Visualizar en: Inglés - Español
- 549. Dans des communications datées du 31 octobre et du 6 décembre 1991, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Terre-Neuve), au nom du Syndicat national des fonctionnaires provinciaux (NUPGE) et de l'Association des fonctionnaires de Terre-Neuve (NAPE). La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et l'Internationale des services publics (ISP) ont fait savoir qu'elles soutenaient la plainte dans des communications datées respectivement des 8 et 12 novembre 1991.
- 550. Dans une communication du 10 avril 1992, le gouvernement fédéral a transmis les observations et les informations émanant du gouvernement de Terre-Neuve.
- 551. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 552. Dans sa communication du 31 octobre 1991, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement de Terre-Neuve a enfreint les conventions nos 87, 98, 151 et 154 en promulguant, le 31 mars 1991, la loi sur les mesures de restriction dans le secteur public (projet de loi no 16), ci-après dénommée "la loi". (Pour faciliter les références, les principales dispositions de fond de la loi, en particulier celles que les plaignants et le gouvernement citent ou sur lesquelles ils se fondent, sont reproduites dans l'annexe au présent document.)
- 553. Les plaignants soutiennent que la loi en question est un nouvel exemple de législation antisyndicale à Terre-Neuve, où l'adoption de lois restreignant les droits des travailleurs du secteur public est une tradition de longue date.
- 554. La première attaque contre les travailleurs du secteur public a été lancée le 6 novembre 1981, avec la promulgation d'une loi antigrève (loi no 111), à la suite d'un différend entre l'Association des hôpitaux de Terre-Neuve et les techniciens et technologues de laboratoire et de radiologie des hôpitaux. Au cours de la quatrième semaine de grève, le gouvernement a cessé de négocier et a fait voter le projet de loi no 111, aux termes de laquelle un tiers des techniciens et technologues de laboratoire et de radiologie de la province étaient déclarés agents essentiels, alors qu'ils n'assuraient pas des services essentiels. Ladite loi privait ainsi cette catégorie d'agents de la possibilité de recourir efficacement à la grève.
- 555. Un an plus tard, le gouvernement a introduit des mesures d'encadrement des salaires qui limitaient les augmentations pour les travailleurs du secteur public à une époque où le taux d'inflation était de 12 pour cent. Après une année d'application de ces mesures, le gouvernement a décidé, en novembre 1983, de les reconduire pour deux ans.
- 556. Le gouvernement a aussi présenté le projet de loi no 59, loi modifiant la loi de 1973 sur la négociation collective dans la fonction publique, qui a donné lieu à une plainte auprès de l'OIT en 1984 et faisait partie des questions examinées par la mission d'étude et d'information du Comité de la liberté syndicale qui s'est rendue au Canada en 1985. L'objectif de la loi no 59 était de lutter contre l'inflation. Le comité a conclu que le recours à la législation à cette fin avait donné l'impression que le processus consultatif avait subi un préjudice. (Voir 241e rapport, paragr. 221, Terre-Neuve.)
- 557. Tout en reconnaissant que la lutte contre l'inflation était une fonction légitime pour un gouvernement, le comité a souligné qu'il importait de recourir à des mesures à court terme pour contrôler la situation économique au lieu de mettre en place des structures de caractère plus permanent. Il a aussi souligné l'importance de la consultation lorsque le gouvernement dépose un projet de loi qui modifie l'équilibre entre les parties. (Voir 241e rapport, paragr. 229, Terre-Neuve.)
- 558. A la suite de la mission de l'OIT au Canada, le gouvernement s'est engagé à abroger la loi no 59. Néanmoins, celle-ci est restée en vigueur et, dix mois seulement après la mission, elle a de nouveau été utilisée contre des syndicalistes en grève à Terre-Neuve. Le président de la NAPE a été condamné à quatre mois d'emprisonnement et à deux années de contrôle judiciaire après avoir été reconnu coupable d'avoir enfreint une injonction interdisant les piquets de grève. La NAPE a été condamnée à une amende de 110.000 dollars en raison de la grève de 1986.
