Migration économique

La parole aux personnels de santé émigrés

Un documentaire produit par l'OIT relate les opportunités et les obstacles auxquels sont confrontés les personnels de santé philippins qui font le choix de la migration.

Reportage | Manille, Philippines | 2 mars 2015
Ellen Dollaga ©ILO/DWAB APFI
MANILLE (OIT Info) – C’est la perspective d’offrir un avenir meilleur à son fils qui a conduit Ellen Dollaga à le quitter, lui, ainsi que sa famille et son pays. A 27 ans, cette jeune mère célibataire est partie des Philippines pour aller travailler comme infirmière à Taïwan (Chine).

«J’ai quitté mon bébé quand il n’avait que 6 mois», se souvient Ellen Dollaga. «Pour une mère, c’est important de voir et d’entendre son bébé dire Maman, dire ses premiers mots et faire ses premiers pas. Pourtant, j’ai sacrifié tout cela et beaucoup de moments joyeux pour gagner de l’argent. Il y a eu une époque où mon fils ne connaissait pas sa mère».

Après avoir travaillé deux ans dans un établissement de soins à Taïwan, Ellen Dollaga est retournée aux Philippines. Son expérience de travail l’étranger et sa connaissance d’une langue étrangère lui ont ouvert de nouvelles possibilités: elle fut sélectionnée pour rejoindre le premier contingent d’infirmières philippines qualifiées pour aller travailler en Allemagne dans le cadre d’un accord de mobilité bilatéral.

Ellen Dollaga atteste l’intérêt de cet accord de mobilité: «Grâce à cet accord bilatéral, les infirmières n’ont plus à payer les honoraires de placement. La durée de traitement prend trois ou quatre moins, voire moins. Pour notre part, cela nous fait gagner du temps, économiser des efforts et bien sûr de l’argent».

Elle travaille à présent comme infirmière à Francfort, en Allemagne, et tient sa promesse de subvenir aux besoins de sa famille. «Mon objectif est de faire venir mon fils en Allemagne d’ici trois à cinq ans. Si je peux déposer une demande pour mes parents, alors je prendrai soin d’eux en même temps que de mon enfants».

Les liens familiaux

Leonor Fruto ©ILO/DWAB APFI
Pour Leonor Fruto, infirmière de pratique avancée aux Etats-Unis, c’est la famille qui l’a fait revenir aux Philippines. «Ma mère vivait avec moi aux Etats-Unis et souffrait de démence. J’ai éprouvé la nécessité de la ramener au pays parce que j’ai deux autres sœurs sur place. Finalement, la famille vous fait toujours revenir», constate Leonor.

«J’ai vécu plus longtemps aux Etats-Unis qu’aux Philippines. Je n’ai travaillé que six mois aux Philippines et j’avais un contrat d’un an, j’ai donc eu le sentiment que je devais rendre les nombreuses années que je n’ai pas accomplies quand j’étais jeune. Pour ce qui est de l’hôpital, ici aux Philippines, le bilan est mitigé. C’est positif parce que je suis de retour au pays, à aider les Philippins, mais le constat est amer parce que je sais que nous pourrions faire davantage avec les ressources appropriées», a ajouté Mme Fruto.

Sa première expatriation ainsi que son retour ont été de véritables choix. Elle est d’abord partie aux Etats-Unis pour y travailler en 1975, six mois après avoir obtenu son diplôme. Elle enseigne maintenant à l’Université de l’East Ramon Magsaysay Memorial Medical Center (UERMMMC) et collabore avec l’école supérieure d’infirmières de pratique avancée aux Philippines.

Ces deux femmes figurent parmi les personnels de santé migrants dont les récits ont été filmés dans un nouveau documentaire tourné pour aider les travailleurs de santé qualifiés à émigrer vers l’Europe (et à revenir) en toute sécurité et dignité.

Un documentaire filmé sur des travailleurs migrants

Le film «Récit d’une odyssée: La parole aux personnels de santé émigrés» a été réalisé dans le cadre du projet de l’OIT «Travail décent sans frontières» (DWAB en anglais), financé par l’Union européenne, et produit en partenariat avec l’Institut Asia Pacific film.


Plusieurs écoles d’infirmières, y compris l’UERMMMC, où Mme Fruto enseigne, sont intéressées par l’utilisation du film à des fins pédagogiques.

Il est aussi envisagé d’actualiser le programme national d’études des infirmières pour y inclure une option sur le travail décent et la migration.

Le film suit des infirmières philippines lorsqu’elles doivent relever plusieurs défis: terminer leurs études, négocier avec les recruteurs, se conformer aux politiques publiques et faire acte de candidature pour des postes à l’étranger. Leurs récits mettent aussi en évidence qu’elles doivent jongler avec leur vie familiale et la réalisation de leurs rêves et s’adapter à la vie dans un pays étranger de culture différente.

Aux côtés des personnels soignants immigrés qui s’expriment, des employeurs, des agents de recrutement, des responsables gouvernementaux des pays d’origine comme des pays d’accueil donnent aussi leur point de vie sur le processus migratoire – de la préparation de l’expatriation au retour et à la réinsertion.

La migration économique est une question de compromis entre les droits et obligations des travailleurs migrants, des employeurs et des gouvernements."

Catherine Vaillancourt-Laflamme, conseillère technique en chef du projet
«Nous pensons que les migrants sont moins vulnérables quand ils partent par choix et non par nécessité. Toutefois, nous devons trouver un équilibre entre le droit de chacun à librement circuler, et vivre où bon lui semble, le droit aux soins et le droit au travail décent», a déclaré Lawrence Jeff Johnson, Directeur du Bureau de pays de l’OIT pour les Philippines.

Le projet DWAB -conçu sur trois ans- vise à promouvoir une migration sûre, éthique et décente auprès des professionnels de santé et des travailleurs qualifiés philippins, indiens ou vietnamiens, qui partent vers certains Etats membres de l’Union européenne ou qui en reviennent.

Le projet a également permis de renforcer des services connexes, d’améliorer le dialogue et de développer le système d’information sur le marché du travail. Il a également soutenu une formation en ligne sur l’entrepreneuriat pour les professionnels de santé, élaboré des fiches d’information par pays de destination pour les candidats à la migration, et a aidé à améliorer le site d’emploi en ligne du ministère de la Santé, y compris les prévisions concernant la main-d’œuvre et les ressources humaines.

«Le film présente des expériences précieuses, racontées par d’anciennes infirmières émigrées», a précisé Catherine Vaillancourt-Laflamme, conseillère technique en chef du projet.

«Nous espérons qu’il ouvrira le débat sur la migration économique qui est avant tout une question de compromis entre les droits et obligations des travailleurs migrants, des employeurs et des gouvernements. Décente et sûre, la migration devrait être bénéfique pour les travailleurs et leurs familles, ainsi que pour les pays d’origine et d’accueil».