Travail forcé au Myanmar (Birmanie)
Rapport de la commission d'enquête instituée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation
internationale du Travail pour examiner le respect par le Myanmar de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930
Organisation internationale du Travail
Genève, 2 juillet 1998
Résumés de témoignages |
181-205 |
Ethnie: |
Karenni |
181 |
Age/sexe: |
15 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Cinq (lui, ses parents et deux frères) |
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Activité professionnelle: |
Son père possède des cultures (palmiers, mangues, chataîgnes) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Paw Baw Ko (près de Nabu), Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 100 familles) |
Il s'est enfui de son village en février 1998. Il y avait un camp militaire à 500 mètres du village et un autre un peu plus loin au sommet d'une montagne. Son frère a perdu une jambe il y a environ un mois après avoir marché sur une mine près de son village alors qu'il coupait des bambous pour les militaires. Il est à l'hôpital de Myawady. Les militaires ont affirmé qu'il ne s'agissait pas d'une de leurs mines. Il craint la présence des militaires dans son village. Il a dû faire du 1) portage pour les militaires, 2) participer aux travaux relatifs à un camp militaire et 3) à la construction d'une route. En fait, un membre par famille devait faire le travail requis par les militaires. Lorsqu'il travaillait à cette fin, les autres membres de sa famille n'étaient dès lors pas requis de ce faire. Sa mère a fait du travail pour les militaires jusqu'au moment où il a été assez vieux pour qu'il le fasse lui-même. Son père en a fait un nombre incalculable de fois, notamment du portage. Ses sœurs et frères ont également dû travailler pour les militaires, ses sœurs lorsque leurs maris étaient absents. Ses parents qui devaient subvenir aux besoins de la famille envoyaient le plus souvent leurs enfants puisqu'ils ne pouvaient se permettre de perdre de précieuses journées de travail. C'est le chef de village qui transmettait les ordres des militaires. Il était possible de payer pour être exempté du travail qui devait être exécuté. Les travailleurs n'étaient pas rémunérés. Ils devaient bien souvent apporter leur propre nourriture puisqu'elle n'était pas fournie, ou en quantité insuffisante. 1) Pour ce qui est du portage, il se partageait le travail avec son frère. En raison de son jeune âge, son frère plus âgé a dû faire le travail un nombre de fois plus élevé que lui. La dernière fois où il a dû faire du portage pour les militaires remonte à la dernière moisson, l'assignation ayant duré trois jours, incluant deux nuits. Il a dû marcher de son village à Tiwablaw et Tilawthi (au-dessus des montagnes Dawna). Le portage se faisait dans la forêt et sur un terrain varié. Il a eu droit à une ration de riz ranci. Il a travaillé avec trois à cinq porteurs pour 30 à 40 soldats. Il devait transporter la nourriture, les munitions et les casseroles pour la cuisine. Lorsqu'il était incapable de porter la charge qui lui avait été assignée, les militaires s'adressaient à lui en criant et le forçaient à continuer à avancer. Il a également été frappé et n'a reçu aucun traitement médical. 2) Il a dû travailler pour le camp militaire cinq jours avant son départ. Il a travaillé pour la première fois pour ce camp à l'âge de 13 ans. Le travail consistait à poser les clôtures, creuser les tranchées, apporter l'eau nécessaire au camp, installer les pieux de bambous qu'il avait coupés auparavant. Il a aussi participé à l'érection du camp proprement dit. Il devait alterner trois jours de travail et trois jours de repos. Antérieurement, ces parents exécutaient le travail requis par les militaires. Il partageait la corvée avec son frère. En fait, tous les garçons du village, âgés de plus de 12 ans, devaient exécuter du travail pour le camp militaire. Il n'était pas rémunéré mais ne pouvait toutefois refuser de travailler par crainte d'être battu. Il a été battu à deux reprises par les militaires. De plus, les militaires s'adressaient aux enfants en criant lorsqu'ils n'exécutaient pas le travail de manière satisfaisante. Les enfants ne bénéficiaient d'aucun moment de repos lors de ces corvées et devaient travailler de 7 heures à 17 heures. Ils devaient apporter leur propre nourriture, mais pouvaient retourner dormir chez eux. Il a aussi participé à la construction de deux routes menant à Kawkareik un nombre incalculable de fois. Il a dû s'y rendre jusqu'à ce que l'une de celle-ci soit terminée. Environ une quarantaine de personnes travaillaient avec lui. Les enfants de sexe féminin n'étaient pas requis de travailler au camp militaire, mais devaient toutefois participer à la construction des routes en coupant les buissons de manière à pouvoir l'élargir.
Ethnie: |
Karen |
182 |
Age/sexe: |
13 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Trois (lui et ses parents) |
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Education: |
Première année |
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Activité professionnelle: |
Son père a des terres (mangues). Il avait une ferme mais les militaires ont construit leur camp sur les terres de son père |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Paw Baw Ko (près de Nabu), Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait environ 100 familles) |
(Le témoin a entendu le témoignage du témoin 181 et l'a corroboré.)
Il a quitté le Myanmar à la mi-février 1998. A la demande de ses parents, il a cessé d'aller à l'école puisque ses parents avaient besoin de lui pour aller exécuter le travail requis par les militaires. Comme ils devaient subvenir aux besoins de leur famille, ils ne pouvaient se permettre de perdre une journée de travail et envoyait leur fils unique travailler sans être rémunéré. Il a dû travailler pour les militaires pour la première fois à l'âge de 9 ans, il y a quatre ans. L'ordre était transmis par le chef de village. Il devait notamment apporter l'eau au camp et couper les buissons poussant dans les talus de la route. Il devait travailler deux jours, se reposer le même nombre de jours et reprendre le travail suivant le même horaire. Il ne pouvait refuser de travailler. S'il était fatigué, ses amis l'aidaient à exécuter son travail. Il n'a pas eu à faire du portage mais les militaires l'ont utilisé à deux reprises afin de détecter les mines camouflées aux environs de son village. Le frère de son père aurait également fait du travail pour les militaires, incluant du portage.
Ethnie: |
Karenni |
183 |
Age/sexe: |
13 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Quatre (lui, ses parents et un frère plus âgé) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Paw Baw Ko (près de Nabu), Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait environ 100 familles) |
(Le témoin a entendu le témoignage du témoin 181 et l'a corroboré.)
Il a quitté le Myanmar à la mi-février 1998. Ses parents ne l'ont pas autorisé à aller à l'école puisqu'ils avaient besoin de lui pour faire le travail exigé par les militaires. Il a dès lors travaillé pour le camp militaire, devant apporter l'eau, poser les clôtures et creuser les tranchées. Il a travaillé pour la première fois à l'âge de 9 ans, il y a quatre ans. Les ordres des militaires aux fins d'exécuter du travail étaient transmis par le chef du village. Il devait travailler une journée, se reposer une journée et reprendre le travail en suivant le même horaire. Il n'a pas fait de portage. Son père toutefois en aurait fait à plusieurs reprises, chaque assignation durant environ trois jours. Sa mère n'aurait pas fait de travail forcé. Sa sœur aurait participé à la construction d'une route. Elle se rendait sur le site de travail le matin et retournait chez elle le soir. Tous ces travaux n'étaient pas rémunérés. Enfin, il a, à six reprises, été requis par les militaires afin de trouver les mines camouflées aux environs de son village.
Ethnie: |
Karenni |
184 |
Age/sexe: |
48 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié, trois enfants |
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Education: |
Sixième année |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur (louait ses terres). En 1996-97, il a assumé les fonctions d'assistant au chef de village. Il avait déjà assumé ces fonctions en 1993 pour une année. |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Htee Talay, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 174 foyers et était divisé en quatre sections) |
Il a quitté le Myanmar en mai 1997 puisqu'il ne voulait plus faire de travail pour les militaires. A titre d'assistant au chef de village, il devait contacter les personnes qui devaient travailler pour les militaires, notamment pour construire les routes, éclaircir la forêt, faire les récoltes ou du portage. Un ordre écrit des militaires était généralement transmis au chef de village. Une personne par famille devait travailler conformément à une rotation préétablie. Aucun travail n'était rémunéré. Il était possible d'engager un substitut: 140 kyats par jour pour les assignations autres que le portage, le coût de remplacement de ce dernier étant de 500 kyats. Il était aussi possible de payer le chef de village, et ce dernier devait alors trouver un remplaçant. Il devait demander aux villageois de travailler puisque de toute façon les militaires les auraient forcés. Les villageois devaient consacrer plus de journées par mois pour les travaux requis par les militaires que pour vaquer à leurs propres occupations. Pour ce qui est du portage, une famille devait fournir une personne à trois reprises à chaque mois, chaque assignation durant cinq jours. Seuls les hommes faisaient ce travail. Ils devaient porter les munitions, les obus et la nourriture. Le nombre de porteurs dépendait du nombre de soldats à servir. Les porteurs devaient rester avec les soldats même lorsque des combats éclataient de manière à approvisionner ces derniers en munitions. Un porteur de son village est mort, abattu durant un combat contre l'Union nationale karenne (Karen National Union (KNU)). Les porteurs faisaient l'objet de mauvais traitements s'ils ne réussissaient pas à suivre le rythme de marche, étant battus et frappés par les soldats. Dans les cas où les porteurs étaient malades ou blessés, aucun traitement médical ne leur était prodigué et aucun médicament donné. Les villageois devaient également travailler pour les militaires afin de trouver les mines camouflées aux environs de leur village. Ce travail a été exécuté à trois reprises en 1996 et a été répété le même nombre de fois en 1997. Il a également organisé le travail pour ce qui est de la construction de la route entre Kawkareik et Hpa-an (à travers Kyawywa) qui se trouve à trois miles de son village. Ce travail devait être exécuté tout au cours de l'année, à cinq reprises pendant un mois. Tant les femmes que les hommes devaient y travailler. Chaque assignation durait trois jours incluant trois nuits. Les travailleurs devaient dormir près du site de travail et devaient apporter leur propre nourriture. Ils ne pouvaient refuser d'y aller par crainte de faire l'objet de représailles de la part des soldats. Il a organisé le travail requis pour l'édification du camp militaire de Nabu au cours des années 1995 et 1996. Quarante à cinquate personnes travaillaient en même temps et étaient remplacées par le même nombre de personnes suivant une rotation préétablie. Le travail consistait notamment à couper les arbres, éclaircir le terrain -- même si cela impliquait de couper des arbres sur des terres à cultures --, cueillir les bambous et le bois. Les travailleurs devaient également préparer les toitures. Les travailleurs devaient transporter le matériel et exécuter le travail afférent. Tant les hommes que les femmes devaient exécuter ce travail. Le travail commençait à 6 heures pour se terminer à 18 heures. Les soldats s'adressaient aux travailleurs en criant lorsqu'ils estimaient que le travail ne progressait pas de manière satisfaisante. Il n'a pas vu de travailleurs qui auraient fait l'objet de mauvais traitements, mais on lui a rapporté des histoires de viols perpétrés contre des femmes sur le site de travail. Il a également dû organiser le travail pour ce qui est des récoltes. Il a personnellement dû travailler à la construction de routes en 1991 (une occasion pendant quinze jours), 1992 (une occasion pendant quinze jours), 1993 (une occasion) et à maintes reprises en 1996 lorsqu'il était l'assistant du chef de village. Les soldats s'adressaient souvent à eux en criant. Il n'aurait toutefois pas fait l'objet de mauvais traitements. Il a également participé aux travaux relatifs au camp militaire de Nabu.
