GB.268/ESP/2 268e session Genève, mars 1997 |
Commission de l'emploi et de la politique sociale | ESP |
DEUXIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR
Rapport préliminaire sur les synthèses
des examens
par pays de la politique de l'emploi effectués
par l'Equipe spéciale du CAC
Table des matières
II. Etat d'avancement des examens par pays de la politique de l'emploi
III. Principaux problèmes et caractéristiques
IV. Politiques propres à promouvoir l'emploi et les moyens de subsistance durables
1. A sa 267e session (novembre 1996), le Conseil d'administration a examiné un document du Bureau concernant les progrès réalisés en ce qui concerne les activités de suivi du Sommet social à l'échelon des pays dans le domaine de l'emploi, qui donne des détails sur l'état d'avancement des examens de la politique de l'emploi dans sept pays choisis à cet effet(1). Le document indique que l'OIT a été invitée à assumer le rôle de coordinateur de l'Equipe spéciale sur le plein emploi et les moyens de subsistance durables du CAC, sous les auspices de laquelle sont menés à bien les examens susmentionnés. On se souviendra que, grâce aux efforts tripartites déployés au Sommet social, le rôle de chef de file de l'OIT avait déjà été reconnu, en ce qui concerne non seulement l'objectif du plein emploi, mais aussi le respect des normes internationales du travail fondamentales. Donnant effet à l'engagement pris, la Déclaration et le Programme d'action de Copenhague demandent que l'OIT, en tant qu'institution du système des Nations Unies, assume le rôle de chef de file dans le domaine de l'emploi et des moyens de subsistance durables.
2. L'OIT a donc entrepris d'assurer la coordination de l'Equipe spéciale du CAC sur le plein emploi et les moyens de subsistance durables et, sous sa direction, l'Equipe spéciale a accepté de mener à bien, à titre expérimental, une série d'examens par pays dont la responsabilité a été répartie entre plusieurs organisations. Ces examens, menés avec le plein assentiment du gouvernement du pays intéressé, comportent plusieurs éléments: consultations tripartites étroites et participation des mandants de l'OIT; analyse approfondie des politiques sur l'emploi et les moyens de subsistance durables; séminaire tripartite national chargé d'examiner les politiques en cours et les réformes possibles; examen de recommandations sur la manière dont l'OIT et le système des Nations Unies peuvent unir leurs efforts pour aider un pays à promouvoir l'emploi et des moyens de subsistance durables. Afin de stimuler la collaboration interinstitutions, l'Equipe spéciale est convenue que l'OIT dirigerait les examens au Chili, au Népal et en Hongrie, la Banque mondiale en Indonésie, le PNUD en Zambie et au Maroc et l'UNESCO au Mozambique. En outre, l'OIT a été chargée de la coordination et de l'élaboration d'un rapport de synthèse dont le CAC des Nations Unies sera saisi à sa réunion d'avril prochain.
3. En novembre 1996, lors de sa discussion sur l'état d'avancement des examens par pays, la commission a demandé au Bureau d'élaborer un rapport intérimaire substantiel sur le résultat de ces examens, notamment pour réévaluer le rôle de l'OIT dans cet exercice, et ses modalités, et pour déterminer dans quelle mesure les valeurs sociales qu'elle défend y sont prises en compte. Le présent document est donc un rapport préliminaire sur le résultat des examens par pays, leur état d'avancement, les caractéristiques et problèmes clés de l'emploi dans les pays étudiés; il présente une série de politiques propres à aider les pays à promouvoir le plein emploi et les moyens de subsistance durables. Il aborde également le rôle futur de l'OIT dans le suivi des examens par pays et les relations de l'Organisation avec ses mandants et le système des Nations Unies dans les pays.
II.
Etat d'avancement des examens par pays
de la politique de l'emploi
4. Il convient de rappeler que le mandat de l'Equipe spéciale, issu essentiellement de la Déclaration et du Programme d'action de Copenhague, consiste à aider les gouvernements à donner effet à l'engagement pris par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Sommet social de promouvoir l'objectif du plein emploi. On se souviendra aussi que le Sommet social a admis la nécessité de favoriser le dialogue tripartite et le consensus social dans l'élaboration des politiques, et qu'il a exhorté les gouvernements à défendre les droits et intérêts élémentaires des travailleurs et, à cet effet, a librement promouvoir le respect des conventions pertinentes de l'Organisation internationale du Travail, dont celles ayant trait à l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants, à la liberté d'association, au droit de s'organiser et au droit de négociation collective, et au principe de la non-discrimination. Ces éléments se reflètent dûment dans le document de base du CAC.
