GB.273/WP\SDL\2 |
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Groupe de travail sur la dimension sociale |
WP/SDL |
DEUXIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR
Rapport intérimaire concernant les études
par pays sur l'impact social de la mondialisation
1. A la demande du groupe de travail, le Bureau a entrepris un programme d'études sur l'impact social de la mondialisation dans un certain nombre de pays, qu'il a confié à une équipe spéciale(1). Le but de ces études par pays, et du rapport qui en fera la synthèse, est a) d'apporter un éclairage empirique et conceptuel au débat sur la question de la dimension sociale de la mondialisation, et b) de déterminer les mesures qui seraient susceptibles d'accentuer les bienfaits de la mondialisation, tout en en limitant les coûts sociaux éventuels. Lors de sa dernière réunion, le groupe de travail a demandé que lui soit soumis un rapport intérimaire(2). Le but de ce rapport est précisément de répondre à cette demande.
I. Etat d'avancement des travaux
2. L'équipe spéciale a achevé la rédaction des études sur le Chili, la République de Corée et Maurice. Un résumé de ces études est présenté au groupe de travail pour information(3). En ce qui concerne les deux premiers pays, les résultats des études ont fait l'objet d'une discussion tripartite dans chaque pays concerné. Le cadre commun d'analyse proposé à la réunion du groupe de travail du mois de novembre 1997 indiquait que les études, une fois rédigées par l'équipe, sont présentées à une réunion tripartite dans le pays considéré. En ce qui concerne Maurice, le gouvernement a estimé que la réunion tripartite ne pourrait avoir lieu avant la fin du mois d'octobre pour des raisons de calendrier.
3. Les études concernant l'Afrique du Sud, la Suisse et le Bangladesh sont en cours d'achèvement, et les réunions tripartites devraient s'étaler de la fin du mois de novembre à la fin du mois de janvier 1999. Des contacts préliminaires ont été établis avec la Pologne et le travail sur ce pays devrait débuter d'ici peu.
4. En ce qui concerne la Jamaïque, la Jordanie et le Venezuela, les travaux n'ont pas encore démarré faute de temps. Pour ces pays, des données statistiques et des publications portant sur le thème des études sont en train d'être rassemblées. Dans certains cas, ces informations semblent relativement insuffisantes eu égard à l'ampleur de la tâche, ce qui, si cela se confirme, ferait obstacle à une analyse approfondie des relations complexes entre mondialisation et progrès social comparable à celle menée dans les autres pays et exigerait une adaptation de la méthodologie.
5. Des travaux ont été entrepris en vue de la rédaction du rapport de synthèse. En particulier, des données internationales portant sur un grand nombre de pays - industrialisés, émergents et en développement - ont été rassemblées.
II. Quelques résultats préliminaires
6. Il est encore trop tôt pour tirer les leçons générales de ces études. Un rapport de synthèse sera présenté à la prochaine session du groupe de travail. Néanmoins, certains résultats importants concernant l'impact social de la mondialisation et l'action de l'Organisation apparaissent d'ores et déjà.
Résultats concernant l'impact social de la mondialisation
7. Tout d'abord, la mondialisation se confirme comme un phénomène complexe et multiforme. Dans les études, on s'est surtout intéressé à la mondialisation économique, que l'on peut définir comme un processus d'interdépendance croissante des économies nationales caractérisé notamment par un développement rapide du commerce international, l'intensification des flux d'investissements étrangers directs et un progrès technologique devenu plus «global», par le biais par exemple de l'acquisition de biens d'équipement qui intègrent de nouvelles technologies et de la diffusion de nouvelles technologies par les entreprises multinationales. En outre, les études montrent que certaines techniques de gestion, comme le recours à la sous-traitance et l'externalisation par les entreprises de certaines de leurs activités, se généralisent dans de nombreux pays sous l'effet de la concurrence internationale. Enfin, les marchés financiers ont connu une mondialisation spectaculaire, sous la double impulsion de politiques de libéralisation des mouvements de capitaux et du progrès des technologies de la communication et de l'information qui font qu'une masse considérable de capitaux peut se déplacer d'un marché à l'autre sans autre limite que la vitesse des communications. Ces multiples aspects de la mondialisation économique sont présents, quoique à des degrés divers, dans tous les pays déjà étudiés ou pour lesquels l'analyse est en cours.
