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Allégations: Licenciement et détention de syndicalistes pour des raisons liées à
l’exercice de leur droit de constituer le syndicat de leur choix et d’y adhérer à la suite
d’une grève
- 407. La plainte figure dans une communication de la Confédération
syndicale internationale – Asie Pacifique (CSI AP) en date du 15 octobre 2019. Par une
communication en date du 22 septembre 2022, la Confédération syndicale internationale
(CSI) s’y est associée.
- 408. Le gouvernement de l’Inde a transmis ses observations dans une
communication en date du 27 octobre 2021.
- 409. L’Inde n’a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 410. Dans sa communication datée du 15 octobre 2019, la CSI-AP explique
que l’entreprise Maruti Suzuki India Limited est une entreprise manufacturière de droit
indien (ci-après «l’entreprise»). En juin 2011, les travailleurs de cette entreprise ont
fait des démarches pour constituer un syndicat indépendant. Allant contre l’avis du
gouvernement qui insistait pour que les travailleurs adhèrent au syndicat Maruti Udyog
Kamgar (MUKU), prétendument contrôlé par la direction, les travailleurs se sont affiliés
au syndicat des employés de Maruti Suzuki (MSEU). La CSI-AP affirme que la direction a
licencié 11 dirigeants syndicaux dans une démarche visant à priver les travailleurs de
leur droit de constituer un syndicat indépendant. Les travailleurs ont entamé une grève
les bras croisés le 4 juin 2011 et sont ainsi parvenus à créer le MSEU. Celui-ci et la
direction ont conclu un accord le 16 juin 2011 en présence du commissaire au travail
adjoint de Gurgaon. La CSI AP affirme toutefois que la direction de l’entreprise n’a pas
respecté l’accord, mais qu’elle a, entre autres mesures, réintégré les 11 responsables
syndicaux qui avaient été licenciés.
- 411. La CSI-AP fait valoir que les relations professionnelles se sont
détériorées un peu plus encore quand la direction a pris des mesures de rétorsion contre
le syndicat, et notamment quand elle a donné diverses instructions qui ont eu pour effet
de ralentir la production, à la suite de quoi elle a accusé les travailleurs d’avoir
mené une grève perlée. Le 29 août 2011, la direction a soumis les travailleurs à un
lock-out et leur a fait savoir qu’ils ne pourraient reprendre leur activité qu’à
condition de signer une promesse de bonne conduite par laquelle ils s’engageraient à
renoncer à saboter la production en recourant à une grève perlée. Le syndicat a rejeté
les mesures de rétorsion prises unilatéralement par la direction, a refusé de signer la
promesse et a manifesté pour qu’il soit mis fin aux représailles. La situation s’est
envenimée lorsque la direction a pris plusieurs mesures de rétorsion, en particulier
lorsqu’elle a mis un terme au contrat des travailleurs contractuels ayant pris part aux
manifestations. La CSI-AP indique que, à la suite d’un accord conclu avec la direction
le 1er mars 2012, le syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU) a été enregistré
auprès du ministère du Travail de l’État d’Haryana.
- 412. Par la suite, vers le 18 avril 2012, le syndicat a présenté ses
propositions en vue de la négociation d’une convention collective. La CSI-AP indique
que, pendant que la direction de l’entreprise cherchait à gagner du temps en retardant
les négociations, le commissaire au travail n’a pas informé les parties, en particulier
la direction, qu’elles étaient censées négocier de bonne foi et veiller à instaurer un
climat propice à l’aboutissement des négociations. La CSI-AP avance que la direction a
refusé de négocier et que le gouvernement n’a pas instauré de mécanisme de conciliation
ou de médiation, par exemple, qui aurait pu faciliter les choses. D’après elle,
anticipant la réaction du syndicat, la direction a fait appel à des «provocateurs» se
faisant passer pour des travailleurs.
- 413. La CSI-AP et la CSI indiquent que, le 18 juillet 2012 au matin, un
supérieur hiérarchique a proféré contre un travailleur des insultes en lien avec sa
caste, sachant que ce faisant il allait provoquer de graves tensions sur le lieu de
travail. La personne visée par les insultes a ensuite été suspendue. Comme on pouvait
s’y attendre, la tension est montée, et la direction a demandé aux policiers qui se
trouvaient à l’extérieur d’intervenir. Une réunion entre le syndicat et la direction
avait en outre été convoquée pour tenter de débloquer la situation. Les parties ont
poursuivi les négociations au-delà de la journée de travail. D’après les travailleurs,
l’incident malheureux du 18 juillet 2012 avait été parfaitement bien orchestré par la
direction de l’entreprise dans le dessein de provoquer les travailleurs. Des
«provocateurs» avaient été infiltrés dans l’usine pour galvaniser les travailleurs.