5. Avant d'entreprendre un examen dans un pays, l'institution responsable s'est assurée du plein assentiment du gouvernement intéressé. L'OIT s'est chargée des examens concernant le Chili, le Népal et la Hongrie, avec le plein accord des gouvernements et en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs ainsi que les diverses organisations des Nations Unies dans les pays. Les examens ont été menés à bien en premier lieu par les équipes multidisciplinaires couvrant les pays concernés, avec l'appui, le cas échéant, des départements techniques. Des experts et des chercheurs locaux ont également été consultés. Les examens ont tous été menés à terme et, conformément à ce qui avait été proposé, des séminaires nationaux ont eu lieu à Santiago (16 décembre 1996), à Kathmandou (27 janvier 1997) et à Budapest (31 janvier 1997). Ces séminaires nationaux, qui ont rassemblé des hauts fonctionnaires gouvernementaux et des représentants des organisations d'employeurs et de travailleurs, d'institutions internationales et de milieux universitaires, ont constitué une occasion unique de débattre des recommandations faites; les participants ont renouvelé leur promesse d'uvrer ensemble au respect de l'engagement pris par les pays de promouvoir le plein emploi et des moyens de subsistance durables. Par ailleurs, l'OIT a reçu des promesses de contribution à ses travaux, en collaboration avec ses mandants et le système des Nations Unies, pour le suivi des recommandations issues des examens par pays.
6. Le PNUD a été désigné responsable des examens de la politique de l'emploi en Zambie et au Maroc. S'étant assuré de l'assentiment des gouvernements, il a envoyé dans chaque pays des missions exploratoires chargées de débattre des objectifs et des modalités de l'examen, et s'est assuré le concours du gouvernement, des partenaires sociaux et des divers représentants de la société civile. A la demande du PNUD, le BIT a fourni pour ces examens un appui technique et logistique, par le truchement de ses équipes consultatives multidisciplinaires à Harare et Dakar et de son bureau à Lusaka. L'ONUDI a participé à l'élaboration du rapport sur la Zambie. L'examen pour ce pays a été achevé et le séminaire national organisé à Lusaka (17 décembre 1996) a réuni des représentants du gouvernement, des organisations d'employeurs et de travailleurs, de l'OIT et d'autres institutions des Nations Unies, d'organisations non gouvernementales et de la communauté des chercheurs. Le rapport a été révisé pour tenir compte de divers commentaires et propositions. Le BIT a reçu l'avant-projet de rapport du PNUD sur le Maroc, qu'il a commenté. Le projet est en cours de révision et, au moment de la rédaction du présent document, le séminaire national était prévu pour le 24 février 1997.
7. La Banque mondiale, chargée de l'examen concernant l'Indonésie, a achevé un avant-projet de rapport en novembre 1996. A cette date, le Conseil d'administration a noté, alors qu'il l'adoptait, que le rapport de son Comité de la liberté syndicale faisait référence aux atteintes de plus en plus graves aux droits fondamentaux de l'homme et aux droits syndicaux, ainsi qu'aux principes de la liberté d'association qui, dans le droit comme dans la pratique, sont constatées en Indonésie(2). Notant par ailleurs que l'examen du CAC dans ce pays était coordonné par la Banque mondiale, le Conseil d'administration a demandé au secrétariat du BIT d'attirer l'attention de la haute direction de la Banque sur cette question pour qu'elle veille à ce qu'il en soit tenu compte dans le rapport. Ainsi avisée, la Banque mondiale a décidé de ne pas poursuivre l'exercice.
8. L'examen de la politique de l'emploi au Mozambique, dirigé par l'UNESCO, a commencé tard, et un avant-projet de rapport a été communiqué au BIT pour lui permettre de préparer le rapport de synthèse. Le séminaire national a eu lieu à Maputo, le 19 février 1997. Au moment de la rédaction du présent document, les conclusions de ce séminaire et le projet de rapport révisé étaient attendus.
9. Le BIT, sur la base des projets de rapports qui lui sont parvenus, prépare le rapport de synthèse qui sera soumis au CAC des Nations Unies. Ce rapport examinera brièvement les problèmes d'emploi et de marché du travail auxquels les pays membres de l'OCDE sont confrontés. Les sections ci-après donnent une évaluation provisoire du résultat des examens par pays, notamment en ce qui concerne les questions, problèmes et considérations de politiques relatifs à la promotion de l'emploi, dans le respect des droits fondamentaux des travailleurs.