8. Les études ont été centrées sur certains des aspects du phénomène, notamment ceux qui touchent plus directement au processus économique, c'est-à-dire le commerce international et l'investissement étranger direct. Il apparaît que l'impact à long terme sur l'emploi et les revenus est, au niveau macroéconomique, positif - cependant, dans le cas de l'Afrique du Sud, des recherches supplémentaires sont en cours pour établir si la baisse du niveau d'emploi enregistrée ces dernières années est en quoi que soit attribuable à certains effets transitoires de l'ajustement ou bien si, au contraire, la situation aurait été pire en l'absence d'ouverture. Plus généralement, le commerce et l'investissement direct constituent de puissants facteurs de développement économique. Cependant, il existe un risque que ce développement économique s'accompagne d'un accroissement des inégalités et que, par conséquent, certaines catégories sociales en profitent moins que d'autres. Cela s'explique pour l'essentiel par le fait qu'il semble que, aiguillonnées par la concurrence internationale, des entreprises adoptent de nouvelles technologies qui demandent davantage de travail qualifié, tout en diminuant les besoins en travail peu qualifié. En outre, et c'est un résultat original de ces recherches, la mondialisation est associée à une «rotation» croissante sur le marché du travail, ce qui se traduit notamment par le fait que les salariés changent d'emploi plus souvent que par le passé (des données empiriques seront fournies dans le rapport de synthèse). Il se trouve que les travailleurs peu qualifiés sont encore une fois particulièrement affectés, du fait que leur spécialisation est souvent étroitement liée à l'entreprise ou au secteur dans lequel ils sont employés.
9. En revanche, une certaine crainte se fait jour en ce qui concerne les mouvements de capitaux à court terme. En effet, ces capitaux à court terme sont considérés comme déstabilisateurs du point de vue de l'économie réelle. Ils ont tendance à affluer en masse lorsqu'un pays semble offrir de bonnes perspectives de gains, mais repartent, parfois dans un mouvement de panique, au moindre signe de faiblesse (réelle ou perçue) de la monnaie de ce même pays. Cela peut se traduire par des fluctuations excessives du taux de change et une déstabilisation profonde des marchés financiers, notamment dans les économies émergentes et les pays en développement, dont les systèmes financiers ne sont pas encore assez solides. Ces perturbations financières ont un impact direct important sur les entreprises, et, bien entendu, sur le marché du travail. L'étude sur le Chili montre que la solution adoptée dans ce pays pour introduire un certain contrôle sur les mouvements de capitaux paraît avoir été efficace à cet égard. Cela pourrait apporter un élément à la réflexion plus large qui s'est récemment développée au sujet de l'opportunité de maintenir un certain contrôle sur les mouvements de capitaux à court terme (dits «spéculatifs»), tout au moins dans les pays émergents et en développement. Loin d'être considérée comme protectionniste, cette solution est, on le sait, soutenue par d'ardents défenseurs du libre-échange comme J. Bhagwati et J. Sachs(4).
10. Cependant, dans aucun des pays étudiés il n'est question de faire marche arrière, et il existe toujours une volonté politique de poursuivre la libéralisation des échanges. En tout état de cause, la mondialisation n'est pas tenue pour principale responsable des problèmes sociaux, lesquels ont avant tout des causes internes. Du point de vue de l'action gouvernementale, la question qui se pose est donc de tirer le meilleur parti possible de la mondialisation, au besoin en limitant certains de ses aspects les plus discutables comme les mouvements de capitaux à court terme. De ce point de vue-là, la réflexion tourne autour d'un certain nombre de thèmes communs à tous les pays étudiés - et c'est là sans doute un résultat surprenant de nos travaux, alors que les pays sont dans des situations a priori très différentes. Les thèmes en question sont les suivants:
11. Bien entendu, ces premiers résultats demandent à être confirmés par les recherches en cours. Cette discussion, ainsi que les données empiriques sous-jacentes, formeront la base d'une première version du rapport de synthèse qui sera présentée au groupe de travail en mars 1999.
