Visualizar en: Inglés - Español
- 47. La plainte de la Fédération internationale des travailleurs des plantations, de l'agriculture et des secteurs connexes, qui est un secrétariat professionnel de la Confédération internationale des syndicats libres (C.I.S.L.), a été présentée à l'O.I.T par la C.I.S.L dans une lettre en date du 26 janvier 1967. La C.I.S.L a, pour sa part, présenté une autre plainte le 31 janvier 1967. Ces deux plaintes ont été transmises au gouvernement du Libéria, pour observations, par une lettre datée du 9 février 1967. Le 14 février 1967, la C.I.S.L a soumis une plainte préparée par un autre de ses secrétariats professionnels, la Fédération internationale des mineurs; cette plainte a été transmise au gouvernement par une lettre en date du 20 février 1967. Le gouvernement a fourni ses observations sur les plaintes dans une communication datée du 3 mai 1967.
- 48. Le Libéria a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Allégations relatives à la loi du 9 février 1966 tendant à rétablir, à compléter et à accroître les pouvoirs extraordinaires accordés au Président du Libéria
- 49 La C.I.S.L et la Fédération internationale des travailleurs des plantations, de l'agriculture et des secteurs connexes (F.I.T.P.A.S.C.) critiquent les dispositions de l'article 1, alinéa r), de la loi sur les pouvoirs extraordinaires, qui habilitent le Président à interdire tout syndicat pouvant être convaincu de subir une influence ou une domination extérieure, de même que celles de l'article 1, alinéas), qui autorisent le Président à interdire tout syndicat pouvant être convaincu de recevoir une aide financière ou d'autres avantages d'une source extérieure, à moins que cette aide ou ces autres avantages ne soient admis et transmis par le gouvernement. Elles affirment que les dispositions de l'article 1, alinéa r), sont contraires à l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, selon lequel les organisations syndicales nationales ont le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs, d'où la possibilité, pour les organisations syndicales nationales, de demander les conseils et l'aide des organisations syndicales internationales, et cela dans tous les domaines intéressant l'exercice des fonctions syndicales et le développement d'un syndicalisme authentique. Quant à l'article 1, alinéa s), elles prétendent qu'il est également contraire à l'article 5 de ladite convention, puisque le droit d'adhérer à des organisations internationales suppose que les organisations syndicales nationales peuvent bénéficier des services et des avantages découlant de leur affiliation internationale pour la conduite de leurs activités et la réalisation de leurs programmes syndicaux, programmes qu'elles ont le droit, conformément à l'article 3 de la convention, de formuler sans l'intervention des pouvoirs publics.
- 50 La F.I.T.P.A.S.C allègue que les alinéas r) et s) de l'article 1 de la loi ont été invoqués pour interdire des réunions entre des représentants d'organisations syndicales internationales et des syndicalistes libériens n'ayant pas été approuvées par le gouvernement; elle signale en outre que les syndicalistes libériens ont l'obligation d'obtenir une autorisation expresse du gouvernement pour pouvoir participer, à l'étranger, à des réunions ou à des conférences d'organisations syndicales internationales auxquelles leurs syndicats sont affiliés ou associés ou dont ils sont parfois les responsables élus. La F.I.T.P.A.S.C et la C.I.S.L citent les cas de M. Colbert et de M. Vewessee, représentants de la F.I.T.P.A.S.C.; de même, la C.I.S.L et la Fédération internationale des mineurs soulèvent le cas de M. Roberts, représentant de cette fédération.
- 51 Pendant six ans, la F.I.T.P.A.S.C aurait essayé, à la demande des travailleurs libériens des plantations et du Congrès libérien des organisations professionnelles, d'aider à créer un mouvement syndical libre dans les plantations d'hévéas, mais elle se serait heurtée en cela à l'hostilité du gouvernement et de l'industrie des plantations. D'après les plaignants, M. Colbert, représentant de la F.I.T.P.A.S.C, a eu une entrevue avec le Président du Libéria à Zurich, le 20 septembre 1966, dans le dessein d'obtenir que soit approuvée, en vertu de l'article 1, alinéa s), de la loi sur les pouvoirs extraordinaires, la fourniture d'une assistance aux syndicats libériens. Les plaignants déclarent que le Président a fait état, au cours de la conversation, d'une grève qui avait eu lieu en juillet 1966 dans l'industrie minière libérienne, ce qui indiquait, à ses yeux, que le mouvement syndical avait besoin d'une aide extérieure de la part d'organisations telles que la F.I.T.P.A.S.C; le Président a alors assuré M. Colbert qu'il était favorable à une aide de la F.I.T.P.A.S.C aux syndicats de travailleurs des plantations du Libéria. La F.I.T.P.A.S.C a porté la teneur de l'entretien à la connaissance de M. Das Wilson, sous-secrétaire d'Etat au Travail, dans une lettre du 21 décembre 1966, et à M. Roméo Horton, secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie, le fer novembre 1966. Se fondant sur l'assurance donnée par le Président, M. Colbert, M. Vewessee (un des responsables d'une organisation camerounaise affiliée à la F.I.T.P.A.S.C.) et M. W. B Tueh (ancien responsable de l'Association des saigneurs) auraient commencé à prendre contact, le 11 novembre 1966, avec les responsables de ladite association, après les heures de travail, et obtenu leur participation à un comité d'organisation des travailleurs des plantations, de l'agriculture et des secteurs connexes du Libéria. Les fonctionnaires compétents du gouvernement, et même des employés de la Firestone Plantation Company, auraient été informés à l'avance de toutes ces démarches. Or, dans la soirée du 17 novembre 1966, un fonctionnaire du Bureau libérien du travail, accompagné de deux agents de police, a remis à MM. Colbert et Vewessee une lettre du secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie les priant de se rendre immédiatement au domicile du ministre de la Justice. On leur déclara toutefois qu'ils n'étaient pas en état d'arrestation. En fait, les policiers les emmenèrent à la Direction de la police, où ils furent informés qu'ils étaient en état d'arrestation, bien qu'ils ne fissent pas l'objet d'une inculpation précise, et on leur refusa plusieurs fois l'autorisation de prendre contact avec leurs ambassades respectives. Le 18 novembre, ils furent relâchés à 3 h. 30 et invités à se présenter le même jour, à 11 heures, au bureau du ministre de la Justice, pour comparaître devant une commission spéciale instituée en vertu de la loi sur les pouvoirs extraordinaires. Cette commission se composait notamment du ministre de la Justice, du chef du Service national de sécurité, du sous-secrétaire d'Etat au Travail et du secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Les plaignants affirment qu'ils ne furent assistés d'aucun avocat, qu'ils n'eurent pas connaissance du contenu de la plainte déposée contre eux par la Firestone Plantation Company et qu'à la fin de l'audience, le ministère de la Justice leur avait déclaré qu'ils devaient cesser d'aider les travailleurs des plantations à s'organiser jusqu'à ce qu'ils en aient reçu l'autorisation écrite du gouvernement.
