pas étendus au point de rendre la grève inopérante à force d'insignifiance et à éviter de donner aux organisations syndicales l'impression que l'échec de la grève tient à ce que le service minimum a été prévu trop large et fixé unilatéralement. (Voir par exemple 244e rapport, cas no 1342 (Espagne), paragr. 154.)
- 271. Dans le cas présent, le comité relève qu'il n'y a pas eu consultation ou négociation sur le service minimum avec l'organisation syndicale intéressée, qui avait respecté le préavis légal de grève. Le comité constate aussi que, de la législation espagnole (art. 10, alinéa 2, du décret-loi royal no 17/1977) et de la jurisprudence du Tribunal suprême, il ressort que la consultation ou la négociation avec les syndicats sur les services minima n'est pas indispensable, et que l'autorité gouvernementale a faculté d'émettre les mesures nécessaires pour déterminer le maintien des services essentiels. Dans ces conditions, le comité considère que le défaut de consultation avec l'organisation syndicale intéressée n'est pas entièrement conforme aux principes énoncés au paragraphe précédent.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 272. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Considérant que l'ensemble des parties concernées devraient participer à la détermination des services minima à assurer en cas de grève, le comité demande au gouvernement de consulter à l'avenir les organisations intéressées des employeurs et des travailleurs avant de fixer ces services minima.