ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL PROGRAMME DES ACTIVITÉS SECTORIELLES |
SMC/1997/6 |
Rapport final
Colloque sur la convergence multimédia
(Genève, 27-29 janvier 1997)
Table des matières
Partie 1. La société de l'information et les défis qui l'attendent
Partie 3. La société de l'information: un défi mondial
«Info-riches» et «info-pauvres»: un défi mondial, Kareem Boussaid
La convergence multimédia: l'Afrique en ligne de mire, Wilfred Kiboro
La convergence multimédia: l'expérience égyptienne, Nagwa Abdalla Abd-El Hafez
Discussion générale sur la société de l'information: un défi mondial
Partie 4. Tendances de l'emploi dans la société de l'information
Le déplacement du travail dans le domaine de la communication visuelle, Etienne Reichel
Discussion générale sur les tendances de l'emploi dans la société de l'information
Partie 5. Evolution du nombre et de la nature des emplois
Perspectives en matière d'emploi dans la presse américaine, Bernie Lunzer
Discussion générale sur l'évolution de la nature des emplois et des niveaux de
qualification exigés
Partie 7. L'impact de la convergence sur les qualifications exigées
Formation et recyclage: les nouveaux défis, Adzhar Ibrahim
Les besoins en matière de formation: comment la France y répond-elle?,
Dominique Schalchli
La formation pour les employeurs et les salariés, Robert Zachariasiewicz
Discussion générale concernant l'impact de la convergence sur les qualifications exigées
Partie 8. Les technologies de l'information et l'avenir du contrat de travail
Le télétravail en Italie: le rôle de la négociation collective, Marco Biagi
Discussion générale sur le télétravail et sur le rôle de la négociation collective
Partie 9. Les changements de nature des relations de travail
Partie 10. Convergence multimédia et relations professionnelles
Partie 11. Les relations professionnelles à l'ère de l'information
Conséquences de la convergence pour le mouvement syndical, Carlos Alberto de Almeida
Discussion générale sur les relations professionnelles à l'ère de l'information
Liste révisée des participants
Le secteur du spectacle et des médias s'emploie à captiver l'imagination, à éveiller des intérêts nouveaux et à nous tenir informés des événements qui surviennent partout dans le monde. Il abreuve le public de musique, de films, de vidéoclips, de journaux, de revues et d'émissions de radio, en vue de satisfaire tous les goûts. Chaque membre ou presque de la société est capable de nommer au moins un animateur, un éditorialiste ou un cinéaste qui a élargi ses horizons, éveillé sa curiosité ou l'a tout simplement diverti ou informé.
La très large sensibilisation du public aux produits et aux services offerts par ce secteur et la réaction immédiate et quasi intuitive aux nouveautés ont fait de l'industrie du spectacle et des médias électroniques un secteur dynamique, prolifique et riche. Etant donné la hausse des revenus, la progression des niveaux d'instruction et les attentes grandissantes du public, les classes moyennes ont consacré une part toujours plus importante de leurs ressources aux loisirs. En 1995, par exemple, les Américains ont dépensé 400 milliards de dollars, soit 8 pour cent environ de la consommation totale, pour les activités de loisirs(1). L'augmentation des dépenses de loisirs a hissé ce secteur parmi les branches d'activité les plus prospères et les médias devraient figurer parmi les branches de l'économie qui ont enregistré la croissance la plus rapide. En fait, la consommation accrue de produits liés aux loisirs et à l'information a été l'un des traits marquants de cette économie postindustrielle qui repose sur l'information.
Malgré leur extrême diversité, les produits fournis par le secteur du spectacle et des mass média présentent une caractéristique commune essentielle: qu'ils soient éducatifs ou simplement divertissants, ces produits renferment un fort coefficient de connaissances. Des équipes d'écrivains, d'éditeurs, d'interprètes, de concepteurs et de techniciens hautement qualifiés déploient des trésors d'imagination, de créativité, de sophistication technologique qui font de chaque produit une pièce unique. C'est la somme de leurs talents créatifs, la diversité de leurs compétences et leur maîtrise de la technologie de l'information qui confèrent de la valeur aux livres de poche, aux disques et cassettes dont les consommateurs font l'acquisition. En réalité, d'aucuns diront que la multiplicité des formes concrètes sous lesquelles ces produits apparaissent -- cassettes, disques, journaux -- dissimule le fait qu'un seul produit est vendu, et ce produit n'est autre que l'information traitée par voie électronique.
Vu cette caractéristique centrale commune, il est possible, et de plus en plus nécessaire, d'envisager les industries du spectacle et des médias sous l'angle non pas de leur spécificité historique, mais de leur unicité croissante résultant de la numérisation. Grâce aux progrès des techniques de l'informatique et de la communication, des secteurs autrefois distincts qui reposent sur l'information -- tels que l'imprimerie et la publication, la conception graphique, la presse, l'enregistrement sonore et la réalisation de films, de même que des industries «porteuses» telles que la radiodiffusion et les télécommunications -- en viennent à ne faire qu'un: l'information est leur produit commun.
Chacun des secteurs susmentionnés a sa propre origine et sa propre histoire. Jusqu'à une date récente, chacun possédait également sa propre technologie. Cependant, l'avènement de la numérisation a déclenché la convergence technologique. Aujourd'hui, toutes les formes d'informations -- qu'elles soient fondées sur un texte, un son ou des images -- peuvent être converties en bits et en octets pour être traitées par ordinateur. La numérisation a permis de créer, d'enregistrer, de manipuler, de combiner, de stocker, de rechercher et de transmettre des informations et des produits fondés sur l'information par des moyens que la bande magnétique, le celluloïd et le papier ne permettaient pas de concevoir. La numérisation ouvre donc la voie à l'enregistrement et à la transformation de la musique, du cinéma et de l'écriture par des procédés similaires et sans support matériel distinct. Des secteurs autrefois dissemblables -- comme l'édition et l'enregistrement sonore -- s'unissent désormais pour produire des CD-ROM et non plus simplement des livres et des disques.
L'impact de la numérisation ne s'est pas limité aux produits de ces secteurs, mais s'est porté également sur leurs moyens de distribution. Si le produit commun est maintenant l'information, le service commun sera son échange et sa fourniture par voie électronique. La convergence de l'informatique, de la téléphonie et de la radiotélédiffusion, qui se sont fondues en un secteur de communication et de distribution, commence à paver les voies principales des autoroutes mondiales de l'information, que les produits et services informatiques emprunteront au XXIe siècle. La capacité de transmettre des produits numériques en appuyant sur un bouton n'importe où dans le monde, sans perturbation ni détérioration de la qualité, peut faire songer à un scénario du futur. Or le futur est proche.
Alors que les systèmes analogiques cèdent progressivement la place aux systèmes numériques et que les voies de transmission large bande parviennent à relier les foyers, les entreprises et les collectivités partout dans le monde, les produits informatiques, souvent sous forme de multimédia, deviendront disponibles en ligne au moment et à l'endroit où le consommateur décidera de les consulter, de les écouter, voire de dialoguer avec eux. Les nécessaires supports matériels sur lesquels ces produits reposent actuellement -- le papier sur lequel les informations sont imprimées, les cassettes qui contiennent les enregistrements musicaux ou vidéo -- seront éliminés, mais pour autant que l'on dispose de systèmes de télécommunication abordables et hautement performants.
La convergence multimédia mérite de retenir notre attention pour des raisons qui vont bien au-delà du monde du spectacle, des médias et des télécommunications. La révolution technologique, qui est à l'origine de la convergence multimédia, se poursuivra à un rythme accéléré, créant de nouvelles configurations entre une gamme toujours plus large de secteurs d'activité. La numérisation du traitement et de la fourniture des informations est en train de transformer le mode de fonctionnement des systèmes financiers, l'échange interne et externe d'informations au niveau de l'entreprise et les méthodes de travail des particuliers dans un environnement de plus en plus axé sur l'électronique.
Ces changements revêtent une grande importance non seulement en raison de leurs répercussions socio-économiques immédiates, mais aussi parce qu'ils coïncident avec l'édification de l'économie de l'information, dans laquelle l'information ne sera pas une simple ressource, mais la base même sur laquelle reposera la croissance de l'économie. Les branches d'activité fondées sur les connaissances, comme aujourd'hui le spectacle et les mass média, compteront parmi celles qui occuperont une place prééminente dans l'économie de demain. Les mutations qui se produisent actuellement à cet égard peuvent donc être considérées comme les signes avant-coureurs des tendances nouvelles qui marqueront le XXIe siècle, nous révélant ainsi ce que signifie vivre et travailler, produire et consommer dans la société de l'information.
Innovations techniques et rapidité du changement
La capacité de traiter et de communiquer les informations par voie électronique a considérablement accéléré les processus de production. Moins de dix ans après l'introduction de la mise en page automatique, les phases de préimpression ont été profondément modifiées dans l'industrie de la presse pour devenir un processus de production continu, intégré et reposant sur la numérisation. Les journalistes et les rédacteurs travaillant sur écran ont pu envoyer directement leurs textes en vue de la mise en page, ce qui a supprimé la nécessité de retaper le texte et a transféré les fonctions préliminaires de composition du personnel de production au personnel de rédaction. En ce qui concerne la publication des livres, la numérisation a accéléré le processus de rédaction, qui suivait auparavant un ordre séquentiel, en permettant au rédacteur, au concepteur artistique et au personnel chargé de la mise en page de travailler simultanément sur le même ouvrage.
Cela dit, la numérisation n'a pas seulement accéléré les anciens procédés de production. En ce qui concerne la publication d'ouvrages éducatifs et scientifiques, où la fourniture dans les délais voulus des informations les plus récentes est primordiale pour la valeur du produit, la numérisation a contraint à repenser fondamentalement la signification même de la publication. La diffusion en ligne de revues scientifiques a déjà démarré -- certaines revues existent sous une forme purement électronique -- et les articles scientifiques sont soumis à l'examen des confrères sur Internet. Des manuels faits «sur mesure», composés de chapitres sélectionnés dans une base de données de 150 000 pages et assortis des remarques de professeurs ou d'autres articles, sont déjà disponibles dans 900 campus américains(2) et bientôt viendra le jour où la transmission par voie électronique aux imprimeurs locaux de textes scientifiques mis régulièrement à jour permettra d'effectuer des tirages en très petit nombre et de répondre ainsi aux besoins d'un séminaire.
Mais l'innovation technologique n'est pas venue seule. Les modifications réglementaires, la libéralisation des marchés et les ambitions planétaires des conglomérats du secteur des médias ont créé des synergies qui accélèrent davantage le rythme du changement.
Changements réglementaires et structurels
Si la technologie a rendu possible la convergence multimédia, les modifications réglementaires et structurelles en ont permis la réalisation. Dans certains pays, l'assouplissement des restrictions imposées à la participation intermédias a donné à de grandes entreprises du secteur des médias la possibilité d'acquérir des avoirs extrêmement diversifiés dans les domaines du cinéma, de la musique, des émissions de radio et de télévision ainsi que dans la publication de livres, de revues et de journaux. Grâce à cette intégration horizontale, un produit des médias peut être commercialisé sous des formes très diverses (livres, films et enregistrements sonores) ainsi que sur différents marchés finals (cinémas, télévision, vidéo clubs, par exemple). Malgré la complexité des modes de répartition du capital et des relations contractuelles, l'intégration horizontale réunit le contrôle et le pouvoir de commercialisation entre les mains d'un nombre étonnamment restreint de protagonistes. En 1995, par exemple, cinq sociétés d'enregistrement représentaient à elles seules plus de 70 pour cent des ventes sur le marché mondial de la musique préenregistrée, qui totalise 40 milliards de dollars des Etats-Unis(3). Toutefois, même les plus importantes entreprises de musique peuvent ne former qu'une subdivision d'un empire plus vaste, spécialisé dans les médias ou l'électronique.
L'intégration verticale intervient également, encore que parfois sous une forme nouvelle. Un exemple frappant de l'incidence des changements réglementaires sur la structure d'un secteur nous est donné par l'«arrêt Paramount» dont le réexamen, en 1984, a permis aux studios d'Hollywood de faire une nouvelle entrée sur le marché de la distribution dont ils avaient été bannis pendant trente-six ans. En l'espace de cinq ans, les studios récoltaient 80 pour cent des recettes(4). Tout en faisant de la distribution leur activité principale, ils contrôlaient la production cinématographique «de la conception à la consommation», en fournissant à des réalisateurs indépendants les fonds nécessaires et les réseaux de distribution. Cependant, la réalisation des films était effectuée par des réseaux de sociétés de production et par leurs sous-traitants, liés aux studios par des contrats et des investissements plutôt que par une participation au capital(5).
