GB.271/ESP/1 |
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Commission de l'emploi et de la politique sociale |
ESP |
PREMIÈRE QUESTION À L'ORDRE DU JOUR
Le travail dans le monde 1997-98:
relations professionnelles, démocratie
et cohésion sociale
1. Le rapport sur Le travail dans le monde 1997-98, publié par le Bureau en novembre 1997, porte sur les relations professionnelles, la démocratie et la cohésion sociale. Il vise à faire le point sur la manière dont les relations professionnelles entre les chefs d'entreprise et leurs associations, les travailleurs regroupés en syndicats ainsi que, le cas échéant, les pouvoirs publics ont évolué en cette fin de siècle où tant de changements politiques, économiques et sociaux se sont brusquement accélérés. Rappelant la triple fonction que les relations professionnelles remplissent traditionnellement -- une fonction économique (répartir les fruits de l'activité économique), une fonction démocratique (donner aux travailleurs leur mot à dire dans la vie professionnelle) et une fonction sociale (assurer l'intégration dans la société de toutes les personnes au travail ou désireuses de travailler) --, le rapport cherche à répondre à la question de savoir si elles continuent de remplir ces fonctions de manière satisfaisante. Il présente un recueil de faits et d'indicateurs significatifs, analyse ceux-ci et souligne les tendances d'avenir.
2. Dans sa préface au rapport, le Directeur général exprime le vœu que celui-ci nourrisse débats et discussions chez tous ceux qu'intéressent le travail et son avenir, et souligne «l'impérieux devoir» des partenaires sociaux d'orienter les transformations en cours dans le sens d'une synthèse mutuellement acceptable de l'efficacité économique et du progrès social. Le présent point à l'ordre du jour de la Commission de l'emploi et de la politique sociale vise à permettre à celle-ci d'apporter sa contribution à cet important débat. Pour faciliter cette discussion, le présent document commencera par résumer les tendances et conclusions identifiées dans le rapport. Il examinera ensuite les conséquences qu'il convient d'en tirer pour les activités de l'OIT.
A. Résumé du rapport
3. Le rapport identifie deux tendances majeures dans l'évolution des relations professionnelles, à savoir l'autonomie croissante des entreprises et l'individualisation des relations de travail. Il analyse les causes de ces tendances -- au premier rang desquelles figurent la mondialisation de l'économie et les changements des techniques de communication et de production -- ainsi que l'affaiblissement de la capacité d'action des syndicats, des organisations d'employeurs et de l'Etat et la perte d'efficacité de la négociation collective et du dialogue social qui en résultent. Il constate que, de ce fait, les relations professionnelles ne parviennent plus aussi bien à remplir leurs fonctions: les écarts de revenus se creusent; chômage et sous-emploi entraînent un processus d'exclusion sociale. En bref, de plus en plus d'individus se retrouvent seuls et sans voix face au marché. L'observation s'applique aux pays en développement comme aux pays développés.
4. La situation n'est cependant pas aussi sombre que certaines analyses le laissent penser. Le rapport note de nombreux signes qui annoncent l'adaptation des associations patronales et syndicales aux réalités du jour. Les syndicats les plus actifs apparaissent davantage comme de véritables mouvements sociaux ayant une claire vision de la défense et de la promotion des intérêts, aussi variés soient-ils, du monde du travail. Le rapport relève toute une gamme d'arrangements qui gouvernent aujourd'hui les rapports entre les chefs d'entreprise et la main-d'œuvre organisée. Sur tous les continents, à peu d'exceptions près, l'Etat est plus que jamais sollicité sur le plan social. Une nouvelle dynamique sociale pourrait s'être mise en marche. Le rapport fait l'inventaire des efforts déployés pour adapter les structures, les lieux de rencontre et les stratégies à la nouvelle donne économique et à sa dimension internationale.
Syndicats: le temps du sursaut
5. Depuis une dizaine d'années, les taux de syndicalisation diminuent, parfois dans des proportions non négligeables, dans de nombreux pays, comme le montrent les statistiques présentées en annexe au rapport. Ce dernier cherche à en expliquer les raisons. Au cours des dix dernières années, les syndicats ont certes enregistré une augmentation du nombre absolu de leurs membres dans plusieurs pays. Toutefois, rapporté à l'évolution générale de l'emploi, il apparaît que le taux de syndicalisation (ou de «densité syndicale») n'a augmenté que dans quelques-uns. Les pays dans lesquels la majorité des travailleurs sont syndiqués constituent une minorité.
6. Le rapport fait néanmoins observer que l'influence et le pouvoir d'un syndicat ne se mesurent pas uniquement au nombre de ses membres. D'autres facteurs doivent être pris en compte. A preuve par exemple le pouvoir mobilisateur des confédérations syndicales dans un pays comme la France, alors que le taux de syndicalisation y est bas. On a pu dire qu'il s'agissait d'un syndicalisme de militants plus que de membres. Considérés isolément, les chiffres cachent également un autre phénomène important: l'apparition ou la renaissance d'un mouvement syndical libre dans nombre de pays passés récemment d'un régime totalitaire à un système démocratique, comme en Europe centrale et orientale.
7. Cependant, les temps changent. Aujourd'hui, s'adaptant aux bouleversements engendrés par la mondialisation et l'évolution technologique, les organisations syndicales modifient leurs stratégies et leurs programmes d'action. Elles font figurer la protection de l'emploi au premier rang de leurs préoccupations. Leur attitude évolue vers moins d'antagonisme et plus de coopération. Selon le rapport, leurs efforts se concentrent sur quatre points:
Organisations d'employeurs: nouvelles perspectives
8. Les organisations d'employeurs se heurtent aujourd'hui à des difficultés qui ne sont pas tellement différentes de celles des syndicats: baisse de l'adhésion, perte partielle d'influence dans certaines régions et nécessité d'efforts importants pour s'affirmer dans les pays en développement et les pays en transition. Cependant, comme leurs homologues, elles apprennent à adapter leurs structures et les services qu'elles offrent à l'évolution des temps.
