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- 1258. La plainte est contenue dans une communication du Syndicat des travailleurs du secteur du pétrole, de la chimie et du caoutchouc de Turquie (LASTIK-IS), datée du 22 mars 2004, et dans une communication de la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DISK), datée du 22 mars 2004.
- 1259. Le gouvernement a répondu dans des communications datées du 6 janvier et du 25 juillet 2005.
- 1260. La Turquie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 1261. Dans une communication du 22 mars 2004, le Syndicat des travailleurs du secteur du pétrole, de la chimie et du caoutchouc de Turquie (LASTIK-IS) a indiqué que ses activités se concentraient dans le secteur des pneumatiques, dominé par de grandes entreprises multinationales comme Goodyear, Bridgestone et Pirelli. Depuis décembre 2004, au nom d’environ 4 000 travailleurs, LASTIK-IS négociait avec ces trois entreprises en vue de conclure une nouvelle convention couvrant les années 2004 et 2005. Durant les réunions, le syndicat a observé que les employeurs n’étaient pas de bonne volonté et n’avaient pas l’intention de conclure un accord; ces derniers essayant toujours de forcer LASTIK-IS à accepter leurs exigences inadmissibles, après avoir obtenu du gouvernement la garantie qu’il ferait usage de son pouvoir pour interdire une éventuelle grève. Dans ces circonstances, considérant que ces exigences ne pouvaient être acceptées, le comité de direction de LASTIK-IS, qui s’était efforcé par tous les moyens de résoudre le différend, a décidé de lancer un ordre de grève dans les trois multinationales, en commençant par l’usine Pirelli le 22 mars 2004. Cependant, le gouvernement a une nouvelle fois fait usage de son droit de «suspendre», ce qui signifiait en fait interdire la grève dans les trois entreprises, par un décret publié au Journal officiel daté du 21 mars 2004. Il était allégué dans le décret, signé du Président, du Premier ministre, du ministre du Travail et d’autres membres du Conseil des ministres, que la grève dans le secteur des pneumatiques constituerait une menace pour la sécurité nationale. LASTIK-IS a joint une copie du Journal officiel du 21 mars 2004 et une traduction du décret no 2004/6998, ainsi libellée:
- ... il est décidé que les décisions de faire grève prises par le Syndicat des travailleurs du secteur du pétrole, de la chimie et du caoutchouc de Turquie (LASTIK-IS) sur les lieux de travail de Türk Pirelli Lastikleri A.S., Goodyear Lastikleri T.A.S. et Brisa Bridgestone Sabanci Lastik Sanayii ve Ticaret A.S., et les décisions de recourir au lock-out prises par les entreprises susmentionnées seront suspendues pour soixante jours à compter du 16/3/2004, car elles sont considérées comme violant la sécurité nationale, en vertu de l’article 33 de la loi no 2822 du 5/5/1983.
- 1262. LASTIK-IS a ajouté que, conformément à l’article 33 de la loi sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out, toute grève pouvait être suspendue pour une période de soixante jours si elle était réputée mettre en danger la «santé publique» ou la «sécurité nationale». Mais la «suspension» d’une grève en vertu de cette disposition signifiait habituellement dans la pratique une «interdiction» indéfinie, car l’article 34 de cette même loi conférait au ministère du Travail et de la Sécurité sociale le pouvoir d’imposer un arbitrage obligatoire à la fin de la suspension de soixante jours, à moins que les parties ne soient parvenues à un accord ou n’aient volontairement sollicité un arbitrage. LASTIK-IS a ajouté que ce n’était pas la première fois qu’une grève dans le secteur des pneumatiques avait été interdite. D’autres grèves avaient déjà été interdites le 5 mai 2000 et le 12 mai 2002. Du fait du décret du 21 mars 2004, les travailleurs de ce secteur ne pouvaient pas exercer leur droit de faire grève garanti par la convention no 87, ratifiée par le gouvernement. LASTIK-IS estimait que le dialogue social et les relations industrielles démocratiques étaient des instruments très importants pour établir l’ordre social et résoudre les problèmes sociaux. Dans ce cadre, il attendait du gouvernement qu’il respecte les droits de l’homme fondamentaux qui incluaient les droits syndicaux fondamentaux, le droit d’association et de négociation collective sur la base des conventions de l’OIT ratifiées.