- 559. L'année 1990 a été marquée par un regain d'agitation dans le secteur public à Terre-Neuve. Le syndicat a été de nouveau condamné à une amende et son président menacé d'emprisonnement. Les travailleurs des hôpitaux et les technologues de laboratoire et de radiologie ont déclenché une grève licite, tout en continuant à assurer les services d'urgence. Après six semaines, l'employeur a offert de soumettre le conflit à l'arbitrage, sur quoi les agents ont repris le travail volontairement. La sentence arbitrale leur a accordé une convention collective de deux ans avec des conditions favorables en ce qui concerne les salaires et avantages sociaux. Or la loi supprime l'augmentation de 12,5 pour cent qui devait leur être payée la deuxième année d'application de l'accord ainsi que d'autres avantages prévus par la sentence arbitrale, notamment les indemnités de repas et de transport.
- 560. En 1990, lorsque 6.200 agents des services hospitaliers se sont mis en grève, l'Assemblée a adopté une loi déclarant l'état d'urgence. Aux termes de cette loi, la question devait être soumise à l'arbitrage obligatoire, et les travailleurs devaient reprendre le travail. La sentence arbitrale rendue ultérieurement a annulé les suspensions imposées à certains grévistes et accordé une convention collective d'une durée de trois ans. Or la loi no 16 supprime l'année intermédiaire d'application de la sentence arbitrale, privant ainsi les travailleurs des augmentations de salaires et d'indemnités qu'ils escomptaient.
- 561. Selon l'organisation plaignante, le gouvernement était mécontent de ces deux sentences arbitrales favorables au syndicat, et c'est la raison pour laquelle il a promulgué la loi en question, qui a été annoncée peu après la décision arbitrale. Non seulement il a supprimé plus de 2.600 postes (soit plus de 13 pour cent de l'effectif total des fonctionnaires provinciaux syndiqués), mais il a aussi fait voter cette loi qui lui permet de passer outre à toutes les conventions collectives précédemment conclues de bonne foi avec ses agents, et qu'il avait signées, et d'appliquer un blocage des salaires d'un an, à compter du 1er avril 1991, pour tous les travailleurs du secteur public. Cette loi permet également au gouvernement de renier l'engagement qu'il avait pris d'assurer la rétroactivité des accords concernant l'équité salariale négociés antérieurement et par lesquels il reconnaissait la nécessité de remédier à la discrimination systémique à l'encontre des femmes dans l'emploi. Ces accords devaient s'appliquer à compter du 1er avril 1988. En passant outre aux accords relatifs à l'équité salariale, la loi prive d'effet des dispositions qui auraient beaucoup amélioré les salaires des femmes dans la fonction publique.
- 562. Le gouvernement, en faisant voter cette loi, a obéi à des motifs de mauvaise foi. En acceptant que les différends à l'origine de la grève des hôpitaux de 1990 soient tranchés par une tierce partie indépendante, il n'avait manifestement rien à perdre puisqu'il pouvait par la suite promulguer une loi écartant la sentence arbitrale, ce qu'il a fait. En outre, il a essayé de convaincre une unité de négociation ne relevant pas de la NAPE de ne tenir aucun compte du résultat de toute action en justice qui pourrait être engagée contre la loi. Cela semblerait indiquer que le gouvernement sait qu'il se trouve en terrain peu sûr pour ce qui est de la constitutionnalité de la loi.
- 563. L'organisation plaignante soutient plus précisément que la loi enfreint les articles 3 et 8 de la convention no 87. Accepter le recours à l'arbitrage obligatoire et faire adopter ultérieurement une loi écartant la sentence arbitrale constituaient, de la part du gouvernement, une intervention du type de celles qu'envisage l'article 3(2) de la convention. Les parties qui acceptent de soumettre leurs différends à une tierce partie devraient être prêtes à accepter les conséquences découlant de sa décision.
- 564. De plus, l'organisation plaignante se demande sérieusement si le gouvernement/employeur, lorsqu'il était de bonne foi a conclu les conventions collectives en question. Le comité a évoqué la nécessité de la bonne foi dans les négociations, et il a souligné par le passé "l'importance (qu'il) attache au principe selon lequel employeurs et syndicats doivent négocier de bonne foi en s'efforçant d'arriver à un accord, et notamment dans le secteur public ou les services essentiels, lorsqu'il n'est pas permis aux syndicats de recourir à la grève. La Commission d'investigation et de conciliation a souligné dans son rapport que des relations professionnelles satisfaisantes dépendent essentiellement de l'attitude qu'adoptent les parties l'une à l'égard de l'autre et de leur confiance réciproque". (Voir 139e rapport, paragr. 279, Japon.)