La déréglementation des télécommunications a introduit tout un nouvel ensemble d'agents économiques dans le domaine jadis protégé de l'industrie de l'information. Les monopoles des télécommunications cèdent maintenant du terrain aux prestataires de services du secteur privé, à mesure que, sur chaque continent, les nations s'emploient à privatiser leur entreprise publique de télécommunications et à libéraliser l'accès aux marchés des communications. Il en a résulté notamment un accroissement considérable du volume et des catégories de services offerts. Les opérateurs de télécommunications ont cessé d'être les simples vecteurs de services téléphoniques classiques pour devenir les fournisseurs d'un riche éventail de services à valeur ajoutée, parmi lesquels les communications mobiles, la transmission des données, l'accès à Internet, la télévision par câble et les opérations par satellite, tous contribuant à la convergence des médias électroniques. Même dans la téléphonie classique, les services ont marqué une très forte progression ces dernières années. Le trafic international sortant, qui s'élevait à 30,4 milliards de minutes au total en 1990, a atteint 54,4 milliards en 1994 et devrait grimper à 90 milliards de minutes d'ici l'an 2000(6) -- soit un triplement en moins de dix ans. De toute évidence, l'économie mondiale fondée sur l'information est prête à faire son apparition.
Le dynamisme et la mobilité de l'industrie des télécommunications sont illustrés par l'essor des prestataires de services du secteur privé qui arrachent des parts de marché à leurs rivaux du secteur public, même en période de croissance du marché. En 1990, AT&T, Deutsche Telekom, France Telecom et BT assuraient 42 pour cent du trafic international sortant; quatre ans plus tard, aucune entreprise d'Etat ne figurait parmi les quatre premiers prestataires de services, qui représentaient à eux seuls 57 pour cent d'un marché en expansion rapide(7). En 1995, les recettes mondiales de l'industrie des télécommunications atteignaient, selon les estimations, 1 430 milliards de dollars, soit 5,9 pour cent du produit intérieur brut de la planète.
Les autoroutes de l'information
L'hypothèse sur laquelle repose la notion de société de l'information est la construction de l'infrastructure mondiale de l'information, mieux connue sous le nom d'autoroutes de l'information. Cette infrastructure n'est en réalité rien de plus que le support matériel -- boulons, écrous et fibres optiques -- des systèmes de télécommunications du futur, qui devrait ouvrir aux foyers, aux entreprises et aux collectivités du monde entier l'accès aux transmissions large bande. L'accès universel aux autoroutes de l'information apporterait la garantie que les services modernes de diffusion et d'information seraient directement accessibles non seulement aux grandes institutions et aux entreprises, mais aussi aux petites entreprises, aux organisations à but non lucratif, aux écoles, aux hôpitaux et aux particuliers. Tel est du moins l'objectif.
Actuellement, cet accès universel est loin d'être assuré, même pour la téléphonie de base, sans parler des systèmes perfectionnés de câblage et de commutation nécessaires à l'interactivité. A l'échelle mondiale, la «télédensité» varie sensiblement de plus de 60 lignes téléphoniques pour 100 habitants dans les pays riches(8) à moins d'une dans les pays les plus pauvres(9), et il existe une corrélation directe entre l'accès aux télécommunications, la prospérité économique et le développement social.
Même dans le monde industriel, où les télécommunications sont devenues omniprésentes, le taux de pénétration des ordinateurs personnels dans les foyers, l'accès à Internet et la connexion par câble des ménages et des entreprises varient considérablement d'un pays à l'autre. Dans chaque nation, il existe également de grandes disparités dans la fourniture de services, suivant le revenu personnel et le niveau d'instruction.
Etant donné que les télécommunications subissent une déréglementation grandissante et que les investissements suivent l'orientation des forces du marché, il est à craindre que les autoroutes de l'information ne finissent par produire une interconnexion sans faille entre les îlots de richesse disséminés dans le monde, tout en accentuant plus encore les inégalités entre les «info-riches» et les «info-pauvres». Ceux qui ont pris de l'avance gagneraient encore du terrain, tandis que ceux qui ont pris du retard seraient encore plus désavantagés. Aujourd'hui, plus de 60 pour cent des serveurs Internet sont implantés aux Etats-Unis, alors que moins de 1 pour cent le sont en Amérique centrale et en Amérique du Sud(10). L'accès est bien entendu possible sur chacun des continents pour tous ceux qui disposent du matériel approprié.
A mesure que les régions du monde deviennent progressivement interconnectées et que les capacités de distribution s'étendent à l'échelle mondiale, les préférences culturelles imposent de nouveau leurs saveurs régionales ou nationales. L'industrie de la musique en offre un exemple frappant. En 1990, 90 pour cent de la musique vendue en Europe centrale était internationale; aujourd'hui, le marché polonais de la musique comporte près de 50 pour cent d'enregistrements locaux. Quatre-vingt pour cent environ de la musique préenregistrée qui est vendue en Amérique latine est exécutée par des artistes latino-américains, et 60 pour cent des ventes dans les pays d'Asie sont des enregistrements d'origine asiatique. Ces nouveaux marchés sont certes restreints mais ils s'accroissent à un rythme extrêmement accéléré. Au premier semestre de 1995, le marché brésilien de la musique a progressé de près de 60 pour cent, le marché indonésien de près de 45 pour cent et ceux de la Pologne et de l'Afrique du Sud d'environ 40 pour cent. Les «cinq grandes» sociétés d'enregistrement investissent des milliards de dollars dans des studios d'enregistrement, des usines et des réseaux de distribution régionaux afin de développer le répertoire local, mais les firmes régionales indépendantes leur donnent du fil à retordre. Le public veut entendre des chansons chantées dans sa propre langue et correspondant à ses sensibilités culturelles, et les firmes régionales indépendantes sont bien placées pour découvrir des talents locaux(11).
Les petites entreprises
Le tableau brossé jusqu'ici a été centré sur la technologie et sur les protagonistes du processus de convergence. Mais la convergence a un autre visage. De même que la technologie a conféré une dimension planétaire aux grands groupes de la communication et des médias, de même elle a favorisé la multiplication d'agents économiques plus modestes: particuliers, équipes et petites et moyennes entreprises (PME), capables de créer des produits multimédias de haute qualité, comme les CD-ROM, ou de fournir des services destinés à des créneaux spécialisés, par exemple en bâtissant des sites Web ou en mettant au point des campagnes de publicité en ligne.
Une multitude de petites entreprises spécialisées dans l'édition électronique et les services multimédia et opérant en Europe et aux Etats-Unis créent une grande partie du contenu, ainsi que des emplois, de cette industrie naissante. Bon nombre de ces établissements, qui sont composés de deux à dix salariés, pourraient être considérés comme des microentreprises. Si certains se spécialisent dans la fourniture directe de tels produits et services aux clients locaux, beaucoup d'autres travaillent dans le cadre de contrats de sous-traitance qui font remonter leurs produits en amont(12).
La médiation électronique a permis le développement d'entreprises «virtuelles», dans lesquelles les salariés travaillent essentiellement seuls, éloignés les uns des autres, mais connectés par un modem et par une ligne téléphonique. Une maison d'édition, par exemple, peut facilement employer des écrivains, des rédacteurs et des maquettistes en des lieux différents, pour autant qu'ils soient équipés d'ordinateurs capables d'entrer en communication pour échanger et combiner leurs travaux(13). Dans de tels établissements, les employeurs et les travailleurs peuvent ne pas se connaître, si ce n'est par le truchement des messages qu'ils s'adressent par courrier électronique et par la qualité de leurs travaux. Ceux qui travaillent à leur compte -- dont beaucoup sont des télétravailleurs -- forment une large part de la main-d'œuvre, devenant en fait des «salariés virtuels». Lorsque ces entreprises combinent les travaux de salariés domiciliés dans différents pays, ces travailleurs à distance risquent fort d'être privés de la protection normalement offerte par leur législation nationale.
Comment préparer la main-d'œuvre
à l'économie de l'information:
le rôle de l'OIT
La transition vers l'ère de l'information ne s'effectuera probablement pas sans heurts. De même que par le passé la révolution industrielle a bouleversé la vie de millions de personnes, contraignant les travailleurs ruraux à renoncer à leurs coutumes agraires pour s'adapter à des procédés mécaniques, l'ère de l'information ébranlera les fondements de nos structures économiques actuelles, brisera des conceptions chèrement entretenues et suscitera des attentes entièrement nouvelles. Le caractère chaotique des changements en cours, leur rythme accéléré et la difficulté d'en prévoir l'issue ne font qu'exacerber la crainte que la société mondiale de l'information ne soit polarisée, fragmentée, voire «atomisée». Certains appréhendent un avenir où les individus seront obligés de lutter pour survivre dans une jungle électronique et les mécanismes de survie qui ont été mis au point au cours des dernières décennies, tels que les relations d'emploi relativement stables, les conventions collectives, la représentation des salariés, la formation en cours d'emploi offerte par l'employeur et les systèmes de sécurité sociale financés collectivement, pourraient être mis à rude épreuve dans un monde où le travail traverse les frontières à la vitesse de la lumière.
Le BIT a organisé, en janvier 1997, un colloque de trois jours sur la convergence multimédia afin de discuter des problèmes sociaux et du travail que soulève ce processus. Le Bureau a axé ce colloque sur quelques secteurs appartenant aux domaines des médias, de la culture et du graphisme ainsi que sur l'industrie des télécommunications qui fournit les moyens d'appui et de transmission. Les débats centrés sur les branches d'activité se sont articulés autour de trois grands thèmes: 1) Que signifie la «société de l'information» pour les gouvernements, les employeurs et les travailleurs? 2) L'impact du processus de convergence sur l'emploi et sur le travail; et 3) Les relations professionnelles à l'ère de l'information. Le colloque devait donc susciter une réflexion sur les politiques et les approches les plus à même de préparer nos sociétés, en particulier notre main-d'œuvre, à affronter les turbulences de la transition vers une économie de l'information.
Les secteurs retenus couvrent une large gamme de professions, de structures d'emploi et de relations professionnelles. Il ne faut donc pas s'attendre à un schéma uniforme, quand ces secteurs sont confrontés à des produits, des procédés et des services convergents. Dans l'ensemble, néanmoins, ils présentent toute la gamme des problèmes sociaux et du travail que soulève l'avènement de l'économie de l'information.
L'emploi
Pour certaines catégories professionnelles, particulièrement celles qui ont pour tâche de fournir un contenu créatif, la révolution multimédia promet une augmentation considérable des possibilités d'emploi parallèlement à la multiplication des circuits de distribution. En 1995, la production de films et de produits audiovisuels a occupé plus de 850 000 personnes en Europe, contre 630 000 seulement dix ans auparavant. Un observateur au moins estime qu'en 2010 les films, le multimédia et la télévision seront devenus le premier employeur en Europe(14). Les musiciens constituent à cet égard une exception notable. En effet, les innovations technologiques, telles que le synthétiseur, ont eu pour conséquence notable d'éliminer des possibilités d'emploi salarié.
Pour d'autres travailleurs, en particulier ceux qui exercent un métier manuel lié à une technologie particulière, le problème sera d'acquérir de nouvelles qualifications et de s'adapter aux nouvelles méthodes de travail, les débouchés s'amenuisant dans leur branche d'origine. Les exemples de pertes d'emploi foisonnent dans le secteur de la technologie de pointe. On pourrait évoquer la miniaturisation du matériel photographique, qui a rendu obsolètes les encombrantes unités mobiles de télévision d'antan -- qui mobilisaient cameramen, spécialistes du son et personnel d'appui, remplacés aujourd'hui par un seul reporter muni d'un simple caméscope. Dans l'industrie cinématographique, la «réalité de synthèse», créée par ordinateur, offre désormais une alternative à la construction de décors onéreux, mais elle risque de priver de leurs moyens de subsistance les menuisiers, décorateurs et électriciens qui en assurent la construction et l'éclairage. Un échantillonnage vidéo numérique permet la création de douzaines de «personnages de synthèse» à partir des images de quelques-uns. La foule des 50 000 manifestants dans le film Forrest Gump, par exemple, a été composée à partir des images de moins d'un millier de figurants(15).
Si, comme d'aucuns le prétendent, l'économie numérique est un «puissant générateur d'emplois», on pourrait ajouter que l'avenir favorisera les demandeurs d'emploi ayant un bon niveau d'instruction et une formation polyvalente et cherchant constamment à acquérir de nouvelles compétences. Alors que les travailleurs faiblement qualifiés doivent s'attendre à des suppressions massives d'emplois et à des déqualifications, de nouvelles perspectives s'ouvrent à ceux qui possèdent l'éventail de qualifications nécessaires pour travailler de façon créative dans un environnement de réseaux à forte intensité d'informations. Cependant, la plupart des travailleurs, y compris les cadres hautement qualifiés, peuvent s'attendre à une instabilité et à une précarité de l'emploi, qui les conduira à changer à plusieurs reprises de travail au cours de leur carrière. De nombreux travailleurs seront employés comme personnel d'appoint; ils travailleront à temps partiel, à titre temporaire ou pour plusieurs employeurs à la fois.
