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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 318, Novembre 1999

Cas no 1999 (Canada) - Date de la plainte: 15-DÉC. -98 - Clos

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119. Le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte contre le gouvernement du Canada (Saskatchewan) pour violation de la liberté syndicale dans une communication du 15 décembre 1998. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s'est associée à la plainte par une communication en date du 21 décembre 1998.

  1. 119. Le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte contre le gouvernement du Canada (Saskatchewan) pour violation de la liberté syndicale dans une communication du 15 décembre 1998. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s'est associée à la plainte par une communication en date du 21 décembre 1998.
  2. 120. En réponse à ces allégations, le gouvernement fédéral a transmis la réponse du gouvernement de la Saskatchewan dans une communication datée du 13 avril 1999.
  3. 121. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 122. La plainte se réfère à la loi sur le maintien de la société de l'énergie de la Saskatchewan, 1998 (ci-après projet de loi 65), qui a mis fin à un conflit collectif de travail sévissant au sein de cette société d'Etat et qui a également prorogé la convention collective expirée, imposé de nouveaux taux salariaux et interdit tout arrêt de travail lié à une grève ou un lock-out.
    • Exposé des faits
  2. 123. Le Syndicat des travailleurs de l'électricité, section 2067 (IBEW), affilié au Congrès du travail du Canada (CLC), représente 1 130 travailleurs de la société de l'énergie de la Saskatchewan (SaskPower). Tous ces travailleurs sont couverts par les dispositions de la loi de base sur les syndicats qui prévoit expressément leur droit de s'organiser et de négocier collectivement.
  3. 124. Au regard de la loi sur les syndicats, IBEW est, depuis le 9 juin 1966, l'agent de négociation exclusif pour les travailleurs de l'électricité employés par SaskPower.
  4. 125. La dernière convention collective conclue entre le syndicat et la société d'Etat a été signée le 1er janvier 1995 et est venue à échéance le 31 décembre 1997. Le 3 novembre 1997, IBEW a transmis à SaskPower le préavis légal en vue d'initier la négociation collective. Les parties se sont rencontrées à de nombreuses reprises par la suite et ont même conclu un projet d'entente, au début de 1998; toutefois, le conseil d'administration de SaskPower a refusé de l'entériner et, en août 1998, les négociations ont dû reprendre sur l'ensemble des questions en litige.
  5. 126. L'organisation plaignante allègue que, dès la reprise des négociations, les représentants de SaskPower se sont dits liés par les lignes directrices du gouvernement relatives aux salaires dans la fonction publique. En vue de résoudre la question salariale, IBEW a proposé le recours à l'arbitrage; ni SaskPower ni le gouvernement n'ont accepté cette proposition.
  6. 127. L'organisation plaignante soutient que les négociations se sont par la suite enlisées; le 24 septembre 1998, IBEW et SaskPower ont échangé des préavis respectifs de grève et de lock-out devenant tous deux effectifs le 26 septembre 1998. Dès l'envoi du préavis de grève, le syndicat a ordonné la cessation de toutes heures supplémentaires qui n'étaient pas strictement nécessaires et l'interruption de tout service sur appel.
  7. 128. L'organisation plaignante précise que le 5 octobre 1998 l'employeur a mis en oeuvre les mesures de lock-out annoncées; quelque 652 travailleurs d'IBEW ont été affectés. Les services de base des centrales d'énergie ont été maintenus par des employés de la direction. Toutefois, les domaines de la transmission et de la distribution de l'électricité n'ont pas été affectés.
  8. 129. L'organisation plaignante rappelle que, entre les 10 et 12 octobre 1998, une violente tempête de neige a affecté le territoire de la Saskatchewan. IBEW a, dans ces conditions exceptionnelles, accepté de collaborer pleinement avec SaskPower; ses affiliés ont travaillé de longues heures durant cette fin de semaine et la semaine suivante en vue d'assurer que tous les résidents de la Saskatchewan ne soient pas trop durement affectés par une défaillance du courant pendant la tempête. Bien que les affiliés d'IBEW aient manifesté leur volonté de retourner au travail dans les centrales d'énergie, SaskPower a toutefois refusé de lever les mesures de lock-out les affectant.