- 1263. Dans une communication datée du 22 mars 2004, la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DISK), à laquelle LASTIK-IS est affilié, a repris les allégations envoyées par LASTIK-IS, rappelant que le gouvernement avait déjà interdit des grèves lancées par LASTIK-IS à deux occasions dans le passé et avait agi de la même façon dans le secteur du verre. DISK a aussi indiqué que LASTIK-IS ferait appel auprès du Conseil d’Etat pour qu’il annule le décret. Les comités de direction de DISK et de leur affilié LASTIK-IS étaient aussi prêts à porter officiellement plainte devant la Commission européenne, car le décret constituait une violation claire des conventions de l’OIT et de la législation européenne.
- B. Réponse du gouvernement
- 1264. Dans une communication datée du 6 janvier 2005, le gouvernement a indiqué que, comme il était mentionné dans des réponses antérieures concernant la même question (à savoir le cas no 2303), les études requises effectuées par une commission d’universitaires, établie en accord avec les partenaires sociaux, pour modifier la loi no 2822 sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out et la loi no 2821 sur les syndicats, étaient toujours en cours, en vue de rendre la législation conforme avec l’acquis communautaire de l’Union européenne et les normes de l’OIT, et de l’actualiser pour tenir compte de l’évolution récente du pays.
- 1265. Le gouvernement a ajouté qu’une copie du projet de loi modifiant la loi no 2822 avait été envoyée au BIT en avril 2004 et avait auparavant été jointe à la réponse du gouvernement relative au cas no 2303. Comme il avait déjà été indiqué à ces deux occasions, aux termes des nouvelles dispositions qui avaient été introduites dans le premier paragraphe de l’article 33 de la loi no 2822 sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out concernant la suspension d’une grève, «le Conseil des ministres peut ordonner une suspension sur avis du Conseil d’Etat sur cette question».
- 1266. Le gouvernement a ajouté que cette disposition était en fait citée dans d’autres textes internationaux relatifs à ce sujet. Aux termes des articles 30 et 31 de la Charte sociale européenne concernant les «Dérogations en cas de guerre ou de danger public» et les «Restrictions», il est possible de restreindre certains principes et droits dans l’intérêt public, ou pour des raisons de sécurité nationale, de santé publique ou de moralité publique, conformément aux prescriptions de la législation.
- 1267. Le gouvernement a ajouté que les communications du Syndicat des travailleurs du secteur du pétrole, de la chimie et du caoutchouc de Turquie (LASTIK-IS) et de la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DISK) avaient été dûment examinées par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Lors de la suspension de la grève par le décret du Conseil des ministres, le professeur Fevzi Sahlanan a une nouvelle fois été désigné par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale comme médiateur officiel chargé de régler le différend. Par les efforts et sous la supervision du ministre, les parties ont été convoquées devant le médiateur officiel le 12 mai 2004 pour procéder aux consultations concernant la convention collective. Le 13 mai 2004, les parties sont parvenues à un consensus, à la suite de quoi la convention collective couvrant la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 avait déjà été conclue.
- 1268. Dans une communication datée du 25 juillet 2005, le gouvernement a présenté un compte rendu chronologique du différend. Selon le gouvernement, LASTIK-IS avait demandé, le 8 septembre 2003, que soit déterminée sa compétence pour conclure une convention collective sur les lieux de travail de Turk Pirelli A.S., Goodyear Lastikleri T.A.S. et Brisa Bridgestone Sabanci Lastik Sanayii ve Ticaret A.S. Lorsqu’elle a déterminé que le syndicat avait la majorité requise par la loi, la Direction générale du travail a envoyé des lettres aux parties sur la question de la compétence et, comme il n’y a pas eu d’objection au sujet de ces lettres dans le délai légal, un certificat de compétence a été octroyé au syndicat conformément à l’article 16 de la loi no 2822. Lorsque la négociation collective s’est soldée par un différend, la Direction régionale du travail de Kocaeli a désigné des médiateurs officiels sur les trois lieux de travail. Comme il n’a pas été possible de parvenir à un accord à ce moment-là, le syndicat a annoncé sa décision de faire grève le 8 mars 2004. Cette décision ayant été considérée comme portant atteinte à la sécurité nationale, le Conseil des ministres a adopté un décret le 16 mars 2004 afin de suspendre les grèves pour une période de soixante jours (publié au Journal officiel le 21 mars 2004). Un autre médiateur officiel a été désigné conformément à l’article 34 de la loi no 2822. A la suite des efforts de médiation déployés par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale aidé du médiateur officiel, les représentants de LASTIK-IS et des employeurs se sont rencontrés le 12 mai 2004 au ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Après les négociations, les parties ont conclu des conventions collectives le 13 mai 2004 pour la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005.