Certains d’entre eux ont commencé à en découdre avec des travailleurs et la situation a
dégénéré. Les policiers n’ont pénétré dans l’enceinte à aucun moment, même quand la
tension était à son comble. Vu les échauffourées et le désordre ambiant, la réunion
entre le syndicat et la direction a avorté et les dirigeants syndicaux sont sortis voir
de quoi il retournait. Un incendie a éclaté dans la salle des négociations puis s’est
propagé au reste du bâtiment, à la suite de quoi le directeur des ressources humaines
est mort asphyxié. C’est à ce stade que la police est intervenue et a arrêté
148 travailleurs et syndicalistes. Ceux-ci ont été inculpés de meurtre, de participation
à une émeute et d’autres infractions graves visées par le Code pénal de l’Inde. Parmi
les personnes placées en détention, 8 étaient des membres du comité directeur du MSWU.
D’après l’organisation plaignante, plus de 150 travailleurs, dont certains n’étaient
même pas présents sur les lieux au moment des événements graves du 18 juillet 2012, ont
été placés en détention après avoir été inculpés d’infractions pénales graves. Le
tribunal de district de Gurgaon a rejeté la demande de libération sous caution à trois
reprises. La Haute Cour du Punjab et d’Haryana a également rejeté la demande de
libération sous caution à deux reprises, arguant que les événements avaient porté
atteinte à la réputation de l’Inde sur la scène internationale et que les investisseurs
étrangers ne seraient vraisemblablement plus disposés à investir en Inde en raison des
conflits sociaux. En février 2015, la Cour suprême avait libéré sous caution
2 travailleurs, trente et un mois après leur arrestation. En mars 2015, le tribunal de
district de Gurgaon a libéré sous caution 77 des 148 travailleurs arrêtés lors des
violences qui ont éclaté dans l’enceinte de l’entreprise. En août 2016, 18 travailleurs
ont été libérés sous caution par le tribunal de première instance; 5 autres des
travailleurs qui avaient été arrêtés lors de ces violences ont été libérés sous caution
par un tribunal de première instance le 13 septembre 2019. Au total, 139 des
148 travailleurs arrêtés dans le cadre de ce cas ont déjà été libérés sous
caution; 4 personnes libérées sous caution ont des fonctions au MSWU. D’après
l’organisation plaignante, 13 dirigeants syndicaux sont encore détenus et ont été
reconnus coupables du meurtre du directeur.
- 414. La CSI-AP affirme en outre que, à la suite des faits, la direction a
licencié 550 travailleurs permanents et mis fin au contrat de 1 800 travailleurs
contractuels.
- 415. De plus, les organisations plaignantes font valoir que le nouvel
accord salarial annoncé en octobre 2015 ne s’appliquait qu’aux travailleurs permanents,
pas aux travailleurs temporaires. Les travailleurs temporaires ont tenté de protester
contre cette discrimination, mais leur réunion pacifique a été réprimée violemment par
la police. Plus de 3 000 travailleurs temporaires employés par l’entreprise
revendiquaient l’égalité de salaire avec les permanents et se sont regroupés devant les
grilles de l’entreprise pour exprimer leur mécontentement. La police a répondu en matant
avec violence les manifestations. Plusieurs travailleurs ont été blessés et arrêtés. Les
personnes arrêtées ont été libérées sous caution.
- 416. D’après les organisations plaignantes, le gouvernement n’a pas mené
d’enquête indépendante sur les circonstances ayant conduit aux événements du 18 juillet
2012 et aux événements ultérieurs; n’a pas veillé à ce que les travailleurs licenciés
injustement et sanctionnés collectivement pour les événements du 18 juillet 2012
obtiennent réparation et soient réintégrés; et ne s’est pas efforcé de faire respecter
le droit des travailleurs d’organiser une grève pacifique pour défendre leurs intérêts
socio-économiques. Les organisations plaignantes considèrent que les attaques violentes
et arbitraires et les placements en détention injustifiés dont ont été victimes les
travailleurs en l’espèce portent gravement atteinte au droit des travailleurs de
constituer le syndicat de leur choix et d’y adhérer pour défendre leurs intérêts
socio-économiques. Les organisations plaignantes relèvent avec une profonde
préoccupation que huit membres de l’ancien comité directeur du syndicat se trouvent
toujours en détention après avoir été accusés à tort et jugés collectivement
responsables des événements du 18 juillet 2012 sans qu’aucune enquête indépendante n’ait
été diligentée. Elles dénoncent également la détention de travailleurs, depuis quatre
ans pour certains, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Elles affirment
que les travailleurs licenciés injustement ne peuvent pas trouver un autre emploi, car
la médiatisation de l’affaire et le fait qu’elle ait été portée à la connaissance
d’autres chefs d’entreprise ont eu pour effet indirect d’inscrire sur liste noire les
travailleurs concernés. Leurs familles pâtissent beaucoup de leur prétendue
participation aux événements, ont été contraintes de quitter leur logement locatif et de
déscolariser leurs enfants et ont à peine de quoi survivre.
