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Allégations: L’organisation plaignante allègue que l’article 66(2)(c) de la loi
sur les relations professionnelles limite la liberté syndicale en restreignant indûment les
grèves secondaires
- 84. La plainte figure dans une communication de l’Association syndicale
des mineurs et des travailleurs de la construction (AMCU) datée du 7 mars 2022.
- 85. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication
datée du 29 avril 2023.
- 86. L’Afrique du Sud a ratifié la convention (no 87) sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le
droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 87. Dans sa communication datée du 7 mars 2022, l’AMCU allègue que son
appel à mener des grèves secondaires dans dix compagnies minières les 28 et 29 février
et le 7 mars 2019 a été rejeté par ces compagnies par la voie de recours en référés
distincts faisant valoir l’article 66(3) de la loi sur les relations professionnelles
(LRA) pour demander au tribunal du travail d’interdire ces grèves secondaires. Selon
l’AMCU, ces appels à la grève secondaire avaient été lancés en soutien à une grève (la
grève principale) en cours à la Sibanye Gold Limited t/a Sibanye Stillwater (ci-après
«l’entreprise a)»). Le 15 mars 2019, le tribunal du travail a déclaré que les grèves
secondaires n’étaient pas protégées et a interdit celles qui faisaient l’objet de
l’appel. Ce jugement a ensuite été confirmé par la Cour constitutionnelle dans l’affaire
AMCU c. Anglo Gold Ashanti Limited t/a Anglo Gold Ashanti et autres (2021).
- 88. L’organisation plaignante allègue que l’entreprise a), qui produit de
l’or et du platine, est le géant de l’industrie minière. Étant donné que les conventions
collectives régissant les salaires et les conditions d’emploi chez plusieurs producteurs
d’or, dont l’entreprise a), devaient expirer le 30 juin 2018, l’AMCU a présenté ses
revendications relatives aux salaires et aux autres conditions d’emploi le 4 juin 2018.
Les négociations concernant les salaires et les conditions d’emploi pour la période
allant du 1er juillet 2018 au 30 juin 2021 ont débuté le 11 juillet sous les auspices du
Conseil des minéraux d’Afrique du Sud (le Conseil des minéraux). Les parties n’étant pas
parvenues à un accord, l’AMCU a saisi la Commission de conciliation, de médiation et
d’arbitrage (CCMA). Le 26 septembre 2018, la CCMA a délivré un certificat de résultat
confirmant que le litige restait non résolu et que l’AMCU et ses membres pouvaient se
mettre en grève.
- 89. L’organisation plaignante allègue en outre que, à l’issue d’un
processus de négociation collective qui a eu lieu le 14 novembre 2018, l’entreprise a) a
conclu un accord salarial intitulé «Révision 2018 2021 des salaires et autres conditions
d’emploi» avec trois autres syndicats, à savoir, le Syndicat national des mineurs (NUM),
Solidarity et l’UASA, dans le but spécifique d’exclure l’AMCU. Dès lors, l’AMCU a déposé
un préavis de grève auprès de l’entreprise et a entamé sa grève principale le
21 novembre. Cette grève s’est poursuivie jusqu’en avril 2019. Une grève secondaire
d’une journée a eu lieu à l’appel de l’AMCU dans les exploitations de platine de
l’entreprise a) le 22 janvier 2019.
- 90. L’organisation plaignante déclare avoir déposé des préavis de grève
les 20 et 21 février 2019 auprès des entreprises minières suivantes: Anglogold Ashanti
Limited; Lonmin Platinum (qui comprenait à l’époque Western Platinum et Eastern Platinum
Limited); Rustenburg Platinum Limited; Harmony Gold Mining Company Limited; Village Main
Reef (Pty) Ltd, Tau Lekoa (Pty) Ltd et Kopanang (Pty) Ltd t/a Village Main Reef; Northam
Platinum Limited; Marula Platinum (Pty) Ltd; Impala Platinum Limited; Glencore
Operations SA (Pty) Ltd; et Bushveld Vametco Alloys (Pty) Ltd (entreprises b) à k)).
L’organisation plaignante déclare que toutes ces entreprises sont membres du Conseil des
minéraux.