9. Il existe presque partout des organisations patronales, mais elles sont de nature très différente selon les régions et selon les pays. Elles peuvent être très centralisées, comme en Scandinavie jusqu'à une époque récente, ou au contraire être des associations assez lâches, comme en Australie et aux Etats-Unis. Leur histoire est marquée par une tension continue entre deux courants opposés. Le premier, très présent au Canada et aux Etats-Unis par exemple, prône la liberté la plus complète possible pour les patrons d'organiser eux-mêmes, avec leur personnel, les relations de travail dans leurs entreprises. Le second en appelle à une régulation sur un plan plus élevé (le secteur d'activité, la région, le pays tout entier) des conditions d'emploi et même d'autres conditions de production. L'objectif est dans ce deuxième cas d'éviter une concurrence trop féroce et fréquemment dommageable pour tous et d'assurer la stabilité nécessaire à une gestion prévisionnelle permettant des investissements, voire des formations à long terme. Telle est, manifestement, l'approche privilégiée par les employeurs européens.
10. Dans les pays autrefois communistes, l'existence d'organisations d'employeurs autonomes est un phénomène entièrement nouveau. Ces organisations se concentrent naturellement dans le secteur privé qui est en expansion, alors que les syndicats, eux, sont très présents dans un secteur public en déclin, certes, mais encore très vaste; de ce fait, le gouvernement est dans les deux cas l'interlocuteur principal. Le rôle respectif des acteurs sociaux est souvent mal compris, surtout en Russie et dans les autres pays de la Communauté d'Etats indépendants (CEI), où le cadre juridique dessert fréquemment les associations patronales. L'absence d'une législation appropriée perpétue en effet les déséquilibres du régime précédent, à l'avantage des syndicats en termes d'influence et de ressources. Cette situation a favorisé l'apparition de multiples groupements censés représenter les chefs d'entreprise, quand bien même très peu peuvent à bon droit revendiquer cette fonction. Dans certains pays, ils ont plus ou moins réussi à coordonner leur action mais, dans d'autres, les choses ne sont pas encore très claires. Leur avenir dépendra en grande partie de la stratégie des pouvoirs publics.
11. Le tableau est à peu près le même dans les pays en développement. On y constate des divergences d'intérêts entre organisations d'employeurs, et l'importance limitée du secteur moderne constitue, par ailleurs, une entrave manifeste à leur développement. De surcroît, l'instabilité politique et économique de certains pays fait obstacle à l'essor de la libre entreprise et des organisations qui doivent la favoriser. Plus d'un Etat en développement a suivi, sinon toujours la doctrine, du moins une organisation du pouvoir inspirée du modèle soviétique. Le refus, par ces régimes, d'accepter l'expression de points de vue indépendants, pour ne rien dire de la libre négociation collective des salaires et autres conditions d'emploi, a certainement contribué dans le passé à la faiblesse des associations patronales.
12. Dans tous les pays, industrialisés ou non, les petites et moyennes entreprises (PME) constituent l'immense majorité. La proportion semble même s'accroître. Pourtant, les taux d'adhésion aux organisations patronales demeurent extrêmement faibles dans les pays en développement et même dans les pays industrialisés: bien des PME rechignent à suivre les règles acceptées au niveau de la branche d'activité ou sur le plan national. Souvent, elles possèdent leurs propres groupements qui adhèrent parfois, mais pas toujours, aux organisations générales d'employeurs. Les organisations patronales ont réagi dans différents pays en se donnant les moyens de fournir des services directs d'appui aux PME dans des domaines tels que la formation, l'accès au crédit, les conseils d'ordre juridique, l'information sur les meilleures pratiques professionnelles, l'établissement de liens avec les grandes entreprises, l'appui à la commercialisation et à l'exportation. A l'autre extrémité de l'éventail, les entreprises les plus grandes sont également enclines à faire cavalier seul et à privilégier la négociation d'entreprise. Du fait de l'exacerbation de la concurrence, les employeurs sont partout tentés de favoriser l'autonomie d'action, et cela plus particulièrement dans les branches d'exportation.
13. En Europe, la tendance générale à la décentralisation a déplacé le pouvoir de décision des grandes fédérations centrales interprofessionnelles vers les organisations sectorielles ou régionales, voire, dans certains cas, une combinaison des deux. Au Royaume-Uni, l'un des pays où le phénomène est le plus prononcé, l'essentiel du pouvoir appartient aux entreprises elles-mêmes, ce qui laisse les organisations centrales sans véritable compétence de décision. Cette évolution a sans aucun doute affaibli les associations patronales traditionnelles. Certaines ont réagi en devenant des prestataires de services pour leurs membres -- formation, conseils juridiques, planification stratégique -- plutôt que des instances de représentation. D'autres s'adaptent au contexte nouveau en améliorant et en actualisant les services qu'elles offrent déjà. Les efforts de rationalisation et de réduction des frais ont en outre abouti à de nombreuses fusions entre les organisations patronales à vocation économique et celles qui s'occupent des questions d'ordre social.
14. Là où les relations professionnelles se décentralisent, les fonctions traditionnelles de relations publiques, de «lobbies» et de représentation des associations patronales prennent une place proportionnellement plus grande. De même que les syndicats ont été poussés à rechercher des alliances avec d'autres organisations à vocation sociale, les associations patronales ont établi des liens avec des groupes communautaires -- femmes, jeunes, institutions éducatives --, le plus souvent dans un souci de formation. Les entreprises et leurs associations manifestent aussi une préoccupation accrue pour l'insertion ou la réintégration sociale, en s'efforçant d'intervenir en faveur de l'emploi et de lutter contre l'exclusion sociale.
15. Autre objectif largement partagé: la coordination à l'échelle internationale. Le rapport souligne en particulier le rôle de l'Organisation internationale des employeurs (OIE).
Les nouveaux visages de la production
et les relations professionnelles
16. L'accroissement des flux commerciaux et la plus grande mobilité du capital transforment les relations professionnelles en modifiant les rapports entre partenaires sociaux. La mondialisation n'entraîne pas nécessairement la migration massive d'entreprises fuyant un coût du travail trop élevé et une fiscalité trop lourde, mais elle leur offre la possibilité de déplacer ou non leurs investissements. Le simple fait que cette possibilité existe, compte tenu également de l'évolution de la technologie et des modes d'organisation, influe fortement sur les relations professionnelles et la culture d'entreprise: que ce soit pour les pays, pour les entreprises ou pour les individus, l'ouverture des frontières exige un ajustement aux changements.
17. Le rapport relève trois grands facteurs de changement des relations professionnelles, induits par la mobilité du capital: la réduction de la marge de manœuvre des gouvernements, l'accroissement de l'autonomie des entreprises et la montée de la concurrence dans le domaine des salaires et de l'investissement. Le rapport souligne que, pour que l'inégalité économique cesse de croître et que la mondialisation soit politiquement et économiquement viable, il faut que le système des relations professionnelles évolue.
