GB.276/ESP/4/1 |
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Commission de l'emploi et de la politique sociale |
ESP |
QUATRIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR
Crises économiques et financières
- politique et activités de l'OIT
Chômage, protection sociale et
crises:
tendances et problèmes
Table des matières
I. Les conséquences sociales des crises
II. Le concept de protection sociale et le rôle qu'elle joue
III. Protection contre le chômage: tendances et grandes orientations
1. Depuis le déclenchement en 1997 de la crise financière asiatique, l'OIT a discuté des conséquences sociales de cette crise dans différentes instances. La réunion de haut niveau sur les réponses sociales à la crise financière dans les pays d'Asie de l'Est et du Sud-Est (Bangkok, avril 1998; GB.272/4) a été suivie par le colloque du Conseil d'administration sur les répercussions sociales de la crise financière en Asie (Genève, 19-20 mars 1999) et la réunion tripartite informelle au niveau ministériel intitulée «l'action de l'OIT face aux crises économiques et financières» (Genève, 9 juin 1999), qui s'est tenue pendant la Conférence internationale du Travail. Une des principales conclusions de ces réunions est que les conséquences sociales de cette crise ont été aggravées par le relatif abandon dans lequel on a laissé le système de protection sociale durant les décennies du miracle économique asiatique(1) . Le rapporteur du colloque du Conseil d'administra-tion a conclu qu'«il convient d'accorder la plus haute priorité au renforcement de la protection sociale, par exemple en introduisant l'assurance chômage et en développant les régimes d'assistance sociale visant à soulager l'extrême pauvreté»(2) . Au vu de cette conclusion, la Commission de l'emploi et de la politique sociale a demandé au Bureau de préparer un document qui explique en quoi les mécanismes de protection sociale contre le chômage peuvent aider à prévenir les crises et à y répondre.
2. Le présent document s'appuie sur toute une série d'études menées et de services consultatifs techniques fournis récemment par le Département de la sécurité sociale et certaines des équipes multidisciplinaires. Dans le cadre du rapport sur l'emploi dans le monde pour l'année 2000, le département a mené une étude sur les systèmes d'allocations chômage dans le monde. L'équipe multidisciplinaire de Santiago du Chili a examiné, quant à elle, l'expérience des pays latino-américains en matière d'assurance chômage, de formation professionnelle et de services de l'emploi (Conte-Grand, 1997). Le présent document s'appuie également sur les services consultatifs techniques de l'OIT. Ces dernières années, le Département de la sécurité sociale a étudié différents systèmes de sécurité sociale, y compris les systèmes d'assurance chômage de certains pays comme l'Egypte, la Fédération de Russie et l'Afrique du Sud. En outre, il a réalisé, à la demande du gouvernement thaïlandais et avec l'équipe multidisciplinaire de Bangkok, une étude détaillée sur la faisabilité d'un système d'assurance chômage (BIT, 1998a).
3. Le présent document étudie tout d'abord l'impact que peuvent avoir différents types de crises (conflit armé, catastrophes naturelles, crises économiques et transitions politiques) sur l'emploi, les revenus et les politiques sociales (services sociaux, emploi, subvention de certaines denrées alimentaires, assistance sociale et sécurité sociale). Dans la deuxième partie, on examine le concept de protection sociale et le rôle que joue cette dernière et, dans la troisième partie, on passe brièvement en revue les mesures de protection contre le chômage de différentes régions du monde et on résume les principales tendances et questions posées. La dernière partie examine la fonction des mesures de protection contre le chômage avant, pendant et après les crises. Cette partie s'intéresse également à la place qu'occupent ces mesures dans l'éventail des instruments de l'OIT, comme le dialogue social, ainsi que les politiques de l'emploi et de la formation.
I. Les conséquences sociales des crises
4. Beaucoup de crises complexes ont aujourd'hui un impact direct sur le monde du travail, en particulier sur l'emploi (BIT, 1999a). Parmi les crises récentes les plus visibles, on mentionnera celle qui a éclaté en Asie, entraînant une contraction soudaine et importante de la production et de l'emploi dans la région, avec des pertes d'emplois massives dans le secteur structuré, une montée rapide du chômage et une expansion du secteur informel. Dans le secteur structuré, l'économie indonésienne a perdu un emploi sur quatre, et il y a eu une augmentation de 20 pour cent de la population vivant dans la pauvreté. En République de Corée, le taux de chômage a pratiquement quadruplé, passant en février 1999 à 8,8 pour cent, un taux jamais atteint jusque-là.
5. Toutefois, les crises économiques et financières ne sont pas le seul type de crises qui peuvent entraîner un chômage massif. Ces dernières années, il y a eu beaucoup de conflits armés, en particulier dans l'Afrique subsaharienne (Angola, Congo, Libéria et Rwanda, par exemple) et en Europe (Bosnie, Kosovo). Dans ce genre de situation, il y a un besoin urgent d'aide alimentaire pour empêcher les gens de mourir de faim, suivie d'un soutien pour aider à se réinsérer dans la société et dans la vie active les différents groupes de population qui sont touchés par les conflits, comme les réfugiés et les personnes de retour dans leurs pays, les populations déplacées à l'intérieur d'un pays, les combattants démobilisés, les femmes qui sont chefs de famille, toujours plus nombreuses, les personnes handicapées, les enfants soldats, les jeunes et les orphelins touchés par la guerre.
6. Plusieurs pays sont encore victimes de catastrophes naturelles comme la sécheresse et les inondations (en Afrique et en Asie), les tremblements de terre et les cyclones (Turquie et Amérique centrale), qui laissent derrière eux de nombreuses communautés sans abri et sans ressources, et qui effacent en un instant plusieurs décennies d'efforts déployés par ces pays pour se développer. L'ouragan Mitch, qui a dévasté l'Amérique centrale, a eu des effets catastrophiques sur plusieurs pays, dont le Nicaragua et le Honduras. Une analyse des conséquences de cette catastrophe montre que, dans les pays avancés qui ont une infrastructure sociale et économique meilleure et un niveau de vie plus élevé, elle aurait eu un impact négatif beaucoup plus faible (Barahona et coll., 1999).
7. Enfin, il y a eu la crise traumatisante qu'ont vécue les pays en transition économique et politique. Dans les pays d'Europe centrale et orientale, la transition s'est accompagnée d'une montée sans précédent du chômage, qui se poursuit d'ailleurs dans certains de ces pays, et en Afrique du Sud la transition pacifique du régime de l'apartheid à une société démocratique et ouverte n'a pas été synonyme jusqu'ici de création d'emplois et n'a pas encore amélioré la situation économique de la majorité de la population.
8. L'importance et la durée des conséquences sociales de ces crises dépendent dans une large mesure des institutions sociales et économiques des pays concernés. Dans le cas d'une transition politique, ces institutions demandent à être créées ou reconstruites, et la période de transition risque d'être longue. Dans des situations comme la crise financière asiatique, il faut de nouvelles institutions sociales comme l'assurance-chômage pour résoudre les problèmes sociaux. Lorsqu'il y a conflit armé, beaucoup d'institutions économiques et sociales disparaissent et sont donc à reconstruire. Quant aux catastrophes naturelles, elles ne touchent généralement que certaines régions d'un pays, et il est possible de renforcer les institutions existantes pour apporter de l'aide.