  9. 130. L'organisation plaignante précise que, le 15 octobre 1998, le gouvernement de la Saskatchewan aurait sommé IBEW de retirer son préavis de grève dans les vingt-quatre heures et l'aurait requis de reprendre toutes les opérations normales. En outre, le gouvernement aurait informé IBEW qu'il devait accepter les augmentations salariales proposées. IBEW considérait cette situation inacceptable.
  10. 131. C'est dès lors dans ces circonstances que le Parlement de la Saskatchewan s'est réuni le 19 octobre 1998 et a adopté, le même jour, la loi sur le maintien de la société d'énergie de la Saskatchewan, 1998 (projet de loi 65). Cette loi est entrée en vigueur immédiatement. Les affiliés d'IBEW ont dû reprendre le travail la journée suivante.
    • Contenu de la loi
  11. 132. L'organisation plaignante souligne que le projet de loi 65 proroge la dernière convention collective signée entre IBEW et SaskPower pour une période additionnelle de trois ans devant expirer le 31 décembre 2000. En outre, le projet de loi 65 prévoit des augmentations salariales de 2 pour cent par année pendant trois ans et, si les parties ne peuvent s'entendre, une augmentation de 1 pour cent en ce qui concerne les indemnités.
  12. 133. Au regard de l'article 8 du projet de loi 65, le syndicat ne peut déclarer de grève pendant la période de prorogation de la convention collective. En cas de non-respect des dispositions de la loi, des amendes maximales de 2 000 dollars pour chaque jour où le délit perdure sont prévues.
  13. 134. L'organisation plaignante insiste sur le fait que le projet de loi 65 fait table rase des droits et privilèges prévus au regard de la loi organique sur les syndicats. En effet, IBEW s'est vu refuser le droit à la négociation collective; il s'est également vu interdire toute action en vue de promouvoir et défendre les droits et intérêts de ses membres. En fait, le gouvernement a remplacé la libre négociation collective par une action législative unilatérale qui impose les conditions d'emploi des travailleurs concernés. Il a ainsi violé, selon l'organisation plaignante, les principes de la liberté syndicale, et notamment les dispositions des conventions nos 87, 98, 151 et 154.
  14. 135. L'organisation plaignante insiste sur le fait que la loi de retour au travail a été adoptée à la suite de mesures de lock-out affectant plus de la moitié des employés de l'unité de négociation. A aucun moment, le syndicat n'a mis en péril la sécurité du public. L'organisation plaignante soutient en conséquence que, dans le cas d'espèce, les éléments qui auraient pu justifier un recours à une mesure législative faisaient défaut; c'est l'employeur, et non les travailleurs, qui est le seul responsable des dommages qui auraient pu être constatés.
  15. 136. Enfin, l'organisation plaignante souligne que le gouvernement n'a pas pris les mesures nécessaires en vue de chercher une solution au différend opposant les parties; même la proposition d'IBEW de soumettre le différend à l'arbitrage a été refusée. Le gouvernement a préféré avoir recours à une loi de retour au travail incluant des augmentations salariales qui correspondaient aux lignes directrices fixées pour les salaires dans la fonction publique.
  16. 137. En conclusion, l'organisation plaignante insiste sur le fait que le gouvernement n'a pas réellement tenté de régler le différend par la négociation de bonne foi mais a préféré plutôt avoir recours à une mesure législative imposée unilatéralement. Selon l'organisation plaignante, il s'agit d'une manière tout à fait inacceptable de procéder compte tenu de l'engagement du gouvernement de respecter et de recourir à la libre négociation collective.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 138. D'emblée, le gouvernement reconnaît l'importance de la libre négociation collective et réitère son soutien à l'égard de ce principe fondamental. Le gouvernement rappelle d'ailleurs que ce droit a été incorporé dans la loi organique sur les syndicats.
  2. 139. En outre, le gouvernement indique que la plupart des travailleurs soumis aux lois votées par la législature de la province ont le droit de faire la grève. Toutefois, il rappelle que les travailleurs oeuvrant dans les services essentiels peuvent voir ce droit limité, même interdit.
  3. 140. C'est dans ce contexte que le gouvernement de la Saskatchewan a adopté le projet de loi 65; par cette mesure de dernier recours, le gouvernement a voulu mettre un terme à un conflit du travail qui, par les interruptions de courant électrique qu'il impliquait durant la saison hivernale, était susceptible de causer de sérieux préjudices aux résidents de la Saskatchewan; le gouvernement estime avoir ainsi assumé son rôle visant la protection du public.