10. Les examens menés à bien par l'Equipe spéciale du CAC ont porté sur les caractéristiques et problèmes fondamentaux de la situation de l'emploi et de la pauvreté dans chaque pays. Certains de ces problèmes et caractéristiques peuvent être considérés comme spécifiques à un pays donné, mais dans l'ensemble la plupart s'appliquent, à des degrés divers, à tout l'échantillon de pays retenus. Dans la présente section, on s'efforcera de faire une synthèse des principaux problèmes d'emploi et de marché du travail auxquels sont confrontés les pays examinés. Au risque de simplifier à outrance, on peut dire que nombre de ces problèmes se posent aussi dans beaucoup de pays qui luttent pour améliorer la croissance et l'emploi et faire reculer la pauvreté.
11. Comme il a été indiqué, les sept pays ayant fait l'objet d'un examen ont des niveaux de développement social et économique différents, ainsi qu'il ressort de divers indicateurs: revenu par habitant (annexe, tableau 1), structure de l'économie (part des secteurs dans le PNB par exemple), étendue de la pauvreté et du chômage, croissance de l'emploi salarié, qualité de l'emploi et conditions de travail, part dans l'investissement et les échanges mondiaux. Certains de ces éléments et les problèmes qui en découlent sont examinés dans les paragraphes suivants. Entre autres traits spécifiques, on rappellera que la Hongrie est une économie en transition, que le Népal fait partie du groupe des pays les moins avancés et qu'il est enclavé, d'où des coûts de transit très élevés, et que le Mozambique sort d'une longue guerre civile.
12. Le premier élément clé examiné par l'Equipe spéciale du CAC concerne l'étendue du chômage, du sous-emploi et de la pauvreté. Il est bien connu que, dans de nombreux pays en développement (par exemple au Népal et en Indonésie), le taux de chômage déclaré est très bas, ce qui s'explique en grande partie par un problème de définition et de mesure du chômage. Le principal problème est le degré de sous-utilisation (sous-emploi) de la main-d'uvre, qui est très élevé et qui se reflète souvent dans le taux de pauvreté (annexe, tableau 1). Ainsi, au Népal, le taux de chômage officiel n'atteint pas 5 pour cent, alors que le sous-emploi est estimé à quelque 46 pour cent, chiffre qui se rapproche du taux de pauvreté. La Zambie et le Mozambique ont aussi un fort taux de pauvreté (plus de 50 pour cent) et de sous-utilisation de la main-d'uvre. On note que, dans certains pays, le taux de chômage officiel s'est accru au cours des années quatre-vingt-dix: 10 à 12 pour cent en Hongrie et environ 20 pour cent en Zambie et au Maroc. Au Chili, le chômage a nettement baissé, alors qu'il reste stable en Indonésie. Il atteint environ 6 pour cent au Chili où il y a pourtant sous-utilisation de la main-d'uvre, mais varie considérablement d'une région et d'un groupe social à l'autre. Quoi qu'il en soit, globalement le sous-emploi a baissé, ce qui se reflète dans la baisse du taux de pauvreté au Chili ainsi qu'en Indonésie. Dans les autres pays, les taux élevés de sous-emploi et de pauvreté donnent une idée du chemin à parcourir pour se rapprocher du plein emploi.
13. Il semble que la situation de l'emploi dépende étroitement du taux de croissance de la population et de la main-d'uvre ainsi que de la structure de cette dernière. En général, du point de vue de l'offre, croissance démographique et croissance de la main-d'uvre sont des forces immédiates qui influent sur la capacité de création d'emplois de l'économie. L'accroissement relativement rapide de leur population et de leur main-d'uvre, à quoi s'ajoute un revenu par habitant très bas, menace du cercle vicieux de la pauvreté des pays comme le Népal, la Zambie et le Mozambique, dont le taux de croissance démographique est supérieur à 2,7 pour cent. Au Chili et en Indonésie, le taux de croissance démographique a chuté au cours des deux dernières décennies, ce qui permet de penser qu'il existe, dans ces deux pays, une interaction dynamique entre le développement et la démographie. En revanche, le taux de croissance de la main-d'uvre s'est accru dans ces deux pays du fait de l'augmentation du taux de participation des femmes, qui a concerné, pour la plus grande partie, les secteurs les moins productifs et les moins rémunérateurs de l'économie. Dans les pays moins développés, la nature et l'étendue du sous-emploi caractérisent aussi, dans une large mesure, la structure de la main-d'uvre. Statistiquement, la baisse du taux de chômage ou de sous-emploi va souvent de pair avec une diminution de la part de la population active dans le secteur agricole (Chili), tandis que des taux élevés de sous-emploi semblent se maintenir dans le secteur agricole à faible productivité et à bas revenu. Ce secteur ainsi que le secteur informel, tant en milieu rural qu'en milieu urbain, offrent des possibilités de partage du travail et d'autres moyens de subsistance durable pour le gros de la main-d'uvre. Pour survivre, il faut souvent deux ou trois emplois secondaires (Népal, Zambie, Mozambique). Au Népal, plus de 90 pour cent de la population active se trouvent dans les zones rurales. Au Maroc, malgré l'urbanisation rapide et l'exode vers les villes, le secteur rural occupe encore plus de la moitié de la population.