9. La plupart des crises ont ceci en commun qu'elles provoquent un choc dans toute l'économie qui touche l'emploi et les revenus de groupes importants, et en particulier des pauvres et d'autres groupes vulnérables. Les principaux effets que l'on constate dans ce cas sont (Lustig et Walton, 1999):
i) une baisse du niveau de l'emploi, soit directement sous la forme de licenciements, soit indirectement du fait d'une baisse de la demande pour les produits des entreprises;
ii) une inflation qui peut entraîner une augmentation des dépenses de consommation courante des familles pauvres ou ses effets sur l'activité économique, et donc sur l'emploi;
iii) une réduction des dépenses de l'Etat, qui entraîne une baisse du niveau de l'emploi, et de la quantité et la qualité des services sociaux utilisés par les plus pauvres;
iv) une destruction des biens, et en particulier des institutions et réseaux communautaires et familiaux, qui peut affecter la capacité des gens d'utiliser de manière lucrative leur force de travail;
v) un impact à long terme sur les capacités, qui est dû essentiellement à une baisse des taux de fréquentation scolaire des enfants les plus pauvres, obligés de travailler pour compléter le revenu familial ou la main-d'œuvre familiale, ou au fait que la famille ne peut pas financer les études des enfants.
II.
Le concept de protection sociale
et le rôle qu'elle joue
10. La protection sociale - sécurité sociale et prestations sociales non officielles - a un rôle important à jouer non seulement lorsqu'il s'agit de prévenir certains types de crises mais aussi pour remédier à leurs conséquences.
1. Le concept de protection sociale
11. Aux fins du présent document, l'expression «sécurité sociale» s'entend de la protection qu'une société offre à ses membres au moyen de toute une série de mesures publiques (BIT, 2000), dont les objectifs sont les suivants:
12. La sécurité sociale comprend l'assurance sociale (régimes dont le financement est assuré par cotisations) et des prestations universelles (comme les prestations financées par l'impôt, non liées aux ressources ou au revenu). La protection sociale comprend non seulement les régimes publics de sécurité sociale, mais aussi les régimes privés ou non officiels qui ont le même objectif, comme les mutuelles et les régimes de retraite. La protection sociale comprend toutes sortes de régimes non officiels, qu'ils soient formels ou pas, à condition que les cotisations ne soient pas déterminées entièrement par les lois du marché. Ces régimes peuvent se fonder sur la solidarité de groupe ou sur une subvention patronale ou, éventuellement, gouvernementale.
13. Dans la discussion sur la protection sociale, l'expression «régime de sécurité sociale» est souvent utilisée, en particulier par la Banque mondiale et le FMI. La Banque mondiale utilise un concept très large (Subbarao et coll., 1997) qui inclut les services sociaux (santé, éducation), tout ce qui est défini ici comme protection sociale, ainsi que les mesures de sécurité alimentaire, les travaux publics à forte intensité de main-d'œuvre et les systèmes de crédit destinés aux micro-entreprises. Le FMI utilise un concept un peu plus restreint, qui exclut les services sociaux et les systèmes de crédit pour micro-entreprises (Chu et Gupta, 1998). L'avantage d'un concept relativement large est qu'il exprime le besoin d'avoir tout un train de mesures, besoin que partage l'OIT et qui est explicité ci-après. Toutefois, l'expression «filet de sécurité sociale», telle qu'elle est utilisée par la Banque mondiale et par le FMI, est ambiguë, car elle renvoie normalement à une protection de base utilisée en dernière extrémité, et notamment à l'assistance sociale. La plupart des systèmes de protection sociale et d'allocations chômage visent à fournir des prestations qui vont au-delà des prestations de base, souvent liées au niveau des ressources. C'est pourquoi on utilise ici l'expression «protection sociale», qui renvoie à une notion plus spécifique et plus précise.
2. Le rôle de la protection sociale
14. Le principal rôle de la protection sociale est d'assurer la sécurité des revenus par un transfert en faveur de ceux qui n'ont pas de ressources ou de revenus suffisants et par l'offre de prestations à ceux qui ont cotisé à la sécurité sociale. Les systèmes de protection contre le chômage y ajoutent d'autres objectifs, à savoir la promotion d'une recherche d'emploi efficace et un ajustement en douceur du marché du travail, ce qui peut atténuer la résistance au changement structurel. Lorsque le revenu est garanti, on obtient des sociétés plus stables et moins sensibles aux crises. Les conséquences sociales des crises sont atténuées par les mécanismes de protection sociale.
15. Dans les pays avancés, la part du PIB qui est redistribuée à travers le système de protection sociale a rapidement augmenté ces 50 dernières années et atteint aujourd'hui près de 25 pour cent (avec les dépenses de santé). Ce système a permis dans une large mesure d'atténuer la pauvreté qui accompagne normalement les risques de maladie, de vieillesse, d'invalidité et de chômage. Il a aussi permis d'assurer la protection, si nécessaire, contre le chômage, de plus en plus important après la crise du pétrole du milieu des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt. Il est également lié à des politiques publiques proactives de formation et d'éducation à grande échelle qui aident les personnes ayant perdu leur emploi à en retrouver un.
16. Tout cela repose pour l'essentiel non pas seulement sur la croissance économique, mais aussi sur une bonne gestion des affaires publiques, sur le plein emploi ou presque, sur un marché du travail bien réglementé et une couverture sociale presque complète en termes de prestations et de cotisations. Les régimes de sécurité sociale de ces pays sont toutefois confrontés à des défis nouveaux comme les nouvelles formes de pauvreté, les formes d'emploi atypiques et la transformation des structures familiales.
17. La situation des pays en développement et de beaucoup de pays à revenu intermédiaire est plus compliquée car une grande partie de leur main-d'œuvre travaille dans le secteur informel et beaucoup de travailleurs y sont sous-employés plutôt qu'au chômage. Contrairement à ce qui avait été prévu, loin de reculer, le secteur informel n'a fait que se développer. Dans les pays à faible revenu, 10 à 15 pour cent seulement de la main-d'œuvre nationale bénéficie d'une couverture sociale officielle, alors que ce pourcentage atteint 20 à 50 pour cent dans la plupart des pays à revenu intermédiaire. Par conséquent, il ne suffit pas d'étendre la sécurité sociale pour assurer une couverture sociale à la majorité de la population.
18. Pour aider à fournir une protection sociale de base à tous et pour essayer de faire face aux situations de crise, certains gouvernements ont adopté des systèmes d'assistance sociale. D'autres se sont intéressés de plus en plus aux systèmes publics et/ou aux systèmes auto-administrés destinés à la population du secteur informel. Ces systèmes, qui sont essentiellement des régimes de microassurance (Dror et Jacquier, 1999), assureraient une protection sociale de base en échange d'une cotisation peu élevée. Ils ne compenseraient pas directement les pertes de revenu dues à la crise dont souffrent les travailleurs du secteur informel. Ces systèmes, qui sont en général des régimes d'assurance santé, aideraient les travailleurs du secteur informel à préserver leur capacité de gain. En outre, ils pourraient protéger les revenus des travailleurs du secteur informel et de leurs familles en cas de décès et d'invalidité. Ce qu'il faut en fin de compte c'est, au mieux, une collaboration rationnelle et, si possible, une fusion entre les mécanismes formels de protection sociale et les mécanismes informels, afin que le système de protection puisse s'étendre largement et généreusement dans la population d'un pays.
III.
Protection contre le chômage:
tendances et grandes orientations
19. Selon les estimations du Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-99 (BIT, 1998b), près d'un milliard de travailleurs, soit un tiers de la population active mondiale, étaient soit au chômage soit sous-employés à la fin de 1998. A cette période, on dénombrait 150 millions de chômeurs, c'est-à-dire de personnes sans travail, disponibles pour travailler et à la recherche d'un travail. En outre, une forte proportion (de 25 à 30 pour cent, soit 750 à 900 millions de personnes) de la population active mondiale était sous-employée (il s'agit de personnes qui ne travaillent qu'un petit nombre d'heures ou qui gagnent moins que le minimum vital).