- 417. Les organisations plaignantes considèrent que le gouvernement doit
mener une enquête indépendante sur les circonstances qui ont conduit aux événements du
18 juillet 2012 et aux événements ultérieurs, en vue de faire respecter le principe de
la liberté d’association et du droit de négociation collective et de veiller à ce que
des travailleurs innocents ne soient pas traités de façon injuste ni sanctionnés
collectivement. Elles considèrent également que le gouvernement doit œuvrer sans délai
avec les partenaires sociaux à la réintégration immédiate ou la pleine indemnisation,
avec tous les avantages qui en découlent, des 117 travailleurs reconnus non coupables
d’une quelconque infraction dans la décision du 12 mars 2018 du tribunal. En outre, le
gouvernement doit, de toute urgence, veiller à ce que les travailleurs qui souhaitent
créer un syndicat au sein d’une entreprise ou y adhérer soient libres de le faire et de
négocier collectivement leurs conditions d’emploi et de faire valoir leurs intérêts, et
bénéficient d’une protection dans le cadre de cette démarche. Le gouvernement doit faire
en sorte que les grèves pacifiques ne soient pas matées par les employeurs ou les agents
de l’État et que tout acte consistant à intervenir en cas de grève pacifique ou à
affaiblir une telle grève soit réprimé à l’issue d’une enquête approfondie.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 418. Dans sa communication datée du 27 octobre 2021, le gouvernement
fournit les informations suivantes, qui s’appuient sur les observations reçues du
gouvernement de l’État d’Haryana.
- 419. Le 18 juillet 2012, l’usine de l’entreprise située à Manesar a été
le théâtre d’événements d’une extrême violence au cours desquels des incendies ont
éclaté et des membres de la direction ont été blessés; ces événements ont abouti au
décès de M. Awanish Kumar Dev, directeur des ressources humaines, et à l’incapacité de
nombreux cadres supérieurs de l’entreprise. Avant d’entrer en matière sur la teneur de
la plainte, à savoir les événements et leurs conséquences, le gouvernement présente les
éléments relatifs à l’entreprise de manière chronologique.
- 420. L’entreprise a été constituée en société en 1983. Il s’agissait
d’une entreprise publique jusqu’en 2003. Elle est dotée d’un syndicat de travailleurs
enregistré depuis 1983. À la suite de la privatisation de l’entreprise, le syndicat MUKU
a été créé. En 2006, une nouvelle unité de fabrication a été installée dans l’usine de
Manesar. Les travailleurs de cette nouvelle unité se sont affiliés au MUKU et avaient
donc un salaire et des avantages financiers identiques à ceux des travailleurs de
l’unité de Gurugram. Une convention collective a été conclue en 2009 par le MUKU et
celle-ci s’appliquait aux travailleurs des deux usines.
- 421. Le 3 juin 2011, une partie des travailleurs de l’usine de Manesar a
entrepris des démarches en vue de l’enregistrement d’un nouveau syndicat, le MSEU. Le
lendemain, une grève éclatait dans les locaux de l’usine de Manesar. D’après la
direction, il n’y a eu aucun préavis de grève. Les meneurs de grève ont fait valoir que
la direction tentait d’empêcher les travailleurs de former un nouveau syndicat. Le
6 juin 2011, la direction a licencié 11 grévistes, membres du comité directeur du MSEU,
au motif qu’ils incitaient à la grève. Une procédure de conciliation a été lancée par le
ministère du Travail, mais elle a échoué. Tous les points et les questions faisant
l’objet d’un désaccord ont été renvoyés le 10 juin 2011 devant le tribunal du travail et
de l’industrie pour décision. Les travailleurs ont reçu l’interdiction de poursuivre la
grève et par l’ordonnance gouvernementale du 10 juin 2011, il a été enjoint aux
travailleurs et à la direction de faire respecter la paix du travail, la loi et l’ordre.