18. Si la mondialisation et l'innovation technologique ont des effets potentiellement positifs sur la croissance et l'emploi, elles risquent aussi de déstabiliser la répartition des richesses et les stratégies de négociation collective. La puissance des syndicats ne limite en rien l'ouverture d'un pays. En réalité, l'internationalisation des économies et les avantages qui en découlent s'imposent d'autant plus facilement que les partenaires sociaux sont en mesure de garantir une certaine sécurité aux salariés.
19. La mobilité du capital déstabilise la structure protégée des salaires à laquelle aboutissaient les systèmes nationaux de relations professionnelles lorsque la concurrence s'exerçait essentiellement à l'intérieur des frontières. Le résultat est positif à maints égards puisque la concurrence stimule la productivité, rend les entreprises plus attentives au coût du travail, génère des investissements rentables dans les domaines de la technologie et de la recherche, et contient l'inflation. Avec l'élargissement des possibilités d'implantation des entreprises, les rémunérations, autrefois soustraites à la concurrence, y sont de nouveau exposées: le coût du travail est au centre de la négociation. Le problème touche particulièrement les travailleurs peu qualifiés que les entreprises peuvent trouver en abondance un peu partout dès l'instant où elles ont une certaine liberté d'implantation.
20. La concurrence commerciale et la mobilité du capital peuvent donc avoir pour effet de diviser les travailleurs d'un même pays. La mobilité du capital serait favorable aux travailleurs très qualifiés, car ils attirent le capital, ce qui fait augmenter leurs salaires, mais elle est défavorable à ceux qui sont peu qualifiés, et qui étaient autrefois protégés de la concurrence sur les salaires. Les efforts déployés par les syndicats pour obtenir des augmentations de salaire et de meilleures conditions pour les travailleurs peu qualifiés risquent de se heurter à une résistance accrue. En rendant les entreprises plus sensibles au coût du travail, la mobilité du capital peut amener aussi de leur part une réaction plus vigoureuse aux campagnes d'implantation syndicale.
21. La volonté d'attirer les investissements peut également provoquer d'importants changements de comportement dans l'exercice du droit syndical et d'importantes modifications des relations professionnelles. Par exemple, au Royaume-Uni, dans les années quatre-vingt, les investissements japonais ont donné naissance à une forme de négociation préliminaire qui est venue modifier les pratiques habituelles en matière de relations professionnelles, notamment à des accords prévoyant la reconnaissance d'un seul syndicat et à l'engagement, dans les conventions collectives, de ne pas recourir à la grève. En Amérique latine, dans l'industrie automobile, les constructeurs étrangers ont souvent fait de l'accord des syndicats sur les conditions qu'ils demandaient un préalable à leur venue.
22. En réduisant l'indépendance des politiques macroéconomiques nationales, la mondialisation a renforcé le rôle de l'entreprise comme moteur de la croissance économique et de la création d'emplois. En même temps, elle expose l'entreprise à une concurrence plus âpre. Elle érode les marchés protégés dans lesquels les entreprises avaient l'habitude de fonctionner et fait de la flexibilité une condition d'adaptation à l'évolution rapide des marchés et des produits. Les entreprises ont réagi en transformant le mode d'organisation du travail et de la production. Du fait de cette évolution, les relations professionnelles au niveau de l'entreprise ont acquis une plus grande importance.
23. Par souci de favoriser la flexibilité et de rationaliser la production, les entreprises ont réduit le nombre des niveaux de gestion. Dans de nombreux cas, les responsabilités des cadres ont été décentralisées vers l'atelier, où les innovations technologiques et les systèmes d'informatisation ont globalement réduit l'emploi et où les nouvelles méthodes d'organisation du travail -- fondées par exemple sur la constitution d'équipes transfonctionnelles et la diversification des compétences -- en ont radicalement modifié la nature. Les réductions d'effectifs et la réorganisation du travail ont transformé le système traditionnel, caractérisé par des emplois très cloisonnés et des descriptions de poste rigides, qui était encore en vigueur au début des années quatre-vingt dans bon nombre de pays industrialisés.
24. En ce qui concerne les travailleurs, les avantages de ces nouvelles méthodes de travail, qui leur confèrent une plus grande autonomie, davantage de responsabilités et un plus grand pouvoir de décision, ont souvent pour corollaires un plus fort chômage, une moindre sécurité de l'emploi, des perspectives de carrière restreintes et un accroissement du pourcentage de travailleurs «périphériques» -- occasionnels, temporaires, à temps partiel ou titulaires de contrats à durée déterminée.
25. Dans bien des cas, les structures existantes des relations professionnelles ont été remplacées par de nouvelles stratégies appliquées à l'initiative des entreprises et globalement baptisées «politiques de valorisation des ressources humaines (VRH)». Ces politiques, qui peuvent couvrir l'organisation du travail en équipe, la formation, les systèmes de rémunération, la participation des salariés et les décisions concernant le personnel, ne semblent pas encore avoir réussi à réduire les tensions inhérentes aux relations entre employeurs et travailleurs. Elles laissent entière la question de la place des syndicats et des accords collectifs.
26. Quelquefois introduites en coopération avec les syndicats, notamment au Japon et en Allemagne, elles ignorent le plus souvent les organes de représentation collective. Le rapport se demande si, finalement, l'architecture des futures relations professionnelles ne dépendra pas, dans une large mesure, de la solution que les employeurs et les travailleurs trouveront pour concilier les politiques fondées sur la coopération, au nombre desquelles les politiques de VRH, et les relations professionnelles traditionnelles basées sur la représentation collective des travailleurs. Plusieurs raisons militent en faveur de la complémentarité de ces deux méthodes.
27. Premièrement, les politiques fondées sur la coopération, qui mettent l'accent sur l'attachement et l'engagement des salariés, et donc sur la nécessité pour l'entreprise d'assurer une certaine stabilité de l'emploi, ne touchent qu'une partie de la main-d'œuvre. Parce que l'on assiste simultanément à un recours accru à des contrats de travail précaires, les travailleurs concernés auront du mal, en l'absence de représentation collective, à obtenir les mêmes avantages que ceux ayant un emploi à plein temps. Certains problèmes ne pouvant trouver de solutions dans la coopération directe, les autres relais des relations professionnelles, tels que les syndicats, demeurent indispensables.