- 52 Il est également allégué que M. J. Roberts, représentant de la Fédération internationale des mineurs, qui s'était rendu au Libéria en octobre 1966 pour prêter son concours au Syndicat libérien des mineurs, avait reçu l'assurance du ministre du Commerce et de l'Industrie qu'il pouvait poursuivre sa mission. Cependant, alors qu'il était en train d'aider le Syndicat des mineurs dans ses négociations avec la direction, il fut informé, par le secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie, qu'il violait des lois du Libéria; on le força alors à quitter le pays.
- 53 La C.I.S.L s'en prend ensuite aux dispositions des alinéas t), u) et v) de l'article fer de la loi sur les pouvoirs extraordinaires, lesquels autorisent le Président du Libéria: à considérer comme illégale et menaçant la sécurité de l'Etat toute grève organisée ou déclenchée contrairement à la législation du Libéria, à estimer coupable d'une infraction criminelle toute personne apportant son appui, son soutien, ses encouragements à une telle grève ou y participant, et à juger les contrevenants selon une procédure sommaire; à juger selon une procédure sommaire, et à déclarer coupables d'une tentative de renversement du gouvernement et d'atteinte à la sûreté de l'Etat les dirigeants qui déclencheraient une grève sans s'être conformés aux dispositions des lois de la République; à suspendre l'ordonnance d'habeas corpus pour une durée maximum d'un an et à arrêter, emprisonner et détenir toute personne contrevenant aux lois de la République et à la faire juger selon une procédure sommaire par une commission ad hoc établie par le Président du Libéria.
- 54 Dans sa réponse en date du 3 mai 1967, le gouvernement déclare que la loi sur les pouvoirs extraordinaires doit être considérée comme un tout et à la lumière des conditions qui prévalaient lors de son entrée en vigueur, soit en février 1966. Cette loi prévoit notamment un accroissement des effectifs de la Garde nationale, la mobilisation des forces armées pour défendre le pays et d'autres mesures en cas de menace d'invasion, le déplacement du siège du gouvernement, des dispositions d'ordre monétaire, la création d'un hôpital de fortune, etc., de sorte que les questions de travail constituent seulement l'un des éléments du problème. Lorsqu'elle a été promulguée, la situation qui régnait dans les territoires voisins du Libéria et dans l'ensemble de l'Afrique était inquiétante, si bien que le gouvernement avait d'amples raisons de croire le pays menacé. C'est pourquoi il a pris toutes mesures utiles pour protéger l'existence même du Libéria. Le gouvernement déclare qu'il s'agit là d'un attribut de la souveraineté et qu'il n'y renoncera en aucune circonstance. Si l'occasion devait s'en présenter de nouveau à l'avenir, les mesures jugées nécessaires et appropriées par le gouvernement seraient prises une fois de plus. La loi était destinée précisément à faire face à une situation particulière et, au dire du gouvernement, elle a cessé d'être appliquée le 8 février 1967.
- 55 En ce qui concerne le droit d'affiliation, le gouvernement affirme que la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ne saurait autoriser un syndicat à devenir un instrument ou un agent d'une puissance étrangère, voire d'une autre force extérieure, visant à compromettre la sécurité et l'existence de l'Etat dans lequel ce syndicat a son siège.
- 56 Le gouvernement fait ensuite des commentaires sur les cas de M. Colbert, représentant de la F.I.T.P.A.S.C, et de M. Roberts, représentant de la Fédération internationale des mineurs.
- 57 Avant M. Colbert, déclare le gouvernement, M. Emmanuel, autre représentant de la F.I.T.P.A.S.C, s'est rendu au Libéria, en septembre 1965, pour étudier la possibilité de former un syndicat de travailleurs des plantations. Pendant son séjour d'une semaine, il a rencontré les membres du Comité exécutif de l'Association libérienne des planteurs d'hévéas et les directeurs de quelques grandes exploitations agricoles concessionnaires, qui l'ont assuré que les employeurs seraient heureux de pouvoir traiter avec un syndicat dûment organisé. Au moment de son départ, M. Emmanuel a déclaré que lui-même ou un autre représentant de la F.I.T.P.A.S.C reviendrait au Libéria. M. Colbert est arrivé en février 1966 et il a été informé, par le directeur de l'Association des planteurs d'hévéas, que les assurances données à M. Emmanuel restaient valables, mais qu'il devait tout d'abord obtenir une autorisation du gouvernement. M. Colbert demanda alors au Bureau du travail du ministère du Commerce et de l'Industrie l'autorisation de fournir l'assistance nécessaire aux travailleurs des plantations et de chercher à organiser un syndicat. Sur le conseil du Bureau du travail, M. Colbert présenta une requête formelle au gouvernement, par l'entremise du ministère précité, et fut avisé que ce dernier lui répondrait dès que sa requête aurait été étudiée. Le gouvernement déclare que, pendant que cette étude était en cours, M. Colbert s'est impatienté et a demandé à être reçu immédiatement par le Président; cela n'était pas possible à cette époque, et M. Colbert quitta le Libéria en déclarant que le climat n'était pas propice à une action de sa part.