- 565. Selon l'organisation plaignante, on pourrait soutenir qu'il est acceptable qu'un gouvernement/employeur ne se départisse pas de ses préoccupations concernant l'économie à la table des négociations et demande qu'elles soient prises en considération dans les négociations salariales. Toutefois, ce n'est pas ce qui s'est passé à Terre-Neuve en 1991. Le gouvernement a eu avec certains des syndicats des réunions impromptues et informelles au cours desquelles il a indiqué que la province était confrontée à un déficit et que l'employeur accueillerait toute suggestion que les syndicats pourraient faire pour y remédier. Au cours de ces entretiens, le gouvernement n'a pas averti les syndicats de son intention de faire adopter la loi.
- 566. Le président du Conseil du trésor a fait part de cette intention aux cadres supérieurs de la fonction publique. A ce stade, il s'agissait fondamentalement d'un fait accompli car le fait que les syndicats eussent eu ou non une meilleure méthode à proposer pour remédier au déficit n'aurait fait aucune différence. Le gouvernement entendait, de toute évidence, appliquer un plan qu'il escomptait voir bien accueilli sur la scène politique, plutôt qu'un plan qui fût conforme à la position de l'OIT en ce qui concerne le processus de consultation entre les parties.
- 567. L'organisation plaignante soutient en outre que l'adoption de la loi dénote un mépris total de la convention no 98, qui affirme l'importance que l'OIT attache à la libre négociation collective.
- 568. En outre, en faisant adopter une loi qui renie des accords négociés antérieurement sans possibilité de recours à un autre mécanisme de règlement des différends, le gouvernement a commis un acte d'ingérence contraire à l'article 5 de la convention no 151. Qui plus est, l'article 7 de cette convention implique que, lorsqu'il est confronté à des problèmes qui ont une incidence pour la province, par exemple des problèmes économiques, le gouvernement/employeur devrait associer l'agent négociateur à l'étude des solutions possibles.
- 569. L'organisation plaignante soutient que l'équilibre entre les parties est manifestement inégal dans la fonction publique, car l'employeur a le pouvoir de faire tout simplement annuler par le législateur les conventions collectives qu'il a acceptées de signer. Or le comité a déclaré par le passé que "les pouvoirs budgétaires dont est investie l'autorité législative ne devraient pas avoir pour conséquence d'empêcher l'application des conventions collectives conclues par une autorité publique locale ou en son nom". (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 604.) Cette négation de conventions collectives négociées antérieurement, y compris les accords concernant l'équité salariale, dénote un profond manque de respect pour le principe posé par l'OIT qui veut que les parties honorent ces conventions négociées antérieurement.
- 570. Enfin, l'organisation plaignante soutient que la loi enfreint la convention no 154 qui souligne encore l'engagement de l'OIT en faveur de la libre négociation collective.
- 571. L'organisation plaignante conclut que la loi en question est contraire aux principes du droit international du travail et traite inéquitablement les membres de la NAPE. Elle n'est pas en mesure de prédire l'incidence que cette loi aura sur les salaires des travailleurs du secteur public de Terre-Neuve dans l'avenir étant donné son caractère indéfini. Quoi qu'il en soit et indépendamment de ce qui pourra arriver ou non ultérieurement, les sommes perdues au cours de la période d'application de la loi ne pourront jamais être récupérées. L'organisation plaignante invite le comité à demander au gouvernement d'abroger cette loi.
- 572. Dans sa communication du 31 octobre 1991, le CTC indiquait que des plaintes semblables avaient été présentées au sujet de cinq provinces différentes et demandait qu'elles soient examinées séparément. Il soulignait toutefois que, de l'avis du mouvement syndical et de la plupart des spécialistes indépendants, les relations professionnelles dans le secteur public canadien se dégradent rapidement car les gouvernements sont prompts à adopter des lois qui suppriment ou restreignent gravement la négociation collective dans ce secteur. Le CTC estime que, pour se faire une idée exacte de l'étendue de cette dégradation, le Comité de la liberté syndicale devra envoyer une mission indépendante au Canada au cours des prochains mois. Il invite donc le comité à envisager sérieusement d'organiser une telle mission qui lui serait nécessaire pour pouvoir apprécier pleinement les préoccupations que suscitent les relations professionnelles dans le secteur public au Canada. Le CTC a réitéré sa demande dans sa communication du 6 décembre 1991, indiquant qu'une autre plainte, relative à une loi fédérale qui force les fonctionnaires fédéraux à reprendre le travail, serait prochainement présentée au comité. D'après le CTC, cela signifie que l'exercice des droits fondamentaux de plus de 1,5 million de travailleurs canadiens est suspendu ou gravement limité par la législation fédérale ou provinciale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 573. Dans sa communication du 10 avril 1992, le gouvernement de Terre-Neuve nie que la loi en question viole les principes et les conventions de l'OIT et constitue un acte de rétorsion contre les syndicats du secteur public. C'est au contraire une mesure dictée par ses responsabilités en matière budgétaire et qui répond à un impératif économique. Des mesures analogues sont prévues pour 1992-93 et 1993-94, car le gouvernement se prépare à faire voter une nouvelle loi imposant des mesures de restriction.