14. Dans les pays à forte expansion démographique, la croissance des revenus et de l'emploi est faible, voire en baisse, mais les véritables déterminants de la croissance et de l'emploi sont à chercher du côté de la demande. Bien qu'il soit limité, l'échantillon des pays examinés montre bien la relation entre l'accroissement de la production et celui de l'emploi. Il met aussi en évidence le rapport inverse entre croissance et pauvreté. Ainsi, au Chili et en Indonésie, les taux de croissance économique rapide qui se sont maintenus pendant plus d'une décennie ont engendré une expansion sans précédent de l'emploi. L'emploi salarié s'est accru de 5,5 pour cent en Indonésie (7,5 pour cent pour les femmes), et au Chili la croissance a créé plus d'un million d'emplois (environ 25 pour cent de la population active). Au Maroc, la croissance soutenue à la fin des années quatre-vingt a fait baisser le taux de pauvreté. Au Népal, la croissance de l'emploi a tout juste permis d'absorber l'accroissement annuel de la population active, mais elle n'a pas suffi à résorber l'effectif déjà très lourd du chômage et du sous-emploi. En Hongrie, la réforme a provoqué un ralentissement marqué de l'économie, qui n'a que récemment commencé de se redresser, d'où une chute d'environ 25 pour cent des niveaux de l'emploi entre 1990 et 1995. Au Mozambique, croissance et revenu par habitant sont faibles et la pauvreté demeure très étendue. En Zambie, le produit intérieur brut réel a baissé au début des années quatre-vingt-dix, d'où l'aggravation du chômage et de la pauvreté, à la fois dans les zones rurales et dans les zones urbaines. L'une des conclusions fondamentales qui s'applique aux pays de l'échantillon, et certainement aussi à d'autres, est donc que la croissance, sous réserve qu'elle soit diversifiée et à forte intensité de main-d'uvre et qu'elle dure, fait reculer le chômage et, par conséquent, la pauvreté.
15. Nombre de pays en développement et de pays en transition luttent pour atteindre et maintenir un taux de croissance qui leur permette de faire reculer le chômage et la pauvreté insoutenables qu'ils subissent. Parmi tous les facteurs responsables, la capacité du pays de mobiliser des ressources est fondamentale. Les pays qui, comme l'Indonésie et le Chili, sont bien dotés en ressources naturelles et en ressources humaines et ont adopté des politiques favorisant la croissance ont connu un développement relativement plus rapide. Il est vrai aussi que ces deux pays ont été capables de mobiliser, de sources internes ou externes, des fonds pour leur développement. Leurs taux d'épargne et d'investissement ont ainsi beaucoup augmenté au cours des dix dernières années, ce qui tient pour beaucoup au rythme rapide de leur croissance. En revanche, au Népal, au Mozambique et en Zambie, les taux d'épargne et d'investissement sont très bas, et l'écart entre les deux, très important, est financé par des injections massives de dons et prêts consentis à des conditions de faveur. Par ailleurs, l'investissement direct étranger (IDE), complément important des ressources nationales consacrées à l'investissement, a stimulé la croissance et l'industrialisation dans de nombreux pays (Chili, Indonésie); proportionnellement, la Hongrie bénéficie également d'une part élevée d'IDE, alors que ces ressources sont extrêmement réduites dans les autres pays.
16. L'emploi salarié dans le secteur structuré n'a pratiquement pas augmenté sauf au Chili et en Indonésie, où les secteurs modernes des produits manufacturés et des services ont beaucoup contribué à l'emploi. Au Népal, le secteur manufacturier emploie moins de 3 pour cent de la main-d'uvre active salariée et le secteur d'exportation n'a pratiquement créé aucun emploi. La part du secteur public dans l'emploi salarié du secteur structuré des pays de l'échantillon, qui était prédominante, a beaucoup diminué dernièrement. Au Maroc, l'investissement public, qui était élevé avant le milieu des années quatre-vingt, a fortement diminué lors de la période qui a suivi l'ajustement, d'où la stagnation de la création d'emplois dans ce secteur. En Zambie, l'emploi dans le secteur public a beaucoup augmenté pendant le boom des exportations de cuivre, puis il s'est contracté lorsque le PIB réel a baissé, sous l'effet en grande partie de la diminution de ces exportations. Il y a aussi eu des pertes d'emplois dans les entreprises d'Etat qui ont été privatisées au titre des politiques d'ajustement. En Hongrie, l'emploi dans le secteur public a beaucoup souffert de la récente vague de restructurations économiques et politiques.