Résultats concernant les attentes à l'égard de l'OIT
12. Au-delà des résultats de ces recherches, il est intéressant de constater que l'Organisation fait l'objet d'une demande de la part de certains de ses interlocuteurs dans le sens d'une participation plus directe à l'élaboration de mesures appropriées face à la mondialisation. Plus généralement, alors que certaines expériences de «déréglementation» du marché du travail semblent susciter des questions, voire des critiques, l'action gouvernementale semble s'orienter vers une approche qui combine des éléments indispensables de souplesse et un minimum de protection sociale. Qui plus est, et cela est peut-être nouveau, les droits fondamentaux des travailleurs et la protection sociale sont désormais perçus comme des facteurs de progrès économique. Au fond, la vraie question n'est pas (ou n'est plus) de savoir si les droits fondamentaux et la protection sociale doivent être assurés, mais plutôt selon quelles modalités ces droits peuvent être mis en œuvre de sorte que l'efficacité du système productif soit renforcée.
13. Bien que cela nécessite un gros effort, il est possible d'achever un second cycle de quatre études (Afrique du Sud, Bangladesh, Pologne et Suisse) pour le mois de mars 1999, et de présenter au groupe de travail une première version du rapport de synthèse. Par la suite, les résultats de ces travaux pourraient être présentés à une ou plusieurs réunions conjointes avec d'autres institutions internationales qui travaillent sur ces thèmes, comme la Banque mondiale, en vue de comparer les résultats, les méthodologies et les implications de ces recherches aux plans national et international.
Genève, le 27 octobre 1998.
Annexe
Résumé des études sur l'impact social de la mondialisation
au Chili, en République de Corée et à Maurice (6)
Chili
Le Chili offre l'un des exemples les plus remarquables d'intégration dans l'économie mondiale. La libéralisation des échanges a été amorcée au début des années soixante-dix, au moment où les tarifs d'importation dépassaient en moyenne 90 pour cent et où les barrières non tarifaires étaient multiformes. Après une courte période de pratiques restrictives en matière d'échanges internationaux, la libéralisation des échanges connaît de nouveau une impulsion depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui, le régime commercial est l'un des plus libéraux du monde, ce qui a récemment valu au gouvernement chilien les éloges de l'OMC. Conséquence de la libéralisation, les courants d'échanges et les flux d'investissements se sont rapidement développés, tant exprimés en dollars qu'en part du PIB.
Pendant une phase initiale relativement longue, la libéralisation des échanges a eu un coût économique et social incontestable. Cependant, depuis le milieu des années quatre-vingt, le PIB connaît une robuste croissance ininterrompue de 7 pour cent par an en moyenne, tandis que l'inflation a été ramenée au-dessous de 10 pour cent. En outre, il n'y a pas de déficit budgétaire. Le déficit relativement important de la balance des opérations courantes est la contrepartie des déséquilibres entre l'épargne et les investissements dans le secteur privé, dont on estime officiellement qu'ils sont supportables. Ces conditions macroéconomiques favorables se reflètent sur le front de l'emploi: depuis le milieu des années quatre-vingt, plus d'un million et demi d'emplois ont été créés, ce qui a permis de grignoter largement le taux de chômage, lequel est inférieur à 6 pour cent. Pendant la même période, la pauvreté a été diminuée de moitié, pour ne plus toucher qu'un quart de la population, et les indicateurs de la santé mettent également en évidence une amélioration substantielle.
Ces résultats sont remarquables, comparés à ceux des autres pays - d'Amérique latine et d'ailleurs. Ils montrent les bienfaits que peut apporter la libéralisation des échanges et, aux yeux de nombreux observateurs, ils ont transformé le pays en un «modèle» de réforme économique.
Le progrès social a cependant été inégal. Tout d'abord, si l'on se réfère aux normes internationales, la répartition du revenu est relativement inégale, le quintile de la population la plus riche gagnant 57 pour cent du revenu national et le quintile le plus pauvre 4 pour cent seulement. Les tendances récentes dénotent en outre une aggravation des inégalités. Deuxièmement, ce qui est peut-être plus important, les chances sont aussi très inégalement réparties. Dans la pratique, le système éducatif est stratifié selon l'origine sociale, et la différence est nette entre les écoles privées, souvent excellentes, auxquelles n'ont accès que les familles aisées, et les écoles publiques dont la qualité est bien inférieure. Moins d'un tiers des enfants dont les parents ont un niveau d'études assez bas terminent leurs études secondaires, tandis que cette proportion dépasse 90 pour cent pour les enfants des milieux plus instruits. Bien que des améliorations importantes aient été apportées au système public au cours des dernières années, le fossé entre les écoles publiques et les écoles privées demeure. Troisièmement, la sécurité de l'emploi et la protection sociale sont rarement attachées aux nouveaux emplois qui sont créés, et la situation à cet égard a empiré au cours des quelques dernières années: moins des deux tiers des salariés chiliens ont un contrat de travail stable assorti d'une protection sociale convenable.