  4. 141. Le gouvernement rappelle également les faits à l'origine de la plainte; la convention collective entre SaskPower et IBEW est venue à terme le 31 décembre 1997. Entre le mois de novembre 1997 et celui d'avril 1998, date à laquelle un projet d'entente a été signé, le gouvernement précise que plus de 37 rencontres de négociation ont eu lieu entre les parties.
  5. 142. Le gouvernement indique également que, le 22 avril 1998, le conseil d'administration de SaskPower a informé IBEW que le projet d'entente ne pouvait être entériné en raison du fait que le total des salaires négociés excédait les lignes directrices fixées pour le secteur public à cet égard. Le gouvernement indique que ces lignes directrices ont été mises en oeuvre en vue de respecter l'engagement gouvernemental d'équilibrer et stabiliser le budget de la province. En effet, le gouvernement s'est engagé au début des années quatre-vingt-dix à réduire l'importante dette accumulée durant les années quatre-vingt et a mis en oeuvre différentes mesures à cet égard.
  6. 143. Le gouvernement indique que le conseil d'administration de SaskPower a dès lors souhaité rouvrir les négociations afin de respecter les lignes directrices fixées pour les salaires dans la fonction publique. Bien que les affiliés d'IBEW aient voté en faveur de la grève, des réunions de négociation ont été tenues au cours des mois de mai et juin 1998. Des médiateurs ont même participé à ces réunions sans qu'une entente ne soit conclue.
  7. 144. Le gouvernement spécifie qu'en août 1998 IBEW a suggéré de soumettre le différend relatif aux salaires à l'arbitrage tout en précisant que, s'il n'y avait pas d'entente à cet égard avant le 26 septembre, le syndicat initierait les mesures de grève. Dans ce contexte, le 24 septembre, IBEW a notifié son intention de faire grève tel que requis par la législation provinciale et a immédiatement ordonné la cessation de toutes heures supplémentaires qui n'étaient pas strictement nécessaires et tout travail sur appel.
  8. 145. Le gouvernement ajoute que le 30 septembre 1998 SaskPower a soumis une offre de règlement venant à échéance le 15 octobre suivant. Toutefois, IBEW a indiqué que cette offre ne pouvait être soumise au vote de ses affiliés avant le 26 octobre. C'est dans ces circonstances que, le 5 octobre, SaskPower a pris les mesures de lock-out à l'égard des affiliés d'IBEW travaillant au sein des centrales d'énergie.
  9. 146. Le gouvernement rappelle aussi qu'une tempête de neige a affecté la province durant la fin de semaine du 10 octobre 1998. Bien que le gouvernement reconnaisse que les affiliés du syndicat ont répondu aux requêtes de SaskPower en vue de rétablir le courant électrique dans cette situation d'exception, le gouvernement indique qu'il a alors pleinement réalisé le haut risque auquel étaient soumis les résidents de la Saskatchewan, s'ils étaient privés d'électricité pendant la période hivernale. Compte tenu de l'importance de ce service, le Premier ministre de la province a instamment prié les parties, le 15 octobre 1998, de régler leur différend. Malheureusement, elles n'ont pas réussi à s'entendre.
  10. 147. Le gouvernement s'est dès lors vu obligé de recourir à une mesure législative; le projet de loi 65 a été adopté et mis en oeuvre le 19 octobre 1998. Le gouvernement rappelle que le projet de loi 65 avait pour but de mettre un terme à tout arrêt de travail incluant le lock-out, proroger la convention collective pour une période de trois ans et mettre en oeuvre les lignes directrices relatives aux salaires dans la fonction publique au sein de SaskPower en prévoyant une augmentation salariale de 2 pour cent sur trois ans et en permettant aux parties de s'entendre sur une augmentation additionnelle de 1 pour cent relative aux indemnités.
  11. 148. Le gouvernement insiste sur le fait que l'utilisation d'une loi de retour au travail est une mesure tout à fait exceptionnelle. En l'espèce, le gouvernement affirme avoir été placé dans une situation qui menaçait les résidents de la Saskatchewan. Le gouvernement voulait éviter que de trop lourds préjudices ne leur soient causés en raison de l'interruption du courant électrique. Le gouvernement affirme avoir opposé, d'une part, les intérêts liés au maintien de saines relations professionnelles entre SaskPower et IBEW et, d'autre part, ceux de la population de la Saskatchewan en général. L'intérêt public a prévalu et l'a finalement forcé à agir.