17. Dans la plupart des pays de l'échantillon, la faible croissance de l'emploi dans le secteur moderne s'est traduite par une expansion du secteur informel urbain qui a absorbé des migrants du secteur rural, des travailleurs licenciés du secteur structuré et des citadins inscrits au chômage qui n'ont pas réussi à trouver du travail dans le secteur structuré. Le secteur informel urbain occupe une part importante de la main-d'uvre urbaine salariée, souvent supérieure à 50 pour cent, même dans des pays à croissance rapide comme l'Indonésie. Dans la plupart des cas, les emplois qu'il offre sont peu rémunérateurs et peu productifs, mais beaucoup de microentreprises, notamment par le biais de la sous-traitance, contribuent de façon non négligeable à la production et à l'emploi (par exemple en Indonésie et au Chili). L'emploi dans les petites et microentreprises s'est aussi accru rapidement en Hongrie, à la suite du rétrécissement du secteur de l'Etat. En Zambie, la contraction brutale de l'emploi dans le secteur moderne urbain a engendré un reflux des migrations de main-d'uvre.
18. Presque partout dans le monde, on constate une inégalité entre les sexes, que ce soit en matière d'emploi ou de rémunération. Même si elle s'accroît dans de nombreux pays (Chili, Indonésie, Maroc), la participation des femmes à l'emploi salarié reste très faible. Au Népal, la main-d'uvre féminine se concentre à 94 pour cent dans les zones rurales, principalement dans des activités domestiques et de subsistance, et représente moins d'un quart de la main-d'uvre organisée. Malgré l'augmentation considérable du niveau de vie au Chili et en Indonésie, on observe de grandes inégalités entre hommes et femmes en matière de salaires et de possibilités d'emploi. Au Maroc, quoique la participation globale des femmes à la population active soit faible, leur part dans la catégorie des travailleurs intellectuels et scientifiques est non négligeable. Au Mozambique, moins de 10 pour cent des salariés sont des femmes.
19. Dans les économies à faible croissance surtout, on constate que l'emploi salarié augmente peu, que la mobilité de la main-d'uvre est réduite et que la tendance est à la précarité. Les salaires réels ont chuté dans tous les pays examinés, sauf au Chili et en Indonésie. En Hongrie, les salaires réels en termes statistiques ont baissé de presque 20 pour cent en six ans. On constate également un net accroissement de la proportion de travailleurs occasionnels occupant soit des emplois en sous-traitance soit des emplois temporaires dans des entreprises du secteur structuré. La situation est la même en Indonésie et au Chili, où la croissance de l'emploi a été rapide, mais où l'on a exprimé certaines préoccupations quant à sa qualité. Le chômage est élevé parmi les jeunes (Zambie, Maroc), et parmi les diplômés, même dans une économie exigeant peu de qualifications, telle que le Népal, ce qui dénote une mauvaise adaptation de l'offre à la demande. Le travail des enfants est très répandu dans les pays à faible revenu (Népal), et il reste très courant dans certaines économies en expansion (Indonésie). Les travailleurs en situation de servitude, même s'ils ne représentent qu'une faible proportion de la main-d'uvre, constituent une réalité dans les zones rurales du Népal. Les travailleurs appartenant à des minorités ethniques et les migrants occupent en général les emplois de basse qualité.
20. Dans les pays de l'échantillon (mise à part la Hongrie), le gros de la main-d'uvre travaille soit dans l'agriculture, soit dans le secteur informel. Elle échappe donc à presque toute réglementation. Dans les pays les plus pauvres, peu de travailleurs sont organisés et la réglementation est embryonnaire. On constate que l'insécurité de l'emploi, sa mauvaise qualité ainsi que celle des conditions de travail, et l'absence de protection sont souvent associées à l'absence de dialogue social et de relations professionnelles saines. Parmi les pays examinés, quatre n'ont pas encore ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui fait partie des normes fondamentales de l'OIT (annexe, tableau 2).
21. Certains des pays de l'échantillon ont récemment progressé sur la voie de la démocratisation politique (Hongrie, Népal, Zambie, Mozambique). L'économie de marché gagne du terrain dans tous ces pays. En principe, ces tendances devraient rendre plus transparente la gestion des affaires publiques et déboucher sur un dialogue social constructif sur la promotion de l'emploi, de la productivité et de la protection sociale.
IV.