Ethnie: |
Musulman |
185 |
Age/sexe: |
16 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Elle vivait avec sa mère qui était veuve ainsi que sa sœur plus âgée et deux neveux |
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Education: |
Troisième année |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Dawlan, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 150 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar en janvier 1998. Son village comptait 150 familles mais, aujourd'hui, il ne reste plus que deux ou trois maisons dans ce village. Depuis septembre 1997, les autorités ont annoncé que le village devait être relocalisé parce qu'un camp militaire devait être construit à cet endroit. Aucun autre endroit ne fut indiqué aux habitants où ils devaient se rendre (Musulmans, Mons, Birmans, Karens). Les gens ont tout de même dû partir. Certains ont traversé la frontière et se sont rendus dans les camps de réfugiés, certains (les Musulmans) voulaient rester mais, en raison des combats avec le KNU, les autorités ne leur ont pas permis de rester. En janvier, les militaires ont brûlé le village et, lorsque les villageois ont tenté de traverser la frontière du Myanmar, ils ont été arrêtés par l'armée qui a vérifié leurs pièces d'identité. Les Musulmans n'avaient pas de pièces d'identité bien qu'on leur en ait promis à au moins trois reprises; les autorités étaient même venues prendre des photos avant septembre 1997, mais les Musulmans et les Karens n'ont jamais reçu de pièces d'identité. Avec sa famille, elle a parlé aux militaires et décidé de traverser la frontière. En vérité, aucune base militaire n'a été construite sur le site du village puisqu'il existait déjà une base militaire dans la région. Elle a dû effectuer du travail forcé dès l'âge de 10 ans parce que sa sœur plus âgée n'était pas en bonne santé. Elle a fait du travail habituellement réservé aux hommes tel qu'ériger des clôtures autour du camp militaire et niveler la route. Les militaires se tenaient derrière les gens avec des bâtons et les insultaient et les battaient lorsqu'ils ne travaillaient pas. Elle a vu plusieurs hommes être battus par des militaires et, lorsqu'elle était plus jeune, jusqu'à l'âge de 13 ans, elle a elle-même été battue. Aujourd'hui, ayant très peur d'être battue, elle préfère toujours travailler. Chaque mois, elle devait aller travailler pendant 20 à 25 jours. Depuis l'âge de 10 ans, elle devait se rendre dans les camps militaires pour construire des maisons pour les soldats, creuser des trous et transporter du sable afin de faire des planchers; elle a également dû travailler à la pose de clôtures, au transport de bambous et à tout autre travail que les militaires réclamaient (creuser des tranchées ou cuisiner chaque matin). Durant la saison sèche, elle devait transporter de l'eau. Même lorsqu'elle était malade, elle devait travailler. Elle n'était jamais libre. Les ordres étaient reçus par le chef du village. Toutes les cinquante familles du village devaient contribuer chaque mois pendant dix jours à un travail régulier pour le camp militaire. Dans sa famille, elle a dû y aller pendant vingt ou vingt-cinq jours. Sa famille était incapable de payer les charges de porteur de plus de 1 000 kyats par mois, ce qui fait qu'elle devait effectuer encore plus de travail forcé. Lorsque les membres de sa famille ont dit au chef du village qu'ils ne pouvaient payer, les militaires sont venus dans sa maison et les ont menacés avec des armes. Elle a craint pour sa vie et a accepté d'aller travailler dans le camp militaire. Ainsi, les militaires venaient chaque mois lorsque sa famille ne pouvait payer les taxes de porteurs. Dans sa famille, une personne travaillait presque continuellement pour l'armée. Elle n'a pas effectué de portage. En ce qui concerne les abus sexuels, lorsque les femmes seules étaient envoyées au camp militaire, les militaires faisaient ce qu'ils voulaient avec elles et parfois les épousaient ou les payaient. Les femmes avaient très peur de parler. Les villageois ne pouvaient rien faire contre cela. Chaque fois qu'elle a dû travailler dans le camp militaire, sa mère venait la chercher le soir et la ramenait à la maison. Lorsqu'elle avait 13 ou 14 ans, elle a dû travailler sur une route qui menait d'un camp militaire jusqu'à un autre. Ceci dura pendant quinze jours et les gens durent apporter leur propre nourriture et dormir sur le bord de la route. La fréquence de ces demandes n'était pas régulière et dépendait de la situation de la route; durant la saison sèche, c'était plus souvent (parfois une fois par mois et parfois une fois tous les deux mois). Ils devaient couper des arbres et placer les troncs le long de la route et remplir les espaces entre les troncs. Durant la saison des pluies, les filles devaient transporter les munitions et les armes dix jours par mois. Durant la saison des pluies, le village était inondé et l'eau recouvrait les maisons. Néanmoins, les villageois devaient quand même payer des taxes de porteurs et transporter des munitions et des armes en canots. Tous ces types de travaux lui prenaient l'année entière. De plus, elle a dû effectuer quelques travaux mineurs. Tout d'abord, les villageois devaient payer 20 kyats par mois par famille pour le nettoyage des affaires des militaires, puis l'armée payait quelqu'un pour qu'il effectue leur lessive (habituellement les femmes seules). Elle a travaillé à deux occasions parce que sa famille ne pouvait pas payer les 20 kyats. Deuxièmement, chaque jour, chaque famille devait transporter du bois pour le feu ainsi que du riz et 10 kyats à l'armée. Elle ramassait et transportait le bois pour le feu. Troisièmement, chaque jour, quatre familles (sur 150) devaient fournir une personne pour surveiller les mouvements d'inconnus à l'extérieur du village. Deux se trouvaient devant la base militaire et deux à l'arrière. Sa famille n'était pas en mesure d'effectuer cette tâche de surveillance puisqu'elle avait déjà beaucoup trop d'autres travaux à effectuer. Ainsi, une fois par mois, lorsque venait leur tour d'effectuer cette tâche, sa famille devait payer 100 kyats pour que quelqu'un d'autre la fasse. Elle a décidé finalement qu'elle ne pouvait plus rester dans le village parce qu'elle avait beaucoup trop de travail. C'est la raison pour laquelle elle a quitté le Myanmar.
Ethnie/religion: |
Karenni, bouddhiste |
186 |
Age/sexe: |
16 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Sept (ses parents, deux frères et deux sœurs) |
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Education: |
Sixième année |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Htee Talay, Kawkareik, Etat Kayin |
La famille du témoin est venue en Thaïlande en décembre 1997 parce qu'elle ne pouvait plus faire face à la quantité de travail forcé et de portage. Elle a elle-même exécuté du travail forcé depuis l'âge de 15 ans, ce qui l'a contrainte à quitter l'école. A l'âge de 15 ans, elle a travaillé pendant six mois sur la route de Nabu à Kyondo, à partir du début de la saison des pluies (de juin à juillet 1996) jusqu'à la fin de la saison froide (janvier 1997). Une personne par famille devait y aller. Il y avait des gens d'autres sections ainsi que d'autres villages, en tout 4 000 personnes à la fois. Les autorités avaient donné la liste des personnes: tant de personnes de tel village, tant de personnes de tel autre village. Lorsque les militaires mangeaient, ils ont mis cette liste sur la table et elle a pu voir son nom sur la liste. La présence de tous les travailleurs était vérifiée trois fois par jour: le matin, l'après-midi et le soir. La vérification du soir était très stricte. Parce que sa famille ne pouvait payer 300 kyats par jour pour la route, elle a dû quitter l'école et aller travailler sur cette route pendant six mois. Elle a dû manger et dormir sur le site de travail parce que la route était éloignée de sa maison. La nuit, il ne leur était pas permis de retourner à la maison. Ils devaient tous travailler depuis tôt le matin jusqu'à tard le soir, puis cuisiner lorsqu'il faisait déjà nuit. Il n'y avait pas d'abri, ce qui fait qu'elle devait dormir sous un arbre. Chaque mois, sa famille lui envoyait le riz nécessaire afin de survivre. Durant les six mois, elle est tombée malade à une occasion, avec de la fièvre et des maux de tête. Elle n'a reçu aucun médicament de la part des militaires, mais on lui a permis de retourner à la maison (à une heures et demie de marche) pendant deux jours. Pendant ces deux jours, sa famille a dû payer 200 kyats. L'armée est, par la suite, revenue et l'a amenée à nouveau. Sur le site de travail, certaines personnes coupaient des arbres, d'autres creusaient des trous, d'autres transportaient des pierres. Elle a dû transporter les marchandises et couper les arbres de 20 cm. Les militaires surveillaient les gens qui travaillaient et les insultaient lorsqu'ils arrêtaient. Elle a vu plusieurs personnes être battues parce qu'elles étaient paresseuses. Particulièrement, durant la saison sèche, lorsqu'il faisait très chaud, les gens ne pouvaient travailler continuellement et devaient se reposer. Les soldats les battaient et demandaient au chef de village de payer une amende de 200 kyats par jour pour les délais occasionnés. Elle a elle-même été battue à une occasion par un soldat qui l'avait insulté à plusieurs reprises. Elle a été battue parce qu'elle était malade et voulait arrêter. Le militaire lui a dit qu'elle devait voir le colonel, mais celui-ci était absent, ce qui fait qu'elle n'a pu obtenir de permission. Lorsqu'elle s'est assise sur le bord de la route, un soldat l'a vue et l'a battue. A cette occasion, elle n'a pas pu retourner à la maison et a dû continuer le travail. Elle avait de la fièvre et ne sait pas pourquoi, peut-être causée par la chaleur ou le travail au soleil. De plus, suite aux ordres des militaires, en mars 1997, une personne par famille a dû travailler pendant un mois sur la base militaire du village de Sin Hna-kaun. Environ 300 personnes ont travaillé sur ce site. Ces personnes devaient nettoyer et préparer le terrain afin de planter les arbres à caoutchouc. Lorsque les plantations furent terminées, les militaires ont pris les récoltes. Elle ne sait pas qui a gardé les profits de ces récoltes. L'endroit était éloigné de toute source d'eau et elle avait très soif. Cet endroit se situait à deux miles de sa maison, mais on ne lui permettait pas de retourner à la maison le soir, et cela pendant un mois. Elle devait dormir n'importe où et devait apporter sa propre nourriture et ne fut pas rémunérée pour ce travail. Les soldats étaient toujours présents pour surveiller. Le traitement fut identique lorsqu'il était question de travail sur la route. Mais elle ne fut pas battue parce qu'elle a travaillé en tout temps. Les présences étaient vérifiées chaque jours, deux à trois fois par jour. En avril 1997, suite à un ordre reçu du chef de village, une personne par famille a dû se rendre une journée entière au camp militaire de Sin Hna-kaun afin de transporter des troncs d'arbres pour cette base. Après avril 1997, au début de la saison des pluies, une personne par famille (c'était toujours elle qui y allait) a dû travailler pendant un mois entier à transporter des semences pour un champ appartenant à l'armée. Cet endroit se situait à quatre heures de marche de la maison du témoin près de la colline de Nabu. Elle a dû apporter sa propre nourriture et le matériel, et devait transporter les semences qui pesaient environ 4 kg. Ces semences appartenaient aux villageois. Il n'y avait pas d'abri. Les villageaois devaient en construire eux-mêmes. Elle fut traitée comme auparavant.
