L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
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GB.273/ESP/1/1
273e session
Genève, novembre 1998


Commission de l'emploi et de la politique sociale

ESP


PREMIÈRE QUESTION À L'ORDRE DU JOUR

Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-99.
Employabilité et mondialisation.
Le rôle crucial de la formation

a) Discussion générale et implications
en ce qui concerne les politiques

Table des matières

Introduction

Evolution de l'emploi

Rôle de l'éducation et de la formation à l'appui de la compétitivité, de la croissance et de l'ajustement

Rôle crucial de la formation

Réformes de la formation

Formation des femmes dans un monde en mutation économique

Besoins de formation du secteur informel

Importance de la formation pour les groupes de travailleurs vulnérables


Introduction

1. Le Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-99, publié en octobre 1998, est le troisième d'une série de rapports dans lesquels le BIT analyse les problèmes de l'emploi sous l'angle international. Après avoir fait le point de la situation de l'emploi dans le monde, le BIT y examine les stratégies et les systèmes de formation les mieux à même d'aider les pays à faire face aux conséquences de l'accélération de la mondialisation et du progrès technique. Il analyse dans le détail les systèmes de formation existant dans le monde ainsi que les stratégies de formation propres à stimuler la compétitivité nationale, à rendre les entreprises plus performantes, à promouvoir l'emploi. Il étudie plus particulièrement les politiques et programmes qui visent à améliorer les perspectives professionnelles des femmes et à renforcer les compétences et l'employabilité des travailleurs du secteur informel et des groupes vulnérables (notamment jeunes en situation d'échec, chômeurs de longue durée, travailleurs âgés victimes de licenciements, travailleurs handicapés). Enfin, il préconise des mesures concrètes et réalistes qui pourraient permettre aux mandants de l'OIT d'améliorer les systèmes de formation de telle sorte qu'ils soient plus aptes à répondre à l'évolution des besoins du marché du travail.

2. Dans la préface, le Directeur général souligne «qu'une meilleure formation de la main-d'œuvre peut accroître la compétitivité, assurer une meilleure complémentarité du capital humain et du capital proprement dit, stimuler la croissance économique, améliorer les perspectives d'emploi et faciliter l'ajustement. Les conclusions du rapport corroborent celles des précédents rapports sur l'emploi dans le monde, à savoir que, si l'on veut obtenir des résultats optimaux, il faut que l'environnement soit propice à la croissance et que les décisions dans le domaine de la formation soient le fruit d'étroites consultations entre l'Etat, les employeurs et les travailleurs... Ce qui ressort de ce rapport, c'est que, face à l'évolution constante et très rapide de la demande de qualifications, la formation et l'apprentissage à vie ont de plus en plus d'importance, et ce partout dans le monde... Chaque pays a donc intérêt à être attentif à l'expérience des autres s'il veut pouvoir compter sur une main-d'œuvre bien formée et capable de s'adapter.»

3. Cette question a été inscrite à l'ordre du jour de la commission afin de permettre à celle-ci de participer à cet important débat. En vue de faciliter la discussion, les principales analyses et conclusions du rapport sont résumées dans le présent document, après quoi seront examinées ses implications pour les activités de l'OIT.

Evolution de l'emploi

4. Dans le contexte actuel, caractérisé par la persistance du chômage dans beaucoup de pays et par la mondialisation accélérée de l'économie, quel est le rôle de la formation et quels efforts ont récemment été faits pour la renforcer? C'est à ces questions que le BIT s'attache à répondre dans le Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-99. Depuis le précédent rapport, à la fin de 1996, plusieurs événements, certains positifs, d'autres négatifs, se sont produits, mais, à quelques exceptions près, les choses ne se sont guère améliorées sur le front de l'emploi et, dans beaucoup de parties du monde, le chômage reste un souci majeur. Certes, les perspectives sont un peu moins sombres dans un certain nombre de pays industrialisés mais, d'un autre côté, l'Europe centrale et orientale reste en butte à des difficultés et la situation s'est dégradée en Asie de l'Est. Aucun progrès significatif n'a été observé en Asie du Sud et en Afrique. En Amérique latine, la croissance économique a repris mais son rythme n'est pas suffisamment rapide pour faire refluer le chômage.

5. Selon les estimations du BIT, une forte proportion (de 25 à 30 pour cent) de la population active mondiale, qui compte environ 3 milliards de personnes, est sous-employée et environ 140 millions de travailleurs sont au chômage. A cause, principalement, des effets de la crise économique que traverse l'Asie de l'Est, on peut s'attendre à ce que le nombre de chômeurs augmente de 10 millions d'ici à la fin de 1998, ce qui entraînera inévitablement une aggravation de la pauvreté et du sous-emploi dans les pays directement touchés. En résumé, la situation reste globalement sombre et il est urgent, un peu partout dans le monde, de trouver de nouveaux moyens de promouvoir l'emploi.