On a affirmé que les statistiques disponibles exagèrent l'ampleur de ces problèmes sociaux. Bien que cette affirmation contienne certainement une part de vérité, les observations faites ici et là donnent à penser que les statistiques, toutes imparfaites qu'elles soient, reflètent la réalité.
Plusieurs facteurs plus ou moins directement liés au processus de mondialisation jouent un rôle dans ces problèmes sociaux:
Cela soulève la question de savoir s'il convient de prendre des mesures pour résoudre ces problèmes tout en préservant le dynamisme de l'économie chilienne. On peut affirmer que, dans la mesure où l'économie chilienne continue de connaître des taux de croissance élevés, la répartition du revenu deviendra progressivement moins inégale à mesure que des emplois plus stables seront créés. On peut aussi faire valoir que ces problèmes sociaux n'ont que peu d'incidence sur les performances de l'économie. Il n'empêche que ces deux arguments peuvent être réfutés. En effet, bien que le gouvernement ait prouvé ses capacités dans le domaine de la gestion de la politique macroéconomique, l'économie chilienne n'est pas à l'abri des chocs - on peut même affirmer que le type d'avantage relatif du Chili, fondé sur les ressources naturelles, rend l'économie nationale plutôt vulnérable aux modifications des termes de l'échange. La crise financière récente des pays asiatiques, qui constituent un marché important pour les exportations chiliennes, a terni les perspectives économiques. Etant donné la protection relativement faible dont bénéficient de nombreux travailleurs au regard de la sécurité sociale, la détérioration des perspectives économiques peut avoir des conséquences dramatiques pour des groupes importants de la population. En outre, il existe des liens complexes entre, d'une part, les inégalités et l'instabilité et, d'autre part, la spécialisation internationale et la performance de l'économie. Il est difficile, par exemple, d'améliorer la productivité dans un contexte d'instabilité de l'emploi. Cela réduit le potentiel de croissance de l'économie. S'il est vrai que ceux qui se trouvent en bas de l'échelle des revenus sont incités à améliorer le capital humain (l'incitation étant d'autant plus forte que l'écart des revenus est grand), des obstacles concrets évidents entravent ce processus de valorisation professionnelle. Par ailleurs, dans une situation de faible productivité, l'économie chilienne restera spécialisée dans des secteurs caractérisés par l'instabilité de l'emploi, laquelle contribue aux inégalités de revenus. Ces facteurs peuvent conduire au piège des emplois instables à faible productivité.
Afin d'éviter que cette possibilité ne se concrétise et de maintenir en même temps l'économie chilienne dans une trajectoire macroéconomique saine, l'étude examine plusieurs possibilités d'action, non seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi au regard de la protection sociale, de la réglementation du travail, du renforcement des établissements de formation au niveau sectoriel, des incitations à la recherche-développement et du dialogue social au niveau national - lequel semble assez limité pour le moment. Certaines de ces mesures ont un coût budgétaire, car elles supposent un équilibrage difficile entre les objectifs à court terme, comme celui de maintenir un taux de l'imposition constant, et ceux à long terme, comme celui de frayer la voie à une participation viable sur le plan social à une économie qui se mondialise.
En résumé, l'expérience chilienne montre que la libéralisation des échanges peut stimuler la création d'emplois tout en augmentant le revenu national. Cependant, elle ne corrige guère (et elle peut même aggraver) les inégalités sociales et l'instabilité du marché du travail, actuellement très marquées. Cela permet de penser que le lien entre la libéralisation des échanges et le progrès social n'est ni automatique ni dépourvu de problèmes. Les politiques doivent résoudre ce problème, faute de quoi le modèle chilien pourrait être pris au piège de la logique de la faible productivité et mettre en danger la stabilité sociale.