Ethnie/religion: |
Karenni, bouddhiste |
187 |
Age/sexe: |
20 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Lui, ses parents et quatre frères et sœurs |
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Education |
Cinquième année |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Htee Talay, Kawkareik, Etat Kayin |
Le témoin a quitté le Myanmar pour la première fois à l'âge de 17 ans et pour la dernière fois en octobre 1997. Il a dû quitter l'école à l'âge de 14 ans à cause du travail forcé. Il ne pouvait pas aller à l'école en même temps qu'il devait effectuer ce travail; de plus, sa famille devait payer des frais de scolarité de 200 à 300 kyats par mois au niveau primaire (de la première à la quatrième année) et environ 600 kyats pour les niveaux supérieurs. Il a continué à effectuer du travail forcé jusqu'à l'âge de 17 ans pendant environ six à huit mois durant la saison froide. Il devait alors travailler sur les routes, construire des camps militaires et également effectuer du portage. De plus, pendant les deux mois sur trois de la saison des pluies, il devait travailler dans les champs de l'armée. Il ne pouvait plus tolérer cela et, même s'il restait au village, il devait encore effectuer du travail forcé. Il est venu pour la première fois en Thaïlande à l'age de 17 ans, et depuis a traversé la frontière à plusieurs occasions afin d'éviter le travail forcé. A l'âge de 14 ans, il a travaillé pour la construction d'une route qui se trouvait à quatre heures de marche de son village. Pendant les deux autres années, il a travaillé sur deux autres routes, mais seulement durant la saison froide. Parfois, il devait y aller chaque semaine, et parfois pendant deux semaines de suite, et même pendant un mois entier. Les ordres provenaient de la base militaire qui les donnait au chef du village. Le chef du village exigeait une personne par famille. Il n'a jamais été rémunéré pour le travail forcé. Il devait apporter sa propre nourriture. Lorsque les gens ne pouvaient pas travailler, ils devaient payer de 500 à 600 kyats par jour aux militaires. Il a vu une femme de son village qui travaillait sur la route et a décidé d'aller prendre une douche dans le puits. Elle fut suivie à cette occasion par un militaire qui l'a violée. Il ne connaissait pas les militaire, mais il sait qu'il n'a jamais été puni. Cette femme a tenté de se plaindre au chef de village, mais ce dernier n'a pas eu le courage de parler aux militaires. Il n'a pas vu d'autres abus alors qu'il travaillait sur la construction de la route. De plus, de l'âge de 15 à 17 ans, il a dû aller deux à trois fois par année effectuer du portage, tel que transporter de la nourriture, du riz, des munitions pendant environ cinq jours (à une occasion, il a dû marcher pendant cinq jours sans arrêt). L'ordre était donné au chef de village; si celui-ci ne pouvait trouver un nombre de porteurs requis, l'armée venait dans les villages et capturait les gens. On ne leur précisait jamais la durée du portage. Lorsque cela durait trop longtemps, le village devait collecter du riz afin de nourrir les porteurs et leur envoyait ce riz. Ils n'ont jamais reçu d'argent pour le portage, mais sa famille a dû payer 200 à 300 kyats aux militaires afin de trouver quelqu'un d'autres pour effectuer le portage. Tout dépendait du nombre de porteurs requis par l'armée. Ces sommes représentent ce qu'ils ont dû payer lorsqu'il avait entre 15 et 17 ans. Il ne sait pas de combien sont les paiements aujourd'hui. A l'âge de 16 ans, il a attrapé la malaria après dix-sept jours de portage alors qu'il transportait 16 kg de riz et de munitions. Il n'a reçu aucun traitement et a dû continuer à porter sa charge, bien qu'il était malade. Il a eu peur d'être tué s'il s'arrêtait. Il a vu d'autres personnes être tuées et, parmi elles, dix personnes furent tuées par des mortiers alors que des combats faisaient rage. C'était le cas parce que les porteurs marchaient toujours devant les soldats sur la ligne de front. Ils n'étaient pas attachés. Deux ou trois porteurs furent tués alors qu'il n'y avait pas de combat. Ils ont été fusillés. Ils venaient d'autres villages. On lui a raconté que des femmes porteurs auraient été violées. Finalement, il a dû aller environ 15 fois par année pendant deux ou trois jours à chaque fois afin de nettoyer le sol autour du camp militaire, en plus de creuser des tranchées, nettoyer les toilettes et creuser pour construire une nouvelle toilette. Durant la saison des pluies, il a dû amener une vache et des outils dans les champs afin de cultiver pendant deux mois. Il devait apporter sa propre nourriture mais pas les semences.
Ethnie/religion: |
Karenni, bouddhiste |
188 |
Age/sexe: |
49 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié avec cinq enfants |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Htee Talay, Kawkareik, Etat Kayin |
Dans les cinq ou six dernières années, la plupart du travail forcé que sa famille a dû accomplir, y compris le portage, a été effectué par son fils et sa fille. Son expérience personnelle concernant le travail forcé pendant la même période est assez limitée. Il y a quatre ans, durant la saison froide, il voyageait dans un autobus de Kawkareik jusqu'au village de Thingannyinaung, lorsque les militaires du bataillon 44 ont arrêté le bus et ont amené tous les passagers sur un camion militaire. Ils les ont attachés deux par deux et les ont envoyés à Mepale sur la ligne de front avec le KNU. Le jour suivant, ils ont tous reçu une certaine charge de riz à transporter jusqu'au sommet de la montagne où le bataillon était basé. par la suite, ils ont dû transporter du riz dans la région de Kawkareik pendant 28 jours lorsqu'un groupe de personnes auquel il appartenait fut relâché (l'autre groupe ne l'a pas été). Dans son groupe de 75 personnes, quatre sont mortes (il n'a rien vu pour l'autre groupe). Il a vu plusieurs personnes qui ont été porteurs pendant plusieurs mois ne pas être relâchées et qui étaient malades. Ces porteurs ont été battus parce qu'ils étaient faibles et n'ont pas reçu d'eau. Il n'a vu personne être tué, mais plusieurs personnes furent battues. Certains sont morts de maladie et n'ont reçu que très peu de médicaments. Il a vu son cousin qui avait également été arrêté mourir de diarrhée; ils lui ont donné un peu de médicament, mais il a dû continuer à faire du portage le jour suivant et il est mort. Pendant cinq jours, en 1997, il a remplacé sa fille pour planter des arbres à caoutchouc pour l'armée. Il a dû payer des taxes de porteur et des taxes pour les routes. Il a dû donner des semences et des plantes à caoutchouc et payer ou envoyer une personne pour cultiver et surveiller le village. Les taxes de porteur étaient d'environ 600 kyats par mois et devaient être payées aux autorités lorsque sa famille ne voulait pas effectuer du portage. La taxe concernant la construction de la route était de 100 kyats par jour lorsque le travail sur la route n'était pas complété. En ce qui concerne les plantations de caoutchouc et le travail de culture, la contribution de sa famille dépendait de ce que l'armée avait besoin. En 1997, ce fut 64 contenants de riz en plus de 3 000 semences d'arbres de caoutchouc pour le village; il apportait 50 semences et 25 kyats par personne, totalisant 1 250 kyats; il devait également planter les semences. L'armée gardait les profits.
Activité professionnelle: |
Infirmier |
189 |
Le témoin travaillait comme aide-médecin en Thaïlande. Il a vu de nombreux anciens porteurs du Myanmar avec des cicatrices dues au poids excessif de leurs charges. Lorsqu'il y avait des combats à la frontière, il y avait encore plus de portage. Chaque mois, il a vu des nouvelles personnes avec des cicatrices suite au portage. De plus, il recevait des informations de l'hôpital de Myawady (au Myanmar) selon lesquelles tous les six mois six à sept civils étaient blessés par l'explosion de mines. Tous ces civils semblaient être des porteurs puisqu'ils avaient des cicatrices dues aux charges trop lourdes qu'ils devaient porter. Ces gens ne pouvaient recevoir de soins médicaux parce que la priorité était donnée aux militaires et les civils devaient payer pour tout. Ils devaient payer même pour les gants des infirmières et l'alcool utilisé. Habituellement, ceux-ci mouraient de complications d'infections dues aux blessures subies lors de l'explosion de mines.
Ethnie: |
Karenni |
190 |
Age/sexe: |
43 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Mariée avec quatre enfants (âgés entre 3 ans et 17 ans) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Kawsaing, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 260 familles) |
Depuis février 1997, les villageois ont dû travailler sans arrêt pour les militaires. En février, des centaines de militaires sont arrivés dans le village et ont confisqué la plupart des propriétés et du bétail appartenant aux villageois. En mars, les militaires du bataillon 547 ont ordonné aux villageois de nettoyer le sol autour de leur nouveau camp. Les villageois devaient couper des arbres et du bambou, égaliser le sol, construire des bâtiments militaires, construire des clôtures, creuser des tranchées et construire des abris autour du camp. Les villageois ont travaillé sur le nouveau camp jusqu'à la fin mai. Elle a personnellement dû travailler quatre jours par mois au camp. Elle a également envoyé sa fille qui avait 17 ans. Ces personnes n'étaient pas rémunérées et devaient apporter leur propre équipement. En avril, des villageois ont reçu l'ordre du bataillon 547 de construire une nouvelle école primaire. Ils ont dû, une fois de plus, mettre le sol à niveau jusqu'à la fin mai. Ce travail a dû être fait simultanément avec le travail au camp. Deux professeurs ont été envoyés depuis la ville et le village a dû engager un professeur. Les étudiants devaient payer pour aller à l'école. Quinze à 45 kyats par mois en plus de deux paniers de 21 kg de riz par année. Elle-même devait travailler dix jours par mois. Lorsqu'une personne ne pouvait pas travailler, elle devait engager un remplaçant ou payer 300 kyats par jour. Durant la saison des pluies, sa fille fut requise pour du portage à trois ou quatre reprises. Elle et sa fille plus âgée ont été requises au moins deux fois par mois pour cuisiner et faire le ménage dans le camp militaire. Elle a également dû transporter des messages et apporter des légumes. Son mari était en mauvaise santé. En octobre 1997, elle a dû vendre le fruit de ses récoltes et donner l'argent aux militaires. Les membres de sa famille avaient peur de se plaindre bien qu'il ne leur restait plus rien. Ils ont décidé de quitter le village en octobre 1997.
Ethnie: |
Karenni |
191 |
Age/sexe: |
17 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Célibataire |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Kawsaing, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 260 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar en octobre 1997. En mars et avril 1997, elle a dû faire des travaux de construction pendant vingt jours par mois. Elle a également fait du portage à quatre occasions en 1997 (le portage fut effectué dans l'Etat Kayin). Elle fait du portage de Kawsaing jusqu'à Yauk Kaya (un voyage de deux heures) où elle devait transporter des marchandises; de Kawsaing jusqu'à Lampha, puis de Kawsaing à Peinnwegon, et enfin de Kawsaing jusqu'à Kyeikywa. Les militaires lui demandaient de transporter leurs sacs et ils transportaient eux-mêmes leurs armes et leur équipement. Les femmes devaient occasionnellement faire du portage pour de courtes distances. Elle-même a également vu des femmes âgées ainsi que des mères avec des enfants et des filles enceintes être utilisées comme porteurs. Elles devaient apporter leur propre nourriture et leurs provisions.
Ethnie: |
Karenni |
192 |
Age/sexe: |
35 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié avec trois enfants (de 5 à 12 ans) |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Kawsaing, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 260 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar en 1997. Durant la saison chaude de 1997, il a dû participer à la construction d'un camp militaire et d'une école. Il a dû également effectuer du portage à de nombreuses occasions durant la saison des pluies de 1997 puisque les charrettes ne pouvaient pas être utilisées sur les routes endommagées. Il a dû voyager d'Ason, Kyeikywa, Kwiko et jusqu'au village de Thaung Pyaung. Il devait transporter des munitions, du riz et des marchandises. Les sacs de riz pesaient 22 kg. Il a été maltraité à une occasion lors d'un voyage à Kyeikywa en juillet 1997. Il fut battu parce qu'il était en retard après s'être perdu en raison de fortes pluies. Il n'a reçu aucun traitement médical lorsqu'il était malade. A une occasion, en octobre 1997, le chef du village et quatre villageois furent battus à titre de représailles pour la mort d'un capitaine lors d'une embuscade près de son village. En 1997, il a également dû nettoyer le sol entre Kawkareik et Kyeikdon afin de préparer ce dernier pour la construction d'une route. Il a dû travailler à cet endroit à six occasions, deux fois pendant sept jours et quatre fois pendant trois jours. Il recevait les ordres des bataillons 547 et 548. Alors que les villageois coupaient les arbres, les militaires apportaient les billots dans les villages et les vendaient. Il a décidé de quitter le Myanmar à la fin de 1997 parce qu'il ne pouvait plus travailler sur sa propre ferme.
Age/sexe: |
58 ans, masculin |
193 |
Situation familiale: |
Marié avec huit enfants |
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Activité professionnelle: |
Agriculteur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Kawsaing, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 260 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar parce qu'il ne pouvait plus vivre avec la présence des militaires. Les militaires lui ont tiré dessus il y a un mois alors qu'il rentrait de son champ. Il ne connaissait pas la raison. Il a exécuté du portage à deux occasions en 1997. La première fut en juillet entre Kawaw et Kyeikdon. C'était un voyage d'une journée et il devait transporter des munitions. Le second périple fut de quinze jours. Il a dû aller à Kawkareik. Ce fut un voyage de sept jours. Il a dû dormir sous la pluie pendant six jours. Les militaires étaient protégés par des abris en plastique. Les porteurs étaient attachés avec des cordes aux mains et aux pieds afin qu'ils ne puissent s'échapper. Il a été battu à une occasion lorsque, une nuit, il s'est levé pour aller aux toilettes. Un membre de sa famille est mort après avoir été tué à la suite d'une journée de portage. Au début de 1997, les militaires ont commencé à arriver dans son village et ont demandé aux villageois de construire un camp. Ils devaient, entre autre chose, nettoyer le sol, couper les arbres et construire des baraques. Il a personnellement dû travailler dans ce camp pendant deux mois. Il a vu un villageois être battu à mort parce qu'il ne pouvait pas grimper dans un arbre tel que requis par le militaire. Le témoin a essayé de s'échapper avec 30 autres personnes, mais n'y est pas arrivé. On leur a ordonné de ne plus essayer de s'échapper et on les a menacés de tous les tuer dans le cas contraire. Les villageois étaient également maltraités lorsqu'ils travaillaient dans le camp. Aucune assistance médicale n'était fournie.