Politiques propres à promouvoir l'emploi
et les moyens de subsistance durables
22. En faisant sien l'engagement de promouvoir un plein emploi productif et librement choisi, le Sommet mondial pour le développement social a confirmé qu'il s'agit d'un objectif à la fois légitime et réalisable. Le Programme d'action qu'il a adopté pour donner effet à cet engagement énumère un certain nombre de politiques et programmes clés susceptibles de favoriser l'emploi et les moyens de subsistance durables. L'un des points essentiels est que l'emploi doit être au centre de toutes les décisions économiques et sociales. Malgré le sous-emploi et la pauvreté qui sévissent massivement dans nombre de pays en développement, le plein emploi demeure pour ces pays un objectif légitime qui doit inspirer leurs politiques. La résolution (et les conclusions) sur les politiques de l'emploi dans une économie mondialisée, adoptées par la Conférence internationale du Travail à sa 83e session, en juin 1996, souscrivent pleinement à l'objectif d'un plein emploi productif et librement choisi, énoncé dans la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964, et proposent un ensemble de mesures pour les pays en développement, les pays en transition et les pays industriels(3).
23. Dans le contexte de la politique à mettre en place pour atteindre le plein emploi, l'Equipe spéciale du CAC a examiné en détail les mesures prises par les pays étudiés et les réformes récemment adoptées pour promouvoir l'emploi et les moyens de subsistance durables. Comme on l'a fait remarquer dans la section précédente, la plupart des pays en développement ont un immense chemin à parcourir pour parvenir au plein emploi. Les économies à bas revenus et faible croissance souffrent d'une pénurie critique de ressources et souvent aussi de contraintes structurelles, et sont pénalisées par les insuffisances de leurs institutions et de leurs mécanismes d'application. S'il est vrai qu'une meilleure intégration dans l'économie mondiale -- combinée à une meilleure aptitude de l'économie mondiale à aider les pays les moins développés -- aiderait ces pays à parvenir à plus de croissance et à créer des emplois, c'est à eux qu'il incombe au premier chef de promouvoir l'emploi. Il ressort des examens par pays qu'une amélioration durable de l'emploi dans un pays donné exige la mise en place d'une politique nationale bien conçue et adaptée à la situation de ce pays. Les stratégies visant à promouvoir l'emploi et les moyens de subsistance durables doivent être soigneusement mises au point et doivent recueillir le consensus national le plus large possible, ce qui exige qu'on y associe les organisations d'employeurs et de travailleurs ainsi que les autres représentants de la société civile. Sans démocratie, sans transparence de la gestion publique, sans dialogue tripartite, il ne saurait y avoir d'amélioration durable de la croissance et de l'emploi.
24. Il est essentiel que les politiques soient adaptées aux caractéristiques du pays. Il n'y a pas de recette universelle pour promouvoir la croissance et l'emploi, objectifs qui font intervenir à la fois la politique économique et la politique sociale. Des politiques qui ont donné de bons résultats dans certains pays peuvent être inefficaces dans d'autres. C'est en gardant cette idée à l'esprit qu'on exposera brièvement dans les paragraphes qui suivent les conclusions des examens menés au niveau des pays. Il en ressort apparemment que, si les mesures prises doivent être adaptées à la situation particulière du pays, il existe aussi un noyau d'éléments essentiels qui vaut pour tous. On les passera en revue ci-dessous en les illustrant d'exemples de succès et d'échecs tirés au hasard de l'ensemble des pays étudiés.
25. Les responsables nationaux qui veulent promouvoir le plein emploi et les moyens de subsistance durables doivent mettre l'emploi au centre de leurs décisions économiques et sociales. Dans le passé, la quasi-totalité des pays examinés ont assigné une grande priorité dans leurs plans de développement à la lutte contre la pauvreté par l'accroissement de l'emploi. Dans de nombreux cas -- comme celui du Népal, qui a donné une grande priorité à l'emploi dans ses plans de développement quinquennaux --, cet objectif est resté un vu pieux et n'a débouché sur aucun résultat concret. En revanche, l'Indonésie s'est beaucoup rapprochée des objectifs nationaux et sectoriels qu'elle s'était fixés en matière d'emploi dans son plan de développement. Les succès du Chili en matière d'emploi tiennent largement à l'accent mis sur la croissance dans la stabilité. La Hongrie d'avant la transition n'a pu réaliser le plein emploi qu'au prix d'effectifs pléthoriques et d'une faible productivité. Il apparaît ainsi que les moyens utilisés pour développer l'emploi productif ont varié d'un pays à l'autre et que les résultats ont été inégaux. Plus récemment, la quasi-totalité des pays ont mis en uvre des réformes axées sur la stabilisation et l'ajustement. Ces réformes visent bien à stimuler la croissance et l'emploi, mais sans s'accompagner forcément d'objectifs nationaux précis en matière d'emploi. Pour promouvoir l'emploi et les moyens de subsistance durables, les pays doivent appliquer une stratégie fondée sur le consensus social et se fixer des objectifs et des priorités réalistes qui tiennent compte de leurs moyens.