- 574. Le gouvernement explique qu'au printemps 1991 la province était aux prises avec de graves difficultés financières, notamment pour les raisons suivantes: les paiements de péréquation du gouvernement fédéral à la province allaient être réduits; la province était endettée au maximum de sa capacité d'emprunt; recourir à l'impôt pour dégager des recettes fiscales supplémentaires n'était pas possible dans une province où la taxe sur les ventes au détail était déjà la plus élevée de tout le Canada; la récession nationale avait entraîné une baisse des recettes fiscales et une augmentation des dépenses.
- 575. Face à ces difficultés, le gouvernement a envisagé de nombreuses possibilités, y compris une restriction des salaires dans le secteur public, pour réduire les dépenses tout en maintenant un niveau raisonnable de services à la population. Les salaires et avantages sociaux constituent environ 55 pour cent de l'ensemble des dépenses gouvernementales relatives aux programmes et services et, pour chaque point de pourcentage d'augmentation des salaires, il fallait dégager une somme supplémentaire de 11,5 millions de dollars. Eu égard aux difficultés évoquées plus haut, le gouvernement ne pouvait justifier une dépense de l'ampleur de celle que requérait l'application des conventions collectives, qui aurait été proche de 60 millions de dollars.
- 576. L'adoption de la loi n'était que l'une des mesures de restriction; diverses autres mesures ont également été prises (elles sont exposées dans le discours du budget pour 1991-92 joint en annexe à la communication du gouvernement). Parmi ces mesures, on notera en particulier la suppression de 2.500 postes. Pour être en mesure d'appliquer les conventions collectives, il aurait fallu licencier 1.600 personnes de plus, ce qui n'aurait pu se faire sans compromettre gravement la prestation de services essentiels.
- 577. Le gouvernement explique que la négociation collective dans le secteur public de Terre-Neuve est une pratique continue depuis 1970 et que, s'il y a eu des hauts et des bas au cours de cette période, les parties se sont efforcées de coopérer pour régler les délicats problèmes de relations professionnelles. Adopter la loi en question n'était donc pas une décision facile à prendre, mais c'était une mesure nécessaire dans l'intérêt de la province. La persistance des problèmes économiques a contraint le gouvernement à présenter une nouvelle loi qui annule toutes les augmentations de rémunérations négociées, ne prévoit de nouveau aucune augmentation pour 1992-93 et autorise des augmentations totales de 3 pour cent au maximum pour 1993-94. Le gouvernement affirme que cette législation s'inscrit dans une durée bien définie et aussi courte que possible.
- 578. En outre, la loi n'a aucunement été conçue dans l'intention de punir les syndicats du secteur public, puisqu'elle s'applique non seulement aux fonctionnaires syndiqués mais aussi aux autres catégories, comme le personnel de direction, les cadres, les ministres et les députés. En réalité, ses effets s'étendent au-delà du secteur public, à des domaines financés par les deniers publics et à d'autres qui ne le sont pas.
- 579. Le gouvernement soutient que la loi en question constitue une mesure d'exception, car une fois seulement par le passé, en 1984-85, un blocage des salaires avait été imposé dans le secteur public. En outre, la loi ne suspend pas la négociation collective. Elle ne fait que supprimer le droit de négocier sur les questions pécuniaires. Les syndicats conservent le droit de négocier sur toutes les autres questions et, d'ailleurs, plusieurs syndicats dont la NAPE ont poursuivi la négociation de leurs conventions et sont parvenus à des accords après l'adoption de la loi. En outre, la loi ne porte pas atteinte au niveau de vie des salariés. La plupart des barèmes de rémunération de la fonction publique comportent un système d'échelons qui permet aux agents de bénéficier d'augmentations liées à l'ancienneté, augmentations qui n'ont pas été touchées par la loi.