- 58 Le gouvernement affirme que M. Colbert n'a plus donné signe de vie jusqu'à son retour en octobre 1966, et que c'est seulement alors qu'il a avisé le Bureau du travail que le Président lui avait donné la permission de poursuivre sa tâche. Le ministère du Commerce et de l'Industrie lui fit savoir qu'il ne pouvait pas donner l'autorisation nécessaire du fait qu'il n'avait reçu aucune communication officielle quant à une telle permission. M. Colbert quitta alors la capitale en disant qu'il avait l'intention de voir la Direction de la Firestone Plantation Company, mais, selon le gouvernement, il se serait employé activement à organiser les travailleurs des plantations; c'est en raison de ces violations délibérées des lois et des propos menaçants qu'il a tenus que M. Colbert a reçu l'ordre du gouvernement de rentrer à Monrovia. Emmené au poste de police, il a été prié de se rendre le lendemain au bureau du ministre de la Justice. Toujours d'après le gouvernement, M. Colbert a été accompagné, lors de sa visite au bureau du ministre de la Justice, par un vice-consul des Etats-Unis, auquel le ministre déclara que M. Colbert n'était pas en état d'arrestation, mais qu'il avait été prié de comparaître aux fins d'enquête. M. Colbert fut toutefois avisé que, tant qu'il n'aurait pas reçu les documents nécessaires du ministère du Commerce et de l'Industrie, il ne pourrait pas poursuivre ses activités aux plantations Firestone.
- 59 Le gouvernement déclare qu'il n'entend pas céder au chantage. Le Président avait accordé une entrevue à M. Colbert à Zurich et ils avaient examiné ensemble de nombreux aspects du syndicalisme au Libéria. De l'avis du gouvernement, c'est parce que M. Colbert, à son retour au Libéria en octobre 1966, n'a pas pu obtenir immédiatement une audience du Président qu'il a présenté à celui-ci un ultimatum dans lequel il déclarait que, s'il n'était pas reçu le 18 décembre, il quitterait le pays et ferait rapport à la C.I.S.L. Le gouvernement répète qu'il s'agit là de chantage, ainsi que le démontre d'ailleurs la plainte soumise ensuite par la C.I.S.L. Il ajoute que, bien que les activités de M. Colbert aux plantations Firestone eussent été contraires à la législation libérienne, sans compter que l'intéressé enfreignait la loi sur les étrangers et la nationalité en travaillant au Libéria sans être en possession du visa et du permis nécessaires, aucune poursuite n'a été engagée contre lui et pourtant, légalement, cela aurait été possible.
- 60 Bien que la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, prévoie l'affiliation de syndicats nationaux à des organisations internationales, elle ne donne pas le droit à une organisation internationale, à ce que prétend le gouvernement, d'envoyer des représentants dans le territoire d'un Etat signataire de la convention afin d'y créer un syndicat national, de sorte que toute action déployée dans ce sens par M. Colbert sortait du cadre de la convention et était subordonnée à une autorisation spéciale du gouvernement, que celui-ci est entièrement libre de donner ou de refuser.
- 61 M. J. G. Roberts, agent de liaison de la Fédération internationale des mineurs (F.I.M.), est venu au Libéria, pour le compte de son organisation, afin de prendre contact avec le Syndicat libérien des mineurs. Il a déclaré à des fonctionnaires du ministère du Commerce et de l'Industrie que la F.I.M, après avoir été contactée par le Syndicat libérien des mineurs au sujet de son affiliation, l'avait envoyé au Libéria pour examiner la situation sur place, ce qui était la procédure normale lorsqu'un syndicat national demandait à s'affilier à la F.I.M. L'autorisation de prendre contact avec le syndicat national lui a été donnée, mais, au dire du gouvernement, M. Roberts s'est approprié le droit de remplacer ce syndicat dans les négociations sur les conditions de travail des mineurs avec la Liberia Mining Company, droit qu'aucun étranger ne peut s'arroger en vertu d'une convention quelconque de l'O.I.T. C'est pourquoi M. Roberts a été invité à cesser de s'occuper de ces négociations; mais le gouvernement conteste l'avoir obligé de quitter le pays.
- 62 Le gouvernement relève que la F.I.M cite le cas de M. Roberts comme un exemple de violation du droit qu'ont les syndicats de s'affilier à des « organisations internationales de travailleurs bona fide » et d'entretenir des relations normales avec elles, ce qui serait contraire à l'article 5 de la convention no 87. Mais, comme l'article 5 ne comprend pas les mots bona fide, le gouvernement estime que l'allégation de la F.I.M signifie que celle-ci reconnaît la nécessité de déterminer le caractère et les activités des organisations internationales de travailleurs. Le gouvernement prétend également que l'opinion selon laquelle M. Roberts a été désigné par le syndicat national pour le représenter dans ses négociations, conformément à l'article 3 de la convention no 87, n'est pas une interprétation correcte de cet article, car « le droit du syndicat d'élire ses représentants afin de négocier, avec les employeurs, une augmentation des salaires ou d'autres questions doit être limité par la loi aux membres de ce même syndicat »; le représentant international peut donner des conseils, mais il ne saurait remplacer le délégué du syndicat national.
- 63 Le gouvernement se prononce également sur les allégations relatives aux dispositions concernant les grèves, qui figurent aux alinéas t), u) et v) de l'article 1er de la loi sur les pouvoirs extraordinaires (voir le paragraphe 53 ci-dessus). Il affirme qu'il n'existe, au Libéria, aucune loi qui considère les grèves comme un acte criminel et déclare coupables de tentative de renversement du gouvernement les responsables d'une grève, puisque la législation en vigueur concerne uniquement les grèves de caractère illégal. Les grèves en tant que telles ne sont pas illégales si elles se déroulent d'une manière ordonnée et si les procédures prescrites en matière de règlement des conflits ont été suivies, mais le gouvernement ne saurait admettre que les syndicats ignorent les lois réglementant l'exercice de leurs droits ou qu'ils recourent impunément à la violence.