- 91. L’AMCU déclare en outre que, lorsqu’elle a cherché à appeler à une
grève secondaire dans ces sociétés, l’entreprise a) «avait déjà commencé à utiliser sa
panoplie d’armes de négociation collective» et avait conclu, le 13 décembre 2018, une
convention collective avec le NUM, Solidarity et UASA, qui était censée être étendue à
l’AMCU et à ses membres conformément à l’article 23(1)(d) de la LRA. L’organisation
plaignante déclare que, en réaction à toutes les mesures prises par l’entreprise a) pour
faire pression sur elle afin qu’elle capitule, elle n’a eu d’autre moyen de
contre-pression que de se lancer dans une action de grève secondaire.
- 92. L’organisation plaignante cite l’article 66(2) de la LRA, où sont
précisées les conditions qui doivent être remplies pour qu’une grève secondaire soit
protégée par la loi, à savoir: a) la grève principale doit être légale; b) l’employeur
secondaire doit recevoir un préavis écrit au moins sept jours avant le début de la grève
secondaire; et c) «la nature et l’étendue de la grève secondaire [doivent être]
raisonnables par rapport à l’effet direct ou indirect que la grève secondaire peut avoir
sur l’activité de l’employeur principal». Selon l’AMCU, les entreprises b) à k) ont
toutes admis que les conditions a) et b) étaient respectées mais ont fait valoir dans
leurs recours en référé que la grève secondaire n’était pas raisonnable au regard de la
condition c) et qu’elle ne devait donc pas être autorisée.
- 93. L’organisation plaignante évoque la décision du tribunal du travail,
qui stipule que, bien que la Constitution de l’Afrique du Sud ne fasse pas de
distinction entre grèves principales et grèves secondaires, la LRA soumet ces dernières
à des restrictions supplémentaires et que l’AMCU n’a pas respecté la condition énoncée à
l’article 66(2)(c) de la loi. Selon l’organisation plaignante, le tribunal du travail
s’est appuyé sur un précédent considérant que le préjudice ou la perte économique
causé(e) à l’employeur secondaire était considérable au regard de l’article 66(2)(c).
Elle déclare en outre que, dans cette affaire, le tribunal du travail a estimé que, en
vertu de l’article 66(2)(c), il n’était pas permis de regrouper un ensemble d’employeurs
secondaires d’un secteur spécifique et d’évaluer l’effet combiné de leur action sur
l’ensemble du secteur, car cela reviendrait à priver chaque employeur de la protection
que lui confère la loi. Ainsi, le tribunal du travail a conclu que l’affaire nécessitait
une évaluation individuelle du cas de chaque employeur secondaire.
- 94. L’organisation plaignante déclare par ailleurs que le tribunal du
travail a rejeté l’argument de l’AMCU selon lequel une grève secondaire de sept jours
aurait un impact financier limité sur les entreprises b) à k), et a estimé que certaines
de ces entreprises étaient déjà dans une situation financière précaire et que des pertes
supplémentaires décourageraient l’investissement et créeraient le risque de nouveaux
licenciements. La décision du tribunal stipule que, bien que le préjudice économique ne
soit pas un facteur permettant d’évaluer le caractère raisonnable d’une grève
principale, dans le cas d’une grève secondaire, il occupe une place importante dans
l’examen de la proportionnalité de l’impact de la grève. Selon l’organisation
plaignante, le tribunal du travail a également examiné le lien entre l’employeur
principal et les employeurs secondaires, à savoir l’entreprise a) et les entreprises b)
à k), et a jugé peu convaincante l’affirmation de l’AMCU selon laquelle ces dernières
pouvaient faire pression sur l’entreprise a) pour qu’elle se rapproche des
revendications du syndicat, leur simple appartenance commune au Conseil des minéraux ne
pouvant contraindre les membres à accepter une position particulière ou les obliger à
négocier de manière centralisée. Le tribunal du travail a en outre estimé que la grève
secondaire proposée n’aurait aucun effet ni sur l’entreprise a), ni sur les négociations
entre celle-ci et l’AMCU, alors qu’elle perturberait le fonctionnement des concurrents
de l’entreprise a), porterait atteinte à l’économie nationale et pourrait entraîner des
pertes d’emplois. Il a donc conclu que la grève secondaire proposée ne satisfaisait pas
au critère de proportionnalité et qu’elle serait déraisonnable. L’organisation
plaignante ajoute que les entreprises b) à k) avaient également exprimé la crainte que
la grève secondaire ne s’accompagne de violences, crainte que le tribunal a considérée,
de prime abord, comme justifiée.