- 580. L'idée que la loi constituait simplement une réaction à une sentence arbitrale mal acceptée est dépourvue de fondement et ignore complètement le contexte financier dans lequel le gouvernement devait agir. Le gouvernement a effectivement négocié de bonne foi. Les résultats des sentences arbitrales de l'automne 1990 ont été intégrées aux conventions collectives, et les augmentations salariales ont été versées pour la première des trois années sur lesquelles elles portaient. Toutes les autres dispositions des conventions ont par ailleurs été observées et continuent de l'être. C'est seulement au printemps de 1991 que les réalités économiques ont commencé à prendre le tour d'une véritable crise budgétaire. Il est vrai que les négociations sur d'autres conventions prévoyant des augmentations salariales se sont poursuivies juste avant et même après l'adoption de la loi. A ce moment, toutefois, les deux parties étaient au courant des restrictions prévues par la loi et ont adapté en conséquence le libellé de ces conventions.
- 581. Le gouvernement déclare que le compte rendu des débats concernant la loi à l'Assemblée de Terre-Neuve (joint aux pièces produites par l'organisation plaignante) reflète fidèlement la perception du gouvernement quant à l'ampleur et à la teneur des contacts qu'il a eus avec les syndicats avant le vote de la loi. Il ne fait aucun doute que les syndicats ont été consultés et que le gouvernement leur a fait part de la gravité de la situation, mais ils ont refusé d'y croire.
- 582. Au demeurant, le gouvernement a apporté la preuve de son attachement au principe de l'équité salariale dans le secteur public puisqu'il a été l'un des premiers employeurs du secteur public au Canada à négocier de son plein gré un accord en la matière avec les syndicats. La plupart des autres provinces du Canada ont introduit le principe de l'équité salariale dans leur système par la voie législative, ou ne se sont pas occupés du tout de la discrimination salariale systémique. Cependant, les problèmes en matière d'équité salariale découlent du fait que les parties n'ont pu s'entendre sur l'évaluation et la valeur relative des postes. Le processus d'évaluation se poursuivait depuis plusieurs années, et la mise en oeuvre de ses résultats représenterait une obligation financière de l'ordre de 24 millions de dollars. Selon le gouvernement, verser 24 millions de dollars à certains travailleurs en supprimant 900 emplois pour dégager les sommes nécessaires à cette fin n'aurait eu aucun sens. La loi ne supprime pas l'équité salariale mais seulement l'obligation financière inhérente à l'application rétroactive du programme. En outre, depuis l'adoption de la loi, les commissions d'évaluation ont repris leurs travaux et leurs délibérations ont été beaucoup plus productives. La suppression de la rétroactivité a créé une urgence qui a été bénéfique au programme d'équité salariale en général. Les versements au titre de l'équité salariale ont déjà commencé pour la première catégorie de personnel des services de santé.
- 583. Enfin, le gouvernement fait valoir que les principes et les conventions de l'OIT reconnaissent que les gouvernements doivent disposer d'une certaine latitude pour faire face aux crises économiques. Il rappelle que le comité a conclu, par le passé, que: "Si, au nom d'une politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociation collective, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs." (Recueil, op. cit., paragr. 641.)
- 584. Le gouvernement avait espéré que la loi pourrait représenter la solution à court terme d'un problème de récession à court terme. Or la récession s'est prolongée et devrait durer encore beaucoup plus longtemps qu'on ne le pensait initialement. C'est pourquoi le gouvernement s'est vu obligé d'adopter une solution à plus long terme et a annoncé, dans le discours du Budget de 1992, qu'il avait l'intention de présenter une nouvelle loi imposant des restrictions salariales. Le gouvernement conclut que la première loi sur les restrictions salariales et la loi ultérieure constituent des mesures totalement nécessaires et justifiables, qui limitent la négociation collective uniquement pour les questions pécuniaires, et cela de façon pleinement conforme aux principes et conventions de l'OIT.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 585. Le comité note que le présent cas concerne des restrictions imposées à la négociation collective pour les travailleurs du secteur public et de la province de Terre-Neuve (Canada) et l'annulation d'augmentations déjà négociées pour leur compte par leurs agents négociateurs. Le gouvernement fait valoir, en substance, que son intervention était et reste nécessaire étant donné les difficultés budgétaires et économiques de la province.
- 586. Avant d'examiner la présente plainte quant au fond, le comité renvoie aux commentaires qu'il a formulés à propos du cas no 1616 (Canada) pour ce qui est du contexte général dans lequel la plainte a été présentée et du recours aux arguments économiques pour justifier des restrictions à la négociation collective, commentaires qui s'appliquent également dans ce cas avec les adaptations appropriées.