Ethnie: |
Karenni |
194 |
Age/sexe: |
62 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Mariée |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Antwe, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 32 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar en novembre 1997. Elle fut nommée chef de village en mars 1997 et a tenu ce rôle pendant trois mois. Les militaires lui ont demandé d'organiser le travail des villageois afin de construire un camp à Hlawlay. Elle a divisé les familles en deux groupes sur une base rotative. Elle a personnellement dû exécuter du travail avec d'autres villageois et estime que le travail le plus dur fut celui de couper et de transporter des tiges de bambou du village jusqu'au camp, sur une distance de deux miles. Durant la saison des pluies de 1997, son village fut relocalisé à Hlawlay avec ceux de Klaw Chaw, Thawaw Thaw, Po Kaw et No Po Khee. Elle a dû partir à Hlawlay en juin 1997. A cet endroit, elle a dû construire des clôtures. En novembre 1997, les militaires ont ordonné aux villageois de leur donner deux tiers de leurs récoltes de riz. Son mari a effectué du portage en cinq occasions en 1997. Il fut battu lorsqu'il était trop lent et n'a reçu que du mauvais riz en tant que nourriture.
Age/sexe: |
35 ans, masculin |
195 |
Situation familiale: |
Marié avec quatre enfants |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Mikathut, Kawkareik, Etat Kayin (a vécu au village d'Antwe avant de quitter le Myanmar) |
Le témoin a quitté le Myanmar en novembre 1997. En mars 1997, il a dû travailler sur la construction d'un nouveau camp militaire ainsi que de terrains de football pour les militaires. Il a dû également construire des clôtures et creuser des pièges autour du camp. Il a également dû faire du portage en deux occasions. Le premier voyage fut juste avant le festival de l'eau de 1997 au début avril. Il a dû aller de Kwilo pendant un voyage de trois jours. A cette occasion, il a dû transporter une charge de riz qui pesait 25 kg. Le deuxième voyage a duré neuf jours. En mai 1997, il a dû accompagner les troupes de la division 101 qui retournaient à Kawkareik. Il a dû transporter des charges d'au moins 40 kg.
Age/sexe: |
43 ans, masculin |
196 |
Situation familiale: |
Marié avec six enfants |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Aunghlaing, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 100 familles) |
Les militaires ont construit un camp dans son village en mars 1997. Il a personnellement dû travailler à diverses tâches telles que couper des arbres, construire des bâtiments ou creuser des tranchées. Il a travaillé pendant deux mois. Des enfants de 10 ans venaient également et coupaient les petites branches. Afin d'être exempté de ce travail, il était nécessaire de payer 200 kyats et un poulet pour chaque jour de travail raté. Durant la saison des pluies, il a travaillé comme porteur à deux reprises. Il a également reçu l'ordre de travailler deux jours par mois pour le camp militaire afin d'exécuter des petites tâches. Deux personnes sont mortes et deux autres ont été blessées lorsque les soldats karens ont ouverts le feu sur le camp à la fin de juillet 1997. Il a été requis avec trois autres personnes de transporter les blessés à Kawkareik. Huit militaires les accompagnaient. Puisque le voyage était long et les personnes devaient transporter de lourdes charges, les militaires ont demandé des porteurs additionnels. Les militaires ont autorisé la présence de quatre porteurs additionnels. Ils sont arrivés tard dans la nuit. Le jour suivant, le chef du village a été sévèrement battu et les villageois ont été requis de payer 35 000 kyats parce qu'ils avaient négligé d'informer les militaires que se préparait une embuscade du KNU.
Age/sexe: |
50 ans, masculin |
197 |
Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Peinnwe, Kawkareik, Etat Kayin (le village comptait 100 familles) |
Le témoin a quitté le Myanmar à la fin de 1997. Durant la saison chaude de 1997, il a dû travailler dans le camp militaire qui avait été construit près de son village. Durant la saison des pluies de 1997, il a travaillé en tant que porteur et a dû transporter les marchandises pour les militaires.
Ethnie: |
Mon |
198 |
Age/sexe: |
18 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Trois (elle, son mari et un bébé de 14 mois; elle avait quatre frères et sœurs) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Taung Khun, Yebu, division de Tanintharyi (le village comptait 40 familles) |
Le témoin est arrivé au camp de réfugiés de Mon en janvier 1998. Elle s'est mariée il y a trois ans. Ses parents sont venus dans ce camp avant elle. Elle a exécuté du travail forcé pour la construction du chemin de fer Ye-Dawei sur la section de Natkyizin. Elle a débuté ce travail environ sept mois avant d'arriver au camp (durant la saison des pluies), après une pause parce qu'elle avait accouché. Elle a dû faire ce travail sur le chemin de fer jusqu'à son cinquième mois de grossesse. Après elle a pu se reposer jusqu'à ce que le bébé ait 5 mois. Durant cette période où elle se reposait, elle a dû payer un remplaçant pour aller à sa place en trois occasions (à chaque fois, elle a dû payer 1 000 kyats et l'équivalent de 15 jours de nourriture). Les ordres pour le travail étaient donnés par l'armée au chef de village qui donnait lui-même les instructions aux villageois. Les militaires réquisitionnaient également des porteurs de la même façon en plus d'exiger de la nourriture et de l'alcool sur une base régulière. Le village était divisé en deux sections aux fins de l'exécution de ces travaux. Une personne par famille devait aller travailler pour chaque section de façon rotative pendant deux semaines. Les villageois devaient marcher pendant une heure afin d'atteindre le lieu de travail. Ils devaient apporter leur propre riz, leur sel et leurs poissons en plus de l'argent nécessaire pour acheter des légumes sur le lieu de travail. Il y avait quelques petites boutiques sur le lieu de travail qui avaient été installées par les femmes des militaires (les prix étaient plus élevés qu'à la normale). Sa famille a dû effectuer sept rotations de travail forcé. Elle y est allée elle-même à quatre occasions (trois fois avant sa grossesse et une fois après sa grossesse). Son mari a dû y aller également à trois occasions. Elle a dû y aller plus souvent parce que son mari était souvent loin en train d'effectuer du portage. Il y avait un camp militaire près du lieu de travail et les villageois devaient y rester pendant des périodes de deux semaines. Le travail qu'ils devaient effectuer consistait à ramasser des pierres et les casser en utilisant un petit marteau. C'était du travail très difficile. Ils devaient travailler de 6 heures le matin à 17 h 30, avec une pause de 11 heures à 13 heures. Ils devaient travailler durant la saison des pluies également. Les militaires supervisaient les travaux et surveillaient les travailleurs. Ils criaient et battaient les gens lorsque le travail était fait trop lentement. Elle a souvent vu des gens être battus par les militaires (au moins trois fois pendant une période de deux semaines). Lorsqu'elle est retournée pour travailler après sa grossesse, elle a dû amener son bébé sur le lieu de travail. Alors qu'elle travaillait durant le jour, elle devait laisser le bébé sans surveillance dans le camp. Elle a pu s'arranger avec d'autres villageois afin de travailler dans un endroit qui était près du camp pour pouvoir garder un œil sur son bébé. Elle nourrissait le bébé avant de partir le matin et devait demander une permission afin d'aller le nourrir durant la journée. On lui permettait de prendre une pause le matin pour nourrir son bébé et une pause l'après-midi. Il y avait d'autres femmes de son village avec des bébés sur le lieu de travail, mais les bébés étaient assez âgés et cela ne posait pas de problèmes. Environ sept ou huit personnes de son village étaient des femmes et elles devaient toutes amener leurs enfants avec elles sur le lieu de travail. Il y avait environ quatre ou cinq enfants de moins de 5 ans de son village sur ce lieu de travail. Des gens d'autres villages travaillaient également sur le chemin de fer, mais chaque village se voyait assigner une section différente. Le camp où elle travaillait était constitué uniquement de gens de son village, mais il existait un autre camp d'environ 100 villageois dans les environs. La personne la plus jeune qui a dû travailler avait 14 ans alors que la plus âgée en avait 50. Lorsque les travailleurs étaient malades, ils ne recevaient aucun médicament (s'ils avaient de l'argent, ils pouvaient acheter des médicaments). Lorsque son bébé fut malade, elle n'a obtenu aucun médicament. Son mari a dû faire du portage depuis leur mariage il y a trois ans. Ceci correspond au moment où elle et son mari ont également dû commencer à effectuer du travail forcé. Les militaires demandaient habituellement dix porteurs de son village à la fois et ce nombre pouvait aller jusqu'à 15. Les militaires demandaient les porteurs environ trois fois par mois et les gardaient pour une période de sept jours. Parce que son mari effectuait souvent du portage et qu'elle devait effectuer du travail forcé, elle le voyait très rarement. Trois jours après leur mariage, son mari a dû aller faire du travail forcé sur le chemin de fer. Son mari n'avait pas de salaire régulier. Il travaillait sur la ferme de son père, ce qui signifie que son père nourrissait toute la famille. Parce qu'elle devait effectuer du travail physique difficile lorsqu'elle allaitait, elle n'avait pas toujours assez de lait. Ainsi, son bébé souffrait de malnutrition et d'épilepsie, maladies causées par le fait qu'il n'a pas bénéficié de soins adéquats. Depuis qu'elle est dans le camp de réfugiés de Mon, elle a pu envoyer son bébé à l'hôpital et a pu se reposer. Son mari n'a pas quitté le village avec elle et elle ne sait toujours pas où il se trouve. Elle l'a vu pour la dernière fois cinq jours avant de quitter le village. Il fut amené comme porteur par le bataillon 409 avec cinq autres personnes. On leur a dit qu'ils allaient au village de Mae Than Taung près de Kanbauk, ce qui fait qu'il n'a pas apporté avec lui beaucoup de nourriture. Après trois jours, toutefois, aucun des villageois n'était encore revenu et elle a appris que son mari avait été envoyé à Kanbauk par les militaires. Elle a décidé de s'enfuir parce qu'en l'absence de son mari il était impossible pour elle et son enfant de survivre. Tout le travail forcé reposait sur elle. Elle n'avait toujours pas reçu de nouvelles de lui et ne savait pas s'il était vivant. Il était difficile pour elle de quitter le village parce que les troupes avaient donné des ordres afin d'éviter que les gens voyagent. En effet, les troupes craignaient que les gens s'enfuissent à cause du travail forcé. Elle a réussi à aller au village de Yah Pu, et elle a rencontré quelqu'un du camp de réfugiés de Mon qui achetait des légumes. Elle a suivi cette personne jusqu'au camp. Ses parents étaient déjà dans ce camp depuis deux ans. Elle avait déjà fait l'expérience de la relocalisation. En février 1997, son village ainsi que deux autres ont été relocalisés de force avec un préavis de trois jours donné par le bataillon 409. On leur a dit que s'ils ne portaient pas, ils seraient tués. Aucun site spécifique de relocalisation ne leur fut donné et les villageois ont donc dû partir dans les villages avoisinants tels que Kywe Thone Nyi Ma et Kyauktaya (le village le plus proche étant à deux heures de marche). Environ trois mois plus tard, au mois de juin lorsque les pluies ont débuté, les villageois ont tenté de retourner dans leur région d'origine pour retrouver leur ferme. On leur a permis de retourner à leur village mais en respectant un couvre-feu très strict. Lorsqu'ils voulaient aller à l'extérieur du village pour cultiver, ils devaient payer 20 kyats et revenir avant la nuit. Lorsqu'une personne était trouvée hors du village sans permission, elle devait payer une amende de 1 000 kyats et était battue. Ceci est arrivé à des gens venus au village depuis d'autres villages et qui n'étaient pas au courant du couvre-feu. Les militaires étaient toujours dans le village. Ils restaient dans les maisons. Il y avait un camp militaire à Chaungphya qui se situait à une heure de marche. Ce camp avait été construit par les villageois, il y a environ quatre mois, ces derniers ont dû également fournir du bois et du bambou pour la construction. Chaque femme a dû couper 50 tiges de bambou afin de construire une clôture et chaque homme a dû couper une centaine de tiges de bambou. Cette tâche a pris environ trois à quatre jours par personne. Durant la construction du camp, les travailleurs se sont vus retirer leurs outils et leur nourriture durant leur période de repos afin qu'ils ne s'échappent pas. De plus, au moins deux villageois ont dû en permanence assurer la surveillance autour du village. A l'occasion, les militaires venaient vérifier si les gardiens dormaient et, lorsque c'était le cas, ces derniers devaient donner un poulet.