- 95. L’AMCU déclare avoir fait appel de la décision du tribunal du
travail, mais que l’appel a été rejeté au motif que, la grève principale étant terminée,
il n’y avait plus de litige entre les parties et ce dossier était donc sans objet.
L’organisation plaignante a également introduit un recours auprès de la Cour
constitutionnelle, qui a admis le recours mais a estimé à la majorité que la grève
secondaire n’était pas protégée et a statué en faveur des entreprises b) à k) le
12 novembre 2021. L’organisation plaignante a envoyé une copie de cette décision en
annexe de sa plainte.
- 96. À l’appui de sa plainte devant le comité, l’AMCU déclare qu’une grève
secondaire est une expression de la solidarité des travailleurs et un exercice de leur
liberté syndicale. Elle rappelle que l’Afrique du Sud a ratifié les conventions nos 87
et 98 et que la LRA exige expressément des tribunaux qu’ils appliquent la loi d’une
manière conforme aux conventions de l’OIT. L’organisation plaignante déclare que la
position de l’OIT sur les grèves secondaires est qu’elles ne devraient être soumises
qu’à l’obligation de légalité de la grève principale. Considérant que la grève
principale dans l’entreprise a) était protégée, l’organisation plaignante allègue que,
en considérant que la grève secondaire n’était pas protégée, l’arrêt de la Cour
constitutionnelle a violé les normes de l’OIT relatives à la protection des grèves
secondaires et a donc porté atteinte à la liberté syndicale des travailleurs.
L’organisation plaignante cite également l’opinion dissidente de l’un des membres de la
Cour constitutionnelle qui soutient que l’interprétation de l’article 66(2) doit
garantir le respect des obligations de l’Afrique du Sud en tant que membre de l’OIT et
que, par conséquent, compte tenu de la légalité de la grève initiale, la légalité des
grèves secondaires aurait dû être reconnue.
- 97. L’organisation plaignante allègue enfin que «l’article 66(2)(c) de la
LRA limite de manière inappropriée les droits des employés à la liberté syndicale et est
en violation des normes de l’OIT» et demande au comité de recommander au gouvernement
d’Afrique du Sud «d’amender l’article 66(2)(c) de la LRA afin de disposer qu’une grève
secondaire est protégée dès lors qu’une grève principale est protégée», ou de formuler
toute recommandation supplémentaire ou alternative à cet égard. L’AMCU ajoute qu’une
telle modification de la loi ne laissera pas l’employeur secondaire sans protection, car
en cas de grève secondaire, sa capacité à se protéger par les moyens suivants ne sera
pas perturbée: i) la mise en œuvre de la règle «pas de travail, pas de salaire» pour la
période de la grève secondaire; ii) le déclenchement d’un lock-out; iii) la mise en
place de règles en matière de piquets de grève; iv) l’interdiction de la violence en
relation avec la grève; v) la demande d’indemnisation pour toute perte attribuable à une
grève ou à un comportement illégal; et vi) des licenciements équitables et conformes à
la loi pour des raisons liées au comportement d’un employé pendant la grève ou pour une
raison fondée sur les besoins opérationnels de l’employeur.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 98. Dans sa communication du 29 avril 2023, le gouvernement rejette la
plainte et indique que le fait d’habiliter les tribunaux à procéder à une évaluation de
la proportionnalité est tout à fait conforme aux conventions pertinentes de l’OIT. Selon
le gouvernement, l’approche adoptée dans la LRA concernant les grèves secondaires est
raisonnable; elle trouve un juste milieu entre divers intérêts concurrents et laisse en
définitive aux tribunaux indépendants et impartiaux le soin de développer une
jurisprudence sur la signification et le contenu de ce qui est «raisonnable» à cet
égard, en tenant compte des faits particuliers que présente chaque cas. Le gouvernement
fournit aux tribunaux nationaux un compte rendu des faits et de la procédure liés à
l’affaire, lequel concorde avec celui fourni par l’organisation plaignante. Il met
l’accent sur certains passages de l’arrêt de la Cour constitutionnelle renvoyant aux
conventions nos 87 et 98 et note que si aucune des deux conventions ne confère
expressément le droit de grève, les articles 3 et 10 de la convention no 87 invitent le
Comité de la liberté syndicale et la Commission d’experts pour l’application des
conventions et recommandations (la commission d’experts) à élaborer progressivement des
principes sur le droit de grève. La Cour constitutionnelle considère majoritairement que
la commission d’experts a reconnu les intérêts concurrents qui sont en jeu durant des
grèves.
