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- 335. Les organisations suivantes ont adressé des communications contenant dès allégations en violation de la liberté syndicale en Equateur aux dates indiquées ci-après: Confédération internationale des syndicats libres (21 octobre et 4 novembre 1977), Fédération des travailleurs agricoles du littoral (FTAL) (25 octobre 1977), Comité unitaire permanent des travailleurs du GUAYAS (27 octobre 1977), Fédération syndicale mondiale (9 novembre 1977). Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans deux communications du 6 janvier 1978.
- 336. L'Equateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
- 337. Les différentes plaintes présentées dans le cadre du présent cas ont trait essentiellement à des incidents survenus lors de grèves de travailleurs à la raffinerie de sucre AZTRA et à l'entreprise sucrière VALDEZ SA, exploitation San Rafael.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 338. Les plaignants allèguent en premier lieu que, le 18 octobre 1977, deux cents policiers ont investi, avec des armes à feu et des bombes lacrymogènes, les locaux de la raffinerie de sucre AZTRA, situés à La Troncal, province d'El Cañar où des travailleurs menaient une grève conforme à la loi. Cet assaut a provoqué, selon les organisations syndicales, la mort d'une centaine de personnes (travailleurs et proches parents qui se trouvaient sur les lieux) et de nombreux blessés. Le nombre officiel de morts reconnu par les autorités est de 24. Les personnes en question se noyèrent alors qu'elles tentaient de traverser un canal d'irrigation pour fuir les balles et les bombes lacrymogènes. En outre, les plaignants déclarent que de nombreuses personnes furent tuées par balles. Selon la Fédération des travailleurs agricoles du littoral, le nombre exact de décès ne peut être déterminé car, pendant la nuit, cinquante cadavres furent enlevés par la police et jetés dans les chaudières de la raffinerie. En outre, de nombreuses personnes ont disparu. Immédiatement après ces événements, les dirigeants syndicaux de la raffinerie furent arrêtés ou poursuivis. Les organisations plaignantes citent, parmi les personnes arrêtées, les noms de Brunmel Reyes, conseiller des travailleurs de la raffinerie, Santiago Espinoza, président de la FETLA, Cesareo Valverde Flores, secrétaire général de la Fédération provinciale des travailleurs du Guayas (FPTG-CTE), dont la vie est en danger en raison de la gravité de son état de santé, Julio Chang Crespo, président de la Fédération des travailleurs libres du Guayas. Des mandats d'arrêt ont également été délivrés à l'encontre des membres du Comité unitaire des trois centrales syndicales de la province. A Quito, a été également arrêté José Chávez, président de la Confédération équatorienne des organisations syndicales libres (CEOSL). Le Comité unitaire permanent du Guayas précise que ces personnes sont détenues sans jugement.
- 339. La CISL relate dans sa plainte les circonstances qui ont abouti au mouvement de grève des travailleurs de la raffinerie AZTRA. Elle explique que les contrats collectifs en vigueur dans l'industrie équatorienne du sucre avant le 18 août 1977 stipulaient qu'en cas d'augmentation des prix de vente de cette denrée, les travailleurs auraient droit à un pourcentage de cette augmentation qui viendrait s'ajouter au salaire. Lors de sa session du 16 août 1977, le Conseil de cabinet a décidé de relever le prix du sucre destiné au marché intérieur de plus de 54 pour cent. Le 18 août, un accord interministériel des secteurs des industries, du commerce, de l'intégration, de l'agriculture et de l'élevage entérina la décision du gouvernement en spécifiant que "la différence entre les prix actuels et antérieurs du sucre ne serait pas destinée à une quelconque augmentation des salaires des travailleurs." S'élevant contre cette décision qui, selon la CISL violait les dispositions contenues dans leurs contrats collectifs, les travailleurs de la raffinerie AZTRA occupèrent cette usine.