- 1269. Le gouvernement a ajouté que LASTIK-IS avait fait appel auprès de la 10e chambre du Conseil d’Etat contre le décret du Conseil des ministres suspendant la grève. Le Conseil d’Etat a décidé de suspendre l’exécution du décret. Un appel de cette décision a été rejeté le 23 septembre 2004 par l’Assemblée plénière des chambres du tribunal administratif du Conseil d’Etat. Le gouvernement a joint en annexe des copies des conventions collectives conclues entre les parties et de la décision du Conseil d’Etat datée du 23 septembre 2004 (affaire no 2004/387).
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 1270. Le comité observe que le présent cas concerne des allégations selon lesquelles le gouvernement a violé les principes de la liberté syndicale en suspendant pour la troisième fois en quatre ans une grève dans le secteur des pneumatiques au motif que la grève constituerait une menace pour la sécurité nationale.
- 1271. En particulier, le comité note, au vu des allégations des plaignants, qu’en adoptant le décret no 2004/6998 du 21 mars 2004 le Conseil des ministres a fait usage, pour la troisième fois en quatre ans, du pouvoir que lui confère l’article 33 de la loi no 2822 sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out de suspendre, ce qui voulait dire en fait interdire, une grève dans le secteur des pneumatiques au motif que la grève constituerait une menace pour la sécurité nationale. Selon les plaignants, le comité de direction du Syndicat des travailleurs du secteur du pétrole, de la chimie et du caoutchouc de Turquie (LASTIK-IS) avait décidé de lancer un ordre de grève à compter du 22 mars 2004 pour s’opposer à des exigences inacceptables des employeurs. Ces derniers sont de grandes entreprises multinationales (Goodyear, Bridgestone, Pirelli) et avaient, selon les allégations, reçu l’assurance du gouvernement qu’une éventuelle grève serait interdite. Selon les plaignants, des décrets similaires interdisant des grèves ont été récemment adoptés dans d’autres secteurs. Le comité note par ailleurs que l’article 33 de la loi no 2822 sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out permet au gouvernement de suspendre toute grève pour une période de soixante jours si elle est réputée porter atteinte à la «santé publique» ou à la «sécurité nationale». Or la «suspension» d’une grève, selon les plaignants, signifie habituellement dans la pratique une interdiction indéfinie, car l’article 34 de la même loi confère au ministère du Travail et de la Sécurité sociale le pouvoir d’imposer un arbitrage obligatoire à la fin de la période de suspension de soixante jours, à moins que les parties ne soient parvenues à un accord ou n’aient volontairement sollicité un arbitrage.
- 1272. Le comité observe que le décret no 2004/6998 du Conseil des ministres n’indique pas les motifs pour lesquels une grève dans le secteur des pneumatiques a été considérée comme portant atteinte à la sécurité nationale. En outre, le gouvernement ne présente aucune réponse aux allégations selon lesquelles il a à plusieurs reprises interdit des grèves dans ce secteur pour des raisons de sécurité nationale. Le comité note par ailleurs, au vu de la réponse du gouvernement, que LASTIK-IS a interjeté appel auprès de la 10e chambre du Conseil d’Etat qui a décidé de suspendre l’exécution du décret. Un appel de cette décision a été rejeté le 23 septembre 2004 par l’Assemblée plénière des chambres du tribunal administratif du Conseil d’Etat. Cependant, entre-temps, du fait des efforts de médiation déployés par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale et le médiateur officiel désigné pour régler le différend, les parties sont parvenues à un consensus pour conclure une convention collective un jour après avoir été convoquées en vue de consultations (entre le 12 et le 13 mai 2004). En conséquence, une convention collective couvrant la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 a déjà été conclue.
- 1273. Le comité note avec regret qu’il ne s’agit pas du premier cas concernant la Turquie qui se rapporte à des allégations selon lesquelles le Conseil des ministres a décidé de suspendre une grève pour des raisons de sécurité nationale, sans qu’il existe de lien apparent entre les secteurs en question (pneumatiques, verre, services municipaux et entreprises d’Etat) et la sécurité nationale. Le comité rappelle les conclusions et recommandations formulées dans le cas no 2303, selon lesquelles l’article 33 de la loi no 2822 n’était pas en soi contraire aux principes de la liberté syndicale, du moment qu’il était mis en œuvre de bonne foi et conformément au sens ordinaire des termes «sécurité nationale» et «santé publique»; toutefois, l’application répétée de cet article de façon à empêcher des grèves dans des secteurs comme le verre et le caoutchouc, les services municipaux et les entreprises d’Etat, qui n’avaient apparemment aucun lien direct avec la sécurité nationale ou la santé publique, pourrait équivaloir à une violation systématique du droit de grève. [Voir 335e rapport, paragr. 1376.]