28. Deuxièmement, la diffusion de ces innovations reste limitée et inégale. Les résultats obtenus et les changements mis en œuvre grâce à des méthodes de type VRH varient beaucoup d'un pays à l'autre. Enfin, les organisations professionnelles, et celles de travailleurs en particulier, ayant souvent des préoccupations qui dépassent le cadre de l'entreprise, celles-ci doivent pouvoir s'exprimer au travers de négociations collectives, à l'échelle locale, de la branche d'activité ou du pays tout entier.
Les formes variées de la négociation collective
et de la concertation sociale
29. Du fait de la plus grande autonomie des entreprises et du déclin des relations professionnelles traditionnelles, les problèmes de cohésion sociale sont devenus une préoccupation majeure dans beaucoup de pays. Dans ce contexte, le rapport se demande comment concilier les tendances actuelles à la décentralisation et à l'individualisation, et une régulation du travail qui limite l'insécurité et l'inégalité. Il constate que la concertation sociale demeure le meilleur moyen de garantir la protection des travailleurs tout en satisfaisant aux nouvelles exigences de productivité des entreprises. Il note cependant que les méthodes et les objectifs de la négociation collective évoluent et s'orientent dans plusieurs directions nouvelles.
30. Dans les pays industrialisés, il relève deux grandes options: l'une volontariste, née en Angleterre mais dont l'archétype est aujourd'hui les Etats-Unis, et l'autre observée notamment sur le continent européen. La première se caractérise par une négociation décentralisée axée sur une protection économique des salariés et avec une intervention étatique minimale. Dans la seconde, une négociation collective coordonnée à un niveau plus centralisé veut promouvoir, en plus d'une protection économique, une société plus solidaire, et l'intervention de l'Etat y est nettement plus importante. Dans une troisième option, plus récente, inspirée de la situation japonaise, la négociation collective est à la fois décentralisée et coordonnée au niveau national.
31. Les résultats économiques sont souvent expliqués comme étant la conséquence de l'un ou l'autre «modèle» de relations professionnelles: tantôt, comme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les bons résultats économiques sont attribués à la décentralisation et à la dérégulation; tantôt, comme en Suède et au Japon dans le passé, et en Irlande et aux Pays-Bas aujourd'hui, ils sont expliqués par une régulation bien comprise, appuyée sur un fort consensus social. Le rapport estime que, compte tenu des vicissitudes de l'économie et de la difficulté d'en expliquer les causes a posteriori, on ne peut pas définir un modèle idéal et unique de relations professionnelles mieux adapté qu'un autre à la croissance économique. Dans les pays à régime démocratique, l'important est de déterminer la capacité de la concertation sociale, aujourd'hui, de répondre aux menaces que font peser sur la cohésion sociale l'aggravation du chômage et les inégalités de revenus.
32. La négociation collective a toujours été très décentralisée dans certains pays tels que les Etats-Unis. Récemment, il y a eu un mouvement prononcé de décentralisation de la négociation dans des pays comme le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. Dans les pays où la négociation se déroule essentiellement au niveau de l'entreprise, la syndicalisation en constitue le soutien essentiel. Or la baisse de la syndicalisation est générale, surtout dans le secteur privé. Il en est résulté, d'une part, que le nombre de salariés couverts par les accords collectifs a diminué et, d'autre part, que les négociations ont de plus en plus porté sur les concessions nécessaires pour accroître la compétitivité de l'entreprise et sauvegarder les emplois.
33. En Europe occidentale, où le taux de chômage est important depuis quelques années, la tendance à la décentralisation s'affirme: d'une part, la négociation nationale et sectorielle perd du terrain; d'autre part, une plus large place est réservée à la négociation d'entreprise pour régler les questions de productivité au jour le jour. Bien que les structures traditionnelles de négociation tiennent généralement à la neutralité de l'entreprise comme lieu de négociation, la création de plus en plus fréquente de comités d'entreprise vise à développer au sein de celle-ci des institutions basées sur le dialogue et la coopération ainsi qu'à favoriser la mise en œuvre de politiques de valorisation des ressources humaines. Tout cela n'empêche toutefois pas que la décentralisation reste un phénomène limité dans la plupart des pays d'Europe occidentale et que la négociation de branche continue à y jouer un rôle prépondérant.
34. En Europe occidentale, la négociation collective se développe principalement autour de la question de l'emploi. Les dispositions les plus fréquentes des accords collectifs visent à traiter la question de l'emploi par la réduction ou l'aménagement du temps de travail, la modération salariale -- voire la baisse des salaires -- et des mesures d'insertion telles que l'embauche à un salaire réduit et l'augmentation du nombre des places d'apprentissage.
35. Au Japon, les relations professionnelles sont organisées au niveau de l'entreprise, mais le système décentralisé japonais présente des formes de coordination nationale très influentes. En outre, l'Etat est un acteur très présent des relations professionnelles; il intervient par le biais de l'action législative ou de mesures incitatives, comme la mise en œuvre de politiques de l'emploi en faveur d'industries, de régions ou de catégories de travailleurs fragilisés par les restructurations. La forme la plus notoire de coordination nationale est le shunto (offensive du printemps), qui organise chaque année les négociations salariales. Les résultats de ces négociations ne concernent directement que 25 pour cent des salariés, mais ils servent de référence pour les augmentations de salaire dans les petites et moyennes entreprises où le taux de syndicalisation est faible.
36. Dans toute l'Europe centrale et orientale, les relations professionnelles se sont ressenties, bien qu'à des degrés divers, de la brutalité des changements politiques et économiques. Les syndicats jouent un rôle de premier plan dans la transition vers l'économie de marché, et la négociation collective est un élément déterminant pour préserver la cohésion sociale tout en permettant que se réalise la nécessaire restructuration du secteur industriel.
37. Déjà, la grande majorité des pays en transition disposent d'une législation, souvent inspirée de celle des pays d'Europe occidentale, qui permet le développement de la négociation collective à différents niveaux. Malgré des progrès non négligeables dans la construction d'un système de relations professionnelles, beaucoup reste à faire: il est clair que les syndicats ont actuellement une position dominante mais qu'il leur est difficile de gérer celle-ci, en l'absence d'une catégorie d'employeurs aux intérêts et aux capacités d'engagement identifiables, particulièrement au niveau sectoriel. Une autre difficulté provient du fait que les syndicats éprouvent des difficultés à s'implanter dans les petites entreprises du secteur privé, dont le nombre est en augmentation constante.