Ethnie: |
Mon |
199 |
Age/sexe: |
56 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Six (son mari, deux garçons, une belle-fille et un petit-fils) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Sein Suay, Mintha, division de Tanintharyi, Yebyu (a vécu précédemment à Kywe Thone Nyi Ma) |
Le témoin est arrivé dans le camp de réfugiés de Mon en janvier 1998. Elle a dû exécuter du travail forcé en participant à la construction du chemin de fer de Ye-Dawei (Tavoy). Elle a dû exécuter ce travail il y a trois ans. Elle l'a fait à plusieurs reprises pendant deux semaines à chaque fois. Le village était divisé en deux ou trois groupes (dépendant du nombre de travailleurs requis à chaque fois), avec une personne de chaque famille qui devait y aller de façon rotative. Les travailleurs obtenaient moins de mois de congé entre les périodes de travail forcé. Le chef du village avait dressé une liste de tous les gens capables de travailler dans les villages, et lorsque leur tour venait ils devaient exécuter le travail forcé. Ainsi, un seul travailleur pouvait rester avec la famille et travailler à son propre compte. Ce qui veut dire que, lorsqu'il y avait quatre travailleurs dans une maison, trois devaient aller effectuer du travail forcé et un seul restait à la maison. Dans sa famille, le travailleur qui restait à la maison variait selon la rotation. Des travailleurs dans chaque famille se voyaient donner un numéro et, lorsque ce numéro était appelé par le chef du village, ils devaient aller exécuter le travail forcé. Dans sa maison, ses fils et elle-même étaient sur la liste, mais pas son mari puisqu'il souffrait de la polio. Récemment, les militaires ont trompé les villageois en leur disant qu'ils seraient payés pour leur travail sur le chemin de fer. Toutefois, lorsque ce travail fut complété, ils n'ont pas été rémunérés. Lorsqu'elle a commencé à exécuter du travail forcé pour ce chemin de fer, elle vivait à Kywe Thone Nyi Ma. A l'époque, le travail consistait à creuser des trous et construire des remblais. Elle a continué à faire ce travail après avoir déménagé à Sein Suay. A cet endroit, les villageois devaient ramasser des pierres. Le site de travail se situait à une heure de marche de son village, ce qui veut dire qu'elle revenait la nuit au village pour dormir. Elle quittait le village à 5 heures du matin et débutait le travail à 6 heures. On leur permettait de se reposer de 11 h 30 à 12 heures et le travail devait reprendre jusqu'à 18 heures. Elle revenait à son village vers 19 heures. Selon les arrangements prévus par le chef de village, les femmes devaient travailler dans la journée (de 6 heures à 18 heures), et les hommes devaient travailler de 18 heures à minuit. Cet arrangement était prévu afin que les hommes puissent travailler à leur propre compte durant la journée. De plus, le village craignait les mauvais traitements infligés aux femmes par les militaires lorsqu'elles devaient travailler la nuit. Malgré cela, il y eut des problèmes avec cet arrangement parce que lorsque les hommes étaient absents durant la soirée les militaires venaient voler des animaux appartenant au village. Quelques femmes ont également été violées durant ce temps, et certaines furent emmenées de force pour vivre avec les militaires. Elle connaît cinq femmes qui ont été violées de cette façon et deux qui furent amenées de force par les militaires. Ceci s'est passé il y a deux ou trois mois. Deux femmes ne sont jamais revenues. Le travail était très difficile. Elle a toujours été en bonne santé mais, depuis l'année dernière, elle respire avec difficultés et tousse constamment. Elle pense que cela est dû au fait qu'elle doit travailler de longues périodes et transporter des charges très lourdes sans pouvoir se reposer. Durant le travail, les hommes étaient régulièrement battus par les soldats, les femmes ne se faisaient qu'insulter. A une occasion, alors que son fils effectuait du travail forcé, on lui a ordonné de trouver de l'alcool pour les militaires. Il a mis trop de temps pour trouver l'alcool et fut battu. Le chef du village dut trouver un bâton et battre son fils jusqu'à ce que le bâton se brise. Il fut gravement blessé et dut être soigné. Il a gardé des cicatrices. Elle a vu deux autres personnes être battues durant le travail forcé. Parce que les deux hommes se disputaient entre eux, les militaires ont décidé de les battre et les ont contraints à effectuer dix tours d'environ 20 mètres en saut de grenouille. Ceci était une punition classique pour les gens lorsque les militaires estimaient que le travail n'était pas fait de façon adéquate. A une occasion, elle a vu une personne âgée être contrainte d'effectuer cette punition. Les villageois ont également dû faire du portage. En tout temps, deux porteurs du village étaient requis pour effectuer du travail au camp militaire de Eindayaza. Ceci a duré une année. Les gens partaient pour une période de deux semaines et étaient remplacés par la suite. Son fils l'a fait à deux reprises pendant deux semaines à chaque fois. Il n'a jamais été battu pendant ce travail. L'année dernière, les villageois ont été contraints de construire un camp militaire au village de Siu Ku près de Kaleinaung. Quinze personnes de chaque village de la région furent requises pour effectuer ce travail. Le camp se trouvait à deux jours de marche de leur village, et les villageois devaient travailler pendant des périodes de sept jours. Les gens de sa famille y sont allés à trois occasions (son fils plus âgé y est allé deux fois et son fils plus jeune une fois). Elle s'est enfuie de Kywe Thone Nyi Ma parce qu'il y avait trop de travail forcé. Les hommes travaillaient comme pêcheurs, mais il était difficile de gagner sa vie à cause du travail forcé. Elle a dû vendre sa charrette parce que les militaires l'utilisaient souvent pour transporter des pierres ou de la terre. Elle a quitté en laissant la plupart de ses biens derrière elle. Plusieurs personnes se sont enfuies en même temps qu'elle. Lorsqu'ils sont arrivés dans le nouveau village (Sein Suay), ils ont trouvé que la situation n'était pas meilleure. Ainsi, il y a un mois, ils ont quitté pour se rendre au camp de réfugiés. Elle est venue parce que ses fils s'étaient également enfuis et qu'elle dépendait d'eux. Ses fils ont fui parce qu'ils n'avaient plus assez de temps pour travailler à leurs propres affaires. Elle a réussi à s'enfuir jusqu'au camp en prétextant être une vendeuse de poissons lorsqu'elle traversait un barrage militaire.
Ethnie: |
Mon |
200 |
Age/sexe: |
35 ans, féminin |
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Situation familiale: |
Sept (elle, son mari, cinq enfants) |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur (riz) |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Paukpingwin, Yebyu, division de Tanintharyi (le village comptait 300 familles) |
Le témoin est arrivé au camp de réfugiés de Mon à la fin de 1997 (il y a trois mois), depuis Paukpingwin, parce qu'il ne pouvait plus tolérer la quantité de travail forcé. Elle a dû exécuter du travail forcé pour la construction du chemin de fer de Ye-Dawei (Tavoy). Ce travail, qui a débuté il y a deux ou trois ans, a recommencé en septembre-octobre 1997 à la fin de la saison des pluies. Les ordres concernant le travail forcé venaient des militaires via le chef du village qui donnait des instructions aux villageois. Une personne par famille devait s'y rendre. Elle a dû y aller elle-même parce que son mari était régulièrement loin en train d'effectuer du portage ou devait travailler dans ses champs (il était difficile de gagner sa vie: l'année dernière, ils ont dû survivre uniquement avec de la soupe au riz pendant une période de deux mois). Elle y est allée environ 15 fois, et à chaque fois pour une période d'un mois. Son mari n'a pas eu à travailler sur la construction du chemin de fer, mais il a dû effectuer du portage en plus de son propre travail. Pendant le mois de travail forcé, les travailleurs obtenaient une journée de congé à chaque dix jours. Le travail constituait à briser des pierres avec un marteau. Lorsqu'elle travaillait, elle laissait ses enfants au village (le plus jeune avait 2 ans, le plus vieux 10 ans). Le lieu de travail se trouvait à deux heures de marche du village (ils revenaient au village chaque nuit). Ils devaient quitter le village à 6 heures et revenaient le soir à 20 heures. Ils n'avaient droit qu'à une demi-heure de pause autour de midi. Il y avait un total d'environ 300 villageois qui travaillaient ensemble au même moment. Les villageois étaient maltraités lorsqu'ils exécutaient ce travail. Elle a elle-même été frappée à plusieurs reprises par un soldat pendant qu'elle travaillait parce qu'elle était fatiguée et ne pouvait plus faire le travail de façon adéquate. Elle a également vu d'autres personnes être maltraitées, habituellement battues avec une arme. Certaines personnes furent sérieusement blessées. Son oncle a été grièvement battu et a dû recevoir des traitements médicaux pendant un mois (aucun traitement médical n'était fourni par les autorités). Le médecin du village a fourni les soins et ces derniers furent payés par les villageois. Durant ce mois, son fils a dû aller travailler à sa place. Après un mois de convalescence, son oncle a dû recommencer à travailler. Il a mis deux mois pour récupérer totalement. Il était dangereux pour les femmes de marcher seules la nuit parce qu'elles pouvaient être agressées sexuellement par les militaires. Ceci est arrivé à deux ou trois femmes de son village, y compris sa propre sœur qui fut violée. Le chef du village s'est plaint au commandant militaire qui n'a fait qu'encourager le soldat à épouser la fille en question. Le militaire a refusé, prétextant que la femme était mon et qu'il était birman. Ce viol a eu lieu en septembre dernier lorsque sa sœur avait 15 ans. Son mari a dû effectuer du portage il y a cinq ans. Il y est allé à plusieurs reprises, habituellement trois fois par année. La pire fois fut en 1997 lorsqu'il a dû effectuer du portage trois fois durant trois mois à chaque fois. Les années précédentes, il était généralement absent pendant un mois à la fois. Certaines personnes pouvaient payer des remplaçants pour effectuer du portage, mais sa famille ne pouvait se le permettre. Lorsque son mari partait en tant que porteur, elle ne savait pas où il allait et combien de temps il resterait loin. Il fut battu à une reprise et est revenu à la maison avec de sérieuses blessures. D'autres porteurs sont morts durant le portage. Habituellement, cinq personnes du village étaient amenées comme porteurs. Son mari a déclaré qu'il devait transporter les munitions durant le portage. Il revenait toujours à la maison faible et amaigri et souvent avec des blessures, suite aux charges excessives qu'il devait transporter. Au cours des dernières années, elle a eu connaissance d'au moins dix porteurs de son village qui sont morts durant le portage. Cinq de ces dix personnes sont mortes en 1997. Les villageois ont vu quelques-uns des corps avec des blessures témoignant des violences perpétrées par les militaires. Il y a environ six mois, deux femmes ont été amenées comme porteurs, furent violées et tuées durant le portage. Elles avaient environ 16 ans et n'étaient pas mariées. Il était difficile de survivre lorsque son mari était loin pour exécuter du portage parce qu'elle devait effectuer tout le travail forcé. La situation était particulièrement difficile l'année dernière lorsque son mari était loin, bien que le travail forcé sur la construction du chemin de fer était moins astreignant puisqu'il n'y avait aucun militaire qui surveillait les travailleurs. Durant ce travail, elle devait régulièrement ramasser des légumes ou de la nourriture dans la brousse ou emprunter de la nourriture à d'autres membres de sa famille. Lorsque ses enfants étaient malades, elle devait emprunter de l'argent afin d'acheter les médicaments. Dans son village, environ 20 à 30 familles étaient dans une situation similaire à la sienne, c'est-à-dire lorsque l'homme de la maison était loin pour cause de portage la femme devait exécuter tout le travail forcé. D'autres familles étaient capables de payer des remplaçants. Il coûtait 1 000 kyats pour payer un remplaçant en tant porteur, indépendamment de la durée (ceci venant du fait que les militaires n'informaient jamais les porteurs à l'avance de la durée de leur travail). Il y avait un camp militaire dans son village qui fut construit par les villageois il y a environ trois ans. Elle a dû exécuter ce type de travail à cinq occasions. Elle devait transporter des tiges de bambou qui devaient être utilisées pour la construction. C'était un camp d'une grandeur considérable avec plusieurs bâtiments et qui fut terminé l'année dernière durant la saison des pluies. Quarante villageois étaient impliqués en même temps sur ce travail, hommes et femmes. Après la construction des bâtiments, de clôtures et de tranchées, le travail n'était pas terminé puisqu'il y avait constamment des rénovations à entreprendre. Cinq personnes toutes les nuits étaient requises pour des tâches de surveillance. Lorsque c'était au tour de sa famille de s'acquitter des tâches de surveillance, son mari était absent et c'est donc elle qui devait y aller, sauf lorsque sa cousine l'aidait par sympathie. Les militaires maltraitaient fréquemment les villageois. Les militaires habitaient dans les maisons des villageois sans leur permission et ils abusaient des femmes lorsque leurs maris étaient absents. Elle a eu connaissance d'au moins dix incidents de cette nature depuis la dernière saison des pluies. Habituellement, les militaires venaient deux par deux. Durant la dernière saison des pluies, la région où elle habitait fut inondée. A un moment donné, alors qu'elle était sur le site de travail, elle a dû passer un jour et une nuit dans un arbre sans nourriture. Ceci à cause des inondations. Les villageois s'étant plaints, les militaires ont finalement construit un radeau en bambou et l'ont fait descendre de l'arbre et ramenée au village. Une personne s'est noyée. L'inondation a détruit le camp ainsi que les remblais qu'ils avaient construit. Peu avant leur départ pour le camp de réfugiés, sa famille a dû achever une tâche qui consistait à casser l'équivalent de 10 mètres cubes de pierres. En octobre 1997, alors que son mari était absent pour effectuer du portage, elle n'a pas réussi à compléter son quota de pierres concassées, ce qui fait que les militaires sont venus et ont détruit sa maison. Après cet incident, elle est allée vivre avec une autre famille dans le village de Aleh Sakhan. Dans ce village, on lui a ordonné de terminer sa tâche concernant les pierres et, une fois terminée, elle a fui avec ses enfants au camp de réfugiés. Elle a mis quatre jours à pied jusqu'au camp. Son mari n'était pas encore revenu du portage, mais il a appris la nouvelle à son retour. Il a également décidé de fuir. Son mari est arrivé au camp de réfugiés il y a deux mois (un mois après elle). Elle a neuf sœurs. Les cinq sœurs les plus âgées, qui avaient également leur propre famille, ont aussi dû effectuer du travail forcé sur le chemin de fer. Seulement deux de ses sœurs avaient leur mari dans le village. Les maris des trois autres étaient partis travailler en Thaïlande et elles avaient perdu contact avec eux depuis deux ans. Pour ces trois-là, la vie était très difficile. L'une d'entre elles est d'ailleurs partie pour le camp de réfugiés avant qu'elle-même ne parte. Ses quatre autres sœurs ne sont toujours pas mariées et vivent avec ses parents. Elle est venue au camp de réfugiés avec sa famille ainsi que quatre autres familles. Elle connaît environ 30 familles qui ont quitté le village récemment afin d'échapper au travail forcé qui impliquait qu'elles n'avaient plus assez de temps pour travailler à leur propre compte.