- 340. Pour sa part, la FSM allègue que, le 12 octobre 1977, un groupe de 50 personnes assisté de la police rurale a ouvert le feu sur des grévistes de la ferme "San Rafaël". Six travailleurs ont été tués et un certain nombre d'entre eux blessés. Selon une coupure de presse jointe par la FSM et transmise au gouvernement, les travailleurs de cette ferme étaient en grève depuis trois mois. Le groupe de personnes dirigé par le copropriétaire de la ferme fit irruption dans le local où étaient réunis les travailleurs en les rouant de coups et en déchargeant leurs armes.
- 341. Au sujet des événements de la raffinerie AZTRA, le gouvernement déclare qu'un groupe d'extrémistes a poussé les travailleurs en vue de parvenir à leurs fins terroristes pour mener le pays au chaos. Il joint à sa communication deux coupures de presse contenant des déclarations du sous-secrétaire d'Etat au Travail au sujet de cette affaire. Il ressort des déclarations du sous-secrétaire d'Etat qu'un cahier de revendications a été présenté le 20 septembre à l'Inspecteur du travail de Cañar, la réponse de l'employeur parvint le 4 octobre. Le 11 octobre, l'Inspecteur du travail demanda que l'employeur présente les deux projets d'accord mentionnés dans sa réponse. Par ailleurs, le ministère du Travail, en tant qu'amiable compositeur, convoqua les deux parties à une médiation pour le 20 octobre, lesquelles donnèrent leur accord le 17 octobre. Néanmoins, le lendemain 18 octobre, les dirigeants travailleurs et les membres du comité d'entreprise occupèrent l'usine, fermèrent les portes avec des chaînes et des cadenas et obligèrent les travailleurs saisonniers à cesser le travail. Un document fut alors présenté à l'Inspection du travail dans lequel il était déclaré que le Tribunal n'ayant pas statué dans les délais prévus par la loi, la grève était déclenchée. Ainsi, poursuit le sous-secrétaire d'Etat, la déclaration de grève a été faite après l'occupation des locaux. Il est également rappelé que l'article 473 du Code du travail oblige les travailleurs employés dans la production, la vente ou la distribution de produits alimentaires de première nécessité à notifier l'arrêt de travail dix jours à l'avance.
- 342. A propos de l'intervention des forces de l'ordre, le sous-secrétaire d'Etat précise qu'après une demande de la direction en vue de protéger les biens et droits de l'entreprise, le ministère du Travail transmit l'affaire au ministère de l'Intérieur. Ce dernier adressa alors une communication à la direction de la police. Avant d'intervenir, la police demanda l'évacuation de l'entreprise par des démarches personnelles et directes des officiers. Ces derniers souhaitaient dialoguer avec les dirigeants des travailleurs, mais ceux-ci ne se présentèrent pas. Les travailleurs les plus exaltés indiquèrent par haut-parleur qu'ils n'obéiraient pas aux ordres de la police. Une bonne partie des travailleurs avait déjà évacué le secteur lorsque les instigateurs du mouvement se présentèrent avec des bâtons et des armes, freinant ainsi la sortie de plus de 900 hommes. Ils prétendaient aussi s'attaquer aux réserves de sucre, ce qui obligea la police à lancer des gaz lacrymogènes. Un mouvement se produisit vers la sortie et par la suite, dans une confusion totale, de nombreux travailleurs tombèrent dans le canal d'irrigation qui entourait l'usine.
- 343. Le gouvernement indique qu'après ces événements, un accord fut conclu le 19 décembre 1977 mettant fin au litige et donnant satisfaction aux revendications des travailleurs. L'accord est signé par le directeur général de la Société AZTRA, d'une part, et le secrétaire général et trois secrétaires du comité d'entreprise, d'autre part. En vue de mettre fin au différend, l'entreprise s'engage à payer aux travailleurs une somme correspondant à une participation à la hausse du prix du sucre.