- 587. S'agissant des mesures de stabilisation économique limitant les droits de négociation collective, le comité a reconnu que lorsque, pour des raisons impérieuses relevant de l'intérêt économique national et dans le cadre de sa politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. (Recueil, op. cit., paragr. 641.) La commission d'experts a adopté la même approche à cet égard. (Etude d'ensemble de 1983, Liberté syndicale et négociation collective, paragr. 315.)
- 588. En ce qui concerne les aspects particuliers du présent cas le comité observe qu'il comporte plusieurs facteurs qui, réunis, le distinguent d'autres plaintes analogues présentées contre des gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral du Canada.
- 589. En ce qui concerne les antécédents de la négociation collective à Terre-Neuve, le comité éprouve des difficultés à comprendre l'affirmation du gouvernement selon laquelle la loi constitue une mesure d'exception et la négociation collective a été menée normalement sur tous les problèmes de relations professionnelles depuis 1973. Si l'on se réfère à la brève chronologie des événements fournie par les plaignants ainsi qu'aux conclusions de la mission d'étude et d'information effectuée au Canada en 1985 relatives au cas no 1260 concernant Terre-Neuve, les relations de négociation dans la fonction publique ne peuvent guère être considérées comme normales. Le comité se doit de signaler que le recours répété à de telles restrictions législatives de la négociation collective ne peut, à long terme, qu'avoir un effet néfaste et déstabilisant sur le climat des relations professionnelles si le législateur intervient fréquemment pour suspendre ou mettre fin à l'exercice des droits reconnus aux syndicats et à leurs membres. De plus, cela peut saper la foi des salariés en la valeur de l'appartenance à un syndicat, les membres ou les adhérents potentiels étant ainsi incités à considérer qu'il est inutile d'adhérer à une organisation dont le but principal est de représenter ses membres dans les négociations collectives, si les résultats de ces dernières sont souvent annulés par voie législative.
- 590. Deuxièmement, la loi en question ici annule toutes les augmentations de rémunération négociées dans le secteur public, alors que les lois contestées dans les autres cas ne font que reporter les augmentations négociées, d'un an ou deux ans selon le cas. En outre, la loi supprime la rétroactivité des accords concernant l'égalité salariale entre hommes et femmes.
- 591. Troisièmement, le comité note, d'après les observations du gouvernement lui-même, que les restrictions salariales imposées par la loi étaient initialement censées s'appliquer pendant une année seulement, c'est-à-dire jusqu'au 31 mars 1992; or le gouvernement a de nouveau présenté une loi analogue qui annule toutes les augmentations de rémunération négociées, ne prévoit aucune augmentation pour l'exercice 1992-93 et n'autorise qu'une augmentation maximale de 3 pour cent pour l'exercice 1993-94. Le gouvernement déclare que cette nouvelle intervention a été rendue nécessaire par la persistance des problèmes économiques et que les mesures de restriction sont limitées dans le temps. Bien qu'il ne sache pas si la nouvelle loi a effectivement été adoptée, car il n'en a pas été informé, le comité considère que les mesures annoncées dans le discours budgétaire de 1992 confirment les préoccupations des plaignants quant au caractère indéfini de la législation sur les restrictions salariales, qui pourrait ainsi être prorogée d'année en année.
- 592. L'organisation plaignante déclare que la loi sur les mesures de restriction dans le secteur public a été adoptée sans consultation, alors que le gouvernement affirme avoir consulté les syndicats pour les informer de la gravité de la crise économique et recueillir les suggestions. Comme ces deux affirmations sont contradictoires, le comité se bornera à rappeler les observations finales faites à cet égard dans le rapport de la mission d'étude et d'information effectuée au Canada: "... cette consultation est doublement importante lorsque le gouvernement cherche à modifier des structures de négociation dans lesquelles il agit effectivement ou indirectement en tant qu'employeur. On doit disposer de suffisamment de temps pour la consultation. Bien évidemment, celle-ci peut être limitée par l'urgence des mesures à prendre pour faire face à des problèmes économiques. Son efficacité peut être diminuée du fait de l'attitude qu'adoptent les syndicats concernés. Mais il va de soi que les propositions devraient être franchement discutées, éclaircies, et les doutes, craintes et malentendus réglés avant que le texte législatif ne prenne sa forme définitive." (214e rapport, paragr. 224.)