6. Face à la persistance du chômage et du sous-emploi, on s'inquiète de plus en plus de la fracture sociale qui découle du manque d'emplois. Dans la conjoncture économique actuelle, l'exclusion menace notamment les jeunes chômeurs, les chômeurs de longue durée, les travailleurs âgés victimes de licenciements, les travailleurs les moins qualifiés, les travailleurs handicapés et les minorités ethniques - les femmes étant, à l'intérieur de chacun de ces groupes, les plus désavantagées. Le chômage des jeunes est particulièrement préoccupant; selon le BIT, on compte environ 60 millions de demandeurs d'emploi parmi les jeunes de 15 à 24 ans.

7. La crise financière en Asie a montré combien il est coûteux de négliger la dimension sociale. Le rythme de la mondialisation a été essentiellement déterminé par les forces du marché, et on n'a pas accordé suffisamment d'attention aux règles, institutions et pratiques nécessaires au niveau national et, dans une certaine mesure, au niveau international pour rendre ses conséquences socialement acceptables. Cela vaut notamment pour les pays à haut revenu d'Asie de l'Est qui sont mal armés pour faire face aux conséquences sociales d'une crise pour eux inédite. A l'échelon mondial, il est probable que les échanges continueront à augmenter plus vite que la production, parce que la spécialisation des systèmes de production s'accentuera et que certains pays en développement seront mieux à même, grâce notamment aux accords régionaux, de prendre une plus grande part des marchés des pays industrialisés dans certains secteurs. La croissance des échanges et la gravité de la crise en Asie font qu'il est plus que jamais nécessaire de trouver des réponses socialement acceptables aux problèmes posés par les effets sur l'emploi de la restructuration des entreprises.

8. La demande de main-d'œuvre qualifiée a été stimulée par la mondialisation, par les mutations technologiques et par les nouvelles formes d'organisation du travail, trois facteurs qui sont étroitement liés: les nouvelles technologies de l'information, en rendant moins chères et plus rapides les communications, facilitent la mondialisation de la production et l'intégration des marchés financiers; la mondialisation, en provoquant une intensification de la concurrence, favorise la diffusion des nouvelles technologies ainsi que l'adoption de nouvelles formes d'organisation du travail. De plus en plus, la réussite économique d'un pays dépend de son accès aux nouvelles technologies et des qualifications de sa main-d'œuvre.

Rôle de l'éducation et de la formation à l'appui
de la compétitivité, de la croissance et de l'ajustement

9. Depuis quelques années, compte tenu de l'accélération de la mondialisation et du progrès des technologies de l'information et de la communication, la valorisation du capital humain est de plus en plus considérée comme un des moteurs essentiels de la croissance économique: les différences de niveaux de vie d'un pays à l'autre sont attribuées principalement aux différences de niveaux d'instruction et de formation. Les pays qui possèdent une main-d'œuvre bien formée ont certains atouts fondamentaux. Ils ont moins de mal à s'adapter à la mondialisation et peuvent tirer un meilleur parti des débouchés qu'elle offre, parce que leurs entreprises sont plus flexibles et mieux à même d'absorber les nouvelles technologies et d'exploiter les nouveaux équipements. La structure de leur production et de leurs exportations est davantage axée sur des produits haut de gamme: leur avantage concurrentiel se situe dans le domaine de la qualité et non des prix, et ils ont donc moins à craindre des pays à bas salaires. Les perspectives de carrière et la qualité des emplois augmentent en proportion de la part de la main-d'œuvre qualifiée dans la population active. Les pays où la formation professionnelle est la plus développée ont résisté à la tendance à une aggravation des disparités de salaires.

10. A mesure qu'ils s'ouvrent à la concurrence internationale et qu'ils s'en remettent aux forces du marché, beaucoup de pays en développement ou en transition doivent accroître l'efficience et la compétitivité de leurs entreprises. La restructuration industrielle doit pouvoir s'appuyer sur une formation professionnelle adaptée. Dans le passé, beaucoup de pays ont pu s'accommoder d'une main-d'œuvre guère qualifiée en taxant lourdement les importations. Aujourd'hui, il devient urgent qu'ils investissent dans la formation pour améliorer leur compétitivité.