Bien des emplois de demain seront fondés sur une technologie qui en est aujourd'hui à ses balbutiements; ces emplois exigeront des compétences insoupçonnées. Vu la rapidité avec laquelle les fabricants de logiciels de Silicon Valley ont fourni aux producteurs d'Hollywood les effets spéciaux qu'ils demandaient, une industrie florissante des effets visuels générés par ordinateur a fait son apparition en l'espace de quelques années.
Tandis que la technologie ne cessera de faire des bonds en avant dans le domaine de la numérisation, l'acquisition de compétences nouvelles devrait se faire graduellement «sur un mode analogique», à partir des acquis anciens. La séparation des couleurs par ordinateur a pour effet de modifier les opérations préliminaires de l'impression en couleurs, mais on a fait appel pour contrôler la qualité du produit final à l'œil expérimenté et aux compétences techniques des spécialistes de la photolithographie, qui avaient pour ce faire reçu une formation complémentaire. Maints typographes qualifiés, passés de la linotypie à la composition assistée par ordinateur, mettent le jugement esthétique qu'ils tiennent de leur ancien métier au service d'une nouvelle méthode de travail.
En même temps, la technologie, devenue plus facile à maîtriser, a aplani les barrières à l'entrée de nombreuses branches techniques. Grâce à l'émergence progressive de normes sectorielles parmi les producteurs de technologie de l'information, les compétences sont plus faciles à transférer d'un domaine ou d'un type de matériel à un autre, ce qui permet une plus grande interchangeabilité entre personnel technique et personnel non technique. La mise en page est devenue une tâche de col blanc et ceux qui s'y mettent peuvent n'avoir jamais été formés aux métiers de l'impression. En fait, nombre d'entre eux trouveront un emploi dans des entreprises appartenant à d'autres secteurs que l'impression et pour lesquelles le traitement et la diffusion de l'information revêtent une grande importance.
Education et formation
D'où les nouvelles qualifications viendront-elles? Comment les entreprises pourront-elles être assurées de trouver les compétences qu'elles recherchent? Comment les travailleurs pourront-ils être sûrs que les qualifications qu'ils auront acquises les aideront véritablement à s'introduire sur le marché du travail? Il serait opportun qu'une action concertée soit entreprise par les gouvernements, les employeurs et les travailleurs pour atténuer le décalage entre les compétences disponibles et celles qui sont demandées et pour préparer la main-d'œuvre à affronter les changements à venir.
Une excellente formation de base constitue le substrat sur lequel viendront se greffer, dams l'économie de l'information, toutes les compétences nouvelles. Loin de se limiter à la maîtrise de la lecture et du calcul, elle devrait insuffler le goût d'apprendre et la capacité de s'adapter aux changements. Bien des pays s'emploient activement à introduire l'ordinateur -- et particulièrement les techniques informatiques -- dans les salles de classe afin d'inculquer aux enfants les rudiments de l'interaction avec l'information transmise par l'ordinateur.
Mais l'éducation de base ne suffit pas. Des niveaux plus élevés d'instruction générale et l'acquisition de compétences spécialisées, surtout dans le domaine informatique, seront de plus en plus exigés des nouveaux venus sur le marché de l'emploi multimédia. Alors que bien des qualifications propres à un emploi s'acquièrent sur le lieu de travail, soit dans le cadre des stages de formation organisés par l'employeur, soit simplement au travers des échanges d'informations entre collègues, les employeurs attendront de plus en plus des demandeurs d'emploi qu'ils aient déjà acquis tout un ensemble de compétences.
Les programmes de formation, tels qu'ils sont actuellement conçus, répondront-ils aux besoins de ces employeurs et de leurs futurs salariés? Seront-ils assez vite adaptés à des besoins en mutation rapide? Ou resteront-ils à la traîne, entravant ainsi le passage de l'école à la vie professionnelle faute de préparer aux métiers de demain? Voilà un domaine qui tirerait grand avantage d'une coopération tripartite.
Les gros employeurs sont les mieux armés pour élaborer des programmes de formation susceptibles de répondre aux besoins particuliers de leurs entreprises. Une formation financée collectivement, couplée à l'apprentissage, a déjà fait la preuve de son utilité. Mais l'économie de l'information soulève deux grands problèmes en ce qui concerne la formation en entreprise. Premièrement, les structures d'emploi de nombreuses entreprises opérant dans ces secteurs convergents reposent sur un noyau plus restreint de travailleurs permanents, ou du moins employés sur la base de contrats de longue durée, et sur une proportion grandissante de travailleurs d'appoint engagés à temps partiel, à titre temporaire ou dans le cadre d'un projet. Les employés à temps partiel, surtout s'ils sont engagés pour une courte période, ne bénéficient guère, voire jamais, des stages de formation organisés par l'employeur, lesquels sont en général réservés au personnel permanent.
Deuxièmement, dans le secteur de l'information, ce sont les petites et moyennes entreprises qui enregistrent la croissance de l'emploi la plus dynamique. Nombre d'entre elles n'occupent que quelques salariés; rares sont celles qui sont en mesure de dispenser elles-mêmes une formation ou de décharger le personnel des activités courantes. Ces employeurs sont presque entièrement tributaires des qualifications que leurs salariés ont acquises avant leur engagement, soit dans des établissements d'enseignement classiques, soit sur leurs précédents lieux de travail, soit de leur propre initiative.
Maints observateurs prévoient par conséquent qu'à l'avenir la charge de la formation initiale, continue et de la reconversion incombera pour l'essentiel aux salariés ainsi que les dépenses qui s'ensuivent.
Relations professionnelles
La recherche de solutions socialement acceptables passe par le dialogue social et la participation tripartite, qui sont les principaux garants d'une transition sans heurts vers une économie de l'information. Or mettre en place des mécanismes pratiques en vue d'un dialogue social dans le secteur tout nouveau du multimédia sera une tâche ardue, car le processus de convergence met en lumière des discordances structurelles entre les forces économiques, les cadres politiques et les institutions sociales. La rapidité du changement, l'ampleur des restructurations industrielles et des transformations du monde du travail mettront à l'épreuve les mécanismes institutionnels qui assurent actuellement la représentation des travailleurs.
La privatisation et la restructuration des entreprises de télécommunications offrent un bon exemple des défis auxquels il faut faire face. On a observé des compressions importantes de personnel chez des prestataires de services traditionnels bien implantés, et le recours grandissant à la sous-traitance a également diminué le volume de l'emploi direct. British Telecom a supprimé 70 000 emplois entre 1990 et 1992; AT&T a annoncé la suppression de 40 000 postes; l'entreprise japonaise NTT prévoit de supprimer 50 000 emplois en favorisant la retraite anticipée et les départs volontaires et Deutsche Telekom pourrait connaître une perte de 60 000 emplois. Si, dans l'ensemble, le nombre d'emplois liés aux télécommunications devrait progresser avec la demande de services nouveaux, les postes nouvellement créés seront en grande partie occupés par des travailleurs d'appoint et ils verront le jour dans des entreprises non syndicalisées ou étrangères au secteur des télécommunications(16). Comment les intérêts de ces travailleurs peuvent-ils être le mieux représentés?
Le secteur du multimédia commence à s'organiser en grands conglomérats autour desquels gravitent des myriades de petites entreprises. Ce sont souvent les petites entreprises qui créent le «contenu», vendu en amont aux principaux acteurs du secteur par le soin d'intermédiaires. Vu la taille modeste de ces entreprises et les compétences diverses de leur personnel, les conditions d'emploi y sont souvent négociées au niveau individuel. Les cols blancs semblent prêter moins d'importance aux questions matérielles qu'aux possibilités de valorisation des tâches et de promotion. Les taux de syndicalisation sont faibles, et les mécanismes institutionnels nécessaires au dialogue social font souvent défaut. Une fois encore, comment les intérêts de ces travailleurs pourraient-ils être le mieux représentés?
Ceux qui travaillent dans ces industries convergentes ont beaucoup à apprendre les uns des autres et beaucoup à transmettre aux autres catégories professionnelles qui s'engagent dans l'économie de l'information. Dans des secteurs comme les télécommunications, par exemple, où la main-d'œuvre a le plus souvent été employée à plein temps et à titre quasi permanent, l'apparition de ces formes de travail d'appoint a suscité une énorme incertitude. Néanmoins, la protection du personnel d'appoint a longtemps constitué l'activité principale des syndicats d'acteurs, par exemple, profession où les taux de syndicalisation demeurent souvent exceptionnellement élevés.
En raison de la complexité des relations professionnelles dans le secteur du spectacle et des médias, les organisations de travailleurs avaient jusqu'à une époque récente des difficultés à communiquer d'une branche d'activité ou d'une profession à l'autre et par delà les frontières de leur domaine de compétences. Vu la diversité de leurs expériences, quelques-unes d'entre elles ont opéré de façon relativement indépendante, bien que certains indices portent à croire que le processus de convergence a favorisé un vaste dialogue intersectoriel. Les travailleurs des entreprises de télécommunications et de distribution par câble, par exemple, ont admis une certaine communauté d'intérêts.
Les travailleurs de l'industrie convergente du multimédia devraient jouir des mêmes droits que les autres travailleurs en matière de liberté syndicale et de négociation collective, conformément aux principes de l'OIT inscrits dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et dans la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que dans la jurisprudence des organes de contrôle de l'OIT qui s'y rapporte. Il reste à faire passer les principes dans la réalité.
Il faudrait peut-être également revoir les systèmes nationaux de protection sociale pour les adapter aux besoins de la main-d'œuvre de demain. Il importe d'élaborer le cadre juridique et contractuel (législation du travail, conventions collectives, relations professionnelles) qui donnera aux entreprises et aux particuliers une souplesse suffisante, tout en garantissant aux travailleurs une sécurité appropriée. Deux catégories professionnelles en progression rapide devraient faire l'objet d'un examen particulier: les travailleurs à temps partiel et les télétravailleurs. Deux conventions et recommandations récentes de l'OIT devraient présenter un intérêt particulier pour ces deux groupes.
La convention (no 175) et la recommandation (no 182) sur le travail à temps partiel, 1994, favorisent l'amélioration de la condition des travailleurs à temps partiel et encouragent des améliorations en ce qui concerne la rémunération, les régimes légaux de sécurité sociale et d'autres formes de protection sociale. Les gouvernements voudront peut-être revoir leur législation nationale en vue de faciliter le passage au travail à temps partiel productif et librement choisi et de veiller à ce que les travailleurs à temps partiel ne soient pas involontairement pénalisés.
La convention (no 177) et la recommandation (no 184) sur le travail à domicile, 1996, ont pour objectif d'assurer l'égalité de traitement entre les travailleurs à domicile et les autres travailleurs, particulièrement en ce qui concerne la liberté syndicale, la protection contre la discrimination, la sécurité et la santé au travail, la rémunération, les régimes légaux de sécurité sociale, l'accès à la formation, l'âge minimum et la protection de la maternité. Ceux qui travaillent en ligne à leur domicile ou dans d'autres locaux de leur choix peuvent se prévaloir de ces textes, à moins qu'ils ne soient assimilés à des travailleurs indépendants en vertu de la loi de leur pays ou de décisions de justice.
Engager le dialogue: le rôle du BIT
Les travaux antérieurement effectués par le BIT dans le domaine des médias, de la culture et du graphisme ainsi que dans le secteur des télécommunications ont mis en évidence, dans des branches d'activité déterminées, certains des effets, mentionnés plus haut, que la technologie de l'information peut produire sur l'emploi(17). Cependant, il n'a jamais été procédé à une étude d'ensemble pour mesurer l'impact général de la convergence multimédia.
Le Colloque sur la convergence multimédia a offert aux gouvernements, aux employeurs et aux travailleurs l'occasion d'engager un débat ouvert et de nature exploratoire sur les problèmes sociaux et de travail découlant de la convergence multimédia. Les participants sont invités à préparer des exposés sur les questions sociales soulevées par le processus de convergence dans leur domaine d'activité propre et dans leur pays, en mettant l'accent sur l'impact des tendances actuelles sur l'emploi et sur les conditions de travail.