20. Seule une faible minorité de travailleurs dans le monde bénéficie d'une protection contre le chômage, et ils se trouvent dans les pays industrialisés. Des régimes d'assurance chômage ont récemment été mis sur pied dans plusieurs pays en transition et dans des pays en développement à revenu intermédiaire, comme la République de Corée, mais en général ces régimes ne couvrent qu'une minorité de travailleurs, à savoir ceux qui sont au bénéfice d'un contrat de travail dans le secteur formel. De plus, ces travailleurs sont d'ordinaire protégés par des mesures en matière de sécurité de l'emploi énoncées dans la législation ou dans des conventions collectives. Or, dans les pays en développement, la main-d'œuvre est composée en majorité de travailleurs sous-employés dans les zones rurales et dans le secteur urbain non structuré qui ne sont pratiquement pas protégés contre le chômage. Nombre de pays en développement à faible revenu et quelques pays en développement à revenu intermédiaire ont mis en place des programmes d'infrastructure à fort coefficient de main-d'œuvre susceptibles de procurer un emploi aux travailleurs sous-employés.
21. Le rôle essentiel des allocations de chômage est de garantir des moyens d'existence pendant les périodes de chômage involontaire. Les allocations de chômage contribuent ainsi à garantir une certaine régularité de la consommation, aux niveaux tant individuel que macroéconomique, à promouvoir la recherche efficace d'un emploi et à faciliter le changement structurel, tout en assurant un meilleur équilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail. Enfin, en transférant l'incertitude du risque de l'individu à la communauté, le financement des prestations sociales améliore le bien-être de la communauté dans son ensemble (BIT, 1976).
22. En principe, dans la mesure où un chômage à court terme et intermittent (intervalle de temps entre les emplois) demeure aléatoire, il peut être couvert par une assurance. Les régimes d'indemnités de chômage ont en général préservé leur viabilité financière en faisant appel à divers mécanismes tels que la définition précise du risque, la délimitation explicite et souvent restrictive de la couverture des risques et l'assujettissement du versement des prestations à une série de conditions de contrôle et autres dont la durée des prestations est probablement la plus importante. Toutefois, il apparaît clairement qu'en période de crise les dépenses de ces régimes dépasseront leurs recettes. Cet écart pourrait être financé par les réserves du régime, par une augmentation du taux des cotisations et par des prêts ou des primes de l'Etat. Pendant la grave récession de 1998, la République de Corée a accordé une forte prime supplémentaire aux régimes d'assurance chômage et de sécurité sociale en vue d'indemniser les chômeurs pour la perte de leur salaire. Certains pays, comme les Etats-Unis, ont prévu un allongement de la durée des allocations de chômage en cas de chômage élevé.
23. Les licenciements massifs opérés en temps de crise se caractérisent par le fait qu'ils sont souvent dus à des facteurs indépendants de la volonté des travailleurs et des employeurs, dont les moyens de subsistance sont mis en danger. Les périodes de ralentissement de l'activité semblent inhérents à l'économie de marché, ce qui explique que l'assurance chômage ait été instituée dans les pays de l'OCDE. Dans de nombreux pays peu industrialisés, pareilles mesures ont été jugées superflues (pendant les périodes prolongées de croissance rapide), inabordables (excepté pour la faible minorité de travailleurs employés dans des entreprises publiques et les plus grandes firmes du secteur formel), voire contreproductives (en suscitant une dépendance accrue des travailleurs à l'égard de l'Etat). Dans la plupart de ces pays, on s'attendait que les travailleurs ayant perdu leur emploi dans le secteur formel soient absorbés par le secteur informel et urbain ou retournent à une agriculture de subsistance. Cette «stratégie par défaut» s'est révélée malheureusement inadaptée vu que, dans la plupart des cas, elle n'a pas procuré un nouveau mode de subsistance aux travailleurs licenciés du secteur urbain et à ceux qui étaient déjà employés dans les secteurs informels. L'aggravation de la pauvreté retarde à son tour la reprise de la croissance économique en maintenant à un faible niveau la consommation et l'épargne intérieures.
24. Les pays de l'OCDE ont connu de graves crises de l'emploi, comme on l'a constaté sous l'effet des deux chocs pétroliers au milieu des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Il y a lieu d'examiner l'expérience qu'ils ont acquise des régimes d'assurance chômage, car ils peuvent servir de référence à d'autres pays. La quasi-totalité des pays de l'OCDE sont dotés de régimes d'assurance chômage fondés sur l'assurance sociale obligatoire. Quand il a épuisé son droit aux prestations de chômage, le chômeur de longue durée peut bénéficier soit d'une aide spéciale au chômage soit de prestations générales d'assistance sociale. La plupart des travailleurs bénéficient également d'une protection de l'emploi régie par la législation du travail et par les conventions collectives. La rigueur des systèmes de protection de l'emploi est mesurée par un indice de l'OCDE qui en couvre les différents aspects, tels que le délai légal de préavis, les désagréments de la procédure, le montant de l'indemnité pour perte d'emploi et les règles régissant le licenciement abusif (OCDE, 1994).
25. La plupart des pays de l'OCDE ont réduit, dans les années quatre-vingt-dix, la protection assurée par leurs systèmes d'allocations de chômage en raison de l'aggravation des difficultés financières auxquelles ont été confrontés l'Etat et les systèmes d'assurance chômage (Schmid et Reissert, 1996). Cette réduction s'explique également par la prise de conscience de plus en plus grande des incidences négatives que les prestations de chômage peuvent avoir sur le taux de chômage. S'appuyant en partie sur diverses études effectuées au début des années quatre-vingt-dix, l'Etude de l'OCDE sur l'emploi (1994) a établi qu'un laps de temps assez long s'écoule entre les hausses de prestations ou de la durée des prestations, d'une part, et l'augmentation des taux de chômage, d'autre part. Deux études plus récentes du BIT ont aussi étudié les éléments attestant que les prestations de chômage ont une incidence sur le chômage. M. Graafland (1996) conclut que «l'influence du taux de compensation de la perte de revenu et de la durée de la prestation ne semble être ni importante ni négligeable».
26. Selon une étude récente (OCDE, 1999) sur la protection de l'emploi, il ne semble guère y avoir de corrélation entre la législation sur la protection de l'emploi et le niveau global du chômage. Cependant, l'étude souligne que la réglementation a peut-être frappé plus durement les jeunes travailleurs et les travailleurs âgés que ceux qui appartiennent aux classes d'âge de forte activité. L'étude conclut également que le risque de se retrouver au chômage est plus faible dans les pays où la législation sur la protection de l'emploi est plus stricte, mais ceux qui perdent leur emploi courent un plus grand risque de rester longtemps au chômage. Un document récent du BIT fait ressortir que dans certains pays européens, où l'emploi est fortement protégé par la loi (comme l'Espagne et l'Italie), les décisions des tribunaux du travail sur les différends résultant de la résiliation de contrats de travail pourraient être plus favorables aux travailleurs étant donné le nombre si faible de bénéficiaires d'une assurance chômage - moins de 20 pour cent du total des sans emplois (Bertola, Boeri et Cazes, 1999). Des recherches plus approfondies devraient être effectuées sur la question de savoir s'il existe une relation d'interdépendance entre la protection contre le licenciement au niveau de l'entreprise et la protection assurée par l'assurance chômage au niveau macroéconomique, et de quelle manière les changements introduits dans un système pourraient influer sur l'autre système (Auer, 1999).