11. La conjonction de la mondialisation et de l'essor des nouvelles technologies produit continuellement des opportunités que seuls peuvent efficacement exploiter les pays dotés des qualifications voulues pour offrir au bon moment les produits dont l'économie mondiale a besoin. Une mauvaise décision dans le domaine de la technologie et de la formation se paie par un coût supplémentaire au niveau national et, dans une économie mondialisée, se solde par un manque à gagner, faute pour le pays de pouvoir exploiter tel ou tel nouveau créneau.

Rôle crucial de la formation

12. Pour aider les pays à concevoir la stratégie de formation la mieux adaptée aux évolutions en cours, le rapport propose de tenir compte des sept éléments suivants:

Réformes de la formation

13. Les systèmes de formation sont soumis à de fortes pressions. La demande évolue et ce n'est plus seulement de qualifications supérieures que la main-d'œuvre a besoin pour garantir son employabilité, mais de qualifications différentes. Les systèmes de formation doivent réagir rapidement et avec souplesse. Au niveau national, ils font l'objet de demandes très pressantes car on est de plus en plus sensible à l'importance de l'apprentissage à vie, aux besoins des chômeurs dans les pays développés et les pays en transition, et à la nécessité de valoriser le secteur informel dans les pays en développement. Quelles que soient les carences de certains régimes de formation parrainés par les pouvoirs publics, les réformes ne doivent pas obligatoirement viser à un désengagement de l'Etat. Dans certains domaines - reconnaissance des compétences, certification, contrôle et évaluation de la qualité -, son rôle devra même peut-être être renforcé.

14. Pressés de réformer leurs systèmes de formation, les pays ont pris un certain nombre de mesures. Le rapport les passe en revue en s'attachant à identifier les éléments clés d'un système de formation bien adapté à l'évolution de la demande de qualifications. Il souligne notamment l'importance du partenariat social, du cofinancement, de la certification et d'un bon rapport coût-efficacité des systèmes de formation.

15. Il est fondamental que les systèmes de formation s'appuient sur un partenariat entre les employeurs - les utilisateurs finals des qualifications -, les travailleurs - les personnes visées par la formation - et l'Etat - qui définit le cadre dans lequel celle-ci s'inscrit. Ce partenariat social contribue à la pertinence de la formation, du point de vue de son contenu et de sa qualité, ainsi qu'à la transparence et au respect des normes d'évaluation et de certification des compétences, et il garantit les incitations nécessaires. Au niveau de l'entreprise, des consultations entre la direction et les travailleurs sont essentielles pour que la formation débouche sur de meilleures perspectives de carrière. Au niveau national, des consultations globales s'imposent pour garantir la cohérence de la politique de formation avec la politique du marché du travail. Cela laisse le champ libre, au niveau intermédiaire, pour diverses institutions - locales, professionnelles, sectorielles. L'un des avantages du partenariat social est qu'il permet de réunir des informations plus réalistes sur les besoins de compétences. La décentralisation des décisions relatives aux cours de formation présente le même intérêt.

16. Le rapport insiste sur l'importance de l'apprentissage à vie. Les entreprises doivent se considérer, non seulement comme des entités productives, mais aussi comme des «entreprises apprenantes». La pratique d'un perfectionnement continu des qualifications dans le cadre d'un plan de carrière est très courante dans les entreprises japonaises et allemandes. Ce modèle se rencontre principalement dans les pays dans lesquels la relation entre l'employeur et le travailleur repose sur un engagement mutuel à long terme ou dans lesquels le processus de certification est solidement établi. Les réseaux interentreprises sont de plus en plus fréquents: ils permettent à des entreprises concurrentes d'un même secteur de partager leurs dépenses de formation. L'idéal est que le coût de la formation soit réparti entre tous les producteurs qui, ensuite, tireront profit de l'amélioration des compétences de la main-d'œuvre. Ces systèmes ne sont cependant acceptables que lorsque les représentants des travailleurs sont convaincus de l'équité des salaires proposés après la formation.

17. Cette recherche de solutions négociées met en évidence la nécessité d'une participation active des employeurs et des travailleurs aux travaux des organismes qui déterminent la politique de formation des entreprises ainsi qu'à l'élaboration des politiques de formation aux niveaux national, régional et local. Il faut renforcer et développer les partenariats sociaux pour que les systèmes de formation soient déterminés conjointement par toutes les parties intéressées, y compris l'Etat.

18. Les pouvoirs publics poussent de plus en plus les entreprises et les particuliers à assumer la majeure partie des coûts de la formation en démontrant l'utilité de celle-ci et en favorisant la concurrence entre les organismes qui la dispensent. Cependant, sur ce plan aussi, il existe plusieurs modèles possibles.