- 99. Le gouvernement cite en outre l’arrêt majoritaire de la Cour
constitutionnelle selon lequel le fait que la commission d’experts et le Comité de la
liberté syndicale aient considéré qu’une interdiction générale des grèves de solidarité
pourrait conduire à des abus «ne signifie pas que celles-ci devraient bénéficier d’une
protection totalement illimitée. La commission d’experts reconnaît l’importance des
grèves de solidarité, mais souligne que la justification du recours à ce type de grève
doit être précisée. Conformément aux normes internationales, l’OIT recommande des
conditions minimums pour les grèves de solidarité». Le gouvernement estime que la cour a
«correctement» jugé que «l’OIT fixe des conditions minimums» et «ne prescrit pas de
conditions procédurales préalables au déclenchement de grèves secondaires, ni aucune
autre condition de fond. Il appartient aux États souverains de déterminer ces questions
dans leur législation nationale. L’article 66(2)(c) répond à la condition minimale de
l’OIT, à savoir, la légalité de la grève principale, mais ajoute des conditions
procédurales et d’autres conditions compatibles avec les négociations et la
Constitution». Le gouvernement revient également sur l’opinion dissidente d’un membre de
la cour, avançant que l’article 66(2)(c) doit être interprété de façon restrictive afin
d’empiéter le moins possible sur le droit de grève; et que l’impact que la grève
secondaire pourrait avoir sur l’activité de l’employeur secondaire n’est pas pertinent
dans le processus de négociation entre l’employeur principal et ses travailleurs,
l’article 66(2)(c) exigeant seulement que la grève secondaire soit raisonnable par
rapport aux activités de l’employeur principal.
- 100. Le gouvernement fournit un compte rendu détaillé des droits des
travailleurs, en particulier le droit de grève, garanti dans la Constitution nationale
[voir paragr. 23], la législation [voir paragr. 64 à 66 de la LRA] et la jurisprudence,
y compris celle de la période historique de transition de l’apartheid à la démocratie.
Dans ce contexte, le gouvernement se réfère également au rapport de la Commission
d’investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale de l’OIT de 1992,
achevé alors que le processus de négociation et de transition vers un système
démocratique était en cours. Le gouvernement indique qu’en 1994 une équipe spéciale a
été nommée pour rédiger un projet de loi sur les relations professionnelles qui
donnerait effet à l’engagement du gouvernement à l’égard des conventions de l’OIT
nos 87, 98 et 111, ainsi qu’aux conclusions de la Commission d’investigation et de
conciliation, serait conforme à la Constitution et contiendrait une reconnaissance des
droits syndicaux fondamentaux en matière d’organisation. En ce qui concerne l’action
syndicale, l’équipe spéciale a recensé plusieurs lacunes dans la législation alors en
vigueur, notamment le fait qu’elle ne donnait pas effet au droit de grève et au recours
au lock-out; les procédures complexes et techniques préalables à la grève;
l’interdiction des grèves socio-économiques; et la possibilité immédiate d’interdire la
grève et de réclamer des dommages-intérêts.