  12. 149. Le gouvernement explique qu'il a adopté le projet de loi 65 en vue d'éviter une crise. Au moment de l'adoption du projet de loi 65, l'entretien du réseau électrique n'était pas exécuté et le gouvernement craignait que d'autres pannes de courant viennent menacer la sécurité du public et interrompent la vie économique et sociale. Il était également indiscutable que le processus de négociation s'était enlisé dans une impasse et que le gouvernement ne pouvait assumer le risque d'une augmentation des mesures revendicatrices au cours des périodes automnale et hivernale très arides.
  13. 150. Le gouvernement fournit quelques informations relatives à SaskPower qui révèle son importance en termes de producteur et fournisseur d'énergie électrique pour la province entière. Plus d'un million de résidents ont recours à l'énergie électrique, notamment au cours des durs mois d'hiver lorsque l'énergie solaire est réduite à son minimum et que la température frôle facilement les -30 et -40oC. L'électricité est dès lors vitale pour toute l'infrastructure économique de la province puisque c'est la principale source d'énergie qui est utilisée dans les maisons privées, les hôpitaux, les écoles, les institutions et les industries. Toute panne affecte immédiatement la population, particulièrement durant l'hiver, compte tenu du fait qu'il n'existe pas de source d'énergie alternative. Les réparations et l'entretien des lignes électriques sont dès lors critiques en vue d'assurer la fourniture de l'électricité nécessaire aux habitants de la Saskatchewan.
  14. 151. Le gouvernement explique que le projet de loi 65 était la seule mesure à laquelle il pouvait avoir recours après dix mois de négociation qui n'avaient pas permis de parvenir à une entente. Bien que le gouvernement soit réfractaire à de telles mesures législatives, la sécurité et la santé de la population de la Saskatchewan l'ont poussé à le faire. Bien que le projet de loi 65 proroge la convention collective antérieurement signée pour une période additionnelle de trois ans, le gouvernement estime que cette mesure est compatible avec les principes de la liberté syndicale qui prévoient que l'intervention des autorités publiques est possible lorsqu'elle est justifiée par des raisons de justice sociale et d'intérêt public. Le gouvernement estime que c'est précisément le cas en l'espèce. Bien que cette mesure ait été imposée de manière législative, les affiliés d'IBEW se sont vu assurer le maintien de leur niveau de vie par les augmentations salariales prévues. Le projet de loi 65 prévoit également le paiement intégral des travailleurs contre lesquels les mesures de lock-out ont été prises.
  15. 152. En outre, le gouvernement explique qu'il avait déjà informé IBEW qu'il ne pourrait recourir à l'arbitrage en vue de régler le différend du travail. En effet, le gouvernement estime qu'il existait de grands risques que l'arbitrage impose une augmentation salariale qui ne respecterait pas les lignes directrices préalablement fixées, précédent qui pourrait par la suite être invoqué par les autres syndicats.
  16. 153. Le gouvernement reconnaît également que le projet de loi 65 a été adopté de manière expéditive et sans consultation. Cependant, il était clair que le projet de loi 65 allait faire l'objet de controverses et que son adoption rapide était cruciale. Le gouvernement a estimé que le risque croissant auquel était soumis le public justifiait une action législative prise dans les plus brefs délais.
  17. 154. En conclusion, le gouvernement rappelle que les négociations entreprises entre SaskPower et IBEW n'avaient pas, après dix mois, permis aux parties de s'entendre. Le gouvernement insiste sur le fait qu'il ne limite pas généralement les droits syndicaux des travailleurs qui oeuvrent dans les domaines essentiels. Toutefois, lorsque les différends du travail impliquent une menace pour la sécurité du public, le gouvernement se doit d'agir rapidement en vue de protéger l'intérêt général.