19. Les taxes de formation, qui correspondent à un prélèvement annuel équivalant le plus souvent à 1 ou 2 pour cent de la masse salariale, sont utilisées dans plusieurs pays latino-américains. Dans d'autres pays, aussi divers que la France, Singapour et le Zimbabwe, les entreprises qui ne forment pas leur personnel doivent payer la taxe de formation au taux plein (qui sert à financer les programmes nationaux de formation) tandis que les entreprises qui offrent des cours de formation peuvent déduire les frais correspondants du montant de leur taxe.

20. En fait, ce sont souvent les travailleurs eux-mêmes qui finissent par financer en grande partie l'acquisition de nouvelles compétences, du fait qu'ils touchent des salaires réduits pendant leur formation. Cela diminue d'autant l'investissement requis des employeurs, lesquels craignent que le travailleur, une fois formé, n'aille offrir à une société concurrente les qualifications dont ils ont financé l'acquisition.

21. La formation aux frais de l'intéressé est également de plus en plus courante: le travailleur utilise son temps libre et son argent pour acquérir de nouvelles compétences par le biais de la formation continue, de cours du soir, de stages de remise à niveau ou de l'enseignement professionnel. En Allemagne, aux Etats-Unis et en France, selon les évaluations qui ont été faites, les adultes qui paient eux-mêmes leur formation accroissent en général considérablement leurs revenus par la suite. Dans certains cas, ces efforts individuels de formation sont favorisés par des mesures fiscales: aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, des avantages fiscaux sont garantis aux personnes qui suivent des cours de formation agréés.

22. Les systèmes de formation et les marchés du travail attachent de plus en plus d'importance à la reconnaissance des qualifications et des compétences. La certification vise avant tout à garantir la transférabilité des qualifications, quel que soit leur mode d'acquisition (formation classique ou expérience sur le lieu de travail).

23. Il est urgent que les pays en développement créent des systèmes de certification fondés sur les compétences définies par l'employeur en faveur des travailleurs qui ont acquis des qualifications dans le cadre d'un apprentissage informel ou sur le tas. Contrairement à une idée reçue, l'absence de diplôme ou de certificat n'est pas nécessairement synonyme de manque de compétences. Il faut que soient reconnues les compétences des travailleurs qui, bien que manquant de bases théoriques, ont appris un métier sur le tas.

24. La qualité est de plus en plus déterminante pour la compétitivité d'une entreprise ou d'un pays. Cela doit se refléter dans la formation. Les organismes qui la dispensent doivent veiller tout particulièrement à la qualité des prestations qu'ils offrent et s'assurer qu'elles permettent d'acquérir des compétences conformes aux normes. Par ailleurs, les programmes de formation doivent tenir dûment compte des normes de qualité pour satisfaire au niveau d'exigence requis sur le lieu de travail. De plus en plus, l'Etat et les organisations privées qui financent les programmes de formation définissent des critères de réalisation auxquels est subordonné le paiement des services. Certains établissements s'efforcent de prouver l'excellence de la formation qu'ils dispensent en obtenant qu'elle soit certifiée conforme aux normes établies par des organismes tels que l'Organisation internationale de normalisation (ISO).

25. Pour qu'un pays ou une entreprise conserve ou renforce sa compétitivité, il est indispensable que les systèmes de formation soient capables de réagir rapidement à l'évolution des besoins, d'où l'intérêt de la décentralisation des décisions qui améliore le rapport coût-efficacité de la formation. Le rapport analyse les quasi-marchés mis en place dans certains pays pour les programmes publics de formation: l'Etat lance des appels d'offres pour choisir les organismes de formation afin d'accroître la rentabilité et l'efficience de celle-ci.

26. Comme le souligne le rapport, le recours à des mécanismes commerciaux - par exemple chèque-formation - visant à améliorer la qualité de la formation financée par l'Etat ne dispense pas celui-ci d'exercer son contrôle et en particulier d'orienter la politique de formation dans le cadre d'institutions solides. Un marché actif de la formation est un grand avantage pour de telles institutions qui, de leur côté, peuvent fournir aux prestataires privés des informations précieuses sur l'évolution probable de la demande de qualifications tout en servant de puissants mécanismes de contrôle de la qualité et des prix des services offerts.