Le colloque a donné lieu à des discussions de groupe et à des exposés individuels, suivis d'un débat général. On trouvera dans le présent rapport un compte rendu des interventions et des discussions qui ont suivi. Les textes ont été regroupés par sujet dans des chapitres qui rappellent l'organisation du colloque lui-même. Chaque chapitre s'ouvre sur un ou plusieurs discours auxquels font suite d'abord les observations des autres participants et ensuite les réponses des orateurs. Le dernier chapitre donne un aperçu de la discussion qui s'est engagée sur l'action possible du BIT dans le domaine des médias, de la culture et des arts graphiques. Conformément à la décision qu'a prise le Conseil d'administration à l'occasion de sa 265e session (mars 1996), aucune conclusion ni résolution n'a été adoptée. La réunion avait pour but de favoriser un échange de vues sur les problèmes sociaux et de travail soulevés par la convergence multimédia. La réunion a été fructueuse et utile aux trois parties. Elle a été en outre l'occasion de présenter au Bureau des suggestions et des propositions quant aux actions à engager pour le secteur des médias, de la culture et des arts graphiques, en particulier dans le domaine de l'emploi, de la formation et des relations de travail et aux activités et séminaires régionaux.
Les connaissances approfondies qui ont été acquises lors de ces discussions tripartites pourront certainement inciter les gouvernements et les partenaires sociaux à une réflexion plus poussée sur la meilleure façon de préparer la main-d'œuvre à vivre et à travailler dans l'économie de l'information. Si la technologie a favorisé la convergence, ce sont les partenaires sociaux qui en détermineront le cours.
Participation
Le colloque était présidé par M. Marc Blondel, membre travailleur du Conseil d'administration. Le vice-président des employeurs était M. Walter Durling, membre employeur du Conseil d'administration. Le vice-président des travailleurs était M. Chris Warren, secrétaire fédéral de l'Union australienne des médias, du spectacle et des arts.
M. Werner Ringkamp, représentant du gouvernement allemand, servait de coordinateur au groupe des gouvernements.
Ont assisté au colloque 66 personnes en tout, dont 44 membres titulaires:
a) gouvernements: 11 membres venus du Canada, de la Colombie, de l'Egypte, de la France, de l'Allemagne, de la Hongrie, de l'Italie, du Japon, de la Malaisie, du Royaume-Uni, des Etats-Unis; la Turquie avait envoyé un observateur;
b) employeurs: 15 membres;
c) travailleurs: 15 membres;
d) conseillers techniques: 12;
e)observateurs: 12;
f) Conseil d'administration: 1.
Au total, 11 femmes étaient présentes: quatre déléguées des gouvernements et une conseillère technique; deux déléguées des employeurs; une déléguée des travailleurs et une conseillère technique; et deux conseillères techniques des observateurs.
La société de l'information
et les défis qui l'attendent
La société de l'information et les défis qui l'attendent
Kari Tapiola, Directeur général adjoint du BIT
C'est pour moi un très vif et très sincère plaisir que de vous accueillir à ce colloque sur la convergence multimédia et de vous souhaiter la bienvenue au nom de M. Michel Hansenne, Directeur général du Bureau international du Travail. Conformément aux décisions prises par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, nous vous avons conviés à ce colloque pour explorer certains problèmes que l'essor de la société de l'information pose sur le plan du travail comme sur le plan social. La convocation de ce colloque s'inscrit dans le cadre du programme des activités sectorielles de l'OIT.
L'expression «société de l'information» est entrée dans l'usage durant les dernières années. Nous parlons de sociétés «câblées» et beaucoup d'entre nous travaillent dans le cadre de réseaux et communiquent par voie électronique avec leurs collègues et partenaires à l'intérieur ou à l'extérieur des entreprises; de fait ces entreprises peuvent désormais déployer leurs activités dans toutes les parties du monde. La notion même de lieu de travail est en train d'évoluer, passant d'une entité plus ou moins déterminée à un réseau dont l'ampleur peut être gigantesque. Il y a une génération à peine, le téléphone cellulaire, le courrier électronique et les ordinateurs portables relevaient sinon de la science fiction du moins d'un avenir qui apparaissait très sophistiqué et lointain. Ce sont aujourd'hui les instruments qu'utilisent quotidiennement ceux qui travaillent pour l'économie de l'information.
Les structures industrielles et les modalités d'organisation qui nous étaient familières cèdent aujourd'hui la place à des configurations nouvelles. Des quotidiens locaux à faible tirage luttent pour survivre alors que des empires médiatiques relient les continents. Les plus grandes sociétés de télécommunication où figuraient les employeurs les plus fiables du passé développent leurs centres stratégiques tout en réduisant leurs propres effectifs. Dans le même temps, des milliers de petites et moyennes entreprises, voire de microentreprises, produisent une grande partie du contenu et créent la plupart des nouveaux emplois dans cette industrie de l'information. Les entreprises «virtuelles» composées d'employeurs et de travailleurs reliés l'un à l'autre par des moyens de communication informatisés vont se développant sans guère se préoccuper des frontières nationales.
La révolution des technologies de l'information est un des facteurs clés de la mondialisation. Elle contraint un nombre croissant de pays à s'ouvrir à la concurrence internationale et à entrer dans ce qu'on appelle l'ère de l'information. C'est là un des traits caractéristiques d'une économie à l'échelle mondiale. Il convient néanmoins de s'interroger sur ce que cela implique en fait pour les pouvoirs publics, les employeurs et les travailleurs, ainsi que pour leurs organisations lorsque l'information devient la principale ressource économique du monde et que l'économie se restructure en conséquence. De quelle manière pouvons-nous nous préparer aux changements futurs et redéfinir notre rôle en tant qu'acteurs sur la scène économique et sociale? Il est de fait que les nations, entreprises ou travailleurs capables d'acquérir, de transformer et d'utiliser l'information de façon à la fois productive et imaginative seront les premiers bénéficiaires du progrès technologique. Selon les estimations de l'OCDE, plus de la moitié du PIB total des économies riches provient des industries du savoir comme les télécommunications, l'informatique, les logiciels et l'industrie des loisirs. On peut s'attendre à ce que la prospérité, la puissance et l'avantage stratégique viennent récompenser les nations et sociétés qui seront en mesure de maîtriser les forces du changement technologique et de tirer le meilleur profit de l'économie en voie de mondialisation rapide.
Selon certaines estimations, les travailleurs occupés par ces industries du savoir représentent huit sur dix des nouveaux emplois créés dans les économies avancées. Il y a fort à parier que nombre de ces travailleurs éprouveront la plus grande satisfaction lorsque leur nouveau poste fera appel à leur créativité. Mais qu'en sera-t-il des autres? Qu'adviendra-t-il des économies à la traîne? Et quel sera le sort des membres de la société et de la population active qui tarderont à répondre aux nouvelles exigences -- à savoir ceux dont les compétences sont rendues caduques par le progrès technologique ou ceux qui n'ont pas reçu l'instruction ou la formation nécessaires pour tirer parti des avantages que procurera la société de l'information? Même si 80 pour cent des nouveaux emplois se rattachent aux industries du savoir, cela ne signifie nullement qu'ils sont tous par définition stimulants, bien rémunérés et satisfaisants.
Une des tâches qui nous incombe à l'OIT est de définir les rôles et responsabilités respectifs des pouvoirs publics et des organisations d'employeurs et de travailleurs au regard du changement. Cela exige une vue d'ensemble du type de société qui nous attend. Les experts sont les premiers à nous annoncer une société de l'information polarisée entre les «info-riches» et les «info-pauvres». Les premiers symptômes de polarisation sont déjà visibles non seulement entre les nations mais au sein de chacune d'elles. Pour 100 habitants, la Suède dispose de 68 lignes téléphoniques alors que les pays les moins développés n'en ont qu'une ou moins. Comment combler ce gouffre? Il n'est d'entreprise qui ne dispose d'ordinateurs individuels ou de télécopieurs, mais seuls les foyers les mieux lotis disposent de tels équipements. Comment assurer l'accès universel aux instruments de l'économie de l'information? Serons-nous contraints d'accepter une société à deux vitesses où les bons emplois, les revenus rémunérateurs et la prospérité vont de pair avec l'accès à l'information et à la communication, reléguant ceux qui n'y ont pas accès à un rôle secondaire dans le meilleur des cas, et dans le pire, à la marginalisation?
Notre colloque porte sur l'incidence de la numérisation et de la convergence industrielle sur l'emploi et les conditions de travail dans les industries des médias et des loisirs. La convergence a permis aux producteurs de contenu, aux fournisseurs de moyens de communication et aux distributeurs de se rencontrer. Elle a donné naissance à une vaste industrie de l'information: l'imprimerie et l'édition, les nouveaux moyens de communication, l'enregistrement sonore, le cinéma, la radiodiffusion et les télécommunications sont tous représentés dans cette salle. Les industries des médias et des loisirs vivent et travaillent en prise directe avec le changement. Vous êtes certainement nombreux à avoir traversé dans votre vie professionnelle les phases de satisfaction mais aussi les périodes de turbulence et d'instabilité qui caractériseront vraisemblablement l'économie de l'information de demain. Vous avez été témoins de la déstructuration de l'entreprise traditionnelle et du réaménagement du temps de travail. Vous avez assisté à la délocalisation électronique du travail et à la croissance d'un marché du travail mondialisé et compétitif. Vous avez peut-être ressenti l'effet stimulant d'un travail exécuté dans un environnement à fort coefficient de connaissances mais aussi le stress qui résulte de la surcharge d'informations. Vous pouvez également avoir constaté combien l'ajustement pénalise plus lourdement les moins qualifiés et les moins bien rémunérés. J'ose dire, en bref, que vous avez tous pu vous rendre compte aussi bien des avantages économiques que du coût social du changement dans un secteur international d'activités de pointe très exposé.
La révolution technologique qui a rendu la convergence multimédia possible a des ramifications qui s'étendent bien au-delà des industries représentées aujourd'hui dans cette salle. Elle transforme déjà le fonctionnement des systèmes financiers, l'organisation des systèmes de production et de distribution et les relations qu'entretiennent les employeurs, les travailleurs ou leurs organisations, ainsi que les travailleurs indépendants. Votre expérience professionnelle peut déjà vous donner une idée des changements qui affecteront de larges fractions de la société dans les prochaines années.
Ce colloque revêt une importance particulière pour l'OIT en ce que les questions, que nous vous demandons d'aborder les jours prochains, sont des questions sociales d'importance primordiale pour le monde d'aujourd'hui. Il s'agit notamment de l'emploi, de la formation et des relations professionnelles, c'est-à-dire de la façon dont nous travaillons, dont nous apprenons et dont nous nous conduisons les uns à l'égard des autres en tant qu'acteurs sociaux. Il importe d'analyser la façon dont le progrès technique et les forces économiques mondiales en jeu contribuent à modifier la nature même du travail. L'emploi de demain est-il nécessairement condamné à devenir plus précaire? Comment pourra-t-on satisfaire les besoins d'éducation et de formation quand le niveau des qualifications exigées continue de s'élever avec chaque poussée du progrès technologique? Les entreprises virtuelles deviendront-elles la norme? Quel sera l'avenir des relations professionnelles lorsque les partenaires directs seront physiquement séparés par de grandes distances et qu'ils communiqueront et travailleront dans un environnement relié par de moyens électroniques? Quelle sorte de normes de travail universelles convient lorsque le travail prend des formes de plus en plus individualisées? Il est révélateur que mon allocution d'ouverture commence par un aussi grand nombre de questions. Nous essayons de maîtriser un phénomène qui évolue à cadence rapide, et pour l'appréhender nous devons utiliser une pellicule ultrarapide.
L'OIT n'a jamais cessé de promouvoir le respect des droits fondamentaux de l'homme au travail et notamment la liberté syndicale et le droit de négociation collective, l'abolition du travail forcé, du travail des enfants et de la discrimination ainsi que la promotion de l'égalité de chances et de traitement entre hommes et femmes. L'évolution actuelle de la situation ne remet nullement en question ces principes. Ils exigent de nous que nous nous mettions en quête des mécanismes susceptibles de les renforcer et de développer le dialogue social.
Ce n'est que par le dialogue entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics que nous pourrons faire en sorte que la société de l'information soit une société ouverte et démocratique, respectueuse du besoin de justice sociale à laquelle chacun puisse participer. De nouvelles politiques devront sans doute être mises au point en vue de trouver un meilleur équilibre entre la sécurité de l'emploi et la flexibilité du marché du travail, deux nécessités contradictoires. Les frontières traditionnelles entre les professions, les secteurs, voire entre les pays, pourraient bien ne plus être les seules -- sans parler des mieux appropriées -- dans lesquelles les partenaires sociaux puissent trouver des solutions. Le dialogue social devra sans doute s'étendre à de nouveaux domaines bien au-delà des questions cruciales du passé pour englober certains aspects de la mondialisation, de l'innovation dans l'entreprise, de la compétitivité, de la création d'emplois, de l'adaptabilité et de l'acquisition constante de qualifications transférables.
