L'action normative de l'OIT
à l'heure de la mondialisation
Rapport du Directeur général
Résumé analytique
Bureau international du Travail Genève
Malgré les promesses et les espoirs dont elle est porteuse, la libéralisation du commerce international risque de s'enrayer si ses bienfaits tardent à se manifester pour les travailleurs et si, au contraire, elle est associée dans l'esprit du public à la montée des inégalités ou de la précarité. La mondialisation ne peut être laissée à elle-même. Il faut assurer un certain parallélisme entre le progrès économique résultant de la libéralisation des échanges et le progrès social. Pour répondre à ces attentes, l'OIT doit, quant à elle, assurer une plus grande universalité d'application de ses normes fondamentales et, d'autre part, mieux sélectionner ses nouvelles normes.
Le rapport soumis à la Conférence présente un ensemble de mesures concrètes susceptibles d'assurer une plus grande pertinence de l'action normative de l'OIT dans les années à venir. Toutes ces mesures peuvent être prises dans le cadre des dispositions constitutionnelles en vigueur. Agir en ce domaine est donc essentiellement affaire de volonté politique.
D'abord marqué par des accusations réciproques de dumping social et de protectionnisme, le débat sur le lien entre la libéralisation des échanges et la protection des droits des travailleurs a progressé de façon significative, en grande partie sous l'impulsion du BIT, grâce aux travaux de ses différents groupes et commissions qui se sont penchés sur la question. Aujourd'hui, personne ne prétend dénier aux pays en développement les avantages qu'ils peuvent tirer de leurs salaires et niveaux de protection sociale comparativement moins élevés.
Pour être légitime, ce raisonnement postule cependant le respect universel de certains droits fondamentaux de l'homme au travail: liberté syndicale et négociation collective (conventions nos 87 et 98); interdiction du travail forcé, y compris celui des enfants (conventions nos 29 et 105); égalité de traitement et non-discrimination (conventions nos 100 et 111); âge minimum (convention no 138). Ces droits fondamentaux, qui devraient être reconnus en tant que tels comme universellement obligatoires, revêtent une signification particulière dans le contexte de la mondialisation car ce sont les instruments qui permettent aux travailleurs de revendiquer leur part légitime de la croissance économique qu'engendre la libéralisation des échanges.
Les chefs d'Etat participant au Sommet social de Copenhague se sont accordés sur la nécessité de promouvoir les conventions fondamentales de l'OIT, qui a mené depuis une campagne de ratification au succès encourageant. Par ailleurs, la signification particulière de ces droits fondamentaux a reçu une consécration importante dans la Déclaration ministérielle de l'OMC à Singapour, qui précise que l'OIT est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper.
La question est de savoir comment cette volonté politique affichée se traduira concrètement à l'OIT.
Si la ratification des conventions de l'OIT est volontaire, comme pour tout traité, tout ne dépend cependant pas du bon vouloir des Etats. La Constitution de l'OIT lui permet en effet de demander aux Etats qui ne ratifient pas des explications sur leur attitude. Le Conseil d'administration a déjà décidé à ce titre de demander chaque année des rapports sur les raisons de la non-ratification des conventions fondamentales. Ces rapports pourraient à l'avenir être utilisés pour examiner régulièrement la situation des pays qui n'ont pas ratifié ces conventions.
Une démarche complémentaire serait de se demander si, même en l'absence de ratification des conventions pertinentes, l'ensemble des Etats Membres ne se trouvent pas, du fait même de leur adhésion à la Constitution, aux objectifs et aux principes de l'OIT, soumis à un minimum d'obligations en matière de droits fondamentaux. Le mécanisme de contrôle des conventions et principes de la liberté syndicale offre en la matière une référence et une expérience intéressantes. Il permet aux gouvernements ainsi qu'aux organisations de travailleurs et d'employeurs de déposer des plaintes pour violation des droits syndicaux contre les Etats, que ceux-ci aient ou non ratifié les conventions sur la liberté syndicale.