Formation des femmes dans un monde en mutation économique

27. Le rapport fait observer que, du fait de la mondialisation, des mutations technologiques et des nouvelles formes d'organisation du travail, la situation des femmes a beaucoup évolué ces dernières années sur le marché du travail. Cette évolution accroît leurs besoins de formation mais crée aussi de nouveaux obstacles qui, souvent, les empêchent d'acquérir les qualifications voulues. Les changements technologiques ont réduit la demande de travailleurs peu qualifiés, parmi lesquels on trouve beaucoup de femmes. Par ailleurs, elles sont de plus en plus nombreuses à occuper des emplois atypiques (emplois temporaires, occasionnels ou à temps partiel, travail à domicile ou en sous-traitance, travail indépendant, emplois dans des micro-entreprises). L'essor des échanges internationaux a, dans beaucoup de pays en développement, fait progresser l'emploi des femmes dans les secteurs qui travaillent pour l'exportation. Les privatisations et la tendance à une contraction du secteur public ont eu l'effet inverse dans beaucoup de pays où l'Etat, à l'échelon national ou local, est, dans le secteur formel, la principale source d'emplois des femmes. Enfin, dans les pays de l'ex-Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique, le passage de l'économie centralisée à l'économie de marché a eu un impact encore plus négatif sur l'emploi des femmes que sur celui des hommes.

28. Les taux d'activité des femmes sont encore inférieurs à ceux des hommes mais l'écart se resserre rapidement: elles sont par exemple à l'origine de plus des trois quarts de l'augmentation de la main-d'œuvre depuis 1980 dans l'Union européenne. S'il veut pouvoir disposer d'une main-d'œuvre compétitive et bien formée, un pays doit donc s'attacher à favoriser l'accès des femmes à l'instruction et à la formation.

29. Il est essentiel d'aider les femmes à concilier travail et formation avec leurs responsabilités familiales et de combattre la ségrégation professionnelle dont elles sont victimes. Les services de prise en charge des enfants et d'aide familiale facilitent la formation des femmes en leur permettant de rester sur le marché du travail. Les possibilités d'apprentissage à vie en dehors de l'entreprise sont particulièrement importantes: elles peuvent leur permettre de briser le cercle vicieux dans lequel les enferme le manque de qualifications qui les maintient dans des emplois peu payés où les possibilités de formation sont limitées. La certification nationale des compétences est particulièrement utile pour les femmes qui doivent arrêter provisoirement de travailler pour des raisons familiales.

30. L'exclusion de la formation sur le lieu de travail est l'une des principales formes de discrimination dont souffrent les travailleuses et aussi l'une des plus difficiles à contrôler et donc à combattre. Les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à bénéficier des formations financées par les employeurs. Les lois contre la discrimination ainsi que les programmes de promotion de l'égalité des chances et d'action positive peuvent jouer un rôle essentiel dans l'élimination des obstacles qui empêchent les femmes d'accéder sur un pied d'égalité avec les hommes à la formation dans l'entreprise et d'exploiter ainsi pleinement leurs compétences. Les services de l'emploi doivent veiller à ce que les politiques actives du marché du travail n'excluent pas les femmes des programmes de formation ou de recyclage destinés aux chômeurs.

31. Le système d'enseignement et de formation influe beaucoup sur la ségrégation professionnelle entre hommes et femmes, phénomène que l'on observe dans tous les pays. Il faut, dans les programmes d'orientation et de formation professionnelles, éviter toute discrimination à l'encontre des femmes. Il faut en particulier sensibiliser les spécialistes de l'orientation et de la formation aux préjugés qui dissuadent les femmes de viser des professions bien rémunérées qui sont traditionnellement l'apanage des hommes.

32. Dans un certain nombre de pays en développement, les filles sont loin d'avoir les mêmes possibilités que les garçons d'accéder à l'instruction de base. En 1995, selon les estimations, plus de la moitié des petites filles de 6 à 11 ans n'étaient pas scolarisées en Afrique subsaharienne; c'était aussi le cas de plus d'un tiers des filles de cette classe d'âge en Asie du Sud et de plus d'un quart dans les Etats arabes. Il est indispensable que ces pays s'attachent à promouvoir la scolarisation des filles dans le cadre d'une stratégie visant à améliorer l'accès des femmes à l'emploi et à la formation et à exploiter au mieux le potentiel humain dont ils disposent.

33. Dans certains pays en développement, l'essor des échanges internationaux a beaucoup fait progresser l'emploi des femmes dans les secteurs qui travaillent pour l'exportation. Il faudrait promouvoir la formation en entreprise dans ces secteurs qui sont en expansion dans beaucoup de pays en développement et dont la main-d'œuvre se compose essentiellement de femmes. En général, la productivité y est faible, d'où la médiocre qualité des emplois occupés par les femmes.