Le 16 juin 2011, le différend a été réglé en application de l’article 12(3) de la loi
sur les conflits du travail, 1947, moyennant la médiation du commissaire au travail
adjoint. Le point central de l’accord portait sur la nécessité pour la direction de
revenir sur le licenciement des 11 responsables syndicaux. Le gouvernement fait observer
que, au moment même où les travailleurs recouraient à une grève interdite, le ministère
du Travail s’efforçait de rétablir la paix et la normalité, et 11 travailleurs licenciés
étaient réintégrés.
- 422. Le gouvernement explique en outre que le greffier et commissaire au
travail a rejeté la demande d’enregistrement du MSEU le 29 juillet 2011 parce que des
signatures avaient été falsifiées, que les élections du 29 mai 2011 n’étaient pas
régulières, que le seuil minimum d’adhésion de 10 pour cent de l’ensemble de la masse
salariale prévu par la loi n’avait pas été atteint et enfin qu’une grève avait éclaté le
4 juin 2011.
- 423. Le gouvernement explique aussi que, d’après la direction, les
travailleurs avaient recouru à une grève perlée et avaient commis des actes de sabotage
volontaires et délibérés de nature à mettre en péril l’usine. À cet égard, le 29 août
2011, la direction a demandé aux travailleurs de signer une promesse de bonne conduite,
mais ceux-ci ont refusé et ont manifesté devant l’usine, exigeant le retrait de la
promesse. Au cours de ce conflit, quelque 33 travailleurs ont été licenciés et
29 suspendus. Les travailleurs ont mis en demeure la direction de réintégrer les
33 travailleurs licenciés et les 29 travailleurs suspendus, et d’abandonner toutes les
charges qui pesaient sur eux. La médiation du commissaire au travail adjoint a permis de
sortir de cette impasse et de régler le différend en application de l’article 12(3) de
la loi sur les conflits du travail. Cet accord prévoyait que les travailleurs acceptent
de signer une promesse de bonne conduite avant de pouvoir à nouveau se présenter au
travail le 3 octobre 2011, que les licenciements des 15 travailleurs soient remplacés
par des suspensions et que les 18 stagiaires dont la formation technique avait été
annulée puissent reprendre leur formation. Ces questions ont donc été résolues.
Toutefois, les travailleurs ont repris la grève le 7 octobre 2011. Le gouvernement
indique que, d’après la direction, aucun préavis n’avait été donné, et que certains
travailleurs avaient eu un comportement violent. Le ministère du Travail avait engagé
des procédures de conciliation, mais les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre.
L’ordonnance gouvernementale du 12 octobre 2011 a interdit aux travailleurs de
poursuivre la grève et a prévu de renvoyer la question de la légalité de la grève et les
autres questions faisant l’objet d’un désaccord devant le tribunal du travail et de
l’industrie pour décision. Le 19 octobre 2011, le différend a été réglé en application
de l’article 12(3) de la loi sur les conflits du travail grâce à la médiation du
commissaire au travail adjoint. Fort des éléments exposés ci-dessus, le gouvernement
fait observer que, à chaque fois qu’il y a eu un différend, le ministère du Travail a
toujours adopté une démarche équilibrée et fait en sorte de résoudre le conflit opposant
la direction et les travailleurs.
- 424. Le 10 février 2012, après avoir corrigé les erreurs figurant dans la
première demande d’enregistrement, les travailleurs ont présenté une nouvelle demande
d’enregistrement du MSWU. Le syndicat a été enregistré par le greffier et commissaire au
travail le 23 février 2012; il a par la suite demandé la négociation d’une convention
collective. Au cours de l’instruction de la demande, le 18 juillet 2012, les
travailleurs ont commis des actes de violence dans l’enceinte de l’usine et des départs
de feu ont été rapportés. Le directeur des ressources humaines est mort des suites de
ces actes de violence, ce qui a conduit à l’ouverture de procédures pénales contre les
travailleurs fautifs, et l’affaire a été transmise pour enquête au département de la
police. Une enquête en bonne et due forme a été menée par la police, et un premier
rapport d’information a été rédigé sur chacun des auteurs présumés.
- 425. Au sujet de la prétendue inaction du gouvernement, le gouvernement
indique que les événements du 18 juillet 2012, au cours desquels un cadre supérieur a
trouvé la mort à la suite des actes de violence commis par des travailleurs dans
l’enceinte de l’usine, sont abjects. Il fait observer que les travailleurs ont débrayé
bien que le gouvernement d’Haryana ait interdit à deux reprises la poursuite de la
grève. Il y a eu plusieurs réunions de conciliation et le ministère du Travail s’est
employé à maintenir le lien tant avec les travailleurs qu’avec la direction, mais les
agissements des travailleurs en date du 18 juillet 2012 ont dégradé l’environnement de
travail. Le département de la police a enquêté et engagé des poursuites pénales contre
les auteurs présumés, en application des dispositions du Code pénal.