République de Corée
Jusqu'à la fin de 1997, la République de Corée était en général considérée comme l'un des exemples de réussite les plus spectaculaires du capitalisme moderne. A la fin des années cinquante, le pays émergeait des cendres d'une guerre civile comme l'un des plus pauvres du monde. Le revenu par habitant était inférieur à 100 dollars par an. Depuis lors, l'économie s'est considérablement développée, permettant une amélioration impressionnante du niveau de vie et la création de près de 10 millions d'emplois. Au cours des quinze dernières années, le taux de chômage s'est maintenu au faible taux de 2 à 3 pour cent, tandis que le taux d'activité des femmes n'a cessé d'augmenter. En outre, à en juger par la situation budgétaire saine des comptes de l'Etat et l'amélioration progressive de la répartition du revenu, cette situation semblait s'inscrire dans la durée. Ayant ces résultats à l'esprit, la plupart des observateurs, y compris les investisseurs internationaux, étaient jusqu'à une date récente optimistes quant aux perspectives économiques du pays.
Avec la crise financière de novembre 1997, le processus de développement rapide a brutalement été interrompu de manière inattendue. A la fin de 1997, les banques étrangères, ayant perdu confiance, ont refusé de renouveler les lignes de crédit qu'elles accordaient à leurs homologues coréens. Plutôt que de ne pouvoir régler les charges du service de sa dette, le gouvernement a décidé de négocier un programme de sauvetage avec le FMI. Ce programme, qui vaut 56 milliards de dollars environ, est assorti de conditions portant sur des mesures de stabilisation et un ajustement structurel.
La principale force sous-jacente de la performance économique remarquable de la République de Corée a été la stratégie de croissance orientée vers les exportations adoptée par le gouvernement. Depuis 1970, le volume des échanges a été multiplié par cinq (en termes réels). Le rapport du commerce au PIB a monté en flèche, passant de 20 pour cent dans les années soixante à plus de 60 pour cent au début des années quatre-vingt, pour se stabiliser ensuite. Chose importante, la présence de la Corée sur les marchés mondiaux s'est sensiblement accrue: les exportations coréennes représentent - ce qui est tout à fait appréciable - 2,5 pour cent des exportations mondiales, alors que ce chiffre était négligeable au début des années soixante. On estime qu'environ 3,5 millions de personnes travaillent, directement ou indirectement, pour les secteurs tournés vers l'exportation. Cette évolution est allée de pair avec une modification profonde de la structure des échanges, la Corée devenant un exportateur important de produits relativement perfectionnés sur le plan technologique. Le fait est que les échanges de produits finis et, plus récemment, les échanges de services ont gagné du terrain, au détriment des importations et des exportations de produits agricoles et de matières premières. Il convient de souligner que, dans les exportations de produits finis, la part des produits à forte intensité de main-d'œuvre peu qualifiée, comme les textiles, les vêtements et les chaussures, a diminué de plus de 50 pour cent depuis le milieu des années soixante-dix. En revanche, les industries faisant appel à une technologie relativement évoluée, comme la fabrication de produits électriques et électroniques, sont devenues le principal moteur des exportations. Les investissements dans la recherche-développement intensifiés par le gouvernement, qui ont contribué à améliorer la capacité technologique du pays, sont un atout majeur à l'ère de la mondialisation.
De même, l'investissement étranger direct a dynamisé l'économie coréenne. Il est intéressant de noter que les afflux de capitaux pour des investissements directs tendent à créer des emplois à intensité de qualifications relativement forte, tandis que les sorties de fonds pour des investissements directs à l'étranger se concentrent dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre non qualifiée. En moyenne, les sociétés étrangères établies en Corée versent des salaires plus élevés et offrent de meilleures conditions de travail que les sociétés coréennes. Bien que l'on s'inquiète des pertes d'emplois qui pourraient résulter des sorties de capitaux pour l'investissement direct à l'étranger, l'étude montre que rien ne prouve que ces pertes sont importantes.
Mis à part le commerce, l'amélioration du niveau d'instruction a sans aucun doute renforcé la productivité des travailleurs. L'éducation a toujours été au premier rang des priorités en Corée. L'accès à l'enseignement secondaire a été généralisé dans les années soixante et au début des années soixante-dix, et depuis lors de gros efforts ont été faits dans le domaine de l'enseignement supérieur. Ainsi, en 1995, près de 60 pour cent des jeunes suivaient des études supérieures, contre 9 pour cent seulement en 1970. Un cinquième de la population coréenne âgée de plus de 25 ans est titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Ces efforts ont eu pour effet que la Corée a dépassé plusieurs pays développés pour ce qui est du niveau d'instruction.
Dans une enquête approfondie menée de façon empirique, l'étude montre que l'éducation a contribué à atténuer les facteurs d'inégalité des marchés de l'emploi qui sont généralement associés à la mondialisation. L'évolution technologique apparaît comme une source importante d'inégalités, tandis que le commerce a joué un rôle relativement mineur et que l'éducation a atténué les deux facteurs.