- 64 Les allégations analysées ci-dessus ont trait à certaines dispositions de la loi du 9 février 1966 sur les pouvoirs extraordinaires et au cas de deux représentants syndicaux auxquels certaines de ces dispositions auraient été appliquées. Elles soulèvent un certain nombre de questions quant à l'application du droit qu'ont les syndicats de s'affilier à des organisations internationales, d'où la nécessité d'examiner si elles sont compatibles avec l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Libéria; pour quelques-unes de ces questions, d'autres articles de ladite convention sont également pertinents. Toutefois, le gouvernement déclare que la loi sur les pouvoirs extraordinaires a été une mesure temporaire et qu'elle a cessé d'être appliquée le 8 février 1967.
- 65 Dans ces conditions, comme le Comité suppose que tout nouveau texte législatif sur des pouvoirs extraordinaires qui aurait pu être promulgué depuis lors ne contient pas, au sujet des droits syndicaux, de dispositions analogues aux normes, mentionnées plus haut, de la loi qui a cessé d'être appliquée, il saurait gré au gouvernement de bien vouloir lui confirmer la chose et, éventuellement, lui fournir tout texte de ce genre.
- 66 Le Comité recommande par conséquent au Conseil d'administration:
- a) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle la loi du 9 février 1966 sur les pouvoirs extraordinaires a cessé d'être appliquée le 8 février 1967;
- b) de demander au gouvernement de bien vouloir confirmer qu'il est exact de supposer que tout nouveau texte législatif sur des pouvoirs extraordinaires qui pourra avoir été promulgué depuis lors ne contient pas, au sujet des droits syndicaux, de dispositions semblables aux normes susmentionnées de la loi abrogée, et de fournir éventuellement tout texte de ce genre.
- Allégations relatives à la loi du 11 février 1966 portant modification de la loi sur les pratiques en matière de travail
- 67 La C.I.S.L et la F.I.T.P.A.S.C allèguent que, d'après l'article 4601-A de la loi ainsi modifiée, « aucun syndicat ni aucune organisation de travailleurs de l'industrie ne peut exercer un privilège ou une fonction au nom des travailleurs de l'agriculture et aucun syndicat ni aucune organisation de travailleurs de l'agriculture ne peut exercer un privilège ou une fonction au nom des travailleurs de l'industrie ». Cette disposition serait contraire à l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et elle aurait eu pour effet d'empêcher la création d'une centrale nationale groupant tous les syndicats du pays. Au moment de sa promulgation, en février 1966, elle aurait eu pour conséquence de réduire à néant l'organisation que la Centrale syndicale libérienne avait pu mettre sur pied et les effectifs qu'elle avait été à même de grouper dans les plantations d'hévéas; en outre, elle met les travailleurs des plantations dans l'impossibilité, à l'heure actuelle comme à l'avenir, de tirer parti de l'expérience et d'utiliser les services de la centrale nationale: le Congrès libérien des organisations professionnelles.
- 68 Le gouvernement déclare qu'il considère que l'article 5 de la convention no 87 ne saurait l'empêcher de séparer les syndicats industriels des syndicats agricoles. Il reconnaît le droit des syndicats industriels et des syndicats agricoles de s'affilier à des organisations, mais il ne peut accepter que les travailleurs agricoles et les travailleurs de l'industrie forment un seul syndicat, ce qui ne peut être que dangereux et risque de saper l'existence même de l'Etat.
- 69 Le Comité a toujours attaché la plus grande importance au principe selon lequel les travailleurs devraient avoir le droit de former les organisations de leur choix et d'y adhérer sans autorisation préalable, droit qui est garanti par l'article 2 de la convention no 87. Le paragraphe 2 de l'article 8 de cet instrument énonce que la législation nationale ne devra pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention. Conformément à ces principes, la législation laisse généralement aux travailleurs la liberté de former des syndicats d'entreprise (s'occupant de toutes les catégories de travailleurs au service d'un même employeur) ou des syndicats professionnels (s'occupant de tous les travailleurs qui exercent la même profession ou des professions apparentées dans la même branche d'activité).
- 70 Si le Comité comprend bien la situation, la seule centrale syndicale libérienne, le Congrès des organisations professionnelles, est une confédération nationale groupant les syndicats professionnels des différentes branches d'activité. Il est allégué que les travailleurs des plantations ou de l'agriculture ont été, en fait, organisés jusqu'à un certain point par le Congrès précité, mais que les résultats obtenus ont été réduits à néant par la loi du 11 février 1966 portant modification de la loi sur les pratiques en matière de travail, de sorte que celle-ci, telle qu'elle est désormais appliquée, empêche le Congrès libérien des organisations professionnelles de chercher directement à défendre les intérêts des travailleurs des plantations et à les aider à former un ou des syndicats sous son égide, ainsi qu'à devenir des éléments constitutifs de cette centrale ou confédération nationale; la loi empêcherait aussi la création d'une seule centrale nationale englobant tous les syndicats du pays. Dans ses observations, le gouvernement n'a pas abordé ces aspects particuliers de la question.
- 71 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) d'insister sur l'importance que le Conseil d'administration attache au droit que doivent avoir les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier, tel qu'il est garanti par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Libéria;
- b) de demander au gouvernement, eu égard à la disposition précitée de la convention et aux considérations figurant au paragraphe 69 ci-dessus, de bien vouloir spécifier les formes de syndicalisme qui pourraient être adoptées par les travailleurs des plantations et de fournir des observations sur les allégations mentionnées au paragraphe 70.
- Allégations relatives aux grèves
- 72 La C.I.S.L affirme qu'il existe, au Libéria, une Commission d'examen des pratiques en matière de travail, présidée par le secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie. Le rôle de cette commission est d'aplanir les différends dont elle est saisie. Les employeurs ou les travailleurs peuvent soumettre n'importe quel différend non réglé au ministère du Commerce et de l'Industrie, à qui il appartient de réunir la Commission d'examen des pratiques en matière de travail. Ce n'est qu'après que la décision de cet organisme a été rendue publique que l'arrêt du travail peut légalement intervenir. Mais les plaignantes auraient appris qu'il arrive souvent que le gouvernement s'abstienne de réunir la Commission et que les plaintes s'accumulent pendant de longues périodes, sans que le gouvernement prenne aucune initiative, il ne serait donc pas surprenant que des grèves se produisent à l'occasion de différends sur lesquels la Commission ne s'est pas prononcée. Or de telles grèves tombent sous le coup de dispositions pénales rigoureuses de la loi sur les pouvoirs extraordinaires (voir le paragraphe 53 ci-dessus).