Ce forum est un forum ouvert. Contrairement à de nombreuses réunions qui se tiennent dans cette maison, il ne prévoit aucune solution négociée sous la forme de résolutions, de conclusions ou de recommandations communes. Vous êtes simplement invités à participer à une conversation de grande portée qui vous permette d'exprimer vos espoirs, vos préoccupations, vos critiques, et enfin vos propres conclusions et propositions pour l'avenir. Ce que nous cherchons ici, c'est à provoquer l'échange de vues le plus large possible entre nos mandants tripartites et à obtenir vos conseils sur les défis qu'il appartiendra à l'OIT et à ses Etats Membres de relever pour progresser sur la voie de la justice sociale à l'aube de ce XXIe siècle.
Vers un nouveau partenariat entre les gouvernements,
les employeurs et les travailleurs
Barbara Motzney(18)
C'est sur le document de travail préparé pour ce colloque que se fondent les observations que je ferai aujourd'hui. Il donne à entendre que l'évolution du secteur des loisirs et des produits de l'information -- ce que j'appellerai «le secteur du contenu» -- est le signe annonciateur d'une économie postindustrielle, basée sur l'information. Sans doute faut-il y voir une annonce des temps nouveaux, qui nous aide à comprendre ce que seront la vie quotidienne, le travail, la production et la consommation dans la société de l'information mondiale.
C'est là une idée relativement nouvelle. Pendant des années, la discussion et la recherche sur les plans national et international ont porté sur la valeur, la nature et la politique générale des infrastructures. Ce n'est qu'au cours des dernières années que le véritable pouvoir de transformation des technologies de l'information et des communications -- et non pas seulement leur pouvoir économique, social et culturel -- a été universellement reconnu. Dans le domaine de la recherche et des politiques, les programmes commencent à présent à prendre en compte le contenu. Pourquoi est-il si important ? Nous estimons qu'il y a deux raisons à cela.
Premièrement, les branches qui constituent le secteur du contenu sont, par leur nature même, à forte intensité de savoir et elles sont fondées sur les technologies de l'information et de la communication, les TIC. L'examen de ces branches fournira d'importantes indications sur la manière dont la société de l'information mondiale affectera l'ensemble de l'économie de la planète.
La deuxième raison vient de la vision que nous avons de la société de l'information mondiale. A Bruxelles, en 1995, les ministres du Groupe des 7 ont énoncé huit principes la concernant, principes auxquels ont souscrit ultérieurement le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (CEAP) et une quarantaine de pays réunis à l'occasion de la Conférence sur la société de l'information et le développement qui s'est tenue en Afrique du Sud, en mai 1996. Ils ont reconnu la nécessité d'une diversité linguistique et culturelle du contenu. Les pays ont reconnu par là que, pour participer pleinement à la société de l'information en tant que producteur et consommateur, l'individu a besoin de se reconnaître dans les produits et les services qui envahissent l'infrastructure. La croissance d'une industrie locale du contenu dynamique, créative et compétitive apportera beaucoup à l'économie de l'information. La créativité -- d'un peintre, d'un programmeur, d'un acteur -- est essentielle au développement de la production d'images tridimensionnelles et du catalogage numérique des produits culturels, ou encore à la création sur Internet de services bancaires à la demande attrayants et conviviaux. Ces nouveaux produits doivent être produits, créés et mis au point. Comme tous les biens et services, ils doivent être distribués, commercialisés, revendus et achetés. Cependant, cela passera par un nouveau réseau à valeur ajoutée, reliant entre eux les acteurs de nombreux secteurs traditionnels, unis pour fournir de nouveaux produits et services.
Quelle est la situation du secteur du contenu au Canada? Le Canada est un petit marché distendu à proximité immédiate du premier acteur mondial du secteur, dont l'industrie des loisirs domine toutes nos branches d'activité culturelles. Les politiques culturelles canadiennes se fondent sur le principe selon lequel il faut garantir des espaces canadiens aux voix et aux choix canadiens. Le secteur des arts et de la culture, entendu au sens traditionnel, et les nouvelles industries du contenu comme le multimédia, serviront de catalyseur à la diversité culturelle et linguistique du contenu. Ils seront aussi un puissant moteur de l'économie et de l'emploi dans le pays. S'il faut en croire les estimations données pour 1993-94, le secteur des arts et de la culture au Canada qui emploie directement 900 000 personnes auront rapporté 29,5 milliards de dollars. Si, pour mesurer le contenu canadien de la société de l'information, on retient une définition extensive qui englobe les services de la culture et d'information ainsi que certaines branches des télécommunications et du secteur des services informatiques, on arrive à plus de 50 milliards de dollars de recettes, soit 9 pour cent de l'ensemble de l'économie, et à plus de 1,25 million d'emplois directs.
Si l'on considère les principales branches du secteur en 1993-94, on constate que la radiotélédiffusion canadienne a créé presque 55 000 emplois et que sa part dans le PIB canadien s'élève à 3,5 milliards de dollars. La radiotélédiffusion et la télévision câblée canadienne proposent des programmes de radio et de télévision aux ménages. Il y a dix ans, cela signifiait que les organismes de radiotélédiffusion créaient, produisaient ou achetaient des émissions de télévision et de radio, qui étaient retransmises par des réseaux hertziens ou câblés. Aujourd'hui, ils proposent, outre des programmes classiques, des programmes à péage, des programmes à la carte et des programmes thématiques qui sont distribués par voie hertzienne, par câble, par satellite à réception directe, ou par d'autres technologies de communication. Au cours des cinq prochaines années, période qui verra émerger la société de l'information mondiale, les techniques de diffusion et de distribution par câble permettront d'offrir toute une série de programmes numériques, sonores ou télévisuels, des services transactionnels et autres du monde entier auxquels chaque foyer pourra accéder en utilisant la technologie de son choix.
La radiotélédiffusion et la télévision câblée ont un atout stratégique essentiel pour la société de l'information: leur liaison technique avec les ménages. La technologie qui était auparavant au service d'une programmation unidirectionnelle est sur le point d'offrir à chaque foyer toute une série de produits et de services. Les effets de cette évolution commencent à se faire sentir au Canada. Entre 1990 et 1993, le nombre des abonnés à la télévision par câble s'est accru de 9 pour cent, et les recettes générées par les services câblés à la carte, en premier lieu par les nouvelles chaînes thématiques, ont plus que doublé. En 1996, pour la première fois en l'espace de presque dix ans, le total des heures passées à regarder la télévision s'est accru dans le pays.
Cet atout stratégique ne devrait pas durer. Les nouvelles techniques de distribution telles que les systèmes de satellite à réception directe, la téléphonie, la radiodiffusion et la diffusion hors antenne se positionnent toutes pour s'assurer un accès aux ménages, que ce soit à l'intérieur des frontières ou au-delà. La radiotélédiffusion et la télévision câblée doivent s'organiser pour relever ce défi. Celles du Canada ne pourront devenir compétitives dans la société de l'information mondiale que si elles exploitent les potentialités des nouvelles technologies, tirent les conséquences de l'amenuisement des recettes publicitaires par rapport aux abonnements, se tournent vers de nouveaux marchés -- marchés géographiques et marchés créés par les nouvelles technologies et les nouveaux segments de marché.
La complexité et le dynamisme de l'environnement poussent à une professionnalisation et à un relèvement du niveau de qualification des personnels de la radiotélédiffusion. En 1996, des travaux préliminaires ont été entrepris pour étudier la situation de l'emploi dans les industries des TIC. Quoique provisoires, les résultats indiquent qu'entre 1986 et 1991 le nombre des personnes travaillant dans le domaine de la radiotélédiffusion s'est accru de 14,5 pour cent. La composition de cette main-d'œuvre a beaucoup évolué au cours de la même période. Le pourcentage des travailleurs qui n'ont pas poursuivi leurs études au-delà du lycée a chuté de 44 à 38,5 pour cent. Dans le même temps, le nombre des diplômés du premier cycle du supérieur s'est accru de 26 pour cent et celui des diplômés du deuxième cycle du supérieur de presque 25 pour cent. Cette augmentation du nombre des travailleurs ayant poursuivi des études au-delà du lycée s'observe tant à la direction que dans les emplois de bureau. Des tendances semblables se font jour dans le secteur émergeant du multimédia, où le contenu créatif et culturel se manifeste dans des domaines non traditionnels et par l'apparition de nouveaux produits.
Au Canada, ce secteur jeune accuse une croissance plus rapide que l'économie dans son ensemble. Au cours du quinquennat qui s'est terminé en 1993-94, les industries culturelles traditionnelles les plus étroitement liées à la production de CD-ROM, à l'édition et aux agents exclusifs ont enregistré une croissance de leurs recettes de 16 pour cent, et les producteurs de films de 71 pour cent.
Des recherches préliminaires ont révélé que les entreprises multimédias canadiennes sont relativement jeunes, privées et peu rentables. Il s'agit, en général, de consortiums éphémères, créés pour mener à bien un projet donné, multidisciplinaires et engagés dans diverses activités. Ils sont centrés sur les marchés commerciaux, publics et de l'éducation. Les éléments clés de leur réussite sont l'innovation, les études de marché nationales et internationales, l'intérêt de leur produit, la demande de produits canadiens, l'accès aux moyens de financement et les ressources humaines. Il est intéressant de noter que l'orientation multidimensionnelle des projets de ces entreprises, qui rassemblent des créatifs, des techniciens et des administratifs, les rapproche des industries culturelles canadiennes traditionnelles. Cette nouvelle branche du secteur du contenu n'est pas vraiment différente de celles qui l'ont précédée. Là encore, le problème principal est de veiller à ce que les producteurs canadiens aient accès aux nouveaux systèmes de distribution, à l'intérieur des frontières et au-delà, et à ce que les voix canadiennes puissent véritablement se faire entendre au sein de la société de l'information.
Ainsi, que signifient «convergence» et «société de l'information mondiale» pour le travailleur canadien du secteur du contenu? Les industries du contenu ont besoin de travailleurs compétents, éduqués et flexibles qui seront à même de participer efficacement à la réalisation des projets en cours. Les connaissances sont bien sûr essentielles, notamment la connaissance stratégique des TIC et de leurs implications. Quant à la méthode utilisée, elle doit nécessairement allier indépendance et flexibilité. Ceux qui travaillent actuellement dans le secteur du contenu semblent répondre à ces exigences, s'il faut en croire une analyse entreprise l'année dernière dans le cadre de l'enquête de 1993 sur la main-d'oeuvre culturelle canadienne. Il a été ainsi établi que, dans le secteur culturel, les travailleurs sont 22 pour cent plus nombreux que dans l'ensemble de l'économie à avoir poursuivi leurs études au-delà du lycée et 24 pour cent de plus à avoir un diplôme universitaire. L'analyse montre également que 30 pour cent des travailleurs culturels sont indépendants, et que 25 autres pour cent sont partiellement indépendants. Cependant, bien que 65 pour cent des travailleurs culturels interrogés aient déclaré que l'évolution technologique avait affecté leur travail dans le secteur culturel, 30 pour cent d'entre eux n'ont reçu aucune formation leur permettant de faire face à ces changements. Les deux tiers n'ont fait état d'aucun besoin de formation, et le meilleur lieu de formation qui ait été cité est l'université ou l'entreprise. Les principales raisons invoquées pour ne pas suivre de formation sont le coût et le manque de temps. Dans de nombreux cas, les catégories professionnelles les plus portées à vouloir suivre une formation sans le pouvoir étaient celles qui travaillaient le plus souvent à leur compte. Ces résultats, quoique provisoires, mettent en lumière un problème essentiel, en matière d'emploi dans la société de l'information. Il faut, de toute évidence, une solide formation universitaire et un large éventail de compétences techniques et interpersonnelles constamment affinées et mises à jour. Comment le travailleur indépendant peut-il les acquérir sans budget formation ni temps libre, et alors qu'il n'a pas la possibilité de se former sur le tas?
Dans la société de l'information mondiale qui émerge, l'un des défis les plus difficiles à relever pour les décideurs, les employeurs et les travailleurs touche à l'accès. Il n'y a pas de main-d'œuvre compétente sans un triple accès: premièrement, un accès physique et technique aux produits et aux services. Les individus ont-ils un contact quotidien direct avec les instruments de la technologie de l'information et les services sur réseau existants? Deuxièmement, un accès à un coût raisonnable aux réseaux d'information et au contenu local; troisièmement, l'éducation, les compétences et les aptitudes nécessaires pour l'accès du citoyen. L'individu dispose-t-il du savoir-faire nécessaire pour travailler d'une manière constructive sur des données numérisées? Possède-t-il les rudiments du numérique? Sans accès, on ne peut participer à la société de l'information mondiale en tant qu'employé de la machine économique ou consommateur de nouveaux produits et services; on ne peut pas non plus, sans accès, participer en tant que citoyen à cette source de cohésion sociale et de communautés.