26. Les pays qui doivent parvenir à un niveau d'absorption de la main-d'uvre élevé -- pays en développement notamment -- doivent adopter une politique macroéconomique qui garantira que leur croissance sera soutenue et à forte intensité d'emploi. L'un des objectifs fondamentaux de cette politique doit être la stabilité, qui est essentielle au développement de l'investissement intérieur et étranger ainsi qu'à celui de l'entreprise. Tous les pays étudiés ont adopté des mesures de stabilisation et ont généralement été capables de réduire l'inflation ainsi que les déséquilibres du budget et de la balance des opérations courantes. Ces mesures ont souvent entraîné une contraction de la demande et de l'emploi globaux (Hongrie, Zambie), et certains pays n'ont pas réussi à remonter la pente par la suite. Le Chili et l'Indonésie font exception. La stabilité macroéconomique est une condition indispensable, mais non suffisante de la croissance. Celle-ci est nécessaire pour contenir les déséquilibres. Les difficultés peuvent tenir soit à l'application d'une politique insuffisante ou inadaptée, soit à une grave pénurie de ressources ou à d'autres contraintes structurelles. Dans les pays les moins bien lotis -- Zambie, Mozambique, Népal -- le financement du développement exige une forte mobilisation des ressources, intérieures et extérieures.
27. Les pays qui ont réussi à combiner croissance et stabilité ont aussi adopté différentes mesures d'ajustement structurel et de libéralisation pour stimuler le secteur privé et la création d'entreprises et pour favoriser leur intégration dans l'économie mondiale. Tel est le cas du Maroc, du Chili et de l'Indonésie, pays qui ont adopté ce type de mesures de libéralisation en vue de mieux s'intégrer dans le commerce mondial et de s'ouvrir à l'investissement et aux nouvelles technologies. Il convient de noter que de telles mesures de libéralisation sont certes indispensables à l'amélioration de l'efficacité intérieure mais qu'elles peuvent aussi nuire aux industries naissantes ayant un fort potentiel de croissance et d'emploi. Au Népal, la libéralisation de l'importation des biens de consommation menace certaines de ces industries naissantes. De même, en Hongrie, le développement de certaines petites et moyennes industries nécessite l'adoption de mesures de stimulation et de promotion. Dans nombre de pays, comme la Zambie et le Népal, il faudrait aller au-delà de la libéralisation des importations -- par exemple en développant les compétences et l'infrastructure -- pour stimuler les industries et les exportations qui sont souvent handicapées par des contraintes liées à l'offre. Chaque pays doit attacher l'importance qui convient aux mesures propres à accroître le transfert des ressources vers les biens et services marchands et encourager les entreprises à se lancer dans l'exportation.
28. La libéralisation n'est pas suffisante. Il faut aussi adopter des politiques visant spécifiquement à attirer l'investissement direct étranger, qui est à même de stimuler l'investissement intérieur et les exportations. Le Chili et l'Indonésie ont obtenu des succès particulièrement notables en ce domaine. Du côté des pays en transition, la Hongrie a obtenu également d'assez bons résultats. Apparemment, les investisseurs étrangers ne recherchent pas forcément de la main-d'uvre bon marché; les qualifications professionnelles, la productivité du travail, la qualité des transports et de l'infrastructure, la stabilité économique et politique jouent un rôle déterminant. Il importe aussi que les mesures visant à stimuler l'IDE portent sur les secteurs, industries et régions voulus, qu'elles soient conformes au mode d'industrialisation du pays et qu'elles soient de nature à développer les compétences. La Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale peut ici servir de guide aux pays.
29. Les politiques et réformes sectorielles, qui présentent une égale importance, doivent tenir compte des possibilités nationales de croissance et d'emploi. Dans des pays comme le Népal, la Zambie et le Mozambique, il est clair que l'effort doit porter en priorité sur la productivité agricole et la régénération rurale, qui exigent toutes deux des mesures de soutien, notamment de gros investissements dans les infrastructures (irrigation, transport, etc.). La libéralisation en cours devrait stimuler les exportations agricoles, mais les petits exploitants et les paysans sans terre ne peuvent en tirer des bénéfices immédiats, surtout lorsque l'on supprime les subventions agricoles. La création d'emplois hors exploitation et non agricoles contribuerait à développer l'emploi et les moyens de subsistance durables dans les zones rurales, mais leur croissance et leur productivité sont étroitement liées à l'existence d'un secteur agricole dynamique (Indonésie, Chili). Dans les pays pauvres, l'agriculture, et surtout le secteur des petites exploitations, exige un gros effort d'investissement public, complété par d'autres mesures de soutien. Il y a lieu de noter que, en Zambie et au Népal, les liens entre la croissance agricole, les moyens de subsistance durables et la protection de l'environnement sont extrêmement étroits et impliquent la nécessité de préserver les ressources naturelles. En Indonésie et au Chili, les exportations des agro-industries se soldent par une exploitation de l'environnement.