- 73 A titre d'exemple d'une grève dans laquelle les délais prescrits par la loi et l'insuffisance des procédures pour le règlement des différends auraient joué un rôle important, la C.I.S.L et la F.I.M citent celle qui a éclaté en juillet 1966 à la Lamco Mining Co.
- 74 Un différend relatif à l'interprétation d'un accord, signé en juin 1965, entre l'Association nationale des mineurs et la Lamco Mining Co. aurait surgi en août 1965. L'affaire aurait été portée devant l'inspecteur du travail, conformément à la loi, mais la Commission d'examen des pratiques en matière de travail, qui doit être convoquée lorsque surgissent des litiges de ce genre, ne se serait pas réunie et aucune décision de la Commission au sujet de ce conflit n'aurait été publiée. En raison de cette passivité de la Commission, le conflit demeura ouvert, et les travailleurs des mines de fer de Nimba auraient été forcés de se mettre en grève en juillet 1966. Les plaignantes déclarent également qu'auparavant, alors que la mine était en construction, l'un des entrepreneurs, la Société Vianini (Liberia) Limited, n'avait pas payé, à la plus grande partie de ses ouvriers, le salaire minimum prévu par la loi; une plainte ayant été présentée, la Commission d'examen décida que la Compagnie redevait 175 000 dollars, laquelle assuma alors la responsabilité de payer cette somme. Mais la décision de la Commission n'aurait pas été appliquée, et les travailleurs n'auraient jamais reçu leur dû. La grève a commencé le 21 juillet 1966 et s'est terminée le 28 du même mois. Le 23 juillet, M. Monger et M. Murray, respectivement président et trésorier du Syndicat des mineurs, furent arrêtés pour avoir été incapables de persuader les grévistes de reprendre leur travail et emprisonnés jusqu'en novembre, sans qu'aucune accusation ait été portée contre eux; en outre, le secrétaire du Syndicat, M. Kawah, et six autres membres ont été arrêtés et remis en liberté peu après. Les plaignants déclarent que la direction aurait demandé à tous les contremaîtres d'indiquer les noms des hommes qui étaient censés être les instigateurs de la grève ou qui auraient donné leur appui indirect, à la suite de quoi trente-deux travailleurs de la Lamco Mining Co. furent renvoyés sans préavis, les 28 et 29 juillet, et expulsés avec violence de leurs maisons. Des policiers armés et des soldats auraient été dirigés en toute hâte sur les lieux, où ils brisèrent la grève par la violence. C'est ce qu'illustre un film tourné sur place par une équipe de la télévision suédoise qui se trouvait au Libéria à l'époque.
- 75 Selon la C.I.S.L, une autre grève aurait éclaté en décembre 1966, dans les plantations d'hévéas Goodrich. Pour la briser, le gouvernement aurait recouru de nouveau à la troupe, qui aurait tiré sur les grévistes et se serait livrée à d'autres actes de violence.
- 76 La loi sur le travail, déclare le gouvernement, ne considère pas les grèves comme « généralement illégales », ainsi qu'on le prétend; au contraire, elle reconnaît expressément le droit de grève, mais insiste sur le fait que les grèves doivent se dérouler d'une façon légale. Le gouvernement précise qu'il n'a pas renoncé, en acceptant les dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, à son droit d'appliquer ses propres lois et d'empêcher que celles-ci ne fassent l'objet d'abus volontaires et délibérés. La question de savoir si tel ou tel mécanisme institué pour traiter des problèmes du travail est une question de jugement et non pas de droit. Non seulement le gouvernement conteste le bien-fondé des accusations portées contre lui, mais il ne saurait accepter l'opinion des plaignants selon laquelle les syndicats, s'ils mettent en doute la manière dont la loi est appliquée, doivent se charger eux-mêmes de l'appliquer à leur façon, violant ainsi les dispositions d'un texte qu'ils désapprouvent. Il existe une procédure légale régulière qui permet de récuser une loi devant les tribunaux.
- 77 Le gouvernement déclare que l'on reconnaît dans le monde entier qu'un Etat peut, dans l'accomplissement de son devoir de protéger les habitants et leurs biens, employer la force dans la mesure qui est nécessaire pour réduire les éléments hostiles, et que le recours à la troupe et à la police pour rétablir l'ordre à l'occasion de troubles en rapport avec des conflits du travail ne saurait être considéré comme inopportun. Il affirme que l'illégalité et la violence, qu'elles soient le fait de syndicalistes ou d'autres personnes, doivent être éliminées par des moyens adéquats, afin d'y mettre un terme et de faire en sorte que la vie et les biens soient suffisamment protégés. « Même s'il existe, dans l'application des lois du travail au Libéria, des difficultés qui se traduisent par des retards », cela ne saurait justifier, aux yeux du gouvernement, des activités illégales, bien que les plaignants aient cherché à justifier les grèves illégales en affirmant que les différends n'étaient pas réglés « du fait de la lenteur des procédures administratives appliquées au Libéria pour le règlement des conflits du travail, notamment en ce qui concerne la Commission d'examen des pratiques en matière de travail ». Le gouvernement ajoute que, si quelqu'un estime que ses droits ne sont pas reconnus, il a la possibilité d'invoquer la loi pour y remédier. A cet égard, il mentionne le droit « de s'adresser au gouvernement ou à l'un quelconque des fonctionnaires publics pour la réparation d'un tort », conformément à l'article 1, alinéa 5, de la Constitution du Libéria.
- 78 De l'avis du gouvernement, les grèves signalées étaient illégales, « n'étaient pas motivées par des revendications ou des griefs légitimes » et « n'ont pas été déclenchées par le syndicat lui-même ou par ses dirigeants légitimes ».