27. Au niveau des grandes orientations, on a nettement tendance à mettre en application des politiques du marché du travail dans lesquelles les prestations de chômage et d'assistance sociale devront remplir leurs fonctions. Il s'agit de la pierre angulaire de la Stratégie européenne de l'emploi, qui devrait aboutir en dernière analyse à une augmentation des taux d'emploi. Réduire la part des politiques protectrices du marché du travail et accroître celle des politiques actives figurent parmi les préoccupations majeures. Un nouveau contrat social entre les chômeurs et l'administration du marché du travail est envisagé, dont les modalités sont les suivantes: une fois écoulée une période déterminée de versement d'une prestation de chômage, un emploi régulier doit être offert ou une mesure concrète doit être prise dans le cadre du marché du travail. Au terme de cette période, soit en règle générale, six mois au maximum pour les jeunes travailleurs et douze mois pour les adultes, les prestations ne sont payables qu'en échange d'une participation active à une activité ou à une formation. Cette démarche devrait être considérée comme un droit à l'insertion et un devoir pour les chômeurs de participer à des mesures d'intervention sur le marché du travail.
28. En même temps, la réglementation sur les demandes de prestations et les activités démontrables de recherche d'un emploi est devenue bien plus restrictive dans la plupart des pays industrialisés. Pour les chômeurs et pour ceux qui risquent d'être licenciés, cette réglementation pourrait réduire la probabilité d'être pris au piège du chômage du fait de la générosité des allocations versées (Atkinson et Micklewright, 1991; Addison et Portugal, 1998). Les réformes visant à renforcer le lien entre cotisations et prestations dans le système d'assurance chômage pourraient également réduire le danger du chômage pour les personnes assurées, mais elles risquent aussi de réduire le taux de couverture, en excluant les nouveaux venus sur le marché du travail ou ceux qui souhaitent retourner à la vie active après avoir pris soin du ménage. Cependant, une réforme récente du système de protection contre le chômage au Canada montre que l'on peut tout à la fois renforcer le volet assurance et élargir le taux de couverture aux travailleurs à temps partiel.
2. Europe centrale et orientale
29. Après 1989, la plupart des pays d'Europe centrale et orientale ont été confrontés au nouveau phénomène du chômage déclaré. On avait considéré que la transition serait un succès si des personnes employées dans des entreprises obsolètes pouvaient bénéficier d'un recyclage. Vu qu'un nombre de plus en plus grand d'entreprises ont été contraintes de licencier une partie de leur personnel, de nombreux salariés ont été encouragés à prendre une retraite anticipée. Juste avant 1989, maints pays de cette région avaient réussi à créer des fonds pour l'emploi qui accordèrent des prestations de chômage et un appui dans le cadre du marché du travail quand le taux de chômage était encore très bas. Malheureusement, la persistance de taux élevés de chômage déclaré dans des pays tels que la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie a fait peser des tensions imprévues sur les systèmes d'allocations de chômage, ce qui a donné lieu à un resserrement des critères d'admissibilité, à une diminution des taux de compensation de la perte du revenu, à un écourtement de la durée des prestations et à une réduction du taux d'utilisation des prestations par la population totale.
30. Dans la plupart des pays d'Europe centrale, les taux de chômage ont baissé, en raison parfois de la pénurie d'emploi qui dissuadait certains d'entrer sur le marché du travail. Dans plusieurs pays, les taux sont actuellement en progression, en partie du fait du conflit au Kosovo. Dans certains pays d'Europe orientale, comme la Fédération de Russie, le chômage et la pauvreté ont très fortement augmenté au cours des deux dernières années de crise. Le régime de prestations de chômage en vigueur en Russie ne bénéficie qu'à une fraction du nombre total de chômeurs. Le chômage invisible, qui s'ajoute au non-versement pur et simple des salaires aux employés et à la population active, est désormais un problème majeur de politique sociale. Le système d'allocations de chômage ne peut en assurer le versement qu'à ceux qui se sont effectivement inscrits en tant que chômeurs. Tant qu'une grande partie de la main-d'œuvre est maintenue en congé sans solde ou en congé administratif ou encore travaille sans être rémunérée, aucune allocation de chômage ne peut être versée. En effet, ni le système d'allocations de chômage ni le régime d'assistance sociale ne peuvent garantir de prestations régulières aux «salariés pauvres». Le nombre actuel de bénéficiaires réguliers de l'assistance sociale est inconnu, mais le pourcentage d'environ 15 pour cent de la population qui vit dans une extrême pauvreté est une estimation prudente qui pourrait servir à mesurer la dimension potentielle du segment de la population pour lequel il est urgent d'améliorer les prestations d'assistance sociale (BIT, 1999b).
3. Pays en développement à revenu intermédiaire
31. Des systèmes de prestations de chômage ont été mis en place dans des pays en développement à revenu intermédiaire tels que la République de Corée et le Mexique, où la durée et le montant de l'allocation sont généralement faibles et le taux de couverture est limité. Ces pays n'ont que très récemment établi des systèmes de protection contre le chômage et les règlements et arrangements en vigueur seront rapidement modifiés. En revanche, les salariés du secteur formel, et en particulier les agents de l'Etat, sont d'ordinaire couverts par diverses lois relatives à la protection de l'emploi dans nombre de pays en développement à revenu intermédiaire. Tel est le cas en Egypte où 40 pour cent de la main-d'œuvre de 20 à 24 ans est au chômage et 94 pour cent du chômage total touchent le groupe d'âge de 15 à 29 ans. Etant donné que ces jeunes chômeurs n'ont pas cotisé à l'assurance chômage, ils n'ont pas le droit de percevoir des prestations. Entre-temps, ils doivent trouver un emploi dans le secteur informel; quant à ceux qui cherchent un emploi dans la fonction publique, ils doivent attendre treize ans en moyenne.
32. Dans les pays d'Amérique latine, la réglementation du marché du travail s'est attachée de tout temps à assurer la stabilité de l'emploi en protégeant les travailleurs contre tout licenciement arbitraire (Márquez, 1995), et en versant des indemnités forfaitaires de licenciement pour dépanner les sans emplois en période de chômage. Les systèmes de primes de licenciement sont surtout fondés sur l'ancienneté et sur les gains, de sorte que le coût du licenciement pour l'employeur est plus élevé dans le cas des travailleurs ayant effectué une longue période de service. Plus récemment, des pays tels que le Chili et la Colombie ont expérimenté des comptes d'épargne individuels de départ, qui constituent un fonds dont le travailleur peut disposer en cas de cessation d'emploi. Divers pays ont allégé dans les années quatre-vingt-dix les contraintes et les coûts pesant sur les employeurs en matière de licenciement, et certains ont transformé des systèmes d'indemnités de licenciement en caisses obligatoires de départ.
33. Plusieurs pays (Argentine, Barbade, Brésil, Chili, Equateur, Mexique, Uruguay et Venezuela) ont mis en œuvre ou commencent à introduire des régimes d'assurance chômage qui sont intégrés dans leurs régimes d'assurance sociale. Les régimes d'assurance chômage sont plus récents et viennent dans la plupart des cas compléter les programmes de départ. Dans la plupart des pays, les régimes d'assurance chômage offrent un taux de couverture très restreint qui exclut en général les salariés les plus exposés en période de chômage, tels que les travailleurs de la construction et de l'agriculture, le personnel domestique et les jeunes travailleurs.