30. Comme on l'a fait observer dans la section précédente, le secteur dit informel ou non structuré s'est développé dans la majorité des pays examinés, notamment dans les zones urbaines. Ce secteur se compose principalement de personnes qui exercent de petits métiers peu productifs et peu rémunérateurs (Népal, Mozambique, Zambie), mais il englobe aussi toutes sortes de microentreprises, dont certaines sont assez dynamiques et rentables (Indonésie et autres pays de l'ANASE). L'action publique doit distinguer ces deux grands courants d'activité du secteur informel. Ce qu'il convient de faire dans les deux cas, c'est de supprimer les obstacles réglementaires inutiles (non-intervention positive), faciliter l'accès au crédit et prendre des mesures pour améliorer les qualifications, la technologie et la productivité du secteur. Les travailleurs des entreprises de ce secteur, et notamment les femmes, sont faiblement protégés et travaillent souvent dans des conditions dangereuses pour leur santé. Il y a lieu de suivre cette situation et d'assurer un minimum de protection sociale. Cependant, l'objectif à long terme est de continuer à aider les entreprises et les travailleurs à accroître leur productivité et leurs revenus, et plus généralement de réduire le chômage et de faire en sorte que les rémunérations et les conditions de travail du secteur informel se rapprochent de celles du secteur moderne.
31. Il convient de poursuivre les programmes ciblés et, dans de nombreux pays, de les étendre pour soutenir l'emploi et les revenus des catégories les plus vulnérables de la société. Au Népal, en Zambie et au Mozambique, ces catégories comprennent les paysans sans terre et les femmes, plus, au Mozambique, les soldats démobilisés. On peut distinguer deux grands types de programmes: les programmes de travaux publics et les programmes qui visent à promouvoir l'emploi indépendant et les microentreprises. Les premiers ont donné certains résultats au Népal et en Indonésie, mais n'ont pas toujours créé d'emplois durables. Les efforts de développement de l'emploi indépendant n'ont pas toujours atteint leur cible, par suite de la demande excédentaire de crédits subventionnés qui entraîne des problèmes de rationnement et oblige à écarter certains candidats. Il convient d'évaluer le bien-fondé d'une application à large échelle de ces deux types de programmes et de se demander s'ils aident effectivement ceux qui en on le plus besoin. L'aide aux éléments les plus pauvres de la société doit être complétée par des dépenses sociales -- santé, enseignement, développement des compétences. Comme la plupart des pays sont contraints à une stricte discipline budgétaire, cet effort social exige des arbitrages délicats et une programmation soigneuse des dépenses publiques.
32. Du côté de l'offre, il convient d'accroître les investissements consacrés à la mise en valeur des ressources humaines, notamment parce que l'amélioration des compétences et de la productivité du travail est indispensable pour avoir une croissance durable et être compétitif sur le plan international. C'est une question dont se soucient beaucoup le Chili, la Hongrie et l'Indonésie, pays qui s'efforcent de diversifier leurs exportations au profit de produits à plus forte valeur ajoutée. C'est aussi une préoccupation dans les pays moins développés. Les contraintes auxquelles se heurte actuellement le Népal du côté de l'offre sont étroitement liées au manque de qualifications de sa main-d'uvre. La productivité des femmes, généralement faible, pourrait certainement être améliorée par des programmes spécifiques d'éducation et de formation. Cependant, on trouve aussi beaucoup de chômeurs parmi les jeunes diplômés issus de l'école ou de l'université, ce qui prouve que les programmes d'enseignement et de formation ne doivent pas viser seulement la quantité, mais aussi la qualité et l'utilité. Un moyen d'accroître l'emploi consiste à lancer des programmes souples de formation et de recyclage afin de mieux adapter l'offre à la demande. La formation des chefs d'entreprise et des cadres exige une attention particulière. En améliorant la capacité des hommes et des femmes de gérer ou de créer des entreprises, et spécialement des PME, les institutions de formation peuvent contribuer notablement à la progression de l'emploi. Toujours en ce qui concerne l'offre, la maîtrise de la croissance démographique reste une question essentielle, particulièrement dans les pays à faible expansion économique, où cette croissance entraîne non seulement une baisse du revenu par habitant, mais aussi un excédent de main-d'uvre ingérable, alors qu'une grande partie de la population est déjà sous-employée.