- 79 En février 1966, une grève sans avertissement a eu lieu aux plantations Firestone. Lorsque le gouvernement a tenté de faire oeuvre de médiation, tous les efforts visant à découvrir les dirigeants responsables, afin qu'une négociation puisse intervenir, se révélèrent vains. Les grévistes commencèrent à recourir à la violence et il était clair qu'aucun dirigeant n'était maître de la situation. Selon le gouvernement, les grévistes possédaient des armes et de la munition qui étaient entrées en contrebande.
- 80 En novembre 1966, la grève déclenchée aux plantations Goodrich l'a été également sans avertissement, et les griefs des travailleurs visaient non pas les employeurs, mais leurs propres contremaîtres.
- 81 En juillet 1966, la grève des mineurs de la Lamco Mining Co. a été déclenchée, elle aussi, sans avertissement. Lorsqu'une tentative de négociation fut faite, on s'aperçut que les grévistes n'avaient aucun dirigeant derrière eux et, ainsi que l'affirme le gouvernement, « qu'ils n'avaient, en réalité, pas de doléances à présenter ». En ce qui concerne l'indemnité de 175 000 dollars, le gouvernement ne peut pas croire que « la Fédération internationale des mineurs estime vraiment que le gouvernement aurait dû prendre une part active à un conflit entre le personnel et la Direction de l'entreprise ». Cette indemnité, affirme-t-il, « a été fixée par la Commission d'examen des pratiques en matière de travail, qui est un organisme officiel et neutre. Si la Direction de l'entreprise ne l'a pas payée, le syndicat disposait de moyens légaux pour obtenir le versement de cette somme. Le gouvernement du Libéria ne pouvait rien faire d'autre en l'occurrence. »
- 82 Le gouvernement décrit ensuite les actes de violence qui se sont produits lors de la grève de la Lamco Mining Co. Le recours à la police et à la troupe a été nécessaire pour protéger la vie et les biens de la population. Après le déclenchement de la grève, une médiation intervint, qui aboutit à ceci que la plupart des grévistes reprirent leur travail. Cependant, environ vingt-cinq d'entre eux ne voulurent rien entendre, résolus qu'ils étaient, de l'avis du gouvernement, à ne pas travailler et à empêcher les autres de le faire; ils érigèrent des barricades, détruisirent des véhicules et s'attaquèrent aux hommes revenant du travail. C'est alors que l'on recourut, déclare le gouvernement, à l'armée et à la police. Lorsque ces grévistes irréductibles eurent définitivement refusé de reprendre le travail, on leur ordonna d'évacuer leurs maisons, dans la concession, afin de faire de la place pour d'autres travailleurs; ils refusèrent et furent expulsés.
- 83 Le gouvernement formule ensuite un certain nombre d'observations générales. Après avoir rappelé que le syndicalisme n'a réellement commencé à s'implanter au Libéria qu'au cours des dix dernières années, il considère que sa propre attitude, positive, et son assistance ont contribué au développement du Congrès libérien des organisations professionnelles en tant que centrale syndicale nationale et à l'organisation des travailleurs dans presque toutes les branches de l'économie. Mais il pense que quelques-uns des dirigeants ouvriers n'ont pas fait preuve de la réserve, de l'intelligence, de l'honnêteté et de la sincérité qui sont nécessaires aux responsables d'une jeune organisation.
- 84 Le gouvernement prétend que certains dirigeants ont été carrément malhonnêtes. Il cite à ce propos un rapport, en date du 13 novembre 1966, de l'Association nationale des mineurs du Libéria, dont l'auteur est M. Wogu Ananaba, qui a été apparemment chargé par le Congrès précité, à un certain moment, de faire de l'éducation ouvrière. Dans ce document, il signale que les fonds du Syndicat ont été mal gérés et que des sommes ont été retirées de la banque sans le consentement, exigé par les statuts, des deux tiers des membres du Comité directeur. On y lit qu'avant la grève de la Lamco Mining Co., le vice-président du Syndicat, M. Duncan, avait demandé l'établissement d'un rapport de trésorerie, mais que le président et le trésorier du Syndicat, MM. Monger et Murray, n'avaient pu donner leur accord. On ne sait pas exactement à qui ce rapport a été adressé ou par qui il a été préparé.
- 85 Le gouvernement insiste sur le fait que l'enquête qu'il porte au développement du mouvement ouvrier ressort clairement de sa politique envers les syndicats. La loi sur les syndicats énonce le principe du règlement des litiges entre employeurs et travailleurs par des voies pacifiques et par des conférences réunissant des employeurs et des représentants des salariés; elle met en relief l'opportunité, pour les pouvoirs publics, de « fournir aux parties tous les moyens appropriés en matière de conciliation et de médiation, afin d'aider et d'inciter les employeurs et les représentants de leur personnel à tout mettre en oeuvre pour régler leurs différends grâce à des conférences et à des négociations pacifiques ». Le gouvernement cite également des passages du discours prononcé par le Président Tubman lors de la première Conférence nationale sur les relations professionnelles, le 27 janvier 1965, et dans lequel il a exprimé la confiance du gouvernement libérien dans le système des négociations collectives et son opposition à la violence, y compris la violence entre travailleurs et employeurs, puis déclarait que « les travailleurs et les employeurs... sont des symboles du système de la libre entreprise, dans lequel nous croyons aussi bien en théorie qu'en pratique. Dans aucun pays l'économie ne peut devenir saine sans un mouvement ouvrier actif et libre; de même, l'économie ne peut pas être libre, voire exister, sans un secteur privé composé de directeurs, d'employeurs et d'investisseurs. »
- 86 Le Comité a toujours appliqué le principe selon lequel les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence, dans la mesure où elles mettent en cause l'exercice des droits syndicaux.
- 87 Dans le cas présent, les plaintes et les observations que le gouvernement a formulées à ce sujet laissent le Comité dans l'incertitude sur certains points, qui lui semblent appeler quelques éclaircissements avant qu'il puisse faire des recommandations au Conseil d'administration en bonne connaissance de cause. A ce propos, le Comité est en possession des textes contenus dans le Manuel de la législation du travail du Libéria, publié par le Bureau du travail à Monrovia en janvier 1965, et dans lequel se trouve, aux pages 83 à 113, la loi portant modification de la loi sur les pratiques en matière de travail en ce qui concerne les droits et les obligations des organisations de travailleurs et de leurs membres.