34. L'accent mis récemment sur la création de services d'emploi pour les chômeurs constitue un changement notable (Conte-Grand, 1997). Dans les années quatre-vingt-dix, l'Argentine, le Mexique, le Pérou, l'Uruguay et la Barbade ont introduit des mesures visant à concevoir ou à accentuer les politiques d'intervention sur le marché du travail afin de s'attaquer au problème du chômage. Parmi ces politiques, on peut citer le renforcement des services d'intermédiation sur le marché du travail et du flux d'informations sur les offres d'emploi et les pénuries de qualifications; la gestion de programmes de formation pour les demandeurs d'emploi; les moyens de faciliter la mobilité du travailleur du secteur public au secteur privé et aux micro-entreprises; enfin, l'offre d'aides à l'emploi pour les chômeurs.
35. En 1998, seuls trois pays (Chine, République de Corée et Mongolie) étaient pourvus d'une certaine forme de régime d'allocations de chômage. Lorsque des prestations peuvent être servies, elles semblent généralement modestes. En République de Corée, seule la moitié de l'ensemble des salariés sont couverts. Ailleurs, la couverture est réservée à une minorité des salariés du secteur formel.
36. Divers autres pays, tels que le Bangladesh, l'Inde, l'Indonésie, la Malaisie, le Pakistan et Sri Lanka, disposent de régimes fondés sur la responsabilité de l'employeur pour le versement d'indemnités en cas de cessation de fonctions ou de compression d'effectifs. Seule une faible minorité de la population active - travaillant dans les grandes entreprises du secteur formel - est effectivement couverte par ces régimes. La liaison de ces indemnités avec la durée du service les rend plus semblables à une pension de retraite pour ancienneté qu'à un régime de prestations de chômage. Les travailleurs ayant accompli de courtes périodes de service reçoivent des indemnités qui les aident uniquement pour des périodes limitées de chômage.
37. La crise financière qui a éclaté récemment en Asie a fait clairement ressortir que les régimes d'assurance chômage pourraient jouer un rôle déterminant lorsqu'il faut affronter les extrêmes difficultés causées par la montée rapide du chômage. Si le taux de couverture de l'assurance chômage avait été suffisamment étendu dans les pays touchés par la crise - par exemple à tous les salariés des entreprises de plus de cinq travailleurs -, la majorité de ceux qui avaient perdu leur emploi aurait eu droit à une allocation de chômage. La République de Corée a rapidement élargi la couverture de son régime d'assurance chômage pour faire face à la très forte poussée du chômage. En outre, une étude de faisabilité réalisée récemment par le BIT concernant la Thaïlande (BIT, 1998a) estime, sur la base d'un scénario de reprise économique, que le taux de cotisation requis pour un système prévoyant le versement, pendant une période de six mois, de prestations d'un montant égal à 50 pour cent du dernier gain représenterait 2,5 pour cent du salaire au cours de la première année de fonctionnement, mais baisserait régulièrement ensuite jusqu'à 0,6 pour cent la septième année. Ce taux de cotisation permettrait la constitution d'une réserve équivalant à un an de charges salariales accessoires.
4. Pays en développement à faible revenu
38. Les pays ayant un secteur formel peu développé, comme ceux d'Afrique subsaharienne, ne sont d'ordinaire pas dotés de régimes d'assurance chômage. Les pensions constituent les principaux systèmes de sécurité sociale pour les travailleurs du secteur formel. En l'absence d'un marché du travail développé et de politiques actives du marché du travail, il est difficile d'introduire dans ces pays des régimes classiques d'assurance chômage.
39. Cependant, dans des pays en développement à faible revenu mais aussi dans des pays à revenu intermédiaire, des travailleurs sous-employés ont reçu un secours des programmes d'infrastructure à fort coefficient de main-d'œuvre. Des travaux d'infrastructure ont été entrepris principalement pendant la morte-saison lorsque les petits cultivateurs et les agriculteurs sans terre ne se livraient pas à des activités agricoles et n'avaient aucune autre source d'emploi. Dans un cadre urbain, ces travaux pourraient également être entrepris en périodes de récession ou de crise. Ces programmes à fort coefficient de main-d'œuvre peuvent générer des emplois et réduire notablement la pauvreté en faisant appel à des techniques de construction à forte intensité de main-d'œuvre (et rentables) en vue de démarginaliser les programmes d'investissement et d'orienter de plus en plus les investissements vers les besoins productifs et sociaux des catégories démunies et des couches de la population à faible revenu. La création de tels emplois passe par une réorientation des investissements existants et de ceux qui sont prévus et ne dépend donc pas des dépenses publiques financées par des ressources de trésorerie.
40. L'envergure de ces programmes varie d'un pays à l'autre. L'emploi créé par le programme monumental de l'Inde intitulé Jawahar Rojgar Yojuna (source de revenus) avait atteint un milliard de jours de travail en 1995, couvrant 123 des 350 régions sous-développées du pays. En 1992, ce programme a créé 20 jours de travail environ par participant, soit 62 jours de travail par famille (Subbarao et coll., 1997). Des programmes similaires, mais sur une moindre échelle, ont aussi été mis en route dans les zones urbaines et rurales de pays d'Amérique latine, tels que la Bolivie, le Chili et le Honduras. En Afrique orientale et méridionale, des programmes à fort coefficient d'emploi financés par l'OIT ont été mis en œuvre au Botswana, au Kenya, en République-Unie de Tanzanie, et plus récemment en Afrique du Sud. Enfin, un organisme cadre, l'AFRICATIP, regroupe dans les pays francophones et lusophones 18 AGETIPES (Agences d'exécution des travaux d'intérêt public pour l'emploi) qui organisent, au nom des municipalités ou des ministères et avec l'aide financière de la Banque mondiale, des travaux publics dont l'exécution est confiée à des petits entrepreneurs locaux.
IV. Quelle politique mener?
41. A l'évidence, mieux vaut prévenir que guérir. La meilleure façon de prévenir le chômage est d'adopter une politique globale de plein emploi comprenant des mesures macroéconomiques aux niveaux national et international, des mesures sectorielles, régionales et locales et des mesures concernant le marché du travail et la formation. De même, comme on l'a dit plus haut, une politique de protection sociale solide et de grande envergure peut atténuer nombre des effets sociaux négatifs des crises. On a également fait observer que beaucoup de pays en développement à revenu intermédiaire ne disposent pas de systèmes d'assurance chômage ou de systèmes d'assistance sociale capables de fournir une protection sociale de base en période de crise. Dans quelles conditions pourrait-on maintenir les systèmes de protection sociale existants et en créer de nouveaux et quels seraient leurs liens avec les autres mesures économiques et sociales, notamment les mesures macroéconomiques, les mesures relatives au marché du travail et les mesures de lutte contre la pauvreté?
42. En période de crise, le système de protection sociale tout entier peut être en danger. Les rentrées des cotisations de sécurité sociale et les recettes fiscales peuvent enregistrer une forte baisse, d'où une réduction des ressources dont on dispose pour faire face à la crise. L'expérience acquise par l'OIT - par exemple en Bulgarie après la période d'hyperinflation de plus de 1 000 pour cent qu'a connue le pays en 1997 - a montré qu'on ne peut conseiller utilement un gouvernement sur la politique à suivre en matière de protection sociale si on n'a pas au préalable analysé en profondeur les aspects (macro)économiques de la crise. Cela est également vrai lorsque la crise n'est pas principalement économique mais essentiellement politique ou encore lorsqu'il s'agit d'une catastrophe, naturelle ou autre. Bien souvent, une crise dont on a compris les causes économiques est à moitié résolue. Il faudra que le gouvernement élabore, dans le cadre de sa politique socio-économique globale, une stratégie de protection sociale qui devra tout d'abord remédier aux conséquences sociales négatives à court terme, puis faciliter le passage d'une situation d'urgence à la (re)mise sur pied d'un système de protection sociale durable.