34. Il faudrait veiller tout spécialement à améliorer l'accès des femmes à la formation aux technologies de l'information et de la communication qui ont une importance fondamentale pour beaucoup de branches dynamiques, en pleine expansion, dans lesquelles les femmes sont sous-représentées. Pour promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, il est sans doute plus important de favoriser l'accès de ces dernières aux nouveaux emplois qui utilisent de nouvelles technologies et qui sont plein essor que de les aider à concurrencer les hommes dans des emplois qu'ils occupent traditionnellement dans des secteurs aujourd'hui en déclin. De plus en plus nombreuses sont les femmes qui créent des entreprises; il faudrait encourager cette tendance en facilitant la formation des femmes aux techniques financières et commerciales. Enfin, il faut que les femmes puissent accéder plus facilement, à l'intérieur des entreprises, à la formation à la gestion et aux formations techniques, ce qui leur permettra de postuler à des postes de plus haut niveau.

Besoins de formation du secteur informel

35. Le rapport examine le cas du secteur informel qui, dans la plupart des pays en développement, est la principale source d'emplois en milieu urbain et dans lequel le manque de qualifications et de capital contribue à perpétuer la pauvreté. Il fait ressortir les potentialités de ce secteur, potentialités qui pourraient notamment être exploitées grâce à des accords de sous-traitance avec les entreprises du secteur moderne. Il est d'autant plus important de sauvegarder les possibilités de formation qui existent dans le secteur informel que, dans les pays en développement, les institutions officielles de formation n'ont pas la capacité de former tous ceux qui le souhaitent et que ces derniers ont rarement les moyens de suivre une formation en bonne et due forme. Le secteur informel recèle des possibilités de croissance qu'il faut exploiter au lieu de se contenter d'attendre que sa situation s'améliore grâce au décollage du secteur moderne.

36. L'un des grands défauts des stratégies de formation appliquées jusqu'ici par les pays en développement est qu'elles se concentrent exclusivement sur les besoins du secteur moderne, dont la contribution à l'emploi et à la création d'emplois est pourtant considérablement inférieure à celle du secteur informel. Ces pays doivent reconnaître que le secteur informel est une réalité. Leurs stratégies de formation doivent tenir compte de l'hétérogénéité de ce secteur et donc de ses besoins de formation.

37. Dans le monde en développement, le secteur informel a pris beaucoup d'essor à cause du manque de dynamisme de l'emploi dans le secteur moderne ainsi que du manque de qualifications d'une bonne partie de la main-d'œuvre. La plupart des travailleurs du secteur informel occupent des emplois peu payés; leurs conditions de travail sont mauvaises et échappent aux réglementations. Le secteur informel est une source essentielle d'emplois en milieu urbain. En Afrique, il assure en moyenne plus de 60 pour cent de l'emploi total dans les villes. A l'échelle mondiale, le pourcentage est par exemple de 57 pour cent en Bolivie et à Madagascar, de 56 pour cent en République-Unie de Tanzanie, de 53 pour cent en Colombie, de 48 pour cent en Thaïlande et de 46 pour cent au Venezuela.

38. Le système d'apprentissage qui existe dans le secteur informel est un moyen efficace de transmission des connaissances. C'est par ce canal que la plupart des patrons des micro-entreprises, secteur relativement dynamique, ont acquis leurs compétences. Toutefois, faute d'exposition aux nouvelles techniques et de ressources, ces qualifications restent souvent rudimentaires. Les services publics de vulgarisation doivent donc intervenir en aidant les maîtres artisans à se perfectionner et en offrant une formation complémentaire aux apprentis.

39. Il faut établir un lien entre enseignement secondaire et apprentissage, de manière à inciter les jeunes à aller à l'école pour acquérir les compétences qui leur permettront de gagner leur vie. C'est aussi un moyen efficace de combattre à long terme le travail des enfants dans les pays en développement.

40. L'aide à l'apprentissage dans les micro-entreprises doit s'assortir de conseils et d'informations sur les outils, les techniques et les marchés dans le cadre d'initiatives locales visant à établir des liens entre ces entreprises et d'autres plus grandes et à encourager la création de groupements de producteurs. Ces groupements pourraient identifier les besoins de formation et de ressources des entreprises du secteur informel et assurer le suivi et l'évaluation des programmes de formation.

41. La productivité et la survie des entreprises du secteur informel dépendent de leur accès aux compétences et aux ressources et de leurs liens avec les entreprises plus grandes qui, dans le cadre d'accords de sous-traitance, peuvent leur offrir de nouveaux débouchés. La mondialisation de la production a souvent encouragé la sous-traitance mais elle a aussi rendu plus instable la situation économique, d'où beaucoup de faillites. Par ailleurs, l'importance accrue des normes de qualité pousse à une adaptabilité et à une normalisation de la production mais, faute de ressources et d'accès à la formation, les micro-entreprises ont du mal à suivre le mouvement. Il faut que les chefs des micro-entreprises puissent acquérir, grâce à la formation, les compétences techniques et les connaissances en gestion dont ils ont tant besoin.