38. Dans les pays en développement également, la concertation sociale et les conventions collectives pâtissent de la précarité de l'emploi et du fait qu'une faible proportion de la population active bénéficie de la protection sociale. En Amérique latine, les relations professionnelles souffrent d'un bout à l'autre du continent du poids de l'intervention de l'Etat dans la régulation des relations de travail. En Asie, les mécanismes propres à favoriser le dialogue social restent peu développés dans de nombreux pays; le pourcentage de salariés couverts par des accords collectifs dépasse rarement 4 pour cent dans la majorité des pays. En Afrique, la prédominance des secteurs agricole et informel réduit fortement l'impact que pourraient avoir des négociations tripartites ou bipartites; dans de nombreux pays, les syndicats ont réussi à s'imposer, notamment sur le plan politique, mais leur influence a généralement été réduite dans le domaine du travail.
Relations professionnelles et secteur informel
39. Les syndicats, les associations patronales et les gouvernements s'intéressent de plus en plus aux travailleurs d'un secteur informel qui ne cesse de s'étendre dans la quasi-totalité des pays en développement. Toutefois, du fait de l'hétérogénéité des activités et des relations d'emploi, il n'est pas facile d'organiser les travailleurs de ce secteur. Une autre difficulté provient du fait que les unités qui le composent se situent en marge, sinon complètement en dehors, du cadre juridique et administratif. La grande question est de savoir quelles institutions et quels instruments des relations professionnelles peuvent être utilisés pour remédier aux problèmes du secteur informel.
40. Malgré diverses tentatives de mobilisation communautaire, aucune forme d'organisation collective n'a encore réussi à s'imposer véritablement dans le secteur informel. Les associations qui existent couvrent un espace géographique limité et ont des objectifs pragmatiques et très précis, de telle sorte qu'elles cessent souvent d'exister dès que la raison pour laquelle elles ont été créées disparaît. Certaines, qui sont fondées sur le voisinage, parviennent parfois à exercer une influence dans le domaine politique. D'autres, fondées sur le type d'activité, regroupent des entrepreneurs qui traitent avec les mêmes fournisseurs et les mêmes intermédiaires. La plupart sont extrêmement fragiles, manquent de compétences en matière de gestion et n'offrent que des services limités. De ce fait, la défiance de leurs membres envers l'action collective comme moyen efficace de résoudre leurs problèmes se trouve renforcée.
41. Pourtant, depuis quelques années, les syndicats s'intéressent davantage à la question. Certains recrutent parmi ces travailleurs et les intègrent parfois dans des branches distinctes. D'autres nouent des liens stratégiques avec des associations du secteur informel afin de les aider, par leurs conseils et par des activités de formation, à renforcer leurs capacités.
42. Les organisations patronales, quant à elles, sont sans doute les mieux placées pour promouvoir la modernisation des activités du secteur informel qui sont susceptibles de se développer sous réserve d'améliorations techniques. Par ailleurs, certaines organisations d'employeurs considèrent les chefs de petites entreprises et de micro-entreprises comme des adhérents potentiels. Encore faut-il qu'elles diversifient leurs services, jusqu'ici limités aux domaines traditionnels du règlement des différends et de la négociation collective.
43. Quelle que soit l'assistance que peuvent apporter les syndicats et les organisations patronales, il est clair que l'Etat a un rôle majeur à jouer dans les efforts visant à aider les travailleurs du secteur informel à surmonter leurs handicaps. En effet, les efforts d'organisation risquent d'être vains si le cadre réglementaire est inadapté. Il est capital que les travailleurs du secteur informel puissent adhérer aux syndicats de leur choix ou en créer, et que l'Etat les considère comme des interlocuteurs ou des partenaires lors de l'élaboration des politiques ou de l'application des programmes. Il faut aussi que les politiques macroéconomiques soient bien orientées et que les institutions publiques et les fonctionnaires aient les moyens voulus pour agir efficacement dans le secteur informel. Enfin, il semble nécessaire d'améliorer la coordination entre les autorités gouvernementales et les pouvoirs locaux puisque, dans tous les cas étudiés, l'administration centrale s'est montrée généralement plus favorable aux travailleurs du secteur informel que les autorités locales.
B. Les conséquences pour les activités de l'OIT
44. Dans les années à venir, le Bureau poursuivra son analyse et approfondira sa compréhension des phénomènes décrits dans le rapport pour être en mesure d'aider les acteurs des relations professionnelles à s'adapter aux défis auxquels ils sont confrontés, et pour favoriser l'adoption de systèmes et pratiques de relations professionnelles permettant de trouver l'équilibre entre contraintes économiques et justice sociale qui est indispensable pour préserver la cohésion sociale et la démocratie.
L'information
45. Une constatation préalable s'impose: la nécessité de tenir régulièrement à jour les informations contenues dans l'annexe statistique sur les indicateurs des relations professionnelles et, en particulier, sur les effectifs syndicaux, les taux de syndicalisation et les taux de couverture des négociations collectives, et de compléter ces informations pour couvrir le plus grand nombre possible de pays, particulièrement en développement.
46. A cet égard, l'absence de données désagrégées par sexe est une lacune importante à combler, qui fait obstacle à la formulation et à l'évaluation de stratégies et de programmes efficaces pour accroître la participation des femmes aux syndicats, et plus généralement pour mesurer l'impact sur les femmes des évolutions en cours dans l'organisation du travail et de la production et dans les relations professionnelles.
47. Au-delà des données statistiques, il est nécessaire que le Bureau dispose d'une banque de données sur les systèmes et pratiques de relations professionnelles qui lui permette de se tenir informé et d'informer les mandants sur les évolutions qui se produisent à cet égard dans le monde. L'établissement du réseau d'informations sur les relations professionnelles (IRNET) commencé en 1996-97 se poursuivra et s'élargira dans les années à venir.
Les syndicats
48. Le rapport montre que les syndicats, quoique affaiblis, sont prêts à affronter les défis de la mondialisation et adoptent des stratégies nouvelles pour reconquérir le terrain.
49. L'OIT peut soutenir leurs efforts en s'efforçant d'abord d'assurer un meilleur respect du droit syndical. Le rapport rappelle que, dans de nombreux pays, y compris des pays où la législation garantit pourtant la liberté syndicale, les travailleurs sont en butte à des pratiques répressives et à des entraves de toutes sortes lorsqu'ils tentent de constituer des syndicats, de s'affilier à un syndicat ou de se livrer à des activités syndicales. Dès lors, on est en droit de s'interroger sur l'efficacité des dispositions légales pertinentes et des mécanismes destinés à les faire respecter. En tenant compte des cas traités par le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration et de la jurisprudence des tribunaux ou organes compétents nationaux, on pourrait entreprendre une étude des pratiques antisyndicales et de l'efficacité des mesures garantissant le droit de se syndiquer. L'étude pourrait contenir des recommandations concernant les moyens d'assurer dans la pratique une meilleure protection du droit syndical, y compris éventuellement l'adoption de nouvelles normes en la matière.