Une déclaration, ou tout autre texte solennel adopté par la Conférence, permettrait de délimiter l'essence, universellement reconnue, des droits fondamentaux qui devraient être respectés par l'ensemble des Membres de l'Organisation, qu'ils aient ou non ratifié les conventions correspondantes, et d'élaborer le mécanisme visant à assurer leur promotion. Un débat sur cette question a été engagé par le Conseil d'administration et devra se prolonger à la Conférence sur la base du rapport.
La garantie des droits fondamentaux est une condition nécessaire au progrès social, mais elle n'est pas suffisante. En tant que Membres de l'OIT, les Etats s'engagent à poursuivre activement le progrès social sous toutes ses formes. S'il appartient aux Etats d'agir selon leurs possibilités et préférences, il importe que les efforts qu'ils déploient pour traduire les bénéfices de la mondialisation en avancées sociales concrètes puissent être encouragés et mesurés. L'OIT dispose à cet égard des moyens juridiques et du mandat nécessaires pour relancer le cercle vertueux de l'émulation dans le domaine du progrès social. Elle pourrait d'abord, à la lumière des discussions en cours, rassembler et formaliser quelques principes ou objectifs essentiels qui devraient guider l'action des Etats en la matière, à savoir par exemple: i) que l'avantage comparatif lié à un certain niveau de salaire ou de protection sociale est légitime dans la mesure où il est facteur de croissance économique, et pour autant qu'il ne soit pas maintenu de façon artificielle ou comme simple outil de conquête des marchés; ii) qu'il existe, au-delà des droits fondamentaux, un programme minimum que chaque Etat devrait s'efforcer de réaliser; iii) de manière plus générale, que l'ensemble des travailleurs, et pas seulement ceux qui produisent des biens d'exportation, devraient pouvoir profiter équitablement des fruits de la mondialisation et que, pour atteindre concrètement cet objectif, un système de consultation tripartite pourrait être envisagé au niveau national.
La Constitution de l'OIT et la Déclaration de Philadelphie donnent à l'Organisation les moyens et le mandat qui lui permettraient de superviser la mise en uvre de ces principes de base. En acceptant de travailler à la réalisation des objectifs de l'OIT, ses Membres ont, entre autres choses, reconnu la nécessaire interdépendance de leurs efforts et, partant, un certain droit de regard réciproque. Si l'introduction d'une conditionnalité sociale est un non-sens dans la mesure où l'ouverture des marchés est pour une large part une sorte de préalable au progrès social, il serait tout aussi contradictoire de revendiquer un accès au marché de l'ensemble des partenaires au nom du progrès social tout en prétendant n'avoir aucun compte à rendre à cet égard.
Sur cette base, la Conférence pourrait, par le truchement d'un texte solennel ou éventuellement d'une recommandation, à la fois récapituler les principes essentiels et établir un mécanisme de suivi, par exemple sous la forme d'un rapport périodique du Directeur général sur le progrès social dans le monde, suivi d'un débat tripartite. Ainsi, l'ensemble des Membres de l'OIT et, de manière plus générale, les opinions publiques nationales et internationales pourraient apprécier globalement et objectivement la réalité des efforts déployés dans chaque Etat pour traduire sur le plan social les avancées économiques résultant de la libéralisation des échanges.
La mobilisation des acteurs non étatiques en faveur du progrès social
Le progrès social n'est plus l'affaire exclusive des Etats. En nombre croissant, les entreprises se préoccupent des répercussions sociales ou environnementales de leur action; les consommateurs sont également de plus en plus conscients des responsabilités qui leur reviennent à travers leurs choix de produits ou de services. Ce double mouvement convergent se traduit par une prolifération de chartes, de codes, de pratiques et de «labels» censés garantir le respect de différents critères, sociaux ou autres, dans la fabrication de tel ou tel article.