Quel doit-être le rôle des pouvoirs publics? Au cours des années quatre-vingt-dix, les contraintes financières et la demande de transparence et de responsabilisation adressée aux pouvoirs publics a amené à repenser en permanence les principales responsabilités de l'Etat. Les fonctionnaires et les hommes politiques s'interrogent: l'Etat doit-il intervenir? Dans l'affirmative, comment? Quelqu'un d'autre -- un autre niveau d'administration, le secteur privé, la société civile -- serait-il plus efficace et plus efficient? Une telle intervention aiderait-elle nos citoyens à relever les défis et à se plier aux exigences d'économie mondialisée en matière d'emploi?
Le rôle de l'Etat est de servir la population. Il doit tenir la balance égale entre les besoins sociaux et économiques des citoyens (préservation du patrimoine culturel, maintien d'une présence nationale dans la société de l'information et créations d'emplois), et les besoins des actionnaires, des employeurs et des travailleurs, lesquels demandent que soient réunies les conditions d'une concurrence loyale et durable. Le débat et les discussions de politique générale tournent autour d'un équilibre à trouver entre deux impératifs apparemment contradictoires: les valeurs civiques et les valeurs du marché et du consommateur. Nous souscrivons aux principes énoncés par le G7. Le gouvernement doit agir en usant de son pouvoir d'entraînement et créer les conditions propices à une réalisation de ces principes. Par ailleurs, la vision ne deviendra réalité que si des efforts sont faits pour assurer l'harmonisation des environnements nationaux dans un cadre multilatéral.
Que représente la société mondiale de l'information pour les gouvernements, les employeurs et les travailleurs? C'est l'avènement d'un nouveau partenariat. Nulle part elle n'est encore pleinement opérationnelle et intégrée. Le passage à la société mondiale de l'information où tous ceux qui le souhaiteront pourront tirer pleinement parti de ses potentialités sociales, culturelles et économiques implique des aménagements structurels et organisationnels importants, ainsi qu'une redéfinition et une redistribution des rôles de tous les acteurs dans la société. La chaîne traditionnelle des valeurs décrivant la production dans la société industrielle, et dans laquelle chaque pas linéaire ajoute de la valeur, est remplacée dans la société de l'information par un réseau de valeur ajoutée complexe, ouvert, et en constante mutation.
Ce réseau de valeur ajoutée dépendra des personnes capables de participer activement en tant que citoyens, consommateurs et employés utilisant les nouvelles technologies, notamment pour produire; il dépendra aussi d'équipes très performantes, multidisciplinaires, composées de bons éléments pouvant faire preuve de flexibilité et d'inventivité pour servir le client ou accomplir une tâche; il dépendra enfin d'organisations novatrices capables de se réinventer sans cesse en souplesse au travers de liens interentreprises étendus. La réalisation de ces objectifs passera dans le domaine de l'emploi par l'instauration d'un cadre qui comprend l'accès à l'information et à la technologie, la reconnaissance et le soutien des emplois non traditionnels liés à la société de l'information, et une collaboration entre les milieux d'affaires, les travailleurs, les syndicats et les pouvoirs publics en vue d'étudier les possibilités de formation et d'apprentissage permanent. Ce cadre exige aussi, tant au niveau national qu'international, une politique et une réglementation qui établissent un juste équilibre entre les valeurs du consommateur et celles du citoyen tout en protégeant les droits fondamentaux. La création de ces réseaux de valeur ajoutée, à même de relever les défis de la société de l'information mondiale, demandera un niveau de coopération et de partenariat sans précédent.
Pour conclure, je poserai un certain nombre de questions qui pourraient nous aider à mieux comprendre l'effet de la convergence sur le secteur du contenu. Le secteur des arts et de la culture qui passe pour l'un des principaux fournisseurs de contenu n'est traditionnellement pas considéré comme faisant partie d'un autre secteur économique ou faisant le lien avec d'autres branches d'activité. Or, il faut s'efforcer de mieux comprendre ce lien. Quel est le lien entre les TIC et l'emploi ou le lien de travail? Les nouveaux emplois du secteur du contenu sont-ils différents des emplois du secteur culturel traditionnel? Qui crée ces emplois et comment? Quelles en sont les principales caractéristiques? Comment progressent-ils? Quelle politique pourrait soutenir cette croissance?
En tant que décideurs, nous devons identifier les nouvelles tendances en matière d'emploi afin d'investir à bon escient dans l'éducation et la formation. Disposons-nous des bonnes informations? Nous posons-nous les bonnes questions et recueillons-nous les bonnes données? N'utilisons-nous pas les modèles de la société industrielle pour décrire la société de l'information? Cela nous donne-t-il la représentation exacte de la réalité dont nous avons besoin pour élaborer une bonne politique ou prendre des décisions économiques judicieuses? Comment les individus, les entreprises, les travailleurs, les communautés et les institutions peuvent-ils œuvrer ensemble pour promouvoir une culture qui valorise les compétences et l'apprentissage permanents?
La société de l'information mondiale est une affaire de liens, de connexion des réseaux, de contenu et de personnes, les technologies utilisées étant diverses et les modalités nouvelles. Ces liens entre secteurs industriels, Etats, entreprises, institutions et personnes tracent la voie de l'avenir.
La société de l'information: l'approche allemande
Jürgen Warnken(19)
La convergence multimédia est un sujet extrêmement important pour l'avenir. Examinant la situation de l'emploi dans les secteurs liés à l'information, l'Institut allemand de la recherche pour le travail et l'emploi a établi que ceux-ci employaient déjà environ la moitié de la population active, et il prévoit qu'ils en emploieront plus de 55 pour cent en l'an 2010. Aux Etats-Unis, les chiffres sont très comparables. Au début de l'année dernière, le gouvernement allemand a entrepris une vaste étude en vue d'établir un rapport sur la voie allemande vers la société de l'information. Nous voulions la décrire, en étudier les caractéristiques et établir ce qu'il fallait faire pour assurer la compétitivité de notre pays dans ce domaine. Sur la base de ces travaux, nous avons mis au point un programme d'action qui intéresse plusieurs secteurs économiques, notamment les secteurs du logiciel et du matériel informatique, les prestataires de services des réseaux et les fournisseurs de contenu. Toutes ces activités commerciales pourraient être regroupées sous le qualificatif «secteur de l'information». Il est probablement impossible de distinguer avec précision ces diverses branches: il existe déjà des entreprises qui fournissent à la fois les réseaux et le contenu; par ailleurs, des alliances stratégiques existent entre des entreprises de divers secteurs, lesquels ne peuvent plus dès lors être envisagés séparément.
Nous nous sommes fixé deux tâches fondamentales: premièrement, la création d'un cadre juridique approprié; et, deuxièmement, la mise au point d'une politique qui favorise l'intégration des découvertes scientifiques et des innovations techniques dans les pratiques commerciales et leur acceptation par les employeurs et les travailleurs concernés. L'objectif de cette politique pourrait se résumer ainsi: «accélérer la diffusion».
Venons-en d'abord au domaine législatif. Un nouveau projet de loi sur les services d'information et de communication est actuellement en discussion en Allemagne. Il devrait s'appliquer à toutes les nouvelles catégories de fournisseurs d'information, tels que les services en ligne. Il ne traite pas de l'emploi parce que le ministère fédéral du Travail estime que le droit du travail actuel suffit pour affronter les problèmes de l'emploi dans le secteur des médias. Il n'est pas besoin de légiférer dans ce domaine. Il est possible qu'il faille dans certains cas revoir la définition de l'«entreprise» pour y inclure les travailleurs à domicile ou les télétravailleurs, par exemple, mais ce genre de modification peut certainement être apportée par les partenaires sociaux à l'occasion de négociations collectives ou au niveau de l'entreprise. La première convention collective entre les Telecom et les PTT allemandes couvre déjà, semble-t-il, ces nouvelles formes d'entreprises.
J'en viens à présent à la deuxième grande tâche que nous nous sommes fixée. Pour réussir dans une économie mondialisée, un pays doit diffuser largement l'information sur les orientations de politique générale, innover en tirant parti au mieux des connaissances techniques et faire accepter par sa population et par les travailleurs -- qu'ils travaillent ou non dans le secteur de l'information -- les nouveautés. Le gouvernement allemand est actif dans plusieurs domaines et je voudrais en donner quelques exemples. Nous nous efforçons d'avoir un dialogue nourri avec tous les groupes, avec la communauté scientifique comme avec les syndicats. En outre, nous avons créé une instance appelée «INFO 2000» afin d'amener les questions relatives à la société de l'information au niveau de l'entreprise. Cent cinquante institutions ont assisté au congrès inaugural d'INFO 2000 et divers groupes de travail traitent actuellement de thèmes spécifiques tels que «Le travail dans la société de l'information» ou «Les questions de recyclage, d'enrichissement des connaissances et d'adaptation aux conditions nouvelles».
Par ailleurs, les organismes publics jouent un rôle très important de catalyseurs ou d'initiateurs; ils lancent des projets pilotes, par exemple en matière de télétravail, ou ils tirent parti des nouvelles technologies de l'information et de la communication pour améliorer le fonctionnement de l'administration publique ou des services publics de santé (télémédecine). Il est de toute évidence important, dans le domaine des nouvelles technologies de la télécommunication, de ne pas s'enfermer dans un cadre national. Notre programme d'action prévoit un renforcement de la coopération avec les organisations européennes et internationales. La Commission européenne a déjà commencé à étudier l'impact des nouvelles technologies sur l'emploi par exemple. Dans son premier rapport sur les activités de recherche futures, elle a affirmé la nécessité de redoubler d'efforts dans ce domaine de la recherche et développement. En outre, on doit se féliciter de ce que, dans son Livre vert intitulé «Vivre et travailler dans la société de l'information», elle place clairement au premier rang de ses préoccupations la personne, l'être humain. Enfin, je me réjouis de ce que l'OIT, en organisant ce colloque, se soit impliquée dans ce domaine. Nous devons nous interroger sur les conséquences de l'évolution des marchés nationaux et mondiaux pour l'emploi, l'organisation du travail et la sécurité sociale.
Je voudrais à présent aborder deux questions en rapport avec la société de l'information, à savoir l'éducation et la formation, et le télétravail.
En ce qui concerne les qualifications, de plus en plus d'emplois exigeront du travailleur à l'avenir qu'il soit capable de résoudre des problèmes complexes et abstraits. Le système de formation professionnelle initiale et complémentaire n'est peut-être plus adapté. Il faut commencer par reformer l'école et élargir considérablement les compétences des élèves et des jeunes étudiants. Dans cette optique, le gouvernement fédéral a, avec le concours de divers organismes de parrainage, pris une initiative visant à encourager les écoliers à découvrir les moyens de communication électroniques tels qu'Internet. Le marché du matériel pédagogique électronique s'élargit et il offre un large éventail de possibilités aux écoliers et aux étudiants. La réussite passe par une bonne connaissance de la technologie de l'information, laquelle doit s'acquérir très tôt si l'on veut qu'elle soit à la base d'un processus d'apprentissage continu.
Nous estimons que le télétravail constitue sans aucun doute l'une des formes de travail de l'avenir, que ce soit en Allemagne ou dans la plupart des autres pays de l'Union européenne. Les télétravailleurs sont aujourd'hui très peu nombreux, encore que leur nombre soit plus élevé qu'on ne pourrait le croire. Ils seraient en Allemagne, selon certaines estimations, entre 10 000 et 150 000. L'ampleur de la fourchette, due essentiellement à des divergences dans la définition, montre que des incertitudes subsistent quant à la qualité de télétravailleur.