50. Le Bureau peut aussi étudier, faire connaître et appuyer les efforts de renouveau et d'adaptation des syndicats. Le rapport indique quatre directions vers lesquelles s'orientent ces efforts: la diversification des services offerts aux membres; le recrutement de nouveaux membres; le développement de la coopération internationale; l'établissement d'alliances stratégiques avec d'autres organisations. Il serait utile d'examiner de manière détaillée les différentes initiatives prises par les syndicats dans ces différents domaines et les résultats obtenus.
51. D'une importance cruciale pour l'avenir des syndicats est leur capacité de recruter de nouveaux membres et de défendre efficacement leurs intérêts. A cet égard, deux catégories de travailleurs présentent une importance particulière: les femmes et les travailleurs en situation d'emploi précaire. Accroître la participation des femmes et leur influence dans les syndicats doit rester un objectif prioritaire, et les difficultés ainsi que les progrès réalisés en ce sens, ainsi que les moyens par lesquels ces progrès ont été accomplis, doivent continuer d'être systématiquement documentés et évalués par le Bureau.
52. Le rapport souligne aussi la difficulté d'organiser le nombre croissant de travailleurs occupant des formes d'emploi atypiques ou précaires, qui n'ont que des liens intermittents ou distendus avec l'entreprise et peu d'intérêts, y compris des lieux de travail, en commun. Les difficultés d'ordre juridique ou pratique faisant obstacle à la syndicalisation de ces travailleurs, les mesures qui ont été mises en œuvre dans divers pays et secteurs pour les surmonter, ainsi que les résultats obtenus pourraient faire l'objet d'un examen dont le résultat serait mis à la disposition des mandants. Cela compléterait les travaux du Colloque syndical international qui est prévu en 1998-99 sur l'organisation des travailleurs du secteur informel, des travailleurs à domicile et de ceux employés en sous-traitance.
53. On pourrait en outre examiner les changements apportés aux services que les syndicats rendent à leurs membres et à leurs programmes d'action, et comment les syndicats modifient leurs structures et modes d'organisation et de fonctionnement pour les adapter aux changements qui se produisent dans la composition de la main-d'œuvre et dans les méthodes de production et de fonctionnement des entreprises, y compris les stratégies nouvelles qu'ils adoptent pour répondre à l'internationalisation de la production.
Les organisations d'employeurs
54. Le rapport met en lumière le besoin de renforcer les structures patronales, mais également la nécessité de leur donner la capacité de s'adapter à un environnement en mutation rapide, dominé par les exigences de compétitivité.
55. L'OIT peut soutenir leurs efforts en favorisant l'adaptation du cadre juridique ou réglementaire, là où il constitue un handicap à la création et au fonctionnement des organisations d'employeurs. C'est le cas en particulier dans un grand nombre de pays anciennement communistes d'Europe centrale et orientale. Un examen systématique de la législation ayant un impact direct ou indirect sur la création ou le fonctionnement des organisations d'employeurs pourrait permettre de formuler des recommandations en vue de changements et servir de base à l'assistance que le Bureau fournit aux organisations d'employeurs de ces pays.
56. L'OIT peut soutenir leurs efforts en les aidant à améliorer leurs structures, à proposer de nouveaux services correspondant aux besoins des entreprises, à renforcer les compétences de leur personnel et à nouer des alliances stratégiques. Ceci permettra aux organisations d'employeurs d'être mieux à même de contribuer à répondre aux défis sociaux majeurs, y compris la promotion de l'emploi et la lutte contre la pauvreté.
57. Le Bureau peut accompagner cet ajustement des organisations d'employeurs en les aidant à mettre en œuvre une planification stratégique leur permettant d'anticiper les besoins des entreprises, de s'y adapter et d'élargir leur représentativité en améliorant la qualité et la gamme de leurs services pour répondre notamment aux besoins des petites et moyennes entreprises.
58. L'OIT peut aussi aider les organisations d'employeurs dans des domaines comme l'amélioration de la productivité au niveau de l'entreprise, la promotion des relations professionnelles et des bonnes pratiques sur le lieu de travail, la sécurité et la santé et la mise en valeur des ressources humaines.
Les nouveaux visages de la production
59. Le rapport analyse les effets de l'ouverture des frontières nationales et de la mobilité accrue du capital sur les relations professionnelles, tout en soulignant que bien des points demeurent obscurs dans l'état actuel de nos connaissances. Etant donné que la mondialisation de l'économie est appelée à se poursuivre, voire à s'accentuer, il est essentiel que le Bureau continue, dans les années à venir, à recueillir des informations sur les formes que revêt ce phénomène dans différents pays et différents secteurs, et à analyser leur impact sur les conditions d'emploi et de travail et les relations professionnelles.
60. Le rapport signale en particulier que la marge de manœuvre des Etats semble s'être considérablement réduite, alors que, partout, l'Etat est de plus en plus sollicité pour rétablir une cohésion sociale sérieusement ébranlée par des processus d'exclusion entraînés par le jeu du marché. A n'en pas douter, les effets des évolutions économiques en cours sur l'autonomie ou l'interdépendance des politiques sociales nationales et leur corollaire, les responsabilités nouvelles de l'Etat, sont des questions clés qui devront retenir l'attention dans les années à venir.
61. La tendance croissante à l'autonomie des entreprises et à l'individualisation des relations de travail ainsi que le rôle accru de l'entreprise comme moteur de l'expansion économique et de la création d'emplois mettent clairement en relief la nécessité d'accorder une attention accrue aux évolutions qui se produisent au niveau des entreprises individuelles. Une première observation d'ordre général est qu'il convient de mieux connaître les pratiques des entreprises et de passer des analyses macroéconomiques ou sectorielles au niveau micro, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés, ne serait-ce qu'en raison de la diversité des situations.