- 101. Le gouvernement indique que la LRA accorde une protection
particulièrement généreuse au droit de grève, qui inclut les grèves secondaires. La Cour
constitutionnelle a confirmé que le droit de grève est un droit «fondé sur la
reconnaissance de disparités dans le pouvoir social et économique détenu par les
employeurs et les employés». La loi s’appuie sur des conceptions distinctes de ce droit:
liberté civile individuelle, aspect de la liberté syndicale et droit à la négociation
collective. Elle protège donc les grèves lorsque certaines conditions de fond et de
procédure liées au processus de négociation collective sont remplies – une grève doit
être précédée d’une conciliation, d’une impasse et d’un préavis à l’employeur – mais
autorise également les actions de manifestation, c’est-à-dire le droit des travailleurs
de suspendre leur travail pour promouvoir ou défendre leurs intérêts socio-économiques
plus larges. Le gouvernement indique en outre que le droit de grève n’est pas absolu et
qu’il peut être limité en vertu de l’article 36 de la Constitution, à condition que
cette limitation soit raisonnable et justifiée. La LRA vise à protéger et à équilibrer
les intérêts des employés et des employeurs tout en protégeant l’intégrité du processus
de négociation collective. Le gouvernement souligne qu’il est tout à fait justifié
d’imposer des limitations raisonnables au droit de grève en cas de violence ou de menace
de violence et qu’une grève protégée peut perdre sa protection lorsque la violence
remplace une négociation collective fonctionnelle et ordonnée.
- 102. Le gouvernement renvoie en outre à plusieurs arrêts de la Cour
constitutionnelle pour démontrer que celle-ci adopte une approche respectueuse des
droits en matière de grève et qu’elle fait preuve d’une grande sensibilité aux
obligations internationales de l’Afrique du Sud au titre des conventions de l’OIT. Les
arrêts cités en référence sont les suivants:
- 103. Concernant l’exercice du droit de grève dans la pratique, le
gouvernement indique que les travailleurs en Afrique du Sud en font régulièrement usage
pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail, ainsi que dans le cadre de
questions disciplinaires et d’autres griefs, de licenciements, en cas de refus de
négocier, pour faire reconnaître des syndicats, etc. Le gouvernement fournit également
des données pour la période 2016-2020, portant sur le nombre de grèves et de jours de
travail perdus, répartis en fonction de la cause principale de litige. Selon ces
données, au cours de cette période, une action secondaire a eu lieu (en 2016), qui a
entraîné la perte de 1 385 jours de travail; toutefois, les données indiquent également
qu’en 2019 et 2020, respectivement, 1 250 et 33 068 jours de travail ont été perdus en
raison d’une action secondaire. Le nombre de différents types d’arrêts de travail au
cours de cette période est résumé dans le tableau ci-dessous:
Période | Grèves dans la société | Piquets de grève | Grève secondaire | Arrêt de travail/
manifestation | Grèves multi-employeurs | Lock-out |
2016 2020 | 415 | 9 | 1 | 92 | 44 | 132 |
| | | | | | |
>
- 104. En ce qui concerne le bien-fondé de la plainte, le gouvernement fait
valoir ce qui suit: i) l’article 66(2)(c) de la LRA ne donne lieu à aucune violation des
conventions; ii) le point précédent est renforcé par la nécessité de prendre en compte
les circonstances du pays et d’accorder une certaine marge d’appréciation aux
juridictions nationales dans la manière précise dont elles réglementent les grèves
secondaires; iii) si les rapports précédents du comité ont mis en garde contre une
«interdiction générale» des grèves secondaires, lus dans leur contexte, ils ne
prétendent pas empêcher aux juridictions nationales d’imposer des exigences de procédure
et de fond pour réglementer les grèves secondaires; et iv) si le fait que l’AMCU n’ait
pas épuisé les voies de recours au niveau national ne constitue pas un obstacle absolu,
il représente cependant une raison supplémentaire de rejeter la plainte.
- 105. Le gouvernement souligne que malgré l’absence de reconnaissance du
droit de grève dans les conventions nos 87 et 98, il admet que ce droit est – comme
l’affirment les organes de contrôle de l’OIT depuis des décennies – un corollaire
intrinsèque du droit d’organisation protégé par les conventions, et qu’il ne prétend en
aucun cas que les travailleurs ne disposent pas d’un droit de grève générale reconnu au
niveau national et international. La question en l’espèce est de savoir si l’Afrique du
Sud est en droit de réglementer le droit de participer à des grèves secondaires en
habilitant les tribunaux nationaux à déterminer, au cas par cas, si le préjudice
qu’elles causent à l’employeur secondaire est proportionnel à l’impact sur l’activité de
l’employeur principal.