Nous avons entrepris de recenser les obstacles qui s'opposent au développement du télétravail et de désarmer les oppositions; nous avons brossé un tableau général de la situation actuelle; nous venons de lancer une campagne d'information et de motivation, dans le cadre de laquelle il sera procédé à des consultations sur les aspects organisationnels et économiques du télétravail, ainsi que sur l'état du droit en la matière. Nous avons consulté des spécialistes car le télétravail peut, sur le plan juridique, s'appréhender différemment selon que le télétravailleur est un travailleur à domicile ou un travailleur indépendant. Nous estimons que le télétravail devrait s'effectuer -- dans la mesure du possible -- dans un cadre bien défini, notamment sur le plan juridique, et, de préférence, dans le cadre d'un contrat de travail ordinaire. Cela contribuerait à le faire accepter par la population. Nous envisageons également le développement d'un télétravail en alternance -- avec retour périodique à des conditions de travail normales --, afin de permettre aux télétravailleurs de maintenir des contacts avec leurs collègues. Le résultat de ces consultations sera discuté avec les partenaires sociaux et donnera lieu à des recommandations. Cela permettrait sans doute d'avoir raison de certains des obstacles et objections auxquels se heurte le télétravail, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Dès lors, nous pourrions tirer parti de l'intérêt que la population porte à ce type de travail et en développer les potentialités en termes d'emplois. Il est indispensable pour ce faire d'assurer aux télétravailleurs la protection nécessaire, mais celle-ci doit aller de pair avec la flexibilité exigée par les entreprises. Il serait bon de parvenir sur ce point à un accord international. La campagne de motivation et les consultations auxquelles elle donne lieu constituent l'axe principal de notre action, mais nous avons également pris d'autres initiatives. Ainsi, nous avons tenté de rendre les tarifs des télécommunications dans ce domaine aussi attrayants que possible. En outre, le gouvernement fédéral a entamé avec les autorités régionales des discussions pour déterminer si le développement du télétravail dans les zones rurales pourrait revitaliser l'économie locale.
Enfin, je voudrais ajouter que plusieurs ministères fédéraux tentent de donner l'exemple en lançant en leur sein des expériences de télétravail. Pour conclure, je ne pense pas qu'il suffise aux Etats de légiférer. Ils doivent s'impliquer activement. Ils doivent soutenir les actions de promotion comme les projets pilotes, qui offrent une possibilité de discussions, et les mesures éducatives. Il importe aussi que le dialogue s'engage avec les employeurs et les travailleurs pour que ces résultats soient acceptables pour tous les partenaires sociaux. J'ajouterai que la coopération au niveau international est indispensable. Nous devons également veiller à ce qu'en dépit des changements qui s'annoncent, les nouveaux types d'emplois soient organisés sur la base des normes sociales arrêtées d'un commun accord.
Les problèmes de la main-d'œuvre dans la phase
de transition vers une société de l'information
Chris Warren(20)
Il n'est que de suivre les débats sur les technologies nouvelles dans les grands médias pour être immédiatement frappé par l'élan d'enthousiasme que suscitent ces technologies. Du coup, dans bien des domaines, nous avons droit non pas à un véritable débat, mais à un battage publicitaire. Certes, cet enthousiasme n'est pas sans fondement. En effet, pour ceux d'entre nous qui travaillent dans le secteur des médias et du spectacle, les mutations qui s'inscrivent dans le cadre de la convergence multimédia représentent le plus radical bouleversement de nos méthodes de travail et de la perception que nous avons de nous-mêmes depuis l'avènement, il y a plus d'un siècle, du spectacle populaire et des mass média.
Mais les changements ne sont pas seulement affaire de technologie, de bits et d'octets. A titre d'exemple, je voudrais évoquer certaines coïncidences survenues dans mon propre pays, l'Australie. Ce mois-ci, mon syndicat a signé une nouvelle convention collective avec le groupe de presse Rupert Murdoch, convention qui porte notamment sur l'utilisation électronique des travaux des journalistes, des artistes et des photographes employés par les quotidiens appartenant au groupe en Australie. Ce mois-ci également, nous négocions une convention à l'intention des artistes interprètes et des techniciens travaillant dans les nouveaux studios de cinéma Fox appartenant au groupe de presse Newsgroup, qui sont construits à Sydney et qui produiront sans doute le plus de films au monde après Hollywood et l'Inde. Ce mois-ci encore, nous avons introduit un recours contre News Ltd. au nom des footballeurs professionnels employés par l'entreprise dissidente du groupe qui a été créée afin de permettre à la chaîne de télévision payante Fox de gagner de nouveaux abonnés.
Si j'évoque ces trois faits, ce n'est pas pour vanter les activités de mon syndicat, mais pour mettre en lumière deux points: premièrement, la convergence est désormais la règle et non l'exception dans le secteur de l'information; deuxièmement, cette convergence est commandée bien plus par des impératifs financiers et économiques que par des considérations d'ordre technologique. Comme les auteurs de travaux universitaires sur la technologie se plaisent à le faire remarquer, la découverte de technologies nouvelles n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat de travaux de recherche. Dans le secteur du spectacle et des médias, des technologies sont découvertes et mises au point parce qu'elles sont susceptibles de rapporter de l'argent et de procurer un surcroît de pouvoir. Autrement dit, les changements qui affectent les travailleurs du secteur de l'information que nous sommes sont autant, sinon plus, sociaux et économiques que technologiques.
Comment ces changements modifient-ils nos tâches quotidiennes? En premier lieu, les personnes pour lesquelles nous travaillons changent complètement de physionomie. Nous serons sans doute de plus en plus amenés à travailler pour un nombre de plus en plus restreint d'employeurs. Le secteur de l'information est dominé très largement par de grandes entreprises mondiales. A ce stade, aucune tendance ne se dessine clairement quant à la nature de ces entreprises. Certaines sont de grandes entreprises fournisseurs de contenu comme News Ltd.; quelques-unes d'entre elles ont fusionné avec des entreprises spécialisées dans le transport des données, comme Newsgroup avec MCI; d'autres sont spécialisées à la fois dans le logiciel et dans le matériel, comme Sony; d'autres encore ne sont que des conglomérats de type ancien, comme Westinghouse. Certes, les tensions qui existent au sein de ces sociétés transnationales se font sentir également dans d'autres secteurs, mais elles mettent en cause le contrôle que les travailleurs avaient dans les médias et entreprises de spectacle traditionnels dans le domaine du travail et de la création. La lutte pour l'utilisation du matériel que nous créons s'en trouve également exacerbée.
Après nous avoir rémunérés, les grandes entreprises cherchent à tirer de multiples utilisations de notre travail sans supplément de salaire et souvent sans que le créateur premier ait son mot à dire sur la bonne ou la mauvaise utilisation de son produit. Pour les travailleurs employés dans le secteur de l'information, le contrôle et la réglementation de la propriété intellectuelle sont au cœur des revendications. Tel ne devrait pas être le cas vu que, d'ordinaire, les revendications portent en premier lieu sur l'argent -- une juste rémunération pour le travail que nous créons -- et, en second lieu, sur l'intégrité morale de notre activité professionnelle. La plupart des employeurs approuveraient tout au moins verbalement ces principes alors que, dans la pratique, rares sont les employeurs, n'importe où dans le monde, qui sont disposés à négocier sérieusement avec leurs salariés sur ces questions. Or, pour nous travailleurs qui faisons œuvre de création, rien n'est davantage au centre des relations employeur-salariés que l'utilisation qui est faite du travail dont nous sommes les véritables créateurs.
La deuxième question, qui est liée à la première, se rapporte au fait que nos employeurs tendent désormais à opérer davantage dans le secteur privé que dans le secteur public. Dans tous les pays, l'attachement à la notion de service public dans les médias faiblit, ce qui se traduit par une baisse de l'aide de l'Etat aux chaînes publiques de radio et de télévision.
La troisième question concerne l'augmentation du nombre de travailleurs d'appoint dans le secteur de l'information. Qu'ils aient pour nom travailleurs occasionnels, travailleurs indépendants, personnes engagées sur la base de contrats à durée déterminée ou télétravailleurs, nous voyons se multiplier des arrangements très éloignés de la notion traditionnelle d'emploi direct, permanent et relativement sûr. La sécurité de l'ensemble des travailleurs s'en trouve amoindrie et les employeurs peuvent en jouer pour renforcer leur contrôle sur l'information elle-même. Un exemple frappant nous en est donné par les principales maisons d'édition d'Amérique du Nord qui cherchent à tirer parti de l'immense pouvoir de négociation dont elles disposent pour obliger leurs écrivains indépendants à céder tous leurs droits sur leurs ouvrages pour quelque usage que ce soit. Tel est le genre d'exploitation que dissimule cette antienne qu'est devenue la «main-d'œuvre indépendante et flexible».
La répartition du travail en subit également les conséquences à l'échelle mondiale. Les grandes entreprises peuvent en effet tirer parti des nouvelles technologies pour transférer le travail des pays syndicalisés à salaires élevés vers les pays non syndicalisés à bas salaires. C'est ainsi que le traitement de l'information est réalisé aux Philippines, et les films d'animation en République de Corée. Cette délocalisation a eu pour corollaire un changement dans la composition de la main-d'œuvre du secteur de l'information. Un recul sensible des métiers traditionnels a été et continue d'être enregistré dans ce qu'il est convenu d'appeler les systèmes de fourniture des informations, la maintenance des télécommunications et la publication des journaux, pour n'évoquer que les exemples les plus manifestes; ce recul s'est accompagné de créations d'emplois dans le secteur du contenu. Parallèlement, la répartition de la main-d'œuvre entre les sexes a évolué. Les femmes représentent une proportion de plus en plus grande des actifs et sont majoritaires dans bien des secteurs. Il en résulte une modification de la nature des revendications professionnelles, et la main-d'œuvre syndiquée comme les employeurs doivent en tenir compte. En fait, c'est à l'ensemble des partenaires sociaux -- syndicats, employeurs et gouvernements -- qu'il incombe de veiller à ce que les nouvelles branches de l'information ne perpétuent pas les usages discriminatoires dont les femmes sont victimes, discrimination qui est allée jusqu'à leur exclusion pure et simple des secteurs traditionnels de l'information.
De plus, la concentration dans le secteur de l'information met gravement en péril la diversité culturelle du monde. Pour les travailleurs du secteur des médias et du spectacle, une telle concentration est lourde de menaces car elle met en cause leur capacité à faire leur travail. Les batailles, dont les médias locaux et nationaux sont partout dans le monde l'enjeu, sont importantes en raison des emplois qu'ils créent dans le pays. Elles sont importantes en soi, mais aussi parce que ce qui est en jeu, c'est la diversité culturelle de notre planète.
Enfin, il convient de noter que, si la technologie a servi en grande partie à renforcer le contrôle centralisé qui s'exerce sur le secteur de l'information, elle secrète également son propre antidote. En effet, la technologie ouvre des créneaux à de nouvelles sources d'informations et à de nouveaux moyens de fournir cette information. Elle devrait jouer dans le sens d'une plus grande intégrité et qualité et non l'inverse. Nous qui travaillons dans cette branche d'activité, nous entrons parfois en conflit avec nos employeurs au sujet des changements apportés à notre travail. Dans une certaine mesure, c'est inévitable. Cependant, je considère que le secteur de l'information comme la collectivité que nous servons ont tout à gagner d'une main-d'œuvre qualifiée, qui soit réellement intéressée à ce qu'elle fait et ce qu'elle crée.
Tony Lennon, du groupe des travailleurs, a ouvert le débat en déclarant que les gouvernements jouaient un rôle important non seulement parce qu'ils facilitaient le développement d'une technologie de l'information bien réglementée, mais aussi parce que les Etats étaient d'importants producteurs de contenu. Dans beaucoup de pays, c'est l'Etat qui contrôle les fournisseurs de contenu, comme les sociétés de production cinématographique et de radio télédiffusion, ou qui les subventionne, comme c'est le cas pour les arts. Même s'il a tendance à se désengager, l'Etat continue à jouer un rôle considérable dans le multimédia en tant que producteur de contenu.
Michel Muller, du groupe des travailleurs, a souligné qu'il fallait absolument enrayer l'aggravation des inégalités qui caractérisait aujourd'hui la société de l'information. Les Etats doivent à la fois assurer à tous un accès à la nouvelle technologie et relever le niveau des connaissances par un travail de formation. Ils ne devraient pas se désengager mais participer et contribuer à une réduction des inégalités. Les hommes d'affaires et les chefs d'entreprise doivent, quant à eux, assumer leurs responsabilités sociales, ce qui peut se faire soit par le biais de conventions collectives, soit par une réglementation internationale.
Walter Durling, vice-président des employeurs, a relevé que le groupe des travailleurs faisait preuve d'un certain pessimisme quant aux conséquences des progrès techniques. Loin de renforcer les inégalités, l'évolution actuelle les atténue; elle facilite l'accès à l'information et amène par conséquent une libération. L'orateur s'est félicité d'une absence de réglementation qui stimulait la créativité de l'homme, l'hyperréglementation ne pouvant que l'étouffer. L'humanité devrait pouvoir circuler librement sur les nouvelles autoroutes de l'information sans être arrêtée par aucun panneau de signalisation. Tout le monde devrait avoir accès à ces autoroutes.