- 1274. Le comité souligne qu’en règle générale une décision de suspendre une grève pour une période raisonnable de façon à permettre aux parties de rechercher une solution négociée grâce à des efforts de médiation ou de conciliation ne constitue pas en soi une violation des principes de la liberté syndicale. Le comité rappelle toutefois que les articles 21 à 23, 27, 28, 35 et 37 de la loi no 2822 prescrivent, comme condition préalable à un appel à une grève licite, une période d’attente de près de trois mois à compter du début des négociations, y compris une période imposée d’arbitrage obligatoire d’un maximum de trois semaines (art. 23). Le comité note par ailleurs, au vu du rapport du gouvernement, que dans le présent cas il y avait déjà eu une médiation de la part des médiateurs officiels désignés par la Direction régionale du travail de Kocaeli avant que LASTIK-IS n’ait annoncé sa décision de lancer une grève, comme le prévoit la législation. Ainsi, lorsque le gouvernement a décidé de suspendre la grève pour une période additionnelle de soixante jours et a désigné un autre médiateur officiel, alors même qu’une médiation avait déjà eu lieu, cette décision constituait une extension de ce que l’on peut déjà considérer comme une procédure complexe prévue par la loi. Le comité note d’autre part que les plaignants se réfèrent à l’article 34 de la loi no 2822, aux termes duquel «si, à l’expiration du délai arrêté pour la suspension, les parties n’ont pas pu parvenir à un règlement convenu ou ne sont pas convenues de recourir à un arbitrage privé, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale renverra le différend devant la Haute Cour d’arbitrage aux fins de règlement», et souligne qu’une «suspension» au titre des articles 33 et 34 constitue en fin de compte une interdiction de la grève, puisque les parties s’attendent à ce que le gouvernement fasse usage, en vertu de l’article 34, du pouvoir de soumettre le différend à un arbitrage obligatoire.
- 1275. Le comité rappelle que l’arbitrage obligatoire pour mettre fin à un conflit collectif du travail et à une grève est acceptable en cas de crise nationale aiguë et également soit s’il intervient à la demande des deux parties au conflit, soit dans les cas où la grève peut être limitée, voire interdite, à savoir dans les cas de conflit dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité de la personne. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 515 et 517.] Le comité souligne que la fabrication d’automobiles ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme [voir Recueil, op. cit., paragr. 545] et considère que la fabrication de pneumatiques fait partie de l’industrie automobile et que les travailleurs de ce secteur devraient jouir du droit de grève sans en être indûment empêchés. En règle générale, pour déterminer les cas dans lesquels une grève pourrait être interdite, le critère à retenir est l’existence d’une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé dans tout ou partie de la population. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 540.]
- 1276. Le comité considère aussi que l’imposition d’une procédure d’arbitrage obligatoire allant au-delà des restrictions admissibles susmentionnées pose des problèmes se rapportant à l’application de la convention no 98, car une telle imposition est contraire à la nature libre et volontaire de la négociation collective. Les dispositions selon lesquelles, à défaut d’accord entre les parties, les points de la négociation collective restés en litige seront réglés par l’arbitrage de l’autorité ne sont pas conformes au principe de la négociation volontaire énoncé à l’article 4 de la convention no 98. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 862.]
- 1277. Notant qu’une convention collective a déjà été conclue pour la période allant de 2004 à 2005 dans le secteur des pneumatiques du fait de l’intervention du médiateur officiel, le comité regrette la pratique systématique du gouvernement consistant à mettre fin aux conflits collectifs et à empêcher les grèves pour des raisons de sécurité nationale dans des secteurs comme celui des pneumatiques, qui n’a aucun lien apparent avec la sécurité nationale et ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme. Le comité demande au gouvernement de s’abstenir à l’avenir de recourir à cette pratique et de faire en sorte que les grèves ne soient pas empêchées de cette manière, à l’éventuelle exception des services essentiels au sens strict du terme, les conflits dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat ou en cas de crise nationale aiguë.
- 1278. Le comité note par ailleurs que le gouvernement fait référence dans sa réponse aux travaux en cours d’une commission d’universitaires établie en accord avec les partenaires sociaux pour modifier la loi no 2822 sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out et la loi no 2821 sur les syndicats. Le comité note que les travaux exécutés par la Commission d’universitaires ont débouché sur l’introduction, dans l’article 33 de la loi no 2822, de nouvelles dispositions en vertu desquelles le Conseil des ministres ne peut prendre un décret pour suspendre une grève qu’à réception de l’avis du Conseil d’Etat sur cette question.