- 106. À l’appui de sa thèse selon laquelle l’article 66(2)(c) de la LRA ne
porte pas atteinte aux conventions, le gouvernement avance cinq arguments:
- 107. Le gouvernement ajoute que son argument concernant l’équité et la
justice de l’équilibre entre des intérêts concurrents, tel qu’il ressort de
l’article 66(2)(c) – qui, selon le gouvernement, n’enfreint pas les conventions –
nécessite, a fortiori, que le comité tienne compte des conditions nationales et accorde
un certain degré de flexibilité aux États Membres pour concevoir des mesures
législatives et autres qui protègent le droit de grève de la manière la plus appropriée
à ces conditions. Le gouvernement se réfère à cet égard à la doctrine de la «marge
d’appréciation» développée par la Cour européenne des droits de l’homme et déclare que
la convention no 98 reconnaît la nécessité de tenir compte des conditions nationales
dans ses articles 3 et 4, qui évoquent des organismes et des mesures «appropriés aux
conditions nationales».
- 108. Le gouvernement déclare que la LRA a réglementé les grèves
secondaires de manière à atteindre un équilibre équitable entre les différents groupes
d’intérêt, tout en reconnaissant que le droit de grève est un contrepoids important au
déséquilibre de pouvoir entre les travailleurs et les employeurs. La loi exige donc que
la grève secondaire soit d’une certaine manière liée à l’ambition plus large de la
négociation collective et garantit qu’aucun préjudice disproportionné n’est causé aux
employeurs secondaires. Le gouvernement déclare en outre que les États Membres de l’OIT
réglementent les grèves secondaires de différentes manières et qu’il n’existe aucun
consensus sur la manière de le faire. Le gouvernement cite des extraits de l’arrêt de la
Cour constitutionnelle, dans lequel elle soutient que dans les pays où les grèves
secondaires sont autorisées, elles sont davantage réglementées que les grèves
principales et l’on s’attend à ce que cette réglementation aille au-delà de la légalité
de la grève initiale. Les grèves secondaires se distinguent par leur relation avec la
grève principale. L’arrêt précise que dans des pays comme l’Espagne, l’Italie et la
France, l’exigence va d’un «intérêt professionnel» à un «intérêt suffisant» et que «dans
ces trois juridictions, les tribunaux jouent un rôle clé en donnant un contenu à la
définition, tantôt en la libéralisant, tantôt en la limitant».
- 109. Le gouvernement «fait remarquer» que, dans un contexte où certains
pays interdisent complètement les grèves secondaires, ces interdictions étant confirmées
par des tribunaux réputés, et où d’autres pays les autorisent moyennant divers degrés de
réglementation et de limitation, il serait inapproprié d’établir une règle unique
autorisant toute grève secondaire dès lors que la grève principale est légale. Selon le
gouvernement, si l’OIT peut poser un principe général selon lequel il ne devrait pas y
avoir d’interdiction générale des grèves secondaires et prévoir, comme exigence
«minimale», la légalité de la grève principale, au-delà de cela, il devrait être laissé
aux juridictions nationales le soin de déterminer les contours précis de la
réglementation des grèves secondaires.
- 110. Le gouvernement cite des extraits d’Études d’ensemble de la
commission d’experts et plusieurs décisions antérieures du Comité de la liberté
syndicale qui, selon lui, démontrent que ni la commission ni le comité n’adoptent une
position absolue quant à la protection des grèves secondaires, et qu’un régime national
permettant l’évaluation, par le système judiciaire, de la légalité d’une grève
secondaire sur la base de considérations de proportionnalité est tout à fait compatible
avec les normes de l’OIT. Le gouvernement déclare que la Commission d’experts a établi
la légalité d’une grève principale comme étant la condition «minimale» d’une grève
secondaire légale, et que pour autant que la grève principale est légale, il ne devrait
pas y avoir d’interdiction générale d’une grève secondaire; mais elle ne laisse pas à
entendre qu’un régime instaurant une évaluation de la proportionnalité des grèves
secondaires est inadmissible.
- 111. Se référant à des décisions antérieures du Comité de la liberté
syndicale, le gouvernement souligne les points suivants:
- Dans le cas
no 1 381 [voir 248e rapport, paragr. 418], le comité a reconnu que dans des
circonstances où il n’y a pas d’interdiction générale, certaines restrictions aux
grèves secondaires peuvent être justifiées.