- 593. Pour toutes ces raisons, le comité estime que la loi de 1991 sur les mesures de restriction dans le secteur public va au-delà de ce qu'il a considéré précédemment comme des limites normalement acceptables pouvant être imposées temporairement à la négociation collective, en ce qu'elle annulait des accords négociés antérieurement et dans la mesure où le gouvernement a fait part de son intention de prolonger la période de restrictions salariales, qui devait initialement être d'un an, en promulguant une nouvelle loi. Le comité invite le gouvernement à renouer des consultations larges et constructives avec les syndicats intéressés en vue de rétablir la libre négociation collective, conformément aux principes de la liberté syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 594. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité estime que la loi de 1991 sur les mesures de restriction dans le secteur public va au-delà de ce qu'il a antérieurement considéré comme des limites normalement acceptables pouvant être imposées temporairement à la négociation collective.
- b) Le comité invite le gouvernement à renouer des consultations larges et constructives avec les syndicats intéressés, en vue de rétablir la négociation collective, conformément aux principes de la liberté syndicale.
- c) Le comité souligne l'importance de consultations suffisantes avant l'introduction d'une loi par laquelle le gouvernement cherche à modifier des structures de négociation dans lesquelles il agit effectivement ou indirectement en tant qu'employeur.
- d) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation des relations professionnelles dans le secteur public de la province de Terre-Neuve et d'indiquer notamment si, comme il en a exprimé l'intention, il a effectivement promulgué une nouvelle loi restrictive.
ANNEXE
ANNEXE- LOI SUR LES MESURES DE RESTRICTION DANS LE
- SECTEUR PUBLIC (EXTRAITS)
- Définitions
- 2. Aux fins de la présente loi:
- a) l'expression "convention collective" désigne une
- convention passée par
- écrit entre un employeur du secteur public et un agent
- négociateur qui
- contient des dispositions relatives aux échelles de salaires et
- aux conditions
- d'emploi des agents du secteur public, et elle inclut une
- sentence arbitrale
- ou une décision d'arbitrage;
- b) l'expression "échelles des salaires" désigne les échelles des
- salaires et
- les autres avantages pécuniaires payés ou assurés,
- directement ou
- indirectement, par un employeur du secteur public ou pour son
- compte à un
- agent du secteur public ou à son profit, et elle inclut les
- avantages
- pécuniaires prévus par l'Accord du Labrador signé le 7 mai
- 1990 entre l'Etat
- et diverses parties;
- c) l'expression "agent du secteur public" désigne toute
- personne employée par:
- i) le gouvernement de la province,
- ii) tout service, conseil, commission, office ou autre organisme
- de l'Etat
- financé, totalement ou partiellement, par des crédits votés de
- temps à autre
- par l'assemblée législative, mais non le personnel des
- municipalités ou des
- villes de la province,
- iii) une société où non moins de 90 pour cent de l'ensemble
- des actions
- ordinaires émises appartiennent à l'Etat du chef de la province,
- iv) une société créée par une loi aux termes de laquelle ladite
- société est
- instituée agent de l'Etat du chef de la province,
- v) une société, un organisme ou un office gérant un hôpital,
- qui figure dans
- l'annexe à la loi de 1971 sur les hôpitaux,
- vi) la Memorial University of Newfoundland et tout service,
- conseil,
- commission ou autre organisme financé par ladite université ou
- lui
- appartenant,
- vii) un institut provincial institué ou maintenu en vertu de la loi
- sur les
- instituts provinciaux,
- viii) un collège communautaire institué en vertu de la loi sur les
- collèges
- communautaires,
- ix) un employeur auquel s'applique la loi de 1973 sur la
- fonction publique
- (négociation collective),
- x) un conseil de l'enseignement confessionnel visé par la loi de
- 1990 sur le
- ministère de l'Education,
- xi) un office chargé des taxes scolaires, créé en vertu de la loi
- sur les
- taxes scolaires locales,
- xii) un conseil d'établissement scolaire ou un groupe de
- conseils
- d'établissement scolaire constitué ou maintenu par la loi sur les
- établissements scolaires, ou en application de ladite loi, y
- compris tout
- enseignant auquel s'applique la loi de 1973 sur les
- enseignants de Terre-Neuve
- (négociation collective), et
- ...
- e) l'expression "période de restriction" désigne l'année fiscale
- commençant le
- 1er avril 1991 et se terminant le 31 mars 1992.