Ethnie: |
Mon |
201 |
Age/sexe: |
48 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié avec six enfants |
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Activité professionnelle: |
Agriculteur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Chaung Phya, Natkyizin, Yebyu, division de Tanintharyi (le village comptait 40 familles) |
Le témoin est venu au camp de réfugiés de Mon à la fin de 1997 (il y a trois mois) afin d'échapper au portage et au travail forcé qui ne lui laissait plus le temps de gagner sa vie. Vingt personnes étaient requises de son village pendant quinze jours pour effectuer du travail forcé sur la construction du chemin de fer de Ye-Dawei (Tavoy). Le site de travail se trouvait loin du village, ce qui fait que les villageois devaient y rester pendant toute la période de travail. Ils devaient s'occuper de leur propre transport ainsi que de leur nourriture (ils ne pouvaient pas transporter toute la nourriture et devaient se munir d'environ 2 500 kyats pour acheter de la nourriture sur place). Le lieu de travail était situé près de Kaleinaung, et cela leur prenait plus d'une journée de marche pour y accéder (avec un arrêt la nuit à Kanbauk). Le travail a débuté il y a trois ou quatre ans vers 1993. Son village était divisé en deux groupes afin d'organiser le travail forcé. Les villageois de chaque groupe devaient effectuer le travail en rotation. Chaque groupe travaillait pendant cinq jours puis obtenait 15 jours de repos, et ainsi de suite. Les militaires choisissaient un chef de groupe parmi les villageois, et ce dernier était sévèrement puni et parfois battu lorsque les travailleurs s'enfuyaient. Pour cette raison, personne ne voulait être chef de groupe et ces derniers préféraient souvent s'enfuir. Il a vu plusieurs chefs de groupe se faire punir. Un chef de groupe de son village fut sévèrement battu lorsque certains des travailleurs se sont enfuis. Ce chef de groupe a dû fournir des travailleurs remplaçants et il s'est enfui lui-même par la suite. Le travail consistait à étaler de la boue afin de niveler le sol. Le lieu de travail se situait à une heure de marche du camp. Les travailleurs devaient effectuer un tirage au sort afin de décider qui de chaque section irait travailler. Ils devaient travailler de 6 heures le matin à 17 h 30, avec une pause de 90 minutes au milieu de la journée. Lorsqu'ils terminaient leur tâche avant 17 h 30, on leur donnait d'autres travaux à effectuer, ce qui fait qu'ils prenaient leur temps et n'essayaient pas de terminer leur tâche avant la fin de la journée. La tâche la plus difficile fut celle de construire des remblais et de ramasser des pierres. Les hommes et les femmes (même les femmes enceintes, bien qu'il n'en ait pas vu dans son groupe) ont effectué ce travail. Les travailleurs les plus âgés avaient environ 60 ans et les plus jeunes entre 15 et 16 ans. Certaines femmes amenaient leur enfant avec elles sur le lieu de travail. Certains travailleurs prenaient des pauses en secret durant la journée. Lorsque les militaires les trouvaient, ils les battaient. Il est la seule personne de sa famille qui est allé effectuer ce travail parce qu'il était enfant unique et qu'il était assez âgé pour y aller. Il avait également une fille qui aurait pu y aller, mais il a préféré ne pas l'envoyer. Sa femme devait s'occuper des enfants. A certaines occasions, ils ont dû vendre certains de leurs biens ou emprunter de l'argent en attendant les profits de la récolte. Il y avait un camp militaire à côté de son village qui avait été construit grâce au travail forcé des villageois. Le camp a été construit à la même époque où les travaux forcés sur le chemin de fer ont débuté. Son village a dû construire le camp en utilisant son propre matériel ou celui de villages avoisinants. Une fois le camp terminé, il devait y avoir quatre villageois en permanence afin d'effectuer du travail forcé. La responsabilité d'effectuer une rotation incombait aux villageois. Toutefois, ces quatre travailleurs étaient maltraités par les militaires. Les villageois étaient battus par les militaires juste pour le plaisir. Ils n'avaient droit à aucun temps de repos. La plupart des villageois ne pouvaient parler birman, ce qui fait que, lorsqu'ils recevaient les ordres des militaires, ils ne comprenaient pas toujours. Lorsqu'il n'y avait pas de travail à effectuer, les militaires ne leur permettaient pas de se reposer mais trouvaient plutôt d'autres tâches. Certaines femmes furent violentées par les militaires. A cause de ces mauvais traitements, après un certain temps, aucun des villageois n'a voulu aller faire ce travail. Le village préférait verser 26 000 kyats par mois afin d'engager quatre personnes pour effectuer ce travail. Les militaires venaient également régulièrement au village afin d'amener avec eux des porteurs (trois à six à la fois). Les personnes ainsi choisies devaient effectuer du portage durant cinq à six jours à la fois. Les militaires utilisaient les porteurs de cette façon trois à quatre fois par mois. Il a dû lui-même effectuer du portage à deux occasions, il y a deux ans. La première fois a duré quatre jours, la seconde fois trois jours. Il a dû transporter de la nourriture et du riz qui pesaient environ 22 kg. Les porteurs ne bénéficiaient parfois d'aucune pause durant la journée, bien qu'ils devaient marcher sur de longues distances. Il y avait deux types de porteurs: ceux qui avaient été fournis par le chef du village et ceux qui avaient été amenés directement par les militaires. Ceux qui avaient été fournis par le chef du village ne pouvaient s'enfuir, mais ceux qui avaient été amenés directement avaient toujours la possibilité de s'échapper. Plusieurs personnes furent battues durant le portage. Il a lui-même été battu durant son premier voyage de portage. A cette époque, il était utilisé comme guide pour les militaires et ils l'ont battu lorsque ceux-ci n'étaient pas satisfaits des chemins qu'il leur avait montrés. On l'a frappé au visage et il a gardé de graves blessures pendant plusieurs jours. Heureusement, il a pu s'en remettre. La situation actuelle concernant le portage est moins dramatique qu'avant le cessez-le-feu avec les Mons. Dans son village, il y avait des gens d'origine mon et tavoyan. Les militaires favorisaient habituellement les Tavoyans (ils leur donnaient de la meilleure nourriture et du travail plus facile). Les militaires étaient également impliqués dans l'extorsion de fonds. Les militaires envoyaient des ordres aux chefs des villages afin que ces derniers leur fournissent des crevettes ou des poulets, ou d'autres types de nourriture. Lorsque le village n'avait pas ce que les militaires demandaient, il devait l'acheter. Parfois, sept ou huit soldats venaient dans le village et prenaient un porc ou tout ce qu'ils désiraient. Parfois, ils s'amusaient à jeter des pierres sur les poulets, mais personne ne pouvait se plaindre. Les soldats ont également violé les jeunes filles de son village. Une jeune fille mon fut violée par des soldats lorsque son mari était absent en train d'effectuer du travail forcé. Les militaires étaient venus au village et avaient demandé un porc. Le village a répondu qu'il ne pouvait en donner un. Les militaires ont donc demandé la moitié d'un porc et, après s'être saoulés, ils se sont promenés dans le village et ont aperçu la jeune fille. Ils ont essayé de lui parler, mais elle ne parlait pas le birman. Ils l'ont par la suite violée. Une autre femme fut attrapée par un des soldats, et ce dernier l'a mise sur ses épaules pendant qu'un autre soldat soulevait son sarong. Cette femme s'est mise à hurler et d'autres villageois sont venus l'aider, ce qui a mis un terme à l'incident. Ceci s'est passé l'année dernière. Il pense que cinq ou six femmes de son village furent violées depuis le cessez-le-feu en 1995, mais les femmes ne veulent pas en parler. Ces viols se passent habituellement lorsque leurs maris sont loin pour effectuer du portage ou du travail forcé. Dans un autre cas, un homme du village de Natkyizin avait une très jolie fille et un des soldats voulait l'épouser. Le père de la jeune fille n'était pas d'accord et s'est plaint au commandant du soldat qui a puni ce soldat. Pour prendre sa revanche, le soldat a emmené le père comme porteur et a coupé sa gorge alors qu'il effectuait du portage. Les familles pauvres ne pouvaient se permettre de donner de l'argent ou des pots-de-vin aux militaires, ce qui fait que ces derniers les battaient et leur disaient qu'elles devaient faire comme les autres villageois. Il était lui-même dans cette situation, ce qui fait qu'il a préféré fuir en secret avec sa famille. Il a dû venir en secret parce que les militaires arrêtaient les gens lorsqu'ils pensaient que ceux-ci étaient sur le point de s'échapper. Il a mis un mois afin d'atteindre le camp depuis son village. Son village comptait à l'époque 70 à 80 familles. Lorsqu'il l'a quitté, il n'en restait plus que 40 et maintenant il y en avait encore moins. Certains des villageois ont fui vers d'autres villages, alors que d'autres sont venus au camp de réfugiés. Avant le cessez-le-feu, peu de gens fuyaient. Le portage était plus difficile à cette époque, mais tout le village n'était pas affecté. Les gens étaient amenés de temps à autre pour le portage. Certains étaient tués lorsqu'ils étaient suspectés d'avoir des contacts avec les rebelles. Après le cessez-le-feu, l'extorsion de fonds et le travail forcé ont augmenté, ce qui a affecté tout le village et qui explique que plus de gens ont fui. De plus, comme les bataillons militaires de la région changeaient constamment, ceci signifiait qu'il y avait en permanence du travail forcé et de l'extorsion parce que chaque bataillon ne se préoccupait pas de ce qui avait été fait sous le bataillon précédent.