62. Le rapport souligne que les entreprises ont de plus en plus besoin de flexibilité pour pouvoir s'adapter à l'intensification de la concurrence et décrit les changements organisationnels qu'elles introduisent pour assurer cette flexibilité: réorganisation du travail, externalisation de la production, instauration autour de grandes entreprises de réseaux de micro, petites et moyennes entreprises sous-traitantes, etc. Ces nouvelles formes d'organisation de la production ont des conséquences en matière d'emploi, de formation, de conditions de travail et de vie, et de relations professionnelles sur lesquelles le Bureau s'est penché au cours des dernières années dans le cadre des grands programmes correspondants, mais dont l'étude est loin d'être épuisée. La question à laquelle il n'a pas encore été trouvé de réponse et qui demeurera au centre de la politique sociale dans les années à venir est comment faciliter la flexibilité et l'adaptabilité dont les entreprises et l'économie ont besoin pour prospérer et créer des emplois, tout en assurant aux individus le niveau de protection indispensable pour maintenir la cohésion de la société.
63. Dans le domaine des relations professionnelles, le BIT continuera d'identifier et de promouvoir les changements qui sont nécessaires dans les comportements des individus, des entreprises et des acteurs collectifs des relations professionnelles, et dans les institutions et mécanismes qui régissent les rapports entre eux. En 1996-97, le BIT a exécuté un programme de recherche sur le rôle que peuvent jouer la négociation collective et les accords entre syndicats et employeurs dans l'introduction de mesures visant à accroître la flexibilité du marché du travail. En 1998-99, il conduira une étude sur la contribution des relations professionnelles à la création et à la protection de l'emploi dans une économie globalisée.
64. Dans tous les pays, les changements intervenus dans l'organisation de la production ont entraîné un éclatement de la relation traditionnelle d'emploi, basée sur un lien durable entre l'employeur et le travailleur, et une prolifération des emplois atypiques qui peuvent recouvrir des réalités fort différentes dans la pratique et être régis par des règles juridiques très diverses. Sur le plan juridique, on assiste à un effacement des frontières entre le droit du travail et le droit commercial (ou à une interpénétration de ces droits), qui a d'importantes implications pour la protection dont bénéficient les personnes intéressées. Au cours des dernières années, l'OIT a été amenée à adopter des normes pour certaines de ces catégories d'emplois, mais il reste encore bien des aspects qui sont mal connus et analysés. En particulier, le développement considérable de l'emploi indépendant, dans les pays industrialisés comme dans ceux en développement, pose un certain nombre de questions quant au régime juridique applicable et à la protection dont bénéficient les personnes ainsi occupées (sans parler de l'organisation de ces personnes, dont il sera question plus en détail plus bas). Une analyse systématique de la manière dont ces questions sont traitées dans différents pays et systèmes juridiques permettrait d'améliorer la protection des travailleurs indépendants et aussi des personnes occupant une situation mal définie à la frontière du droit du travail.
65. L'impact négatif des nouvelles formes d'organisation de la production sur la sécurité et la qualité des emplois a, à juste titre, beaucoup retenu l'attention jusqu'ici. Il y a aussi des cas d'influence positive exercée par des entreprises sur d'autres entreprises faisant partie d'une même chaîne ou d'un même réseau de production pour qu'elles adoptent certaines conditions de travail ou certaines pratiques en matière de relations professionnelles et de gestion des ressources humaines. Ces cas pourraient servir d'exemples et mériteraient d'être mieux documentés et connus.
66. Etant donné le rôle moteur assumé par l'entreprise dans la performance économique et la création d'emplois, l'OIT devra s'attacher à mettre davantage l'accent sur l'instauration d'un climat de coopération entre les travailleurs et l'employeur au sein de l'entreprise, et rechercher les mécanismes les plus appropriés par lesquels cette coopération peut être assurée. Le rôle que peuvent jouer les organes représentatifs du personnel -- comités d'entreprise et/ou syndicats -- et la négociation collective ainsi que les nouvelles méthodes de gestion du personnel ou «politiques de valorisation des ressources humaines» décrites dans le rapport devra être examiné. En ce qui concerne les politiques de mise en valeur des ressources humaines, leur utilisation par les entreprises devrait faire l'objet de recherches plus poussées pour déterminer si leur pratique est généralisée et constitue une tendance durable, examiner dans quelle mesure elles vont de pair avec un recours aux organes traditionnels de représentation des travailleurs et à la négociation collective, et évaluer leur capacité de réguler les conditions d'emploi et les relations de travail de manière satisfaisante à la fois pour l'entreprise et pour les travailleurs.
67. La mobilité du capital a pour conséquence que les comportements et pratiques des entreprises transnationales et multinationales acquièrent une importance accrue. Le Bureau devra donc intensifier les activités relatives aux relations professionnelles dans les multinationales. En 1998-99, il entreprendra une étude de la représentation, de l'information et de la consultation, et des mécanismes participatifs dans les entreprises multinationales. Cette étude pourrait notamment examiner l'opportunité d'adopter des directives ou des normes internationales sur ce sujet.
La négociation collective et le dialogue social
68. Le rapport constate que les instruments traditionnels des relations professionnelles -- négociation collective, concertation sociale, dialogue social -- mis à mal par les évolutions en cours font cependant la preuve de leur capacité de résistance et d'adaptation. Le dialogue social, en particulier, redevient plus que jamais nécessaire car il demeure un instrument privilégié pour concilier les exigences de productivité et de compétitivité des entreprises avec les besoins de protection des travailleurs et le maintien de la cohésion sociale. C'est ainsi que le rapport fait état d'un «processus d'ajustement consensuel» du marché du travail enclenché ces dernières années dans plusieurs pays européens par la conclusion de pactes sociaux.
69. L'OIT intensifiera donc ses efforts pour promouvoir le dialogue social à tous les niveaux. Ces efforts viseront en premier lieu à faire accepter dans tous les Etats Membres le principe d'une concertation permanente entre syndicats, organisations d'employeurs et pouvoirs publics sur les politiques économiques nationales. L'expérience montre qu'un dialogue est indispensable pour prévoir et optimiser l'impact de ces politiques sur l'emploi et la condition des travailleurs. Le BIT aidera aussi les pays membres à développer la pratique du dialogue social, en continuant et élargissant les programmes de coopération technique qui sont déjà en cours d'exécution dans plusieurs régions du monde. L'accent sera mis sur le renforcement de la capacité technique des partenaires tripartites de participer efficacement au dialogue et sur l'établissement ou l'amélioration du cadre légal et institutionnel dans lequel se déroule le dialogue.