- Dans le cas
no 1 810 [303e rapport], le comité a reconnu que si la grève perdait son caractère
pacifique, des limitations seraient justifiables.
- Dans le cas
no 2 251 [333e rapport], le comité a estimé que si les grèves de solidarité
n’étaient pas expressément interdites par la législation, leur légalité pouvait être
assurée de manière plus générale en s’appuyant sur des précédents judiciaires bien
établis.
- 112. En résumé, le gouvernement déclare que l’organisation plaignante
sort la citation «les travailleurs devraient pouvoir avoir recours à de tels mouvements,
pour autant que la grève initiale qu’ils soutiennent soit elle-même légitime» de son
contexte. En effet, la commission et le comité s’expriment ainsi dans le cadre bien
précis d’une interdiction totale des grèves secondaires et avancent spécifiquement que
des restrictions raisonnables – basées, par exemple, sur la nécessité de respecter
diverses procédures, de garantir la sécurité ou de prévenir la violence – seraient
admissibles. Le gouvernement en conclut que l’approche adoptée à l’article 66(2) de la
LRA est non seulement justifiée sur le plan des principes, mais également cohérente avec
l’approche adoptée par la commission et le comité concernant les violations des
conventions.
- 113. Le gouvernement indique que l’AMCU aurait pu contester la validité
constitutionnelle de l’article 66(2)(c) au motif qu’il limite de manière injustifiée le
droit de grève prévu à l’article 23 de la Constitution, mais qu’elle a préféré contester
l’interprétation et l’application de cette disposition légale qu’en a faites le tribunal
du travail en faisant valoir que, correctement interprétée, la disposition n’implique
pas d’analyse de proportionnalité et que la grève secondaire déclenchée par l’AMCU
aurait dû être protégée. Cet argument n’a pas été retenu par la Cour constitutionnelle.
Selon le gouvernement, compte tenu du principe de la suprématie constitutionnelle, les
tribunaux sud-africains sont expressément tenus de déclarer inconstitutionnelle et
invalide toute loi du Parlement incompatible avec la Constitution dans la mesure de
cette incompatibilité. Comme l’affaire portée devant la Cour constitutionnelle n’était
pas une contestation de la validité constitutionnelle, la cour devait supposer, sans se
prononcer définitivement, que la disposition était conforme à la Constitution. Par
conséquent, le gouvernement soutient que tant que l’AMCU n’aura pas contesté la
constitutionnalité de l’article 66(2)(c) devant un tribunal sud-africain, il serait
prématuré et inapproprié pour le comité de se prononcer sur le respect des conventions
par le gouvernement.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 114. Le comité note que cette affaire concerne le cadre juridique
régissant les grèves de solidarité en Afrique du Sud, en particulier la section 66(2)(c)
de la loi sur les relations professionnelles (LRA), et son interprétation à travers des
précédents judiciaires contraignants. Les trois premiers paragraphes de l’article 66
énoncent ce qui suit:
- Dans le présent article, l’expression «grève secondaire»
désigne une grève, ou des agissements en vue ou dans le cadre d’une grève, qui
soutient une grève menée par d’autres employés contre leur employeur; elle n’englobe
pas les grèves visant à faire aboutir une revendication qui a été soumise à un
conseil si les employés en grève, employés dans le champ d’application enregistré de
ce conseil, ont un intérêt substantiel dans cette revendication.
- Nul ne peut
participer à une grève secondaire sauf si:
- a) la grève à soutenir est
conforme aux dispositions des articles 64 et 65;
- b) l’employeur des
travailleurs participant à la grève secondaire ou, le cas échéant, l’organisation
d’employeurs à laquelle cet employeur est affilié a reçu un préavis écrit de la
grève secondaire envisagée au moins sept jours avant le début de celle-ci;
et
- c) la nature et l’ampleur de la grève secondaire sont raisonnables par
rapport à l’effet direct ou indirect qu’elle peut avoir sur l’activité de
l’employeur principal.
- Sous réserve des paragraphes 2 et 3 de l’article 68,
un employeur secondaire peut demander au tribunal du travail d’interdire ou de
limiter une grève secondaire qui contrevient au paragraphe 2 de
l’article 66.