Ethnie: |
Tavoyan |
202 |
Age/sexe: |
38 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié avec six enfants |
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Activité professionnelle: |
Pêcheur |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Mintha, Yebyu, division de Tanintharyi (le village comptait 70 familles) |
Le témoin est venu au camp de réfugiés mon il y a trois ans. Il a dû effectuer du travail forcé sur le chemin de fer de Ye-Dawei (Tavoy), près de Yah Pu. Il a tout d'abord effectué ce travail une année avant de venir au camp. Il recevait les ordres concernant ce travail par le chef du village qui nommait lui-même les villageois. Chaque famille devait fournir 80 kyins de pierres concassées. Aucune durée ne leur était fixée, mais elle avait environ 15 jours pour produire cette quantité. Le lieu de travail était loin du village et elle mettait une journée en bateau ou en voiture pour s'y rendre. Il a effectué ce travail à six ou sept occasions et d'autres membres de sa familles ont également dû en faire. Ainsi, ses trois enfants les plus jeunes devaient être laissés aux bons soins de sa mère. Lui, sa femme et ses trois enfants plus âgés (21, 20 et 17 ans) ont dû effectuer du travail forcé. Il n'y avait pas de militaires sur le lieu de travail. Les travailleurs les plus âgés avaient environ 60 ans. Il y avait également des enfants d'environ 8 ou 9 ans. On avait dit aux travailleurs qu'ils recevraient environ 300 kyats par kyin qu'ils allaient produire, mais ils n'ont en fait rien reçu. Il a dû payer à sa mère 100 kyats par jour afin qu'elle puisse acheter de la nourriture pour les trois enfants dont elle s'occupait. Il devait également payer 300 kyats par jour comme taxe pour les trois enfants qui ne pouvaient effectuer le travail forcé puisque tout le village avait reçu l'ordre de se rendre sur le lieu de travail. Tout cet argent était perdu puisqu'ils n'ont jamais rien reçu pour leur travail. Il a également dû effectuer du portage en 1994, mais il a préféré payer 9 000 kyats afin d'engager un remplaçant. Le portage durait environ de dix à quinze jours. Personne de son village n'a été grièvement blessé en effectuant du portage, bien qu'il ait vu plusieurs porteurs être battus par les militaires. Il y avait un camp militaire dans son village. Le village tout entier avait été contraint de construire ce camp militaire il y a environ quatre ans. Il a participé à ce travail. Il devait couper du bambou afin de délimiter le périmètre du camp. Il devait effectuer ce travail pour des périodes de trois jours à la fois. Les ordres concernant ce travail émanaient du chef du village. Il y avait environ 50 personnes qui exécutaient ce travail à la fois, cinq ou six qui provenaient de son village. Ils ont dû effectuer tout le travail de construction, c'est-à-dire depuis le tout début niveler le sol et creuser des tranchées et des abris. Le village n'a pas eu à payer de pots-de-vin aux militaires. Son village était constitué principalement de Tavoyans, bien que, dans la région, les Mons constituaient la majorité. Il n'estime pas que la situation était différente entre les Mons et les Tavoyans dans cette région.
Ethnie: |
Mon, Birman |
203 |
Age/sexe: |
68 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Quatre (lui, sa femme et deux filles mariées) |
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Activité professionnelle: |
Cultivateur |
|
Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Ye, Etat Mon |
Le témoin a organisé un groupe de travailleurs afin que ceux-ci effectuent du travail sur le chemin de fer de Ye-Dawei (Tavoy) en 1996. Ceci fut réalisé par l'intermédiaire du chef local du LORC. Il avait négocié avec les militaires un paiement de 1 200 kyats par kyinde pierres concassées (il recevait un certain pourcentage sur ce montant); ainsi, ce n'était pas du travail forcé puisque les travailleurs gagnaient un peu d'argent. Le remblais pour le chemin de fer devait être complété selon les indications fournies par les militaires. A certains endroits, ce travail était facile (par exemple lorsque le sol était facilement malléable ou que la région était plate), mais, à d'autres endroits, ce travail était très difficile (par exemple lorsque le chemin de fer devait traverser une colline). De plus, les travailleurs étaient responsables de leur propre équipement et devaient remplacer régulièrement les paniers qu'ils utilisaient pour transporter les pierres. Une personne pouvait prendre de dix à quinze jours pour compléter 10 kyins. Il se souvient qu'à une occasion des gens haut placés sont venus sur le lieu de travail pour prendre des photos. Les militaires supervisaient le travail. Ils n'ont pas battu les travailleurs mais leur prenaient leur nourriture. En plus d'être un agent pour les travailleurs, il a également effectué du travail pour son propre compte. Il a tout d'abord effectué 10 kyins de pierres pour un remblais, ce qui était très difficile puisqu'il travaillait à flanc de montagne, et cela impliquait de transporter des contenants très lourds pour la construction du remblais. Ceci lui a pris 12 jours. Il a, par la suite, travaillé sur une autre partie de la construction et a effectué 10 kyins de roche concassée. Cela lui a pris six jours. Il avait 216 travailleurs qui travaillaient sous ses ordres mais, lorsque le moment fut venu d'être payé, les militaires ont refusé de le payer. Le bataillon responsable de ce travail était le bataillon 106. Il a essayé d'obtenir un accord avec le commandant afin que ce dernier puisse garder 100 kyats par kyinet que lui-même toucherait 100 kyats par kyin et que 1 000 kyats iraient aux travailleurs. Le commandant a refusé et a finalement payé 700 kyats par kyin, indiquant que c'était un ordre qui devait être accepté. Le commandant a donc gardé les 500 kyats par kyin supplémentaire pour lui-même. Les 216 travailleurs avaient à ce moment complété 486 kyins. Après cet incident, plus personne n'a voulu effectuer le travail, ce qui fait que les militaires ont dû avoir recours au travail forcé, comme ils le faisaient auparavant. Alors qu'il travaillait sur le chemin de fer, il a vu plusieurs travailleurs sur le lieu de travail. Il estime qu'environ 6 000 à 7 000 personnes travaillaient en même temps sur ce projet, y compris des femmes et des enfants. A l'occasion, les militaires qui supervisaient le travail volaient des pierres aux villageois. Ils vendaient par la suite ces pierres à d'autres villages qui pouvaient payer afin de ne pas avoir à faire le travail.
Ethnie: |
Mon |
204 |
Age/sexe: |
32 ans, masculin |
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Situation familiale: |
Marié avec quatre enfants |
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Activité professionnelle: |
Travailleur journalier |
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Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Tada Pyat, Kya In Seik Gyi, Etat Kayin (le village comptait 60 familles) |
Le témoin est venu au camp de réfugiés Mon au début de 1998. Il a effectué du travail forcé en mars- avril 1997 sur la construction de la route de Kya In Seik Gyi jusqu'à Taungbauk. C'était une nouvelle route qui traversait les terres agricoles. La construction de cette route a débuté en 1996 durant la saison sèche. Le travail fut ordonné par les militaires qui ont demandé une réunion avec tous les villageois afin de les informer qu'une personne par famille devait se rendre sur le lieu de travail. Les militaires les ont informés que tout villageois qui refusait de se rendre serait puni. On leur a également dit que, lorsqu'il n'y avait pas de travailleur mâle dans une famille, une femme devait s'y rendre. Le lieu de travail se situait à une journée de marche du village. Lorsqu'ils y arrivaient, ils devaient y travailler pendant quatre jours. Les villageois devaient apporter leur propre nourriture. Il a effectué ce travail environ cinq fois avant la saison des pluies. A chaque occasion, il a dû travailler pendant quatre jours, avec une journée de marche pour revenir à la fin. Environ 60 villageois s'y rendaient à la fois, y compris une vingtaine de femmes. Il y avait également environ dix enfants de moins de 15 ans, le plus jeune ayant entre 12 et 13 ans. Le travail consistait à ramasser de larges pierres, à les concasser et à les étendre sur un remblais. Tous les villageois devaient effectuer le même type de travail. Il a vu environ 1 000 personnes travailler sur cette route. Chaque personne se voyait assigner une section de la route à accomplir. Les travailleurs devaient débuter à 6 heures du matin et terminaient à 18 heures. Les périodes de repos dépendaient des arrangements effectués par le chef du village. En général, les travailleurs obtenaient une heure de pause au milieu de la journée. Aucun arrangement n'était prévu concernant la nuit, ce qui fait que les travailleurs devaient dormir sur place. Ils devaient dormir sur le sol près du site de construction. Il y avait des militaires sur le site de travail. Ils ne supervisaient pas le travail puisque cette tâche incombait au chef du village qui était responsable du travail. Toutefois, les militaires patrouillaient autour du site et s'assuraient que le travail était effectué. Le village devait également fournir des porteurs pour les militaires. Six personnes sur une base rotative devaient effectuer ce travail tous les trois jours. Le chef du village était responsable d'organiser la rotation. Il devait se renseigner sur le lieu où les troupes se situaient et envoyer six nouveaux porteurs afin de remplacer les six qui étaient déjà sur place. Parfois, il était difficile de localiser l'emplacement des troupes, ce qui fait que deux semaines ou même un mois pouvait passer avant que le chef du village puisse envoyer de nouveaux porteurs. Ceci se produisait tout particulièrement lorsque les troupes étaient très éloignées, tel que dans les cas où elles menaient des offensives contre les troupes du KNU. Il a lui-même effectué du portage à environ dix reprises depuis juin 1997 pour une période allant de trois jours à neuf jours. Durant le portage, il devait transporter des munitions. Il devait les transporter toute la journée et même parfois la nuit. Les porteurs obtenaient peu de repos, surtout lorsque les troupes étaient pressées. Les porteurs recevaient uniquement une petite portion de riz et un peu de poisson. Ils dormaient habituellement dans la jungle ou dans une plantation, ou encore dans un village karen. Lorsque les porteurs étaient lents, ils étaient battus par les militaires. A une occasion, il a dû effectuer du portage avec son frère, et ce dernier fut battu parce qu'il ne marchait pas assez rapidement. Les soldats l'ont roué de coups et l'ont frappé avec un couteau. Après cet incident, son frère ne pouvait plus marcher normalement. On lui a donc permis de marcher sans aucune charge mais, le jour suivant, il a dû de nouveau transporter sa charge. Il a été lui-même témoin de cet incident. Les militaires l'ont insulté mais ne l'ont jamais battu. Il a toutefois vu plusieurs autres porteurs être battus par les militaires, certains de son village. Les militaires battaient toujours les porteurs qui ne pouvaient travailler de façon satisfaisante. Il en a été témoin à chaque fois qu'il a dû exécuter du portage. Les porteurs n'étaient jamais autorisés à retourner à la maison, même s'ils souffraient de maladies ou d'épuisement. Il a également dû effectuer du portage, de façon moins régulière, alors qu'il avait 14 ou 15 ans. A cette époque, les militaires venaient directement dans le village et encerclaient les villageois afin de choisir des porteurs. Avant le cessez-le-feu mon, le portage était beaucoup plus fréquent. Il a effectué du portage environ à huit reprises avant le cessez-le-feu. Il s'est également échappé à plusieurs reprises afin d'éviter le portage. Dans la période après le cessez-le-feu, il a dû effectuer du portage à huit occasions (sans inclure les dix fois depuis juin 1997). Avant le cessez-le-feu, lorsque les porteurs étaient arrêtés par les militaires, ils n'étaient jamais relâchés et ils devaient s'enfuir. Le traitement des porteurs était également pire avant le cessez-le-feu. Après le cessez-le-feu, lorsqu'un porteur ne pouvait marcher assez rapidement, il était battu. Mais lorsque cette situation se produisait avant le cessez-le-feu, le porteur