- 344. Au sujet des événements survenus à la ferme de San Rafaël, le gouvernement déclare que, le 29 juin 1977, les travailleurs de cette entreprise présentèrent un cahier de revendications qui visait à réformer une convention collective en vigueur. La législation prévoit que les revendications de ce type sont classées, ce qui fut fait dans le cas présent. Les dirigeants des travailleurs occupèrent l'exploitation et déclenchèrent une grève illimitée, en marge de la légalité. Les autorités du travail qualifièrent ce mouvement d'illégal, conformément au décret no 1475 du 26 mai 1977 et au décret no 105 du 3 juin 1977. L'employeur présenta une demande d'accord des autorités du travail pour licencier les travailleurs en raison de fautes répétées et injustifiées et pour abandon du travail d'une durée de plus de trois jours. Cette demande fut examinée par les autorités. L'employeur demanda en outre l'intervention de la force publique en vue de garantir la propriété privée. Cette intervention eut donc lieu uniquement à la demande de l'intéressé et conformément à la loi.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 345. Le comité note que les graves événements auxquels se sont référés les plaignants se sont produits à l'occasion des grèves organisées dans des entreprises du secteur sucrier. Pour le gouvernement ces mouvements de grève étaient illégaux du fait que, dans le cas de l'entreprise AZTRA, le préavis imposé par la législation n'avait pas été donné et que, dans celui de la ferme San Rafaël, les revendications tendaient à réformer une convention collective en vigueur. En outre, les mouvements en question avaient été accompagnés d'une occupation des locaux.
- 346. Les deux cas ont donné lieu à une intervention des forces de l'ordre qui ont entraîné des pertes de vies humaines, particulièrement nombreuses à la raffinerie AZTRA. Le comité a noté la déclaration du sous-secrétaire d'Etat au travail décrivant les événements survenus dans cette raffinerie. Il apparaît que la description ainsi fournie est largement contradictoire avec les déclarations des plaignants quant à la forme d'intervention de la police, le nombre des morts, l'existence de blessés et l'origine des décès. Sur ce dernier point, les plaignants déclarent que des personnes furent tuées par balles et d'autres périrent noyées, alors qu'elles fuyaient devant les forces de l'ordre. Pour le gouvernement, les décès sont dus à des noyades survenues dans une confusion totale. Par ailleurs, le gouvernement ne fournit pas de précisions sur l'intervention de la police à la ferme San Rafaël, alors que les plaignants indiquaient que les travailleurs réunis dans l'entreprise avaient été attaqués par un groupe armé composé en partie de membres de la police rurale.
- 347. Le comité doit manifester sa profonde préoccupation devant la particulière gravité des événements survenus dans ces deux entreprises, d'autant que les explications fournies par le gouvernement n'éclaircissent pas suffisamment la nature de l'intervention de la police dans ces cas. Il n'apparaît pas, en effet, à la lumière des informations disponibles, que l'attitude des travailleurs dans les entreprises investies par la police aurait justifié une intervention des forces de l'ordre de nature à entraîner la perte de nombreuses vies humaines. Au sujet de l'entreprise AZTRA, le comité constate d'ailleurs que, deux mois après ces événements, a été signé un accord qui semble répondre aux revendications présentées par les travailleurs et dont le rejet avait provoqué la grève.
- 348. Le comité observe également que les plaignants faisaient état de l'arrestation de plusieurs dirigeants syndicaux. Le gouvernement n'ayant pas répondu à ces allégations, le comité souhaiterait que le gouvernement transmette des informations sur la situation actuelle de ces personnes, notamment sur le point de savoir quelles sont celles qui sont encore détenues et si elles ont été soumises à des instances judiciaires.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 349. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de déplorer la particulière gravité des événements survenus à l'occasion des grèves à la raffinerie AZTRA et à la ferme San Rafaël;
- b) d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations exposées aux paragraphes 346 et 347 ci-dessus concernant l'intervention des forces de l'ordre dans ces deux entreprises;
- c) de prier le gouvernement de fournir des informations sur la situation actuelle des dirigeants syndicaux mentionnés au paragraphe 338 ci-dessus et d'indiquer notamment quels sont ceux qui sont encore détenus et s'ils ont été soumis à des instances judiciaires;
- d) de noter le présent rapport intérimaire.
- Genève, 23 février 1978. (Signé) Roberto AGO, Président.