  18. 155. Le gouvernement prie dès lors le comité de prendre en considération les circonstances atténuantes qui l'ont forcé à adopter le projet de loi 65 et à conclure que ce projet de loi est une mesure exceptionnelle, le gouvernement ayant fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter une intervention dans le processus de libre négociation des conditions de travail des personnes concernées. Le gouvernement insiste sur le fait que le projet de loi 65 est limité à ce qui est essentiel et qu'il vise à assurer l'approvisionnement électrique et garantit aux travailleurs concernés le maintien de leur niveau de vie. Enfin, le gouvernement estime que la durée du projet de loi 65 est raisonnable; dès le 31 décembre 2000, SaskPower et IBEW pourront reprendre librement leurs négociations en vue de conclure une convention collective.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 156. Ce cas se réfère à l'adoption par le gouvernement de la province de la Saskatchewan de la loi sur le maintien de la société d'énergie de la Saskatchewan, 1998 (ci-après projet de loi 65), qui a ordonné le retour au travail au sein de cette société, prorogé pour une durée de trois ans la convention collective antérieurement conclue et fixé les augmentations salariales. Toute mesure de grève ou de lock-out est pendant cette période de trois ans interdite.
  2. 157. Le comité observe que l'organisation plaignante et le gouvernement semblent s'accorder dans l'ensemble sur la description des événements qui ont abouti à l'adoption du projet de loi 65 et qui peuvent être résumés ainsi.
  3. 158. Le Syndicat des travailleurs de l'électricité, section 2067 (IBEW), est l'agent accrédité depuis 1966 pour mener les négociations collectives et conclure toute entente avec l'employeur, la société d'énergie de la Saskatchewan (SaskPower). IBEW et SaskPower ont conclu une convention collective le 1er janvier 1995 venant à échéance le 31 décembre 1997. En novembre 1997, et ce en conformité avec les dispositions de la loi applicable, les parties ont entamé le processus de négociation collective en vue de conclure une nouvelle convention; en fait, dès le début de l'année 1998, les parties ont signé une entente provisoire qui ne fut pas entérinée par le conseil d'administration de SaskPower. Pour justifier ce refus, SaskPower soutenait que les augmentations salariales négociées excédaient les lignes directrices qui avaient été fixées par le gouvernement en ce qui concerne les salaires dans la fonction publique.
  4. 159. SaskPower et IBEW ont dès lors repris leurs pourparlers sur l'ensemble des questions au cours de l'été 1998. Ils conviennent que bien qu'ils se soient rencontrés à diverses reprises, les négociations se sont enlisées en septembre 1998. Le 24 septembre, les parties ont déposé des préavis de grève et de lock-out, tous deux effectifs quarante-huit heures plus tard. Toutefois, le syndicat a immédiatement cessé toutes heures supplémentaires qui n'étaient pas strictement nécessaires et interrompu tout service sur appel.
  5. 160. Pour sa part, SaskPower a mis en oeuvre, le 5 octobre 1998, des mesures de lock-out à l'égard des affiliés d'IBEW oeuvrant au sein des centrales d'énergie. Ces mesures ont entraîné l'interruption de certains services -- dont l'entretien du réseau électrique -- qui ne pouvaient pas être exécutés par les employés de la direction de ces centrales.
  6. 161. Tous s'entendent sur l'importance de la tempête de neige qui a sévi au cours de la fin de semaine du 10 au 12 octobre 1998 et soulignent la coopération des affiliés d'IBEW au cours de ces journées et de la semaine qui a suivi en vue d'assurer que les résidents de la province ne soient pas trop touchés par les pannes de courant causées par ce sinistre. Bien que les mesures de lock-out aient été en vigueur, IBEW aurait même suggéré que ses membres retournent travailler aux centrales d'énergie, offre que SaskPower a refusée.
  7. 162. Après cette date, le gouvernement a estimé nécessaire de mettre un terme à ce conflit de travail et protéger avant tout l'intérêt et la sécurité publics.
  8. 163. C'est dès lors dans ce contexte que le projet de loi 65 a été adopté le 19 octobre 1998 de manière, au dire même du gouvernement, excessivement expéditive et sans consultation préalable.
  9. 164. Le projet de loi 65 prévoit, en son article 3, que tout arrêt de travail dû tant aux travailleurs qu'à l'employeur doit cesser immédiatement. Le projet de loi 65 proroge les dispositions de la convention collective conclue en 1995 jusqu'au 31 décembre 2000 et fixe les conditions salariales des employés concernés, c'est-à-dire une augmentation de 2 pour cent sur trois ans (6 pour cent) en ce qui concerne le salaire et de 1 pour cent pour ce qui est des indemnités (art. 7). Pendant la période pour laquelle la convention collective est prorogée, toute mesure de grève ou de lock-out est interdite (art. 8). Toute personne qui enfreindrait les dispositions du projet de loi 65 pourrait se voir condamnée à payer d'importantes amendes (art. 9).