1. Passer des prestations
d'urgence
à une protection sociale durable
43. La première phase d'une telle stratégie consiste à évaluer le niveau de pauvreté et les besoins de la population. Quels sont les groupes les plus touchés par la crise et, partant, les plus vulnérables: retraités, chômeurs, veuves, orphelins, personnes handicapées, etc.? Où se situe le seuil de pauvreté dans les circonstances actuelles et où se situera-t-il l'année suivante compte tenu des prévisions concernant l'inflation? Quels sont actuellement les besoins non satisfaits en matière d'alimentation, de soins de santé et d'éducation et quelles mesures pourraient permettre de remédier à cette situation? Quels sont les besoins minimums d'un ménage en matière d'alimentation, de santé et de logement et quelle somme faut-il dépenser pour les satisfaire, et ce dans les différentes régions du pays? Une enquête limitée auprès des ménages devrait permettre de répondre à la plupart de ces questions.
44. On ne devrait pas accepter l'idée toute faite selon laquelle les pays en développement n'ont pas les ressources nécessaires pour améliorer au moins leurs systèmes d'assistance sociale. En effet, un système bien conçu et bien géré ne nécessite pas forcément des ressources colossales. Ce qui compte, c'est de veiller à ce que ces systèmes soient correctement gérés et fassent l'objet d'un consensus politique, ce qui peut nécessiter un investissement politique considérable. En Afrique du Sud, le débat sur l'extension de l'assistance sociale, auquel participe l'ensemble de la société, montre que l'expérience peut au moins être tentée. Ces mécanismes de transfert pourraient être combinés avec des programmes de travaux publics à forte intensité d'emplois. Gérés avec rigueur, des systèmes novateurs pourraient aussi attirer les investisseurs étrangers.
45. La seconde étape consisterait à mettre au point un système de prestations sociales d'urgence et à évaluer la faisabilité d'un système d'assistance sociale pour les personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté. C'est principalement dans les pays en développement à revenu intermédiaire qu'un tel système a des chances de voir le jour. A cette fin, il faudra mener les activités suivantes:
a) fixer le niveau des prestations pour les différentes catégories de personnes et les différentes régions du pays;
b) évaluer l'importance des ressources disponibles compte tenu de la situation économique et budgétaire et prévoir leur évolution probable à court et à moyen terme;
c) évaluer l'importance des ressources financières nécessaires pour assurer le paiement des prestations d'urgence (au départ, il faudra peut-être faire appel aux donateurs internationaux pour financer ces prestations);
d) déterminer les conditions à remplir, notamment les conditions de ressources et de patrimoine, pour avoir droit aux prestations;
e) choisir et former la(les) institution(s), par exemple l'institution qui gère la sécurité sociale et/ou les services de l'administration locale, qui devra/devront déterminer quelles personnes ont droit, compte tenu de leurs ressources, aux prestations et payer ces dernières.
46. La troisième phase consistera à déterminer dans quelle mesure le système légal d'assurance sociale fonctionne encore, dans quelle mesure les retraites et les autres prestations sociales sont encore versées, et si le financement et les effectifs du système sont satisfaisants. Compte tenu de cette évaluation, divers moyens seront mis en œuvre à l'issue de la crise pour remettre en état le système légal d'assurance sociale. Il faudra à ce stade répondre aux questions importantes ci-après: a) dans quelle mesure les travailleurs pourront-ils contribuer au financement des prestations; b) comment fonctionne le système d'assurance sociale actuel; et c) comment adapter ce système aux nouveaux besoins en matière de protection sociale pendant la période qui suit la crise?
47. La quatrième phase consistera à recenser et à soutenir les divers secteurs et groupes professionnels qui seraient en mesure de mettre sur pied des systèmes de protection sociale contributifs et participatifs, tels que des caisses d'assurance maladie, des mutuelles et des structures d'aide à l'enfance, ainsi que des systèmes d'épargne et de crédit.
2. Le rôle de l'assurance chômage
48. L'assurance chômage garantit le maintien du revenu à un certain niveau. C'est là son principal avantage mais ce n'est pas le seul. Par exemple, les allocations de chômage peuvent contribuer à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande sur le marché de l'emploi, à la régularisation de la consommation, tant à l'échelon microéconomique qu'à l'échelle macroéconomique, et à l'ajustement progressif du marché du travail, dans la mesure où la protection des revenus réduit la résistance aux mutations structurelles, facilite les restructurations et va dans le sens des efforts visant à assurer la stabilité au niveau régional. L'assurance chômage est préférable aux indemnités de licenciement, étant donné qu'elle est destinée aux chômeurs et qu'elle est financée par l'ensemble des cotisants et ne dépend donc pas de la capacité ou de la volonté de payer de l'employeur, dont l'entreprise peut connaître des difficultés financières. Les systèmes d'assurance chômage devraient être adaptés au niveau de développement économique et aux caractéristiques du marché du travail de chaque pays.
49. On a vu au chapitre III que tous les pays de l'OCDE et la plupart des pays d'Europe centrale et orientale s'étaient dotés de systèmes d'assurance chômage. Dans le présent chapitre, on cherchera à savoir dans quelle mesure de tels systèmes peuvent offrir une protection sociale suffisante et durable contre le chômage dans des pays en développement à revenu intermédiaire, notamment en période de crise. Comme on l'a indiqué au chapitre III, c'est l'assurance chômage qui offre la meilleure protection contre le chômage involontaire frictionnel et conjoncturel. En période de crise ou de récession, les cotisations des travailleurs comme celles des employeurs tendent à diminuer. En l'absence de réserves, d'une augmentation des cotisations ou de subventions de l'Etat, il faut alors réduire à la fois le montant et la durée des allocations. Toutefois, comme on l'a indiqué au chapitre III, les gouvernements peuvent - c'est d'ailleurs ce qu'ils font - subventionner les systèmes d'assurance chômage et d'assistance sociale en période de crise. En effet, on peut difficilement envisager, dans une telle situation, d'augmenter les cotisations car on risquerait alors de réduire la rémunération nette et d'accroître les coûts de main-d'œuvre.
50. La question la plus importante est de savoir dans quelle proportion les travailleurs sont couverts par le système d'assurance chômage. Dans la plupart des pays en développement à revenu intermédiaire, les travailleurs du secteur formel ne représentent pas plus de la moitié de la main-d'œuvre. Ils pourraient en principe être couverts par l'assurance chômage mais, dans la pratique, une partie d'entre eux ne le sont pas, soit parce que leurs salaires sont bas, soit parce qu'ils ne travaillent que par intermittence et n'arrivent donc pas à accumuler le nombre d'heures de travail qui leur donnerait le droit de percevoir des allocations. La majeure partie de la main-d'œuvre - qui n'appartient pas au secteur formel - ne pourrait être protégée contre le chômage que par des mesures macroéconomiques, notamment des mesures visant à stimuler la demande et des mesures visant à encourager l'emploi direct, notamment le développement des entreprises, la formation et les travaux publics à forte intensité de main-d'œuvre.