- 426. Le gouvernement indique qu’une équipe d’enquête spéciale a été
constituée pour enquêter en bonne et due forme sur les événements du 18 juillet 2012 et
que, sur la base de l’enquête, la police a enregistré un premier rapport d’information
sur 148 travailleurs, en application du droit pénal. Tous les mis en cause ont été
traduits devant une juridiction pénale («Sessions Court») et ont eu le droit de se
défendre. La «Sessions Court» a déclaré coupables et condamné 31 personnes et a relaxé
117 travailleurs au bénéfice du doute. L’État a formé un recours contre l’acquittement
des 117 travailleurs devant des juridictions de plus haut degré; les 31 travailleurs
condamnés ont fait appel de leur condamnation. Le gouvernement insiste sur le fait que
les décisions de justice doivent toujours être respectées et acceptées, que l’appareil
judiciaire est indépendant, que les procédures sont impartiales et que la justice sera
rendue.
- 427. Le gouvernement indique que la commission des droits de l’homme
d’Haryana s’est saisie d’office du rapport en date du 27 juin 2013 de la Commission
internationale des droits au travail (New York). La commission d’Haryana a ordonné que
la justice se saisisse de l’affaire, et celle-ci est en instance. Le gouvernement juge
donc erroné d’affirmer qu’aucune enquête n’a été menée. Au contraire, les autorités
concernées ont enquêté sur les événements, et les garanties légales d’un procès
équitable ont été respectées.
- 428. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le gouvernement n’a
pas veillé à ce que les travailleurs licenciés et sanctionnés collectivement pour les
événements du 18 juillet 2012 obtiennent réparation, et notamment leur réintégration, le
gouvernement indique que 546 travailleurs ont été licenciés par la direction à la suite
des événements du 18 juillet 2012, et que 377 d’entre eux ont fait appel de leur
licenciement devant le tribunal du travail; les affaires sont toujours pendantes. Le
gouvernement indique que d’autres mesures seront prises en application de la décision de
justice.
- 429. Le gouvernement indique que, tandis que le ministère du Travail
d’Haryana protège les grèves pacifiques autorisées, les grèves violentes et les grèves
les bras croisés, au cours desquelles les travailleurs sont assis et occupent les lieux,
ne sont pas autorisées, en ce qu’elles entravent la production industrielle et nuisent à
la paix du travail et à l’harmonie des industries avoisinantes. Les grèves pacifiques
autorisées n’ont jamais été perturbées ni matées, mais les grèves non autorisées et
violentes sont interdites. Le gouvernement fait observer qu’en l’espèce les travailleurs
ont fait grève alors que le gouvernement d’Haryana leur en avait interdit la poursuite,
et avait demandé à la fois à la direction et aux travailleurs de rétablir la paix. Si
les travailleurs le souhaitent, ils peuvent manifester pacifiquement aux endroits
désignés à cet effet par le commissaire adjoint en charge de la région ou dans une zone
prévue pour accueillir des manifestations et des grèves pacifiques.
- 430. En conclusion, le gouvernement souligne que le ministère du Travail
du gouvernement d’Haryana respecte les droits syndicaux des travailleurs et les
principes de la liberté d’association. Il souligne aussi que les travailleurs qui
veulent adhérer à un syndicat sont libres de le faire. Le droit à la liberté syndicale
est consacré par la Constitution de l’Inde; il est inscrit dans la loi sur les
syndicats, 1926, qui dispose que les travailleurs peuvent demander à faire enregistrer
un syndicat dès lors que les conditions prévues par la loi sont remplies. D’après le
gouvernement, le système de conciliation de l’Inde est très efficace pour ce qui est de
la négociation collective.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 431. Le comité prend note de l’historique de ce cas, tel que décrit par
la CSI-AP et la CSI, les organisations plaignantes, et le gouvernement. Jadis entreprise
publique, l’entreprise a été privatisée en 2003. En 2006, une deuxième usine a été créée
à Manesar. En 2011, les travailleurs de l’usine de Manesar ont entamé des démarches pour
constituer un syndicat indépendant du MUKU, syndicat en place. L’enregistrement du MSEU
a d’abord été refusé. Le comité note que cela a donné lieu à un certain nombre de
conflits du travail, décrits à la fois par l’organisation plaignante et par le
gouvernement, mais que ces conflits semblaient avoir été réglés à l’époque. En
février-mars 2012, le MSWU a été enregistré. Par la suite, autour du 18 avril 2012, le
syndicat a présenté ses propositions en vue de la négociation d’une convention
collective.