70. La tendance à la formation de groupements régionaux, en vue de l'intégration politique et/ou économique ou d'une meilleure coordination, entraîne la nécessité d'une coordination régionale des politiques sociales et des pratiques en matière de relations du travail. La dimension régionale de la concertation sociale retiendra également l'attention dans les années à venir et le BIT cherchera à promouvoir le développement de mécanismes de consultation tripartite au niveau régional afin que la dimension sociale soit intégrée aux politiques adoptées à ce niveau. En 1998-99, il étudiera l'expérience en ce domaine des groupements régionaux existants (UE, MERCOSUR, etc.), et les leçons qui pourraient en être tirées pour les groupements en cours de formation.
71. Les formes et le contenu de la négociation collective se modifient, pour s'adapter à l'évolution des politiques des entreprises et des besoins de la main-d'œuvre. Une tâche essentielle du Bureau doit être de continuer de suivre attentivement l'évolution des pratiques dans les différents pays, en recueillant et en publiant de manière régulière des statistiques sur le taux de couverture des conventions collectives et des données sur le contenu de celles-ci, et en analysant systématiquement les informations recueillies. Cela l'aidera notamment à trouver des éléments de réponse à certaines questions importantes débattues aujourd'hui et auxquelles il a déjà commencé à prêter attention. Ces questions sont notamment les suivantes: Dans quelles conditions l'utilisation de la négociation collective pour fixer les conditions d'emploi est-elle un facteur positif ou négatif de performance économique? Quelles sont les causes et les conséquences d'une négociation pratiquée au niveau de l'entreprise, au niveau de la branche d'activité ou au niveau national? En particulier, y a-t-il un niveau ou un mode d'organisation de la négociation qui soit plus favorable à la performance économique du pays ou de l'entreprise? Quelle contribution la négociation collective peut-elle apporter à la protection de l'emploi, à la promotion de la flexibilité des entreprises et de l'adaptabilité des travailleurs, ou à l'amélioration de la productivité et de la compétitivité?
72. Le rapport met fortement l'accent sur le maintien de la cohésion sociale comme une des fonctions principales des relations professionnelles et sur l'évolution souhaitable vers des relations individuelles et collectives de travail plus fondées sur la coopération que sur la confrontation. Comment prévenir et régler les conflits de travail, qui ont toujours constitué l'une des préoccupations principales des systèmes de relations professionnelles, prend aujourd'hui une actualité nouvelle. Un certain nombre d'innovations apparaissent, tant dans les techniques de prévention que dans les mécanismes et institutions de règlement des conflits, qui font de plus en plus appel à des organes indépendants de l'Etat, y compris des organismes privés. Compte tenu des enjeux et des évolutions en cours, le Bureau fera de la prévention des conflits et du maintien de la paix sociale un élément majeur de ses programmes dans les années à venir.
Le secteur informel
73. Le secteur informel présente une spécificité qui le fait échapper aux systèmes classiques de relations professionnelles. Cependant, les objectifs des relations professionnelles -- intégration économique, cohésion sociale, démocratie -- doivent aussi être poursuivis dans ce secteur. La question qui se pose est celle de savoir si les institutions et mécanismes propres aux relations professionnelles -- syndicats et organisations d'employeurs, négociation collective et concertation sociale -- sont applicables au secteur informel et si d'autres formules peuvent être trouvées pour assurer au mieux la défense des intérêts de ceux qui y travaillent. A cette question, le rapport ne prétend pas donner de réponse, soulignant la rareté des données et des recherches sur les aspects institutionnels du secteur informel et l'expérience encore limitée des acteurs traditionnels des relations professionnelles dans ce secteur, et il se contente de faire un bilan des connaissances en la matière. La première priorité pour le Bureau consistera donc à améliorer ses connaissances dans ces domaines. Deux aspects devraient particulièrement retenir son attention.
74. Le premier concerne les personnes occupées dans le secteur. Le rapport souligne leur hétérogénéité, ainsi que l'extrême diversité et précarité de leurs conditions d'emploi et de vie qui rendent difficiles leur classement dans les catégories du secteur formel et, partant, leur assujettissement aux modes d'organisation et de régulation des relations professionnelles de ce secteur. Le travail indépendant semble être la forme d'emploi la plus fréquente, mais il coexiste avec tout un éventail d'autres modalités dont le régime juridique, au regard du droit du travail et de la sécurité sociale, du droit commercial, du droit fiscal ou d'autres branches du droit, est loin d'être clairement défini. Cela a des effets importants sur les conditions dans lesquelles ces personnes exercent leur occupation, sur le revenu qu'elles en tirent et sur la protection dont elles bénéficient ou sur l'absence de protection. Un inventaire des différentes formes d'emploi ou d'occupation existant dans le secteur informel et des règles juridiques qui leur sont applicables dans les différents pays serait un pas important pour mieux comprendre les contraintes pesant sur les travailleurs de ce secteur et pour apporter un élément de réponse à la question classique mais toujours non résolue: comment améliorer la protection légale de ces travailleurs? A défaut de pouvoir assujettir les travailleurs non salariés au droit du travail, une connaissance plus détaillée des diverses règles qui leur sont applicables pourrait peut-être permettre de recommander la modification ou l'adaptation de certaines de ces règles dans un sens qui leur soit favorable.
75. Le deuxième aspect concerne les institutions par lesquelles sont assurées la représentation et la défense des intérêts des personnes occupées dans le secteur informel. Puisqu'il ne fait pas de doute que l'amélioration des conditions du secteur informel passe par une organisation efficace de ces personnes, il conviendrait de procéder à un examen exhaustif de l'expérience des différents pays quant aux méthodes d'organisation dans le secteur informel, en procédant à un inventaire des organisations créées pour défendre et promouvoir les intérêts des personnes occupées dans le secteur et à une analyse des formes diverses que peuvent prendre ces organisations (syndicats, associations de micro-entrepreneurs, coopératives, mutuelles, etc.), des obstacles juridiques et pratiques à leur création et à l'exercice de leurs activités, de la capacité d'action de ces organisations à divers niveaux et dans divers domaines, et des alliances ou collaborations que ces organisations entretiennent avec les syndicats et les organisations d'employeurs. Le résultat de cette analyse serait mis à la disposition des mandants, pour qu'ils puissent s'inspirer des méthodes les plus efficaces ayant fait leurs preuves.
76. Les résultats des travaux ci-dessus pourront être utilisés pour améliorer la compréhension et le traitement des phénomènes d'informalisation et de précarisation du travail qui caractérisent de plus en plus les marchés du travail des pays industrialisés.
Genève, le 19 février 1998.