51. Pour que les systèmes d'assurance chômage puissent fonctionner correctement, il importe de déterminer le niveau et la durée des allocations compte tenu des salaires (minimums) et des prestations d'assistance sociale (lorsqu'elles existent). Il convient également de se demander si, pour fonctionner correctement, un système d'assurance chômage doit nécessairement être géré par une administration complexe liée aux services de l'emploi. Dans les pays développés, en règle générale, il faut, pour avoir droit aux allocations de chômage, être disponibles pour un emploi et il est interdit de travailler pendant la période d'indemnisation du chômage. Est-il réaliste, dans les pays à revenu intermédiaire, d'attendre des chômeurs qui perçoivent des allocations de chômage qu'ils ne travaillent pas alors que, dans ces pays, il est de règle, pour de nombreux travailleurs, de compléter les revenus provenant d'un emploi dans le secteur formel par des revenus provenant d'une activité dans le secteur informel? Les travailleurs qui quittent un emploi dans le secteur formel devraient donc en principe avoir droit aux allocations de chômage. Une autre approche consisterait à remplacer l'assurance chômage par une assistance chômage.
52. Il convient enfin de se demander si un système d'assurance chômage peut être mis en place au milieu d'une crise. D'après Lee (1998), il serait possible d'adopter une stratégie à deux étapes pour les travailleurs des pays à revenu intermédiaire. Dans un premier temps, on pourrait enregistrer un déficit qui serait comblé après la crise par les cotisations versées pendant la reprise. On pourrait maintenir ce déficit à un niveau raisonnable en versant des allocations de chômage dont le montant - modeste - serait le même pour tous. Lorsque la situation économique se serait améliorée, on pourrait alors passer à l'étape suivante pendant laquelle on relèverait progressivement le montant des allocations, qui serait davantage fonction des cotisations et des revenus passés. A la fin de la phase de transition, c'est-à-dire lorsque le déficit initial aura été comblé, on pourra passer à un système d'assurance chômage normal. De nombreux pays d'Europe centrale et orientale ont mis en place des systèmes d'assurance chômage au début de leur transition, lorsque le chômage était encore peu important. Il ne semble pas que les pays à revenu intermédiaire soient en mesure de mener une telle politique - immédiatement et à grande échelle - en période d'augmentation rapide du chômage. Vu le temps nécessaire pour concevoir un nouveau système, consulter les partenaires sociaux, examiner et adopter les dispositions législatives pertinentes et les appliquer, il faudrait au moins une année pour mettre en place un tel système. Il faut donc veiller à ce qu'un système d'assurance chômage soit en place avant que n'éclate la prochaine crise.
3. L'emploi et les politiques de formation
53. L'assurance chômage est un élément clé du système de protection sociale de base en période de crise, mais elle doit être complétée par des mécanismes d'aide sociale en faveur des personnes touchées par le chômage ou le sous-emploi, qui n'ont pas de contrat de travail protégé. Pour ces groupes, il existe un nombre limité de mécanismes de protection additionnels (Márquez, 1999), tels que: a) aide financière aux familles pauvres (examinée au chapitre IV.1); b) travaux publics à fort coefficient de main-d'œuvre ou, plus généralement, programmes de création d'emplois; et c) programmes de formation qui permettent de réduire le chômage visible et de transférer des ressources vers les personnes touchées par le chômage et par le sous-emploi. Il importe d'évaluer avec soin le rapport coût-efficacité de tels mécanismes, qui peuvent varier en fonction des ressources, de la situation et des possibilités nationales et locales.
54. La remise en état et l'extension des infrastructures jouent un rôle clé après une période de crise, en particulier après un conflit armé (OIT, 1998c). Les infrastructures productives et sociales, notamment les routes, les barrages, les puits, les systèmes d'irrigation, les systèmes d'égouts et les systèmes d'écoulement des eaux, ainsi que les écoles et les hôpitaux, pâtissent généralement des situations de crise alors même qu'elles sont appelées à jouer un rôle déterminant dans le redressement social, économique et politique du pays et dans le maintien de sa cohésion. Les travaux d'infrastructure ont une grande capacité de créer des emplois, tant directement qu'indirectement. On dispose de mécanismes pour diriger et réaliser les travaux d'infrastructure. «Les bonnes pratiques» varieront en fonction des capacités institutionnelles locales. Les programmes devraient viser à créer des partenariats efficaces entre le secteur public et le secteur privé et à assurer la participation des communautés locales.
55. L'un des traits marquants des programmes à forte intensité de main-d'œuvre est qu'ils intéressent uniquement les travailleurs à faible revenu, ce qui permet de faire l'économie des accords administratifs coûteux et compliqués qui caractérisent les mécanismes mis en place pour sélectionner les personnes ayant droit aux prestations d'aide sociale. En effet, comme les salaires payés dans le cadre de ces programmes sont bas (le salaire agricole pratiqué actuellement dans la région pour un travail similaire ou encore les salaires minimums s'ils sont fixés de manière réaliste), seuls les travailleurs peu qualifiés appartenant à des familles à faible revenu sont attirés par ce genre de travail. Ces programmes présentent également d'autres avantages: les travailleurs peuvent être payés en nourriture - les donateurs internationaux donnent souvent de la nourriture dans les situations de crise - et les programmes contribuent à la création de moyens de production et de biens sociaux tels que les routes et les écoles. Là encore, ce qui compte c'est d'être prêt à affronter des situations de crise, ce qui signifie que les programmes à forte intensité de main-d'œuvre doivent pouvoir être immédiatement mis en œuvre à la fois à l'échelle nationale et à l'échelon local. Lorsqu'une crise éclate, les gouvernements peuvent alors, tant au niveau local qu'au niveau national, utiliser les fonds disponibles pour l'emploi de la manière la plus efficace possible.
56. La formation professionnelle des salariés et des travailleurs indépendants est souvent interrompue en période de crise. Les crises perturbent les mécanismes sociaux et autres grâce auxquels s'acquièrent les compétences qui facilitent la vie en société. En outre, les compétences requises peuvent changer du fait de la destruction des structures économiques et du bouleversement de la vie de famille. Pour préparer les gens à l'emploi, il faudra mener un large éventail d'activités de formation, y compris des activités permettant d'acquérir des aptitudes utiles pour la vie. Ces formations peuvent être destinées à tel ou tel groupe particulier de personnes vulnérables, par exemple les combattants démobilisés, les personnes handicapées et les femmes. Il peut aussi s'agir d'une formation générale dans le domaine des compétences en affaires, qui peuvent rapidement contribuer à la création d'emplois. De telles activités de formation devraient s'adresser à la fois aux travailleurs du secteur formel et à ceux du secteur informel (OIT, 1998c).
57. Il ressort d'une évaluation récente des programmes de formation en Amérique latine (Márquez, 1999) qu'en période de crise ces programmes permettent aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail d'acquérir les techniques de recherche d'emploi. Par contre, ces programmes sont la plupart du temps inefficaces lorsqu'il s'agit de travailleurs expérimentés qui ont perdu l'emploi qu'ils occupaient dans des secteurs en déclin. Cela tient en partie à la conception de ces programmes qui, pour des raisons financières, prévoient des stages très courts ne permettant pas d'améliorer les connaissances. Si les programmes de formation d'urgence facilitent certes l'insertion des jeunes dans le marché du travail, ils devraient toutefois être complétés par des programmes de formation plus systématiques visant à améliorer les compétences et la productivité.
4. Etendre la protection
sociale
et le dialogue social
58. La crise financière asiatique a montré que, pendant la période de forte croissance qui a précédé la crise, les droits au travail et la protection sociale avaient été relativement négligés. Pour remédier à cette situation, il faut absolument associer le plus étroitement possible toutes les personnes concernées, par l'intermédiaire de leurs organisations représentatives, à la définition et à la mise en œuvre de mesures visant à surmonter la crise et à réduire autant que possible ses conséquences sociales (Lee, 1998). De même, après un conflit armé, le dialogue social peut aider grandement à prévenir un nouveau conflit et à lutter contre les effets de la crise en facilitant la réconciliation et l'obtention d'un consensus autour d'objectifs économiques et autres, par exemple entre les parties qui, lors d'un conflit, sont souvent dans des camps opposés.