S'il est vrai que la croissance économique soutenue de la Corée a été largement due à la stratégie de développement adoptée par son gouvernement, l'intervention des pouvoirs publics a également provoqué une distorsion de l'affectation des ressources et a été la cause de l'inefficience chronique du secteur financier et du secteur des entreprises, ce qui ne peut que compromettre le potentiel de croissance de la nation. De manière plus générale, certains aspects du processus de mondialisation se sont avérés insoutenables:
En accord avec le FMI, le gouvernement coréen a annoncé toute une gamme de mesures conçues pour faire face à la crise, notamment dans les domaines de la restructuration industrielle, de la réforme bancaire, de la sécurité sociale et du marché du travail. Le but de ces mesures est aussi de partager le fardeau de l'ajustement aussi équitablement que possible. Cependant, la réforme de l'administration des entreprises prend plus longtemps que prévu, tandis que le processus de délestage de main-d'œuvre a repris et qu'il s'accélère. Les investissements étrangers directs en Corée ont jusqu'ici été relativement modestes, privant le pays des injections de capitaux stables à long terme dont il a grand besoin.
L'étude examine également une série de questions de fond qui se posent dans un contexte où l'objectif est d'accélérer l'ajustement tout en rendant le processus de mondialisation soutenable sur le plan social:
Enfin, on peut affirmer sans risque que, au lendemain de la crise, la création d'un comité tripartite national a contribué pour beaucoup à l'élaboration d'un cadre d'action cohérent. L'expérience internationale indique que de tels cadres d'action peuvent contribuer à susciter un consensus sur les mesures les plus urgentes à prendre, tout en frayant la voie à un sentier de croissance reposant sur un système économique ouvert et soutenable sur le plan social.
Maurice
(Les résultats de l'étude doivent encore être discutés à une réunion tripartite)
On convient généralement que Maurice a suivi une trajectoire exemplaire au cours des quinze dernières années - on a souvent parlé à son sujet de «miracle africain». Depuis la crise de la balance des paiements au début des années quatre-vingt, le revenu national réel a augmenté en moyenne de près de 6 pour cent par an et le PIB réel par habitant de 4 pour cent environ par an. Pour impressionnante qu'elle soit, cette croissance économique rapide et soutenue n'a pas été associée à certains des aspects négatifs de la mondialisation et du développement qu'ont connus d'autres pays. D'après les éléments d'appréciation disponibles, il apparaît que la répartition du revenu s'est améliorée, tandis que presque tout le monde profite des bienfaits socioéconomiques tels que l'éducation, les services de santé et le confort du logement. Il est à noter que Maurice a une démocratie qui fonctionne, et que le tripartisme, bien qu'il ne soit pas très développé, joue un rôle important dans l'élaboration des politiques.
Il ne fait guère de doute que le commerce international et les marchés mondiaux ont joué un rôle positif important dans le succès récent de Maurice. A titre d'exemple, un grand nombre de nouveaux emplois ont été créés dans les secteurs tournés vers l'exportation, en particulier dans celui de l'habillement, d'où il s'ensuit que les taux de chômage ont fortement baissé au cours des années quatre-vingt; en réalité, entre 1982 et 1988, les nouveaux emplois créés dans les secteurs liés aux échanges ont représenté environ 20 pour cent de l'emploi total dans le pays.
Le succès de Maurice paraît dû, pour une large part, aux tendances positives suivantes:
Maurice se trouve maintenant à un carrefour de son développement. Il y a lieu de s'attendre que le pays perdra les avantages de ses échanges préférentiels au début du siècle prochain. En outre, il devient de plus en plus difficile de rivaliser avec les pays émergents à bas salaires producteurs de vêtements sur le marché des articles d'habillement nécessitant une main-d'œuvre peu qualifiée, comme l'a montré ces dernières années la délocalisation de ces produits à Madagascar. L'investissement étranger direct dans la ZFE a chuté ces dernières années.
Le marché du travail est maintenant soumis à des tensions liées à la structure des échanges internationaux. Le taux de chômage a sensiblement augmenté dans les années quatre-vingt-dix, pour atteindre 6 pour cent d'après les estimations officielles du gouvernement et plus de 10 pour cent si l'on se réfère à la définition internationale du chômage. Comme indiqué dans ce rapport, la montée du chômage dans les années quatre-vingt-dix est liée à la faible croissance de l'emploi dans les principaux secteurs d'exportation de Maurice; en fait, l'emploi a nettement diminué, au cours de cette période, dans les secteurs du sucre et de l'habillement/textile.