- 432. Le comité note en outre que les organisations plaignantes et le
gouvernement donnent des versions différentes des événements qui ont suivi. D’après les
organisations plaignantes, la direction de l’entreprise a cherché à gagner du temps en
retardant les négociations. Elles font valoir que la direction a refusé de négocier et
que le gouvernement n’a pas instauré de mécanisme de conciliation ou de médiation qui
aurait pu faciliter les choses. D’après elles, anticipant la réaction du syndicat, la
direction a fait appel à des «provocateurs» se faisant passer pour des travailleurs pour
galvaniser les travailleurs; ces «provocateurs» ont commencé à chercher la bagarre et la
situation a dégénéré. Les organisations plaignantes affirment que, le 18 juillet 2012 au
matin, un supérieur hiérarchique a proféré contre un travailleur des insultes en lien
avec sa caste, sachant que ce faisant il provoquerait de graves tensions sur le lieu de
travail. La personne visée par les insultes a ensuite été suspendue. Les organisations
plaignantes indiquent que la tension est montée, et que la direction a demandé aux
policiers qui se trouvaient à l’extérieur d’intervenir, ce qu’ils n’ont pas fait, même
lorsque la tension était à son comble. D’après les organisations plaignantes, pendant ce
temps, le syndicat et la direction étaient réunis pour tenter de débloquer la situation,
mais vu les échauffourées et le désordre ambiant, les négociations ont avorté. Un
incendie a éclaté dans la salle où se déroulaient les négociations et s’est propagé au
reste du bâtiment, à la suite de quoi le directeur des ressources humaines est mort
asphyxié. C’est à ce stade que la police est intervenue et a arrêté 148 travailleurs et
syndicalistes. Ceux-ci ont été inculpés de meurtre, de participation à une émeute et
d’autres infractions graves visées par le Code pénal de l’Inde. D’après les
organisations plaignantes, plus de 150 travailleurs ont été placés en détention après
avoir été inculpés d’infractions pénales graves; parmi eux se trouvaient des personnes
qui n’étaient même pas présentes sur les lieux au moment de l’explosion de violence. Le
tribunal de district de Gurgaon a rejeté la demande de libération sous caution à trois
reprises. La Haute Cour du Punjab et d’Haryana a également rejeté la demande de
libération sous caution à deux reprises, arguant que l’incident avait porté atteinte à
la réputation de l’Inde sur la scène internationale et que les investisseurs étrangers
ne seraient vraisemblablement plus disposés à investir en Inde en raison des conflits
sociaux. La Cour suprême avait libéré sous caution deux travailleurs en février 2015,
trente et un mois après leur arrestation. En mars 2015, le tribunal de district de
Gurgaon a libéré sous caution 77 des 148 travailleurs arrêtés lors des violences qui ont
éclaté dans l’enceinte de l’entreprise. En août 2016, 18 travailleurs ont été libérés
sous caution par le tribunal de première instance; 5 autres des travailleurs qui avaient
été arrêtés lors des événements ont été libérés sous caution par un tribunal de première
instance le 13 septembre 2019. Les organisations plaignantes indiquent que, depuis le
dépôt de plainte, 13 personnes sont toujours détenues après avoir été reconnues
coupables du meurtre du directeur des ressources humaines. Les organisations plaignantes
considèrent que le gouvernement n’a pas mené d’enquête indépendante sur les
circonstances ayant conduit aux événements du 18 juillet 2012 et aux événements
ultérieurs. Elles relèvent avec une profonde préoccupation que huit membres de l’ancien
comité directeur du syndicat se trouvent toujours en détention après avoir été accusés à
tort et jugés collectivement responsables des événements du 18 juillet 2012 sans
qu’aucune enquête indépendante n’ait été diligentée. Elle dénonce également la détention
de travailleurs, depuis quatre ans pour certains, sur la base d’accusations forgées de
toutes pièces.