- 88 Il est allégué qu'une grève est considérée comme illégale si elle est déclenchée avant que la Commission d'examen des pratiques en matière de travail ait publié sa décision, mais que, lorsqu'un conflit lui est signalé, cette commission prend beaucoup trop de temps pour se prononcer, ou ne se prononce jamais, ou n'est même jamais convoquée. Le gouvernement n'a pas répondu directement sur ce point, se bornant à déclarer que, même si des retards se produisent dans la procédure administrative pour le règlement des conflits, ce n'est pas une raison pour déclencher une grève illégale.
- 89 Dans de nombreux cas antérieurs, le Comité a fait remarquer que le droit de grève est généralement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations comme moyen légitime de défense des intérêts professionnels. A cet égard, le Comité a également relevé que, dans l'exercice du droit de grève, les travailleurs et leurs organisations doivent tenir compte des restrictions temporaires qui peuvent frapper ce droit, par exemple l'interruption de la grève pendant une procédure de conciliation et d'arbitrage, à laquelle les parties peuvent prendre part à tout moment. Toutefois, le Comité a insisté sur le fait que, dans les cas où des restrictions de ce genre frappent l'exercice du droit de grève, la procédure de conciliation et d'arbitrage qui se déroule alors doit être « appropriée, impartiale et expéditive ».
- 90 Quand, au Libéria, un conflit éclate dans une « branche d'activité essentielle (voir le paragraphe 91 ci-dessous), les travailleurs ou leur syndicat doivent présenter par écrit leurs revendications à l'inspecteur du travail ou à la Commission d'examen des pratiques en matière de travail; l'autorité en question est alors tenue, dans les quarante-huit heures, d'en faire part à l'employeur, qui a trois jours pour y répondre (art.4.400 de la loi sur les pratiques en matière de travail). Si un règlement n'intervient pas, l'autorité tentera une conciliation en vertu de l'article 4.402 et, si celle-ci ne réussit pas dans l'espace de quinze jours, l'affaire sera soumise à la Commission d'examen des pratiques en matière de travail. Toutefois, aucun délai ne semble avoir été fixé pour la décision de la Commission. De même, la loi ne paraît pas contenir de dispositions quant aux effets juridiques des sentences arbitrales ou si celles-ci sont obligatoires, des dispositions quant à leur exécution. Le Comité pense qu'il serait souhaitable d'obtenir des informations sur les délais dans lesquels la Commission est censée ou tenue de se prononcer.
- 91 Le Comité fait observer que, s'il a bien compris les dispositions de la loi sur les pratiques en matière de travail, les seules procédures obligatoires de conciliation et d'arbitrage semblent être celles qui sont prévues aux articles 4.400 et 4.402 de la loi, applicables aux secteurs essentiels de l'économie énumérés à l'article 4.403, tels que les télécommunications, l'approvisionnement en eau et en électricité, les hôpitaux et toute branche d'activité dans laquelle seront produits ou traités des biens indispensables pour la défense nationale et la sécurité de la République. Dans ces secteurs, une grève ou un lock-out doit faire l'objet, en vertu de la loi, d'une notification.
- 92 Tout en estimant qu'il n'a pas à examiner les incidents qui auraient eu lieu à l'occasion des grèves mentionnées explicitement dans le cas présent, le Comité considère qu'il aurait intérêt à connaître les dispositions législatives éventuelles qui rangent les mines de fer et les plantations dans la catégorie des branches d'activité pour lesquelles la loi exige une notification.
- 93 Enfin, il est allégué que - apparemment en raison de la grève de la Lamco Mining Co. - MM. Monger, Murray et Kawah, respectivement président, trésorier et secrétaire du Syndicat des mineurs de Lamco, ont été arrêtés le 23 juillet 1966 (les deux premiers n'ont été relâchés qu'en novembre), sans qu'aucune accusation n'ait jamais été portée contre eux. Comme le gouvernement n'a pas formulé d'observations au sujet de ces allégations, se bornant à fournir la copie d'une lettre d'un M. Ananaba dans laquelle il est question de mauvaise gestion de fonds syndicaux, le Comité rappelle l'importance qu'il a toujours attachée, dans tous les cas où des syndicalistes ont été arrêtés, au droit qu'ont toutes les personnes détenues d'être jugées équitablement, dans le plus bref délai possible, par des autorités judiciaires impartiales et indépendantes; aussi estime-t-il nécessaire que le gouvernement soit prié de bien vouloir fournir des observations sur lesdites allégations.
- 94 Dans ces conditions, le Comité, considérant que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles mettent en cause l'exercice des droits syndicaux, recommande au Conseil d'administration:
- a) d'insister sur l'importance qu'il a toujours attachée au fait que, lorsque des restrictions temporaires frappent l'exercice du droit de grève, par exemple lorsque la grève doit être interrompue pendant la procédure de conciliation et d'arbitrage, ladite procédure doit être appropriée, impartiale et expéditive;
- b) de prier le gouvernement:
- i) de bien vouloir dire si la Commission d'examen des pratiques en matière de travail est censée normalement ou tenue de publier sa décision, dans tout conflit dont elle peut être saisie, dans un délai prescrit, et de mentionner les dispositions législatives concernant la nature et l'exécution des sentences arbitrales de la Commission;
- ii) de bien vouloir indiquer les dispositions législatives en vertu desquelles les grèves déclenchées dans les mines de fer et les plantations d'hévéas ont été considérées comme illégales;
- c) d'insister sur l'importance que le Comité a toujours attachée, dans tous les cas où des syndicalistes ont été arrêtés, au droit qu'ont toutes les personnes détenues d'être jugées équitablement dans le plus bref délai possible;
- d) de demander au gouvernement, eu égard au principe qui vient d'être énoncé, de bien vouloir fournir des observations sur les allégations relatives à l'arrestation et à la détention de MM. Monger, Murray et Kawah, respectivement président, trésorier et secrétaire du Syndicat des mineurs de Lamco.