était tout simplement tué. Il a vu les corps d'environ 30 porteurs lorsqu'il effectuait du portage (ils avaient été battus à mort ou fusillés). Son père a été grièvement blessé durant le portage, il y a environ dix ans. C'était durant une offensive des militaires et ses épaules furent grièvement blessées parce qu'il devait transporter des charges extrêmement lourdes. Durant les offensives, les porteurs étaient également utilisés comme boucliers humains et placés au-devant des troupes dans les zones dangereuses. C'était le cas dans toute offensive, et des centaines de porteurs ont été tués de cette façon. Les porteurs étaient souvent fusillés s'ils essayaient de s'enfuir et ils n'avaient donc aucun choix s'ils voulaient être relâchés un jour ou l'autre. Il s'est lui-même enfui à plusieurs reprises; la plus longue période pendant laquelle il a dû effectuer du portage a été 13 jours. Après le cessez-le-feu, le portage était organisé via le chef du village. Il n'était donc plus possible de s'enfuir, mais les porteurs étaient libérés lorsque les remplaçants arrivaient. Au début de 1997, son village fut contraint de construire un camp militaire pour le bataillon 32 au village de Taungbauk (environ à une heure de marche de son village). Une personne de chaque famille dans le village devait effectuer ce travail. Les villageois devaient également apporter cinq billots de bois et cinq morceaux de bambou avec eux pour la construction. Les propriétaires de charrettes étaient également réquisitionnés pour le transport des matériaux de construction. Durant la construction du camp, les villageois devaient rester sur place jusqu'à ce que leur travail soit terminé (environ deux jours). Environ la moitié des travailleurs étaient des femmes. Il n'y avait pas d'enfants. Le traitement infligé par les militaires n'était pas trop mauvais. Lorsque les militaires venaient dans le village, ils demandaient du riz, du poulet ou de l'alcool, et le village devait leur en fournir. Les militaires informaient parfois le chef du village des choses dont ils avaient besoin. Mais, à d'autres occasions, ils venaient simplement et volaient directement ce qu'ils voulaient. Il y avait habituellement environ dix militaires qui restaient dans le village (ils occupaient les maisons du chef du village et du secrétaire du village), et le village devait les nourrir. Lorsque les militaires désiraient quoi que ce soit, ils se servaient tout bonnement. Le chef du village avait été élu par les villageois et démontrait beaucoup de sympathie pour leurs problèmes bien qu'il ne pouvait rien y faire. La situation dans d'autres villages était bien pire que dans son village, particulièrement lorsque ces villages étaient liés aux rebelles. Dans ces villages, la torture des villageois était monnaie courante ainsi que les viols des femmes. Récemment, avant de se rendre au camp militaire, il y a eu une relocalisation forcée dans sa région (bien que son village n'était pas concerné). D'autres villages dans la région ont dû se déplacer au village de Taungbauk. La relocalisation fut ordonnée en octobre. Il a entendu parler du cas d'une famille mon qui n'a pas voulu se relocaliser parce que propriétaire d'une plantation de caoutchouc. Ceci se passait au village de Kyauk Kyat, à environ une heure de marche de son village. Puisqu'elle a refusé la relocalisation, la famille fut menacée par quatre militaires. Ces derniers ont violé la fille devant les membres de sa famille. Il a entendu parler de cet incident par des gens qu'il connaissait de la région. Les dix villages qui furent relocalisés comprenaient Kyau Kyat, Tha Shay, Ma-U, Klaw Taw Chaung, Kyaik Raung, Tha Ya Gone et Ye Le. Parmi ceux-ci, Ma-U et Kyaik Raung étaient principalement des villages karens, alors que les autres étaient des villages mons. Les villages comprenaient entre 60 et 200 familles chacun. On leur avait donné un mois pour se relocaliser dans le village de Way Tha Li (qui se situe entre Taungbauk et Kya In Seik Kyi, et qui est donc sous contrôle militaire). Certains villageois sont allés sur les sites de relocalisation, alors que d'autres ont fui dans les camps de réfugiés. Quelques-uns sont restés secrètement dans leur village d'origine. Les bataillons impliqués dans ces relocalisations étaient les numéros 32, 355 et 356. Il a décidé d'aller au camp de réfugiés parce que, en tant que travailleur journalier, il n'avait pas de ferme et devait travailler chaque jour pour survivre. Il était incapable d'accomplir cette tâche à cause du portage qui signifiait qu'il ne pouvait plus nourrir sa famille. Sa famille et la famille de son frère ainsi que trois autres familles du village ont fui au camp de réfugiés. C'était principalement les familles les plus pauvres qui s'enfuyaient puisque les villageois les plus riches qui possédaient des fermes restaient sur place. Les propriétaires de fermes dans son village furent avertis que, s'ils aidaient les rebelles, leur village serait également relocalisé. Son village ainsi qu'un autre village de la région ne furent pas relocalisés parce que les militaires voulaient les utiliser afin d'y demeurer. L'autre village était constitué principalement de Mons avec également des habitants thaïlandais.
Ethnie: |
Thaï |
205 |
Age/sexe: |
41 ans, masculin |
|
Situation familiale: |
Marié avec quatre enfants |
|
Activité professionnelle: |
Travailleur journalier |
|
Domicile (avant de quitter le Myanmar): |
Kyaik Raung, Kya In Seik Gyi, Etat Kayin (le village comptait 100 familles) |
Le témoin est venu au camp de réfugiés mon en décembre 1997. Il a dû effectuer du portage. Il a été arrêté par les militaires et contraint de transporter du matériel pour eux. La dernière fois où il a dû faire du portage fut en septembre 1997 et la première fois alors qu'il avait à peine 17 ans. Il ne peut estimer le nombre de fois où il a dû effectuer du portage. Parfois, il a dû en faire deux fois par mois. Le portage durait environ dix jours chaque fois, mais il n'était jamais relâché par les militaires après cette période et il avait l'habitude de s'enfuir. Si un porteur était capturé au moment où il tentait de s'échapper, il était battu et on lui donnait une charge plus lourde. Ceci lui est arrivé à deux occasions. Lorsqu'un porteur était trop lent, il était battu. Ceci lui est également arrivé en quelques occasions. Quiconque avait la force de transporter un sac à dos était réquisitionné (même des garçons de 13 ans ou des hommes plus âgés). Les femmes n'étaient pas réquisitionnées pour le portage. La charge la plus lourde qu'il a dû transporter consistait en des pièces d'artillerie lourde. Cette charge était tellement lourde qu'il était incapable de marcher normalement. Les obus qu'il transportait cognaient contre son dos lorsqu'il marchait et il fut donc blessé. Il a également dû transporter du riz et d'autres types de nourriture. La période la plus longue pendant laquelle il a dû effectuer du portage fut de 25 jours. Il a effectué toute sorte de portage, y compris sur la ligne de front et durant les combats. Durant les combats, les porteurs étaient placés au milieu des militaires. Il n'a jamais vu un porteur mourir durant les combats. Lorsqu'il y avait des combats avec le rebelles, les militaires allaient dans les villages et battaient le chef du village et brûlaient ce dernier. Le nombre de porteurs dépendait des besoins requis par les militaires. Parfois, ils en avaient besoin de cinq, parfois cela pouvait aller jusqu'à 20. Le plus dur était le portage durant la saison des pluies puisqu'à ces occasions ils pouvaient ne pas recevoir de nourriture pendant toute une journée. Les militaires dormaient normalement sur une plate-forme au-dessus du sol, alors que les porteurs devaient dormir dans la boue. Les porteurs devaient cuisiner pour eux-mêmes ainsi que pour les militaires. Lorsque les porteurs ne respectaient pas les ordres donnés ou lorsqu'ils étaient trop lents, ils étaient battus. De tels actes de violence étaient très fréquents. Il a vu ce type de violence chaque fois qu'il a dû effectuer du portage. A plusieurs reprises, il a vu des porteurs être frappés à la tête avec une telle violence que leur crâne était couvert de sang. Il a vu des porteurs qui étaient malades et qui ne pouvaient continuer et qui furent tout de même battus par les militaires jusqu'à la mort. Ceci est arrivé en quelques occasions mais pas à chaque voyage. Parfois, ces porteurs étaient malades, ils pouvaient payer les militaires afin d'être relâchés (pour trois jours, 200 kyats ou l'équivalent en poulets). Lorsque les militaires allaient dans un village, ils volaient tout ce qu'ils pouvaient et, lorsqu'ils voyaient une jolie fille, ils la forçaient à venir avec eux pour l'embrasser. Il a vu à une occasion un militaire attraper un villageois qu'il suspectait être un rebelle et l'a fusillé sur place. Les militaires avaient également l'habitude d'arrêter le chef du village et de le frapper. La pire blessure qu'il avait subie durant le portage fut un coup porté à la tête qui causa de nombreuses contusions mais pas de dommages irréversibles. L'année dernière, lorsqu'il était dans son village, des militaires sont venus dans sa maison et ont volé ses biens et l'ont frappé. Les militaires forçaient régulièrement les villageois, y compris les femmes, à dormir au camp militaire afin de décourager les possibles attaques des rebelles. Il ne sait pas si les femmes étaient abusées sexuellement. La dernière fois qu'il a dû effectuer du portage, en septembre 1997, cela avait été arrangé via le chef du village. Le chef du village lui avait dit d'aller effectuer du portage pendant trois jours, mais il ne fut relâché qu'après vingt jours puisqu'aucun remplaçant n'est arrivé avant. Il souffrait beaucoup des pieds et avait de la fièvre et des maux de tête. On ne lui permettait pas de se reposer et on le battait afin qu'il progresse plus rapidement. Les porteurs n'étaient jamais nourris de façon adéquate (juste du sel et du riz). Il n'y avait pas assez de riz pour les nourrir, ce qui fait qu'ils s'affaiblissaient. Les militaires volaient les poulets dans les villages mais ne les donnaient jamais aux porteurs. Finalement, après vingt jours, six remplaçants sont arrivés et il fut relâché. Il était généralement arrêté pour le portage par les militaires alors qu'il travaillait dans son champ. Il tentait alors de s'enfuir, ce qu'il a réussi à faire à quelques reprises avec succès. Les autres villageois tentaient également de s'enfuir. Lorsqu'un villageois avait de l'argent, il lui était possible de payer les militaires afin de le relâcher pour éviter le portage. S'il surveillait ses vaches lorsque les militaires arrivaient, il n'avait plus la possibilité de ramener les vaches au village. Le portage fut arrangé seulement en deux occasions par le chef du village. A une autre occasion, tout le village a dû couper des bambous pour la construction du camp pour le bataillon 355. D'autres villages se sont occupés de la construction alors que son village n'a dû que fournir des tiges de bambou. C'était du travail très difficile qui a nécessité deux jours de coupe. Les tiges de bambou devaient être très larges. Il n'a pas dû effectuer d'autres types de travail forcé bien que d'autres villageois aient dû travailler sur la construction de la route. La route devait aller jusqu'à la Passe des trois pagodes. Les travaux ont débuté l'année dernière durant la saison chaude. Cinq personnes du village devaient s'y rendre quinze jours à la fois. C'est le chef du village qui déterminait qui devait s'y rendre. Il a décidé de quitter le village avant que son tour ne vienne. Le village devait également donner de la nourriture et de l'argent aux militaires une fois par mois. Chaque mois, les militaires demandaient ce qu'ils voulaient; cela pouvait être de la nourriture, de l'argent, mais habituellement pas les deux. Ceci se passait depuis plusieurs années. Il est venu au camp de réfugiés il y a deux mois avec sa famille. Ils sont venus à cause des nombreux problèmes auxquels ils devaient faire face: il y avait beaucoup de portage, ce qui fait qu'ils étaient incapables de travailler à leurs propres affaires; chaque fois qu'ils quittaient le village, ils risquaient d'être arrêtés par les militaires pour effectuer du portage. Plusieurs autres familles de son village sont venues au camp avant lui (il en connaît au moins 30).