42. Dans le sous-secteur des ménages et dans celui des services, où la main-d'œuvre est en général peu qualifiée et peu payée, il y a lieu d'appliquer une stratégie intégrée de création de revenus et de lutte contre la pauvreté faisant une grande place à la formation. La formation technique et la formation à la gestion doivent être étroitement liées au crédit. Dans les cas où l'amélioration des compétences ne peut avoir qu'un impact négligeable sur la productivité, il y a encore plus de raisons de faciliter l'accès des travailleurs à l'instruction de base, au crédit et à la formation pour qu'ils acquièrent plus de mobilité et qu'ils aient ainsi de meilleures perspectives de revenu dans le secteur informel.

43. On ne saurait trop insister sur la nécessité d'adopter une approche intégrée pour améliorer les compétences et la productivité dans le secteur informel. Le perfectionnement des compétences induit par la formation ne pourra véritablement porter ses fruits que si d'autres conditions sont réunies, notamment la possibilité d'accéder au crédit et la présence d'un appui institutionnel.

Importance de la formation pour les groupes
de travailleurs vulnérables

44. Dans le cadre d'une politique visant à accélérer la croissance et à améliorer la compétitivité, il faut aussi, par la formation, renforcer l'employabilité de certaines catégories sociales et combattre la discrimination qui les empêche d'accéder à l'emploi. L'importance que l'on accorde à la notion d'employabilité tient à l'évolution du marché du travail: diminution de la sécurité de l'emploi, risques croissants d'exclusion pour ceux qui ne possèdent pas les qualifications voulues, nécessité pour les travailleurs d'avoir des compétences de plus en plus pointues, de les mettre constamment à jour et d'être polyvalents. Sur les marchés du travail très concurrentiels qui résultent du nouvel ordre économique, il n'y aura guère de place pour ceux qui, faute de formation, n'auront pas une employabilité suffisante.

45. Le paradoxe de la situation actuelle est que l'accélération de la mondialisation et l'exacerbation de la concurrence, qui devraient inciter les pays à investir plus que jamais dans la mise en valeur de leurs ressources humaines, risquent aussi d'avoir pour effet d'aggraver la segmentation des marchés du travail et l'exclusion et de réduire les possibilités de formation. Les travailleurs vulnérables - jeunes sans emploi, chômeurs de longue durée, travailleurs âgés victimes de licenciements, travailleurs handicapés - risquent de plus en plus d'être évincés du marché du travail, car ils manquent des qualifications requises par la mondialisation, l'évolution technique et les nouvelles formes d'organisation du travail. L'enseignement et la formation peuvent beaucoup aider ces catégories vulnérables à surmonter leurs difficultés.

46. Le rapport analyse le rôle et l'efficacité des politiques de formation dans l'amélioration des compétences et de l'employabilité des travailleurs vulnérables et examine les mesures de soutien nécessaires, y compris l'élimination des obstacles qui les privent d'un accès équitable à l'emploi. Il examine aussi la relation entre l'amélioration des compétences et la segmentation des marchés du travail ainsi que les facteurs institutionnels et les forces du marché qui conduisent à négliger la formation des travailleurs qui, occupant des formes atypiques d'emploi, sont particulièrement vulnérables. Beaucoup de jeunes en situation d'échec, de chômeurs de longue durée, de travailleurs âgés victimes de compressions d'effectifs, de personnes handicapées et autres personnes vulnérables se trouvent plus ou moins écartés de la formation en cours d'emploi.

47. Les travailleurs les plus vulnérables, notamment les jeunes sans emploi et les chômeurs de longue durée, se sont beaucoup ressentis du manque de dynamisme de l'activité économique dans beaucoup de régions du monde. La formation peut les aider à surmonter leurs problèmes mais il est sûr qu'elle ne donnera véritablement de résultats que si la politique macro-économique favorise la croissance de l'emploi.

48. Le chômage des jeunes est particulièrement préoccupant. Son évolution, notamment dans les pays développés, dépend en grande partie de la croissance, d'où l'importance d'une reprise économique soutenue. Identifier des programmes de formation propres à améliorer sensiblement et durablement les perspectives d'emploi des jeunes chômeurs n'est pas tâche facile pour les gouvernements. La plupart des pays industrialisés ont lancé des programmes de formation ou d'emploi, à court ou moyen terme, pour combattre ce problème. Apparemment, dans bien des cas, ces programmes n'ont eu que des effets provisoires et n'ont pas apporté de solution durable.