- Allégations relatives à l'arrestation et à la détention de M. James Bass, secrétaire général du Congrès libérien des organisations professionnelles
- 95 La F.I.T.P.A.S.C allègue que M. James Bass, secrétaire général du Congrès libérien des organisations professionnelles, a été arrêté le 25 novembre 1966, puis détenu sans avoir été inculpé. Les plaignants ont cru comprendre par la suite qu'il avait été accusé de sédition, sans doute en vertu de la loi sur les pouvoirs extraordinaires.
- 96 Le gouvernement tient cette accusation pour ridicule et déclare que M. Bass a été accusé de sédition conformément à l'article 52, alinéas a) et b), du Code pénal. Il a alors été détenu préventivement, ayant lui-même refusé d'être libéré sous caution. Dans la suite, il écrivit une lettre d'excuses, dont une copie est fournie, au Président, qui a alors ordonné sa libération. M. Bass s'est engagé par écrit à se bien conduire pendant six mois (une copie de cet engagement a également été fournie). Il a été libéré le 10 février 1967.
- 97 Pour sa part, le gouvernement ne donne pas de détails sur les déclarations séditieuses pour lesquelles M. Bass a été inculpé, mais ce dernier reconnaît sa culpabilité dans la lettre qu'il a écrite au Président.
- 98 Cela étant, le Comité, quand bien même il se verrait obligé d'examiner la question plus à fond si les charges retenues contre M. Bass devaient être renouvelées ou s'il devait être accusé de nouveaux méfaits, recommande au Conseil d'administration de prendre note que M. Bass a été libéré et de décider, abstraction faite de la réserve ci-dessus, qu'il serait pour lui sans objet de poursuivre l'examen de cet aspect du cas.
- Allégations relatives à l'Association des saigneurs
- 99 La F.I.T.P.A.S.C prétend qu'une Association de saigneurs a été formée, à la plantation Harbel de la Firestone Plantation Company, par des fonctionnaires du gouvernement, après la grève qui s'y est déroulée en janvier 1966, et que le gouvernement a choisi les dirigeants de cette association. Depuis lors, l'Association serait tombée sous le contrôle de la Compagnie, au point que les candidats aux fonctions de direction ont été désignés par des employés du Département des relations professionnelles de la compagnie, qui ont organisé eux-mêmes les élections et convoqué les réunions de l'Association, tout cela en violation de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
- 100 Comme le gouvernement ne se réfère pas à ces allégations dans sa réponse, le Comité recommande au Conseil d'administration de le prier de bien vouloir fournir des observations à ce sujet.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 101. Compte tenu de tout ce qui précède, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- (1) en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation et la détention de M. James Bass, secrétaire général du Congrès libérien des organisations professionnelles:
- a) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle M. Bass a été libéré le 10 février 1967;
- b) de décider, abstraction faite de la réserve contenue au paragraphe 98 ci-dessus, qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen de cet aspect du cas.
- (2) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives à la loi du 9 février 1966 tendant à rétablir, à compléter et à accroître les pouvoirs extraordinaires accordés au Président du Libéria:
- a) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle la loi du 9 février 1966 sur les pouvoirs extraordinaires a cessé d'être appliquée le 8 février 1967;
- b) de prier le gouvernement de bien vouloir confirmer qu'il est exact de supposer que tout nouveau texte législatif sur les pouvoirs extraordinaires qui pourra avoir été promulgué depuis lors ne contient pas de dispositions similaires, en ce qui concerne les droits syndicaux, aux dispositions susmentionnées de la loi qui a cessé d'être en vigueur, et de fournir une copie de tout texte semblable éventuel.
- (3) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives à la loi du 11 février 1966 portant modification de la loi sur les pratiques en matière de travail:
- a) d'insister sur l'importance que le Conseil d'administration attache au droit que doivent avoir les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, tel qu'il est garanti par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Libéria;
- b) de demander au gouvernement, eu égard aux dispositions précitées de la convention et aux considérations figurant au paragraphe 69 ci-dessus, de bien vouloir spécifier les formes de syndicalisme qui pourraient être adoptées par les travailleurs des plantations et fournir des observations sur les allégations mentionnées au paragraphe 70.
- (4) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives aux grèves, et du fait que le Comité estime que de telles allégations n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles mettent en cause les droits syndicaux:
- a) d'insister sur l'importance que le Conseil d'administration a toujours attachée au fait que, dans les cas où des restrictions temporaires frappent l'exercice du droit de grève, une procédure de conciliation et d'arbitrage appropriée, impartiale et expéditive devrait être prévue;
- b) de prier le gouvernement:
- i) de bien vouloir dire si la Commission d'examen des pratiques en matière de travail est normalement censée publier sa décision, ou si elle est tenue de le faire, dans tout conflit dont elle peut être saisie, dans un délai prescrit, et de mentionner les dispositions législatives concernant la nature et l'exécution des sentences arbitrales de la Commission;
- ii) de bien vouloir indiquer les dispositions législatives en vertu desquelles les grèves déclenchées dans les mines de charbon et les plantations d'hévéas ont été considérées comme illégales;
- c) d'insister sur l'importance que le Conseil d'administration a toujours attachée, dans tous les cas où des syndicalistes ont été arrêtés, au droit qu'ont toutes les personnes détenues d'être jugées équitablement dans le plus bref délai possible;
- d) de demander au gouvernement, eu égard au principe qui vient d'être énoncé, de bien vouloir fournir des observations sur les allégations relatives à l'arrestation et à la détention de MM. Monger, Murray et Kawah, respectivement président, trésorier et secrétaire du Syndicat des mineurs de la Lamco Mining Co.
- (5) de prier le gouvernement de bien vouloir fournir des observations au sujet des allégations relatives à l'Association des saigneurs dont il est question au paragraphe 99 ci-dessus.
- Genève, 31 mai 1967. (Signé) Roberto AGO, président.