- ...
- Pas d'augmentation
- 5. 1) Nonobstant les termes et conditions d'emploi des
- rémunérations prévus
- par une convention collective, par une autre forme
- d'arrangement contractuel
- concernant l'emploi ou de toute autre façon, il ne sera pas
- appliqué
- d'augmentation aux échelles de salaires des agents du secteur
- public pendant
- la période de restriction.
- 2) Lorsqu'une disposition d'une convention collective ou d'un
- autre
- arrangement contractuel concernant l'emploi prévoit que les
- échelles de
- salaires applicables pendant la période de restriction seront
- plus élevées que
- celles qui étaient en vigueur au 31 mars 1991, cette
- disposition est nulle et
- non avenue.
- 3) Lorsqu'une convention collective ou un autre arrangement
- contractuel
- concernant l'emploi prévoit des augmentations des échelles de
- salaires après
- la période de restriction, les échelles de salaires seront réduites
- conformément au présent article; la première augmentation
- s'appliquera aux
- échelles de salaires en vigueur au 31 mars 1991, et chaque
- augmentation
- ultérieure s'appliquera aux échelles de salaires recalculées en
- vigueur
- immédiatement avant la date à laquelle elle doit prendre effet.
- Prorogation des 6.
- 1) Nonobstant l'article 5, l'agent négociateur conventions
- d'agents du secteur
- public soumis à une convention collectives collective en
- vigueur le 1er avril
- 1991 pourra choisir de proroger la convention collective d'une
- année après la
- date d'expiration prévue dans la convention; les échelles de
- salaires qui,
- sans la loi, auraient pris effet le 31 mars 1991 prendront alors
- effet un an
- après la date prévue dans la convention collective.
- 2) Nonobstant les termes et conditions d'une convention
- collective, aucune
- augmentation ne s'appliquera pendant la période de restriction
- aux échelles de
- salaires des agents du secteur public dont l'agent négociateur
- aura choisi de
- proroger la convention collective en vertu du paragraphe
- précédent.
- ...
- Sentences
- 8. Nonobstant toute autre loi, lorsque le lieutenant- arbitrales
- gouverneur en
- conseil considère qu'une sentence arbitrale ou une décision
- d'arbitrage a été
- rendue en prévision de la période de restriction ou pour
- compenser celle-ci,
- même s'il n'est pas prévu d'augmentation des rémunérations
- pendant la période
- de restriction, le lieutenant- gouverneur en conseil peut écarter
- ou modifier
- la sentence ou la décision afin de respecter l'esprit et le propos
- de la
- présente loi.
- Equité salariale
- 9. 1) Nonobstant les termes et conditions d'un accord
- concernant l'équité
- salariale contenu dans une convention collective ou ajouté
- d'un commun accord
- à une convention collective existante, aucun accord
- concernant l'équité
- salariale ne devra contenir de disposition prévoyant qu'il sera
- mis en oeuvre
- de façon rétroactive.
- 2) Lorsqu'une disposition d'un accord concernant l'équité
- salariale prévoit
- que ledit accord sera mis en oeuvre de façon rétroactive,
- cette disposition
- est nulle et non avenue.
- 3) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, un
- accord concernant
- l'équité salariale pourra être négocié ou être mis en oeuvre,
- mais la date du
- premier ajustement des salaires au titre de l'équité salariale
- sera celle à
- laquelle l'ajustement aura été arrêté en commun accord.
- 4) Le présent article s'applique indépendamment du fait que
- l'accord
- concernant l'équité salariale ait été conclu, ou l'ajustement des
- traitements
- au titre de l'équité salariale arrêté en commun accord, avant
- ou après la date
- de l'entrée en vigueur de la présente loi.
- 5) Dans le présent article, l'expression "accord concernant
- l'équité
- salariale" désigne un accord entre un employeur du secteur
- public et un groupe
- d'agents du secteur public tendant à reconnaître la pratique
- qui, en matière
- de rémunération, se fonde essentiellement sur la valeur relative
- du travail
- effectué, indépendamment du sexe des travailleurs, et elle
- inclut l'obligation
- pour un employeur de ne pas établir ni maintenir de différence
- entre les
- rémunérations versées aux agents hommes et femmes qu'il
- emploie et qui
- effectuent un travail de valeur égale ou comparable.
- Entrée en vigueur
- 10. La présente loi est réputée être entrée en vigueur le 31
- mars 1991.