- 115. Le comité note en outre d’emblée l’argument du gouvernement selon
lequel «tant que l’AMCU n’aura pas contesté la constitutionnalité de l’article 66(2)(c)
devant un tribunal sud-africain, il serait prématuré et inapproprié pour le comité de se
prononcer sur le respect des conventions par le gouvernement». Il rappelle que «si le
recours à la procédure judiciaire interne, quel qu’en soit le résultat, constitue un
élément qui doit, certes, être pris en considération, le comité a toujours estimé, étant
donné la nature de ses responsabilités, que sa compétence pour examiner les allégations
n’est pas subordonnée à l’épuisement des procédures nationales de recours». [Voir
Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018,
paragr. 12.] Le comité poursuivra donc son examen de la législation nationale régissant
les grèves secondaires et de l’interprétation récente de la Cour constitutionnelle afin
de déterminer si la législation et la pratique en Afrique du Sud sont telles qu’elles
constituent un obstacle sérieux au déclenchement de grèves secondaires ou qu’elles
aboutissent, dans la pratique, à une interdiction générale.
- 116. Le comité prend note de l’allégation de l’organisation plaignante
selon laquelle, malgré la légalité incontestée de la grève principale, le tribunal du
travail a interdit les grèves secondaires auxquelles elle avait appelé dans dix sociétés
minières au motif du non-respect de l’article 66(2)(c) de la LRA, jugement que la Cour
constitutionnelle d’Afrique du Sud a confirmé, de même que l’interprétation de la loi
sur laquelle il était fondé. Le comité note que l’organisation plaignante soutient que,
pour respecter ses obligations internationales, l’Afrique du Sud ne devrait soumettre
les grèves secondaires qu’à l’exigence de légalité de la grève principale et que, par
conséquent, l’article 66(2)(c) de la LRA limite indûment le droit des employés à la
liberté syndicale et devrait être modifié de façon à disposer qu’une grève secondaire
est protégée si la grève principale l’est. Le comité note en outre que le gouvernement
soutient à cet égard que l’article 66(2)(c) n’enfreint pas les obligations
internationales de l’Afrique du Sud, et que la légalité d’une grève principale n’est
qu’une exigence minimale fixée par les organes de contrôle de l’OIT, au-delà de laquelle
il convient de laisser aux juridictions nationales le soin de déterminer les contours
précis de la réglementation des grèves secondaires.
- 117. Le comité prend bonne note des informations détaillées fournies par
le gouvernement sur les mesures prises pour garantir le droit de grève, y compris les
grèves secondaires, dans le pays et de sa référence à plusieurs arrêts de la Cour
constitutionnelle démontrant que celle-ci a adopté une approche sensible aux droits en
matière de grève et a fait preuve d’une conscience aiguë des obligations internationales
de l’Afrique du Sud au titre des conventions de l’OIT. Le comité observe enfin que c’est
la première fois que l’article 66 et son application sont contestés devant le
comité.
- 118. Le comité rappelle que, dans le cadre de la législation nationale
régissant la grève, il a déclaré que «les conditions posées par la législation pour
qu’une grève soit considérée comme un acte licite doivent être raisonnables et, en tout
cas, ne pas être telles qu’elles constituent une limitation importante aux possibilités
d’action des organisations syndicales». [Voir Compilation, paragr. 789.] Au fil des ans,
il a examiné la restriction des mouvements de grève dans des contextes spécifiques et a
estimé que certaines restrictions, contrairement à d’autres, constituaient une violation
de la liberté syndicale, et il a toujours mené ses travaux à cet égard au cas par
cas.
- 119. Compte tenu de ce qui précède, le comité note les efforts déployés
par le gouvernement pour garantir pleinement la liberté syndicale, en particulier le
droit de grève. Le Comité tient à préciser qu’il ne se prononce pas quant à la
conformité de l’article 66(2) de la Loi sur les relations professionnelles avec la
liberté syndicale. Le comité invite le gouvernement, ainsi que les organisations
représentatives de travailleurs et d’employeurs d’assurer un suivi continu de
l’application de l’article 66(2) et, le cas échéant, d’envisager les mesures nécessaires
afin de garantir le respect de la liberté syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 120. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité recommande au Conseil
d’administration de décider que le présent cas n’appelle pas un examen plus
approfondi.