Sur le plan budgétaire, la situation est difficile car l'assiette fiscale a été érodée par les taux tarifaires réduits qui ont accompagné la libéralisation des échanges, or les taxes sur les échanges internationaux fournissent la plus grande part des recettes de l'Etat.
La question se pose dès lors de savoir ce que l'on peut faire pour résoudre ces difficultés. Le gouvernement a souligné avec raison qu'il est indispensable de s'engager sur la voie d'une forte productivité compte tenu de la mondialisation. Il envisage quatre domaines de croissance tournés vers l'extérieur: le sucre, l'habillement/textile, le tourisme et les services à forte intensité de main-d'œuvre qualifiée tels que les services bancaires internationaux. Officiellement, l'intention est: a) d'évoluer vers le haut de gamme dans le cas des exportations de sucre et de vêtements en investissant et en améliorant les qualifications de la main-d'œuvre et la gestion; b) d'améliorer la position de Maurice en tant que destination touristique haut de gamme; et c) de créer un centre financier et de haute technologie pour la région de l'Afrique australe (analogue, espère-t-on, à la position de Singapour en Asie). Afin de faire mieux comprendre les problèmes associés à cette stratégie de forte productivité, il est utile de garder présentes à l'esprit plusieurs considérations au vu de l'expérience d'autres pays:
Les défis pour l'action gouvernementale sont considérables. En outre, les décisions devront être prises dans un climat d'anxiété relative de la population. Cependant, on peut raisonnablement supposer que Maurice jouera ses atouts sur les marchés internationaux: système politique stable, bonne infrastructure physique, existence d'institutions tripartites et d'une main-d'œuvre semi-qualifiée relativement bien formée. Le processus d'intégration régionale (en particulier dans la région de la SADCC) pourra aider à diversifier les marchés d'exportation, tout en favorisant l'amélioration de la production.
Entre-temps, il y aura peut-être une période de transition difficile, caractérisée par une montée du chômage, car - ainsi qu'il est noté dans ce rapport - la création d'emplois dans les quatre secteurs de croissance désignés est insuffisante pour absorber la croissance attendue de la main-d'œuvre. Il est peut-être nécessaire de revoir les priorités pour ce qui est des dépenses sociales, mais Maurice ne doit pas céder à l'orthodoxie de certains économistes néoclassiques concernant l'Etat-providence et les dépenses sociales. Maurice doit tout particulièrement prêter attention aux groupes vulnérables et désavantagés pendant cette période de transition. Les partenaires sociaux devraient être étroitement associés à la politique économique et sociale et à la prise de décision dans ce domaine.
1. Les pays en question sont les suivants: Afrique du Sud, Bangladesh, Chili, République de Corée, Jamaïque, Jordanie, Maurice, Pologne, Suisse et Venezuela (voir document GB.270/WP/SDL/1/2).
2. Les conclusions de cette réunion avaient été présentées au Conseil d'administration par la présidente du groupe de travail sous la forme d'un rapport oral.
3. Les études sont parues séparément comme documents de travail, avant d'envisager leur publication éventuelle en un seul volume comprenant aussi le rapport de synthèse. Les documents de travail en question sont les suivants: ILO, Task Force on the Social Dimensions of Globalization (1998), The social impact of globalization in Chile; The social impact of globalization in the Republic of Korea; et The social impact of globalization in Mauritius. Ces documents seront publiés sous peu.
4. Voir, par exemple, J. Bhagwati: «The capital myth», Foreign Affairs, 77(3), mai-juin 1998. Voir aussi S. Radelet et J. Sachs: The East Asian financial crisis: diagnosis, remedies, prospects, Harvard Institute for International Development, avril 1998. De nombreux articles paraissent en ce moment sur cette question.
5. Voir, par exemple, T. Persson et G. Tabellini: «Is inequality harmful for growth?», American Economic Review, 84(3), juin 1994. Voir aussi un commentaire sur cet article dans Partridge: «Is inequality harmful for growth? comment», American Economic Review, 87(5), déc. 1997.
6. On trouvera le texte intégral de ces études dans les documents de travail susmentionnés du groupe de travail.