59. Le présent document a mis en lumière le rôle joué par les allocations de chômage dans la prévention et l'atténuation des conséquences sociales négatives des crises. Toutefois, dans de nombreux pays en développement, la population ne bénéficie pas de la moindre protection sociale de base, ce qui rend ces pays encore plus vulnérables aux crises. Dans les pays en développement à faible revenu, plus de 80 pour cent de la main-d'œuvre n'est couverte par aucun régime légal de protection sociale. Ce pourcentage oscille entre 20 et 50 pour cent dans les pays en développement à revenu intermédiaire. Les travailleurs (souvent sous-employés) qui n'appartiennent pas au secteur formel constituent une part importante et grandissante de la main-d'œuvre dans la plupart des pays en développement. Nombre d'entre eux ne peuvent pas ou ne veulent pas consacrer une part importante de leurs revenus au financement d'un système d'assurance sociale obligatoire qui ne répond pas à leurs besoins prioritaires (van Ginneken, 1999). Il faut donc que les travailleurs du secteur informel mettent eux-mêmes en place (ce qu'ils ont fait) des systèmes d'assurance maladie et d'autres systèmes d'assurance sociale qui répondent mieux à leurs besoins et qui prévoient des cotisations dont le montant corresponde davantage à leurs ressources financières. De tels systèmes permettraient aux travailleurs, d'une part, de conserver intacte leur capacité d'obtenir des revenus et, d'autre part, d'être protégés - ainsi que leurs familles - contre les pires causes de perte de revenu que sont par exemple la mort ou l'invalidité.
60. Il faut donc de toute urgence formuler des politiques de protection sociale globales qui permettent au pays de mieux résister aux crises et qui tiennent compte de ses particularités et de ses possibilités. De telles politiques permettraient de soutenir les caisses d'assurance mutuelle financées par les travailleurs du secteur informel, d'encourager les mesures sociales d'un bon rapport coût-efficacité en faveur des ménages vivant dans la pauvreté, de procéder à une réforme des régimes légaux d'assurance sociale et d'augmenter progressivement le taux de couverture de ces régimes.
61. Il faudra pour ce faire élargir le partenariat en matière de protection sociale et amener les différents partenaires à élaborer et à mettre en œuvre une politique globale de protection sociale. Les autorités nationales, les travailleurs et les employeurs sont les principaux partenaires, mais ce partenariat doit être élargi afin d'améliorer la protection sociale des travailleurs à faible revenu qui travaillent à leur compte ou dans le secteur informel. Il faut renforcer les liens entre les autorités nationales et les autorités locales et entre les différents ministères (sécurité sociale, travail, santé, finances, etc.). Les autorités locales, les associations qui représentent directement les travailleurs du secteur informel (telles que les coopératives, les mutuelles et les communautés) et les organisations intermédiaires qui défendent les intérêts des travailleurs à bas revenu auront un rôle important à jouer à cet égard.
62. Le présent document a montré que les allocations de chômage - ainsi que d'autres facteurs - peuvent jouer un rôle important dans la prévention et l'atténuation des conséquences sociales négatives des crises. Relativement peu de pays en développement à revenu intermédiaire disposent de systèmes d'assurance chômage. Or de tels systèmes aideraient nombre de ces pays à mieux résister aux crises. Des systèmes d'assurance chômage devraient être mis en place afin de faire face à certaines des conséquences sociales négatives de la prochaine crise. Il faut en outre repenser le fonctionnement de ces systèmes dans les pays à revenu intermédiaire où les travailleurs du secteur formel exercent souvent, lorsqu'ils sont au chômage, une activité dans le secteur informel. Les systèmes d'assurance chômage ne sont généralement pas transposables dans les pays à bas revenu où de nombreux travailleurs sont touchés par le sous-emploi et où la grande majorité de la main-d'œuvre travaille dans le secteur informel. Il faut mettre en place des politiques et des programmes de formation et de création d'emplois pour aider ces travailleurs en période de crise.
63. Le présent document a aussi montré toute l'importance que revêtent les politiques globales de l'emploi et de protection sociale. Juste après la crise, il faut évaluer dans quelle mesure les institutions de sécurité sociale sont capables de continuer à fonctionner, comment cette capacité peut être renforcée et si de nouvelles prestations devront être créées. Il peut aussi s'avérer nécessaire d'accroître les prestations d'aide sociale aux groupes qui ont le plus souffert de la crise.
64. Des recherches menées récemment par l'OIT ont montré que plus de la moitié de la main-d'œuvre mondiale ne bénéficie d'aucune protection sociale. Cette proportion est généralement supérieure à 90 pour cent dans la plupart des pays à bas revenu et dépasse souvent les 50 pour cent dans les pays à revenu intermédiaire. Cette situation est aggravée par la croissance du secteur informel dans ces pays, un phénomène qu'on observe aussi de plus en plus souvent dans les pays développés. En conséquence, il faudra mettre en place des politiques et des programmes visant à fournir au moins une protection sociale de base à la population qui ne bénéficie d'aucune couverture sociale. Il faut aussi de toute urgence élaborer une politique globale de protection sociale et, pour ce faire, instaurer un dialogue social auquel seront associés le plus étroitement possible tous les acteurs sociaux concernés. Enfin, on prend davantage conscience que la prévention et la gestion des crises nécessitent une meilleure coopération internationale (Kaul, Grunberg et Stern, 1999). A cet égard, on pourrait envisager de faire appel à des sources internationales pour financer (une partie de) la protection sociale de base.
65. Les propositions de programme et de budget pour le prochain exercice biennal reflètent ces préoccupations. Dans le cadre du programme focal sur la sécurité socio-économique, on procédera à une évaluation approfondie des réformes dont les systèmes d'assurance chômage ont fait l'objet, afin de déterminer quelles sont les meilleures pratiques pour tel et tel type d'économie et de marché du travail. Plusieurs études de faisabilité seront également menées dans des pays où l'économie de marché est en train de se mettre en place, afin de déterminer la portée, la structure et les conséquences administratives de l'introduction ou de l'amélioration de systèmes d'allocations de chômage. On pourra se fonder sur les résultats de ces études pour procéder à une analyse générale des questions qui doivent être prises en considération par les décideurs et, dans un deuxième temps, pour mettre en place des services techniques consultatifs.
66. En outre, le programme focal sur la réponse aux crises et la reconstruction s'appuie sur les activités déjà menées dans un certain nombre de situations de crise et vise à donner à l'OIT les moyens de répondre de manière efficace et rapide à différentes crises en facilitant la réinsertion socio-économique des personnes le plus directement touchées par ces crises. Le programme vise aussi à sensibiliser davantage les différents acteurs, aux niveaux national et international, à l'importance de l'emploi et des préoccupations sociales connexes dans les situations de crise et à amener les mandants de l'OIT à participer plus activement à la lutte contre les effets de la crise. Le programme privilégie les activités de développement ayant un rapport avec l'emploi telles que la promotion des travaux de remise en état et de reconstruction à fort coefficient d'emplois, le développement des compétences et de l'esprit d'entreprise, le développement des petites entreprises, le développement de l'économie locale et la promotion du dialogue social et de la protection sociale.
Genève, le 22 octobre 1999.
1. Par exemple, document GB.27414/4, paragr. 3.
2. Ibid., paragr. 5 c)
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