  10. 165. Il ne semble pas être contesté en l'espèce que le service fourni par SaskPower, c'est-à-dire la fourniture et la distribution d'électricité, principale source d'énergie disponible dans la province, soit un service essentiel au sens strict du terme, c'est-à-dire un service dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Le comité rappelle qu'il a déjà considéré dans des cas précédents les services d'électricité comme service essentiel. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 544.)
  11. 166. Toutefois, le comité se doit de rappeler que, dans le cas de services essentiels dont les interruptions peuvent être limitées, voire interdites, par les autorités publiques, il est essentiel, au regard des principes de la liberté syndicale, que les personnes concernées bénéficient d'une protection adéquate de manière à compenser les restrictions qui auraient été imposées à leur liberté d'action pendant les différends survenus dans lesdites entreprises ou lesdits services. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 546.) Il pourrait s'agir de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 547.)
  12. 167. En l'espèce, le comité observe que le système des relations professionnelles de la province de la Saskatchewan ne paraît pas prévoir de telles garanties. Le comité note également que le syndicat concerné aurait suggéré de recourir à l'arbitrage, mais que cette offre a été déclinée par l'employeur. Le gouvernement a estimé que seule l'action législative unilatérale lui permettrait de respecter les lignes directrices gouvernementales relatives à la négociation des salaires dans la fonction publique.
  13. 168. La question de la négociation collective dans le secteur public a, à de nombreuses occasions, attiré l'attention du comité qui a souligné être conscient de ses particularités. Reprenant les propos de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le comité a souligné que la négociation collective dans le secteur public "exige la vérification des ressources disponibles au sein des différents organismes ou entreprises publics, de ce que ces ressources dépendent du budget de l'Etat et de ce que la période de validité des conventions collectives du secteur public ne coïncide pas toujours avec celle de la loi relative à ce budget, ce qui peut poser des difficultés". Dans ces conditions, le comité tout comme la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations ont estimé compatibles avec les principes de la liberté syndicale les dispositions législatives qui permettent au Parlement ou à l'organe compétent en matière budgétaire de fixer une "fourchette" pour les négociations salariales ou d'établir une "enveloppe" budgétaire globale dans le cadre desquelles les parties peuvent négocier les clauses monétaires ou normatives. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 899.) Le comité insiste toutefois sur le fait que, dans ce processus, les travailleurs et leurs organisations doivent être pleinement consultés dans la détermination de ce cadre global de négociation, ce qui implique notamment qu'ils aient à leur disposition toutes les données financières, budgétaires ou autres leur permettant d'apprécier la situation en toute connaissance de cause.
  14. 169. Le comité estime que, si de telles conditions avaient été respectées, c'est-à-dire en l'espèce qu'une "fourchette" ou enveloppe budgétaire avait été fixée en consultation avec les travailleurs concernés et leurs organisations, les hésitations du gouvernement en ce qui a trait au recours à l'arbitrage n'auraient pu que s'estomper, voire disparaître. Le respect d'une telle procédure, garantissant transparence et consultation préalable des travailleurs concernés et de leurs organisations aurait permis au gouvernement d'éviter le recours aux mesures législatives intempestives qui ne peuvent être qu'un obstacle à l'établissement de saines relations professionnelles. Le comité prie dès lors le gouvernement de bien vouloir explorer cette possibilité dans le futur en consultation avec les parties concernées et de le tenir informé à cet égard.
  15. 170. En tout état de cause, le comité déplore que le gouvernement ait adopté le projet de loi 65 de manière aussi rapide et sans faire précéder son adoption de consultations appropriées avec les parties concernées et prie le gouvernement de mettre ce texte de loi en conformité avec les principes de la liberté syndicale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 171. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Déplorant que le gouvernement ait adopté le projet de loi 65 de manière aussi expéditive et sans consultation, et estimant que, dans le cas d'espèce, si une fourchette ou enveloppe budgétaire avait été fixée en consultation avec les travailleurs concernés et leurs organisations, les hésitations du gouvernement à l'égard de procédures arbitrales se seraient estompées, voire auraient disparu, le comité prie le gouvernement de bien vouloir explorer cette possibilité dans le futur en consultation avec les parties concernées et de le tenir informé à cet égard.
    • b) Le comité prie le gouvernement de mettre le texte de la loi 65 en conformité avec les principes de la liberté syndicale.
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