- 433. Le comité note que, d’après le gouvernement, les événements du
18 juillet 2012 au cours desquels un cadre supérieur a trouvé la mort sont dus à la
violence dont ont fait œuvre les travailleurs lors d’une grève dont la poursuite avait
été interdite par le gouvernement à deux reprises. Le gouvernement indique que, en dépit
des diverses réunions de conciliation et des efforts du ministère du Travail visant à
maintenir le lien tant avec les travailleurs qu’avec la direction, les agissements des
travailleurs en date du 18 juillet 2012 ont dégradé l’environnement de travail. Le
département de la police a enquêté et a engagé des poursuites pénales contre les auteurs
présumés, en application des dispositions du Code pénal. Le gouvernement réfute
l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle les événements n’auraient pas
donné lieu à une enquête et indique qu’une équipe spéciale d’enquête a été constituée
pour enquêter en bonne et due forme sur les événements du 18 juillet 2012 et que, sur la
base de l’enquête, la police a engagé des poursuites contre 148 travailleurs. Tous les
mis en cause ont été traduits devant une juridiction pénale («Sessions Court») et ont eu
le droit de se défendre. Le tribunal a déclaré coupables 31 travailleurs et en a relaxé
117. L’État a formé un recours contre l’acquittement des 117 travailleurs; les
31 travailleurs déclarés coupables ont fait appel de leur condamnation. Le gouvernement
insiste sur le fait que les décisions de justice doivent toujours être respectées et
acceptées, que l’appareil judiciaire est indépendant, que les procédures sont
impartiales et que la justice sera rendue. Le gouvernement indique que la commission des
droits de l’homme d’Haryana s’est saisie d’office du rapport en date du 27 juin 2013 de
la Commission internationale des droits au travail (New York). La commission d’Haryana a
ordonné que la justice se saisisse de l’affaire, et celle-ci est en instance.
- 434. Avant tout, le comité regrette profondément qu’un haut responsable
des ressources humaines ait trouvé la mort et que d’autres hauts responsables aient
souffert d’incapacités physiques lors des événements du 18 juillet 2012. Le comité
rappelle que des sanctions pénales ne devraient être imposées que si, dans le cadre
d’une grève, des actes de violence contre les personnes et les biens ou d’autres graves
violations du droit pénal ordinaire sont commis, et cela sur la base des lois et
règlements qui sanctionnent de tels actes. [Voir Compilation des décisions du Comité de
la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 955.] Le comité rappelle également
que des sanctions pénales ne sont envisageables que si des actes de violence contre des
personnes ou des biens ou d’autres violations du droit commun prévues dans les
dispositions légales sanctionnant de tels actes ont été commis pendant la grève. [Voir
Compilation, paragr. 972.] Le comité croit comprendre que le tribunal a déclaré
coupables 31 travailleurs et en a relaxé 117, et que des recours ont été formés contre
les verdicts de culpabilité et les acquittements. Il croit en outre comprendre que, dans
l’attente de l’examen du recours, sur le nombre de travailleurs déclarés coupables,
13 (dont 8 responsables syndicaux) sont toujours détenus tandis que les autres ont été
libérés sous caution. Le comité rappelle qu’il a déjà relevé que, là où des personnes
sont condamnées pour des raisons sans rapport avec l’exercice des droits syndicaux, la
question échappe à sa compétence. Il a cependant souligné que le point de savoir si une
telle question relève du droit pénal ou de l’exercice des droits syndicaux ne saurait
être tranché unilatéralement par le gouvernement intéressé, mais que c’est au comité
qu’il appartient de se prononcer à ce sujet, après examen de toutes les informations
disponibles et, surtout, du texte du jugement. [Voir Compilation, paragr. 181.] Le
comité fait observer que la copie du (ou des) jugement(s) relatifs aux 13 travailleurs
toujours détenus dans l’attente de l’examen de leur recours n’a pas été fournie. Le
comité prie donc le gouvernement et l’organisation plaignante de lui communiquer une
copie de toutes les décisions de justice pertinentes.
- 435. Le comité note qu’en l’espèce les événements se sont déroulés il y a
près de dix ans, et se dit profondément préoccupé par la lenteur des procédures
judiciaires, qui sont toujours pendantes. Il rappelle l’importance qu’il attache à ce
que les procédures soient menées à bien rapidement étant donné que les lenteurs de la
justice risquent de constituer un déni de justice. [Voir Compilation, paragr. 169 et
170.] Il s’attend fermement à ce que les procédures judiciaires pendantes soient
conclues sans délai supplémentaire.