- 1279. Le comité rappelle une nouvelle fois les conclusions et recommandations formulées dans le cas no 2303 sur cette question. En particulier, le comité rappelle que, dans ce cas, une décision du Conseil d’Etat, qui avait rendu inapplicable un décret du Conseil des ministres suspendant une grève dans le secteur du verre, avait été infirmée par un autre décret du Conseil des ministres suspendant une nouvelle fois la grève; le comité a considéré que puisque les modifications proposées semblaient envisager un rôle consultatif pour le Conseil d’Etat elles ne semblaient pas constituer une amélioration par rapport à la législation actuelle sur ce point, et pourraient même conduire à un affaiblissement du rôle du Conseil d’Etat qui, comme on l’a vu plus haut, a aujourd’hui le pouvoir d’examiner les décisions du Conseil des ministres et de les rendre inapplicables. En conséquence, le comité a recommandé que la responsabilité de la suspension d’une grève pour des raisons de sécurité nationale n’incombe pas au gouvernement, mais à un organe indépendant qui ait la confiance de toutes les parties concernées. [Voir 335e rapport, paragr. 1376 et 1377.]
- 1280. Le comité note que, dans le présent cas, le Conseil d’Etat s’est une nouvelle fois prononcé en faveur de la suspension de l’application du décret no 2004/6998 conformément à un appel interjeté par LASTIK-IS, et que l’Assemblée plénière des chambres du tribunal administratif du Conseil d’Etat a confirmé cette décision le 23 septembre 2005. Néanmoins, et compte tenu du délai nécessaire avant de rendre de telles décisions, ces décisions n’avaient aucun effet pratique, car les parties étaient parvenues à un accord entre-temps. Le comité observe donc que, au vu des informations dont il dispose, lorsque l’examen judiciaire fait par le Conseil d’Etat différait de l’évaluation faite par le gouvernement, le gouvernement faisait malgré tout appel, et le délai qui en résultait privait ledit examen de tout effet réel dans la pratique. Dans le cas no 2303, le gouvernement avait tout simplement pris une autre décision contraire. Ainsi, bien que la pratique du gouvernement consistant à mettre fin aux conflits collectifs et aux grèves pour des raisons de sécurité nationale fasse l’objet d’un examen judiciaire, l’efficacité de cet examen pourrait être atténuée.
- 1281. Le comité note enfin les observations du gouvernement sur la conformité de l’article 33 de la loi no 2822 avec certains instruments internationaux, qui autorisent la limitation de certains droits dans l’intérêt public, ou pour des raisons de sécurité publique, de santé publique ou de moralité publique. Le comité considère, comme il l’a indiqué plus haut, que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, pour des raisons directement liées à la sécurité nationale, mais il doit faire observer que, dans le présent cas et le cas no 2303, le gouvernement a apparemment agi en vertu de cet article sans indiquer les préoccupations spécifiques en matière de sécurité ou de santé en cause. La nécessité de fournir les raisons spécifiques justifiant une décision du gouvernement peut être encore plus pressante dans des cas comme celui-ci, où les autorités judiciaires n’ont pas confirmé l’évaluation de la situation faite par le gouvernement.
- 1282. Dans les circonstances particulières du présent cas, le comité demande donc une nouvelle fois au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de modifier l’article 33 de la loi no 2822, de sorte que la responsabilité de la suspension d’une grève pour des raisons de sécurité nationale n’incombe pas au gouvernement, mais à un organe indépendant qui ait la confiance de toutes les parties concernées. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des faits nouveaux à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 1283. Compte tenu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Notant qu’une convention collective a déjà été conclue pour la période allant de 2004 à 2005 dans le secteur des pneumatiques du fait de l’intervention du médiateur officiel, le comité regrette la pratique systématique du gouvernement consistant à mettre fin aux conflits collectifs et à empêcher les grèves pour des raisons de sécurité nationale dans des secteurs comme celui des pneumatiques, qui n’a aucun lien apparent avec la sécurité nationale et ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme. Le comité demande au gouvernement de s’abstenir à l’avenir de recourir à cette pratique et de faire en sorte que les grèves ne soient pas empêchées de cette manière, à l’éventuelle exception des services essentiels au sens strict du terme, les conflits dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat ou en cas de crise nationale aiguë.
- b) Le comité demande une nouvelle fois au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de modifier l’article 33 de la loi no 2822, de sorte que la responsabilité de la suspension d’une grève pour des raisons de sécurité nationale n’incombe pas au gouvernement, mais à un organe indépendant qui ait la confiance de toutes les parties concernées. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des faits nouveaux à cet égard.