Les objectifs de ces dispositifs volontaires semblent de prime abord les mêmes que ceux de l'OIT, mais ils comportent des risques d'arbitraire, de sélectivité et de manipulation. Le principal défaut des labels tient cependant au fait qu'ils s'intéressent exclusivement, à travers les produits visés, aux travailleurs qui produisent pour le marché international et à certains aspects des droits fondamentaux. Ils ne permettent pas d'améliorer la situation à la source. Pour contribuer de manière plus rationnelle et cohérente aux objectifs de l'OIT, on pourrait envisager un label social global décerné aux pays qui se conforment à un ensemble de principes et de droits fondamentaux et qui acceptent de soumettre leur pratique à des inspections internationales à la fois fiables et juridiquement autonomes. Il serait parfaitement concevable de prévoir un tel système d'inspection dans le cadre volontaire d'une convention internationale du travail qui permettrait à chaque Etat de décider librement de faire bénéficier l'ensemble des produits fabriqués sur son territoire d'un label social global, à condition d'en accepter les obligations et de se soumettre à des exigences de vérification sur place. La ratification d'une telle convention serait attrayante en termes d'intérêts économiques bien compris et non plus sur le seul plan moral.
DES NORMES MIEUX CIBLEES POUR UN MEILLEUR IMPACT
Dans sa deuxième partie, le rapport écarte l'idée d'une pause normative et préconise de renforcer la pertinence et l'efficacité de la production normative par un choix plus judicieux des sujets et une meilleure utilisation de la diversité et de la souplesse des moyens d'action prévus dans la Constitution de l'OIT.
Un choix plus large et mieux ciblé
Pour mieux cibler ses choix, l'OIT doit s'efforcer de recueillir plus d'informations sur les besoins réels de ses mandants en s'appuyant davantage sur ses structures décentralisées. Ces informations aideraient le Conseil d'administration à constituer un portefeuille plus large de propositions, régulièrement mis à jour, lui permettant d'effectuer des choix stratégiques répondant à des besoins actuels. Elle doit ensuite opérer un choix plus rigoureux entre les divers sujets d'action possibles, en fonction de la valeur normative ajoutée qu'ils peuvent apporter au corpus juridique existant. Le rapport formule des propositions détaillées sur les critères qui permettraient d'améliorer les choix d'action normative, notamment l'aptitude intrinsèque d'un sujet à faire l'objet de normes, sa pérennité, etc.; il suggère une codification officieuse qui donnerait une vision plus cohérente et synthétique des instruments existants; il pose aussi la question du renvoi éventuel à des règles générales de responsabilité, plutôt qu'une accumulation de dispositifs protecteurs. Le rapport propose enfin plusieurs aménagements à la procédure actuellement en vigueur, afin que les choix ne soient pas opérés de manière irréversible avant qu'on ne dispose d'une idée générale de la physionomie des instruments envisagés.
Un plus grand recours aux recommandations
La diminution du nombre des ratifications est sans doute un phénomène inéluctable, qui n'est pas seulement lié à la mondialisation mais découle de divers autres facteurs, notamment la prolifération des instruments internationaux. Cela ne devrait cependant pas entraver l'action normative de l'OIT car elle dispose, avec les recommandations, d'un instrument très efficace, à condition toutefois d'en exploiter toutes les potentialités. Si l'on veut que les recommandations retrouvent leur place véritable, il est essentiel d'abord qu'elles puissent regagner leur statut d'instruments à part entière; il faut ensuite et surtout qu'elles fassent l'objet du suivi régulier prévu par la Constitution. Par définition, les recommandations n'imposent pas d'obligations mais elles peuvent néanmoins profondément influer sur la politique et la législation sociales pour peu qu'elles fassent l'objet d'un suivi réel et efficace, ce qui n'a pas été le cas jusqu'ici.
Un mécanisme global d'évaluation
L'OIT doit impérativement disposer d'un mécanisme autocorrecteur de ses conventions et recommandations afin d'en vérifier l'impact et la pertinence et d'en tirer des enseignements pour l'avenir. Cette évaluation s'efforcerait non seulement d'apprécier le progrès réalisé en direction de l'objectif spécifique visé par l'instrument, mais aussi de relever d'éventuels effets indirects ou pervers par rapport aux autres objectifs de l'OIT, par exemple celui de l'emploi. Il appartiendra au Conseil d'administration, le cas échéant, de choisir l'organe et la procédure appropriés.
Pour commander le rapport
La version imprimée du rapport du Directeur général est disponible en: | ||
anglais
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ISBN 92-2-10982-6
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15 francs suisses; US$13,50; £8,10 |