- 436. Pour ce qui est de l’allégation des organisations plaignantes selon
laquelle à la suite des événements, la direction a licencié 550 travailleurs permanents
et mis fin au contrat de 1 800 travailleurs contractuels, et selon laquelle le
gouvernement n’a pas veillé à ce que les travailleurs licenciés injustement et
sanctionnés collectivement pour les événements du 18 juillet 2012 obtiennent réparation,
et notamment leur réintégration, le comité note que, d’après le gouvernement,
546 travailleurs ont été licenciés par la direction à la suite des événements, que 377
d’entre eux ont fait appel de leur licenciement devant le tribunal du travail et que
leurs affaires sont toujours pendantes. Le gouvernement indique que d’autres mesures
seront prises en application de la décision de justice. Le comité note que, d’après
l’entreprise, dont les observations ont été communiquées par le gouvernement dans sa
réponse, toute réintégration doit faire l’objet d’une décision du tribunal compétent. Le
comité rappelle à cet égard que plus il faut de temps pour qu’une procédure – notamment
concernant la réintégration de syndicalistes – arrive à son terme, plus il est difficile
pour l’organe compétent d’octroyer une réparation juste et appropriée étant donné par
exemple que la situation ayant fait l’objet d’une plainte, souvent, peut avoir changé de
manière irréversible ou que des personnes peuvent avoir été mutées, de sorte qu’il
devient impossible d’ordonner une réparation appropriée ou de revenir à la situation
antérieure. [Voir Compilation, paragr. 1143.] Il rappelle également que le retard pris
pour mener à bien les recours judiciaires qui donnent accès à la réparation réduit par
lui-même l’efficacité de ces recours, étant donné que la situation ayant fait l’objet
d’une plainte, souvent, peut avoir changé de manière irréversible, de sorte qu’il
devient impossible d’ordonner une réparation appropriée ou de revenir à la situation
antérieure. [Voir Compilation, paragr. 1144.] En outre, dans des cas où des procédures
relatives à des licenciements avaient duré plus d’un an, le comité a demandé à
l’autorité judiciaire, afin d’éviter un déni de justice, de se prononcer sur les
licenciements sans retard et souligné qu’une nouvelle prolongation indue de la procédure
pourrait justifier en elle-même la réintégration de ces personnes dans leur poste de
travail. [Voir Compilation, paragr. 1146.] Le comité rappelle que le respect des
principes de la liberté syndicale exige qu’on ne puisse ni licencier des travailleurs ni
refuser de les réintégrer en raison de leurs activités syndicales. Il rappelle en outre
que le gouvernement doit assurer un système de protection adéquat et efficace contre les
actes de discrimination antisyndicale qui devrait inclure des sanctions suffisamment
dissuasives et des moyens de réparation rapides, en insistant sur la réintégration au
poste de travail comme mesure corrective efficace. [Voir Compilation, paragr. 1164 et
1165.] Le comité s’attend fermement à ce que les procédures judiciaires soient conclues
sans délai étant donné que dix ans se sont écoulés depuis les licenciements. S’il
apparaît que des licenciements ont eu lieu à la suite de la participation des
travailleurs concernés à des activités syndicales, le gouvernement doit faire en sorte
que ces travailleurs soient réintégrés dans leur emploi sans perte de rémunération.
[Voir Compilation, paragr. 1169.] Le comité prie le gouvernement de fournir des
informations détaillées concernant le statut de chaque procédure judiciaire en
cours.
- 437. Le comité note que, d’après la CSI-AP, le nouvel accord salarial
annoncé en octobre 2015 ne s’appliquait qu’aux travailleurs permanents, pas aux
travailleurs temporaires, et que la réunion pacifique organisée par les travailleurs
temporaires pour protester contre cette discrimination présumée a été réprimée
violemment par la police. D’après elle plus de 3 000 travailleurs temporaires employés
par l’entreprise revendiquaient l’égalité de salaire avec les permanents et s’étaient
regroupés devant les grilles de l’entreprise pour exprimer leur mécontentement. La
CSI-AP affirme que la police a répondu en matant avec violence les manifestations, que
plusieurs travailleurs ont été blessés et arrêtés et que les personnes arrêtées ont été
libérées sous caution. Le comité prie le gouvernement de présenter ses observations sur
ce cas.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 438. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le
gouvernement et les organisations plaignantes de lui communiquer une copie de toutes
les décisions de justice pertinentes.
- b) Le comité exprime sa profonde
préoccupation quant à la longueur des procédures légales et s’attend fermement à
ce que les procédures judiciaires en cours soient conclues sans délai
supplémentaire,
- c) Étant donné que dix ans se sont écoulés depuis les
licenciements. S’il apparaît que des licenciements ont eu lieu à la suite de la
participation des travailleurs concernés à des activités syndicales, le
gouvernement doit faire en sorte que ces travailleurs soient réintégrés dans
leur emploi sans perte de rémunération. Le comité prie le gouvernement de
fournir des informations détaillées concernant le statut de chaque procédure
judiciaire en cours.Le comité prie le gouvernement de lui présenter ses
observations sur les allégations de la CSI AP concernant la manifestation
d’octobre 2015.