49. Un meilleur ciblage des bénéficiaires et une meilleure adaptation des activités de formation à leurs besoins particuliers sont nécessaires pour accroître les chances des jeunes de trouver un emploi à l'issue de ces programmes. L'expérience montre que les initiatives les plus fructueuses sont celles qui offrent aux jeunes chômeurs tout un ensemble de services complémentaires: soutien pédagogique, formation, emplois subventionnés, aide pour la recherche d'un emploi et orientation professionnelle, aide psychosociale pour les problèmes de toxicomanie ou d'alcoolisme et les problèmes familiaux. Par ailleurs, les programmes qui permettent aux jeunes d'acquérir de l'expérience ainsi qu'une formation en entreprise facilitent beaucoup leur entrée dans le monde du travail en atténuant la réticence des employeurs face à des jeunes totalement dépourvus d'expérience professionnelle.

50. Dans les pays en développement, dont la croissance est rapide ou qui présentent des signes de reprise économique, les programmes qui permettent aux jeunes d'acquérir une expérience de courte durée en entreprise ou qui les aident dans leur recherche d'un travail peuvent donner de bons résultats.

51. Dans beaucoup de pays industrialisés, et notamment en Europe, la persistance du chômage de longue durée est l'un des pires problèmes sociaux. Plus longtemps les travailleurs restent au chômage et moins ils ont de chances de pouvoir retrouver un emploi: les entreprises hésitent en effet à les embaucher car elles craignent notamment qu'ils ne soient plus qualifiés. L'expérience de différents pays qui ont essayé d'améliorer l'employabilité et les perspectives des chômeurs de longue durée montre que les programmes de formation qui sont étroitement liés au marché du travail et d'échelle relativement modeste sont les plus efficaces. Les mesures ponctuelles ont beaucoup moins d'impact sur l'employabilité des chômeurs de longue durée que des mesures combinées se renforçant mutuellement, notamment: emplois subventionnés, aide pour la recherche d'un emploi, cours de remise à niveau, formation, aide psychosociale ou familiale. La formation ou le placement en entreprise facilite la réinsertion de ces chômeurs que les employeurs hésitent souvent à embaucher. Les petites entreprises de réinsertion de type communautaire aident à lutter contre le chômage de longue durée tout en répondant aux besoins de la collectivité et en favorisant l'activité économique locale.

52. Le rapport examine aussi le cas des travailleurs âgés évincés du marché du travail dans les pays développés et fait ressortir qu'il faut favoriser l'apprentissage à vie afin d'éviter la déqualification. Il présente certains des enseignements que l'on peut tirer des programmes de recyclage de ces travailleurs et examine les mesures et incitations qui pourraient convaincre les employeurs de consacrer davantage de ressources à leur formation. L'Etat doit adopter des mesures propres à prévenir l'exclusion prématurée des travailleurs âgés. Ces derniers ont plus de chances d'échapper au licenciement s'ils ont eu, tout au long de leur vie, la possibilité de perfectionner leurs compétences: formation subventionnée par l'employeur, programmes ciblés financés par une taxe spéciale, prêts aux travailleurs désireux d'entreprendre une formation à leurs frais, perfectionnement en dehors du lieu de travail. Les programmes d'orientation professionnelle et de recherche d'un emploi ont donné de bons résultats dans le cas des travailleurs âgés qui possèdent des compétences utiles mais qui ont besoin d'aide pour identifier des emplois adaptés à leur profil dans une économie en mutation.

53. Le respect des droits de l'homme exige que le principe de l'égalité de chances et de traitement des personnes handicapées en matière de formation et d'emploi soit reconnu. Du fait de l'évolution de l'économie, et notamment de la diminution de la demande de travailleurs peu qualifiés, les personnes handicapées sont particulièrement exposées au chômage et risquent d'être exclues du marché du travail. Leurs perspectives d'emploi sont souvent limitées parce que, dès le départ, elles se heurtent à des obstacles qui les empêchent d'acquérir un bon niveau d'instruction ou de formation professionnelle, notamment dans les pays en développement. Le rapport examine l'expérience des pays qui s'attachent à pleinement intégrer les handicapés dans le système général d'enseignement, de formation et d'emploi. Des programmes spéciaux d'emploi subventionné ou protégé peuvent efficacement contribuer à l'insertion sur le marché du travail de personnes souffrant de divers handicaps. Il faudrait aussi redoubler d'efforts pour répondre aux besoins de formation des nombreuses victimes de guerre, qu'il s'agisse de civils ou d'anciens soldats.

54. Le rapport insiste sur l'importance de la législation et des programmes d'action positive pour combattre la discrimination fondée sur l'âge, l'origine ethnique ou le handicap; cette discrimination empêche les travailleurs vulnérables d'acquérir une formation propre à leur permettre d'exploiter pleinement leur potentiel.

Genève, le 2 octobre 1998.


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 21 février 2000.