Tony Lennon a déclaré que, contrairement à ce que semblait suggérer le vice-président des employeurs, les travailleurs n'appréhendaient pas le progrès technique ni ne portaient sur lui un jugement négatif. Ce progrès entraîne toutefois dans son sillage toutes sortes de problèmes sociaux, comme la progression des formes d'emploi précaires et une réorientation des politiques sociales des gouvernements due à l'expansion des sociétés transnationales. Il faut remédier à tous ces problèmes. Si l'objectif principal est d'assurer un développement harmonieux, on ne saurait s'en remettre à un marché tout entier tendu vers une maximalisation du profit.
Pier Verderio, du groupe des travailleurs, a fait remarquer que nous passions par une phase de transition dont l'issue était incertaine. Celle-ci dépendra non seulement de l'évolution technologique, mais aussi de divers autres facteurs tels que la privatisation, la libéralisation du marché et la mondialisation. Tous ces facteurs sont étroitement liés. Personne ne peut dire avec certitude quel sera le nombre et la nature des emplois qui seront créés par le phénomène de convergence. La négociation, le dialogue et surtout la réglementation sont toutefois indispensables pendant cette période de transition. Il est, de toute évidence, nécessaire de fixer des règles. Même la demande de flexibilité doit être envisagée dans le cadre d'une réglementation. La convergence multimédia peut provoquer une crise en matière fiscale. Il est extrêmement compliqué de soumettre les produits immatériels du secteur du contenu à la TVA. Il y a le problème du financement de la sécurité sociale.
Frank Werneke, du groupe des travailleurs, a précisé que ce n'était pas l'ensemble du secteur de l'information qui connaissait une déréglementation -- les textes adoptés en Allemagne et par l'Union européenne prouveraient le contraire --, mais les aspects sociaux qui ne faisaient l'objet d'aucune réglementation. Les travailleurs ne sauraient accepter que l'on exclut le facteur travail de la nouvelle législation. Il faudrait demander instamment aux gouvernements de s'attaquer immédiatement à ces problèmes. Il y a déjà de nombreux problèmes qui se posent comme la disparition des emplois permanents. Aussi bien du côté des employeurs que parmi les travailleurs, beaucoup de membres ne sont plus liés à une organisation. Cela rend difficile, voire impossible, la conclusion de conventions collectives. Les gouvernements devraient fournir un cadre juridique de manière à structurer la société de l'information et de la communication au fur et à mesure qu'elle se développe.
Le groupe des travailleurs a fait valoir que, dans des secteurs qui emploient autant de free-lances que les médias et les arts graphiques, les travailleurs dits indépendants devraient être dans toute la mesure possible traités «exactement de la même manière que les travailleurs permanents». Ils ne devraient pas être eux-mêmes assimilés à des employeurs.
Kevin Tinsley, représentant du gouvernement du Royaume-Uni, a appelé l'attention sur le fait que le désir des travailleurs de voir les «indépendants» bénéficier des mêmes droits que les salariés se heurtait au besoin de flexibilité des entreprises obligées de répondre sans attendre aux inflexions du marché. Les gouvernements devront trouver un compromis entre ces deux désirs contradictoires. Les inégalités qui existent entre salariés ne sont pas à rejeter entièrement, car l'inégalité dont souffre une personne constitue souvent un stimulant pour une autre. Le problème de l'accès est toutefois un problème fondamental. On ne peut élargir l'accès qu'en abaissant le prix du matériel. Or la concurrence est généralement le meilleur moyen de faire baisser les prix.
Tony Lennon a déclaré qu'il souscrivait à l'idée de concilier sécurité de l'emploi et flexibilité, mais il a fait valoir qu'un juste équilibre restait à trouver au Royaume-Uni, où les travailleurs du secteur du contenu étaient appelés à faire preuve de flexibilité sur la question de la durée du travail, des périodes d'emploi, des conditions de rémunération et même de la vie de famille, alors même qu'ils n'avaient aucune sécurité de l'emploi, pas d'assurance sociale et pas de salaires réguliers. Il faut absolument corriger les inégalités de traitement entre les travailleurs du multimédia. Si les problèmes de ce secteur clé ne sont pas réglés immédiatement, ils risquent de s'étendre à d'autres secteurs.
Dominique Schalchli, représentant du gouvernement français, a demandé à ce qu'une distinction soit clairement faite entre les différents niveaux de discussion. L'impact de la convergence multimédia sur le secteur de l'information et des médias est au cœur du débat. On pourrait, en deuxième lieu, discuter des effets des nouvelles technologies de l'information sur le monde du travail en général et sur l'avenir du télétravail en particulier. Enfin, on pourrait pour élargir le débat évoquer la question de l'importance du processus de convergence pour la société en général. Il faut bien faire la distinction entre ces trois niveaux et se garder de toute généralisation.
Katherine Sand, du groupe des travailleurs, a fait remarquer qu'il était difficile de préserver le contenu local et la diversité linguistique et culturelle tout en abaissant le prix des produits. Un spectacle de qualité revient cher. Il est de l'intérêt tout à la fois des nationaux de tous les pays et des travailleurs de préserver le contenu local. Elle s'est dite intéressée par l'expérience du Canada, ce pays voisin du plus grand fournisseur de spectacles du monde.
Philip O'Reilly, du groupe des employeurs, a déclaré que les progrès de la convergence multimédia bénéficiaient dans l'ensemble aussi bien aux employeurs qu'aux travailleurs. Le rôle des gouvernements est de faciliter le développement de la société de l'information pour que leur pays participe à une évolution mondiale devenue inéluctable. La convergence multimédia est plus susceptible de créer des emplois que d'en détruire, et les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer: veiller à ce que des emplois soient effectivement créés. L'orateur s'est inscrit en faux contre l'idée que le multimédia favorisait une utilisation abusive du travail des journalistes et que l'internationalisation du contrôle des médias représentait une menace pour le contenu local. Les journaux néo-zélandais ont encore un contenu local malgré l'entrée en force de groupes étrangers dans leur capital. Les journalistes sont tout à fait favorables à une utilisation de leur travail dans le multimédia et en ligne.
Eszter Gérecz Kertészné, représentant du gouvernement hongrois, a déclaré que la société de l'information et le phénomène parallèle de mondialisation offraient des possibilités fantastiques aux petits pays comme le sien, en tant qu'ils leur permettaient, par le truchement de réseaux informatiques et de liaisons électroniques mondiales, de participer davantage à la vie scientifique et économique internationale. Ainsi qu'il a été suggéré dans un document sur la stratégie hongroise de l'information paru en 1995, le gouvernement hongrois a essayé de participer au travail d'initiation aux nouvelles technologies afin de permettre aux citoyens de profiter des nouvelles opportunités.
Réponse des membres de la table ronde
Barbara Motzney a précisé que les pouvoirs publics devaient avoir un rôle non pas passif, mais très actif de facilitateur. Bien qu'inévitable, le phénomène de convergence peut et doit être orienté et guidé. Ce ne sont pas les objectifs mêmes que les gouvernements doivent modifier, mais les moyens de les atteindre. Ainsi, une révision des modalités d'action du gouvernement est aujourd'hui à l'étude. Dans le secteur du contenu, le gouvernement canadien a, pour faire face aux changements en cours, lancé durant l'été 1996 une nouvelle politique de convergence qui faisait suite au renforcement de la concurrence, tout en maintenant une contribution appropriée de tous les acteurs du secteur du contenu et de la radio télédiffusion canadiens. L'idée que l'Etat puisse produire ou contrôler le contenu est étrangère au Canada, où les pouvoirs publics se conçoivent plutôt comme des facilitateurs et catalyseurs. Un dispositif de soutien a été mis en place dans le secteur artistique et culturel afin de favoriser les «voix canadiennes et les choix canadiens». Il faudrait revoir le dispositif pour s'assurer qu'il est bien adapté à un environnement multimédia, où de nouveaux secteurs et acteurs font leur apparition. Le gouvernement canadien est en train de mettre au point une stratégie du contenu canadien dans la société de l'information qui devrait être prête d'ici à la fin de 1997.
Pour Jürgen Warnken, la principale tâche des gouvernements est d'ouvrir le marché pour les fournisseurs d'informations. S'agissant des nouvelles mesures juridiques prises en Allemagne et, en particulier, du tout récent projet de loi sur les services d'information et de communication, le droit du travail est un domaine qui a été laissé de côté pour plusieurs raisons. Premièrement, il n'est pas encore possible de préciser la portée et la nature des amendements qui devront être apportés dans ce domaine. Les textes actuels sont suffisants pour faire face à l'évolution du monde du travail. On peut trouver dans le droit du travail actuel les réponses aux problèmes soulevés par des phénomènes nouveaux comme le télétravail. Il n'y a donc pas lieu de fixer de nouvelles règles. Pour ce qui est des personnes qui travaillent pour leur propre compte dans le secteur du contenu créatif, le pourcentage élevé des journalistes et des artistes indépendants n'est pas un phénomène nouveau. Beaucoup d'entre eux ne souhaitent pas entrer dans un monde trop réglementé. Bien que l'on puisse faire état dans ce secteur de travailleurs indépendants contraints d'accepter un emploi précaire, ces cas ne sont pas légion. Il faudrait donc garder cette question à l'esprit et la suivre de près à l'avenir.
Chris Warren a assigné aux gouvernements trois tâches essentielles. La première et la plus importante est de donner accès à cette nouvelle technologie. Pour cela, il faut une stratégie agressive, qui implique souvent de gros investissements dans les infrastructures publiques. Les gouvernements doivent par ailleurs favoriser très activement le contenu local pour tirer un bénéfice culturel des progrès techniques et éviter la mainmise totale des Etats-Unis. Enfin, les gouvernements ne doivent pas céder à la tentation de censurer les nouvelles technologies, comme les services en ligne. Même les Etats-Unis, qui ont pourtant toujours défendu la liberté d'expression, ne sont pas à l'abri de cette tentation. Alors, ne parlons pas des pays plus portés à la dictature. La question de l'utilisation multiple et de la réutilisation des œuvres produites par des créatifs salariés est importante. Ces travailleurs se félicitent, certes, des nouvelles possibilités techniques qui leur sont offertes, mais ils n'en ont pas moins droit à une part des bénéfices que les employeurs tirent des multiples utilisations de leur œuvre. En outre, les travailleurs culturels devraient avoir le droit de décider des multiples utilisations de leur œuvre. La question des droits moraux revêt une très grande importance dans le cadre de la convergence multimédia. Enfin, il est peut-être vrai que des travailleurs ont choisi d'être indépendants parce qu'ils voulaient plus de flexibilité dans leur travail, mais cela ne signifie pas qu'ils souhaitaient renoncer aux droits sociaux et professionnels fondamentaux qui sont reconnus aux salariés à temps plein. Il les ont même revendiqués, mais les employeurs les leur ont refusés.
La société de l'information:
un défi mondial
«Info-riches» et «info-pauvres»: un défi mondial
Kareem Boussaid(21)
Lors de la Conférence de l'Union internationale des télécommunications de 1994, M. Al Gore, vice-président des Etats-Unis, a éveillé l'imagination des participants et du grand public en exposant sa conception de ce qu'il appelait une infrastructure mondiale de l'information. Il a mis en lumière un problème que la Conférence de l'UIT et tous les autres organes, intergouvernementaux ou non, devaient examiner et s'efforcer de résoudre, le fossé qui risquait de se creuser au sein de la société de l'information entre les «info-riches» et les «info-pauvres». Il faudrait prendre des mesures pour combler en partie le fossé qui sépare les pays en développement des pays développés en matière de télécommunications. Il n'y a pas de société de l'information possible sans réseau de télécommunications puisque toutes les applications en dépendent. Or il est clair que ces réseaux sont inégalement développés. Les pays à revenus élevés, qui regroupent 15 pour cent de la population mondiale, possèdent 71 pour cent des lignes téléphoniques de la planète. La densité téléphonique, c'est-à-dire le nombre de lignes téléphoniques pour 100 habitants, a augmenté dans ces pays de 11 pour cent, passant de 38 à 49 quand elle ne progressait dans le reste du monde que de 0,5 pour cent, soit de 2 à 2,5. Cette répartition inégalitaire des lignes téléphoniques n'a pas véritablement évolué au cours des dix dernières années. Quelque cinquante millions de personnes attendent officiellement une ligne téléphonique et ce chiffre est vraisemblablement en deça de la vérité. Dans une étude récente, l'UIT a estimé qu'il y avait en Inde 10 millions au moins de demandes insatisfaites, soit trois fois plus qu'il n'y avait d'inscrits sur les listes d'attente officielles. En 1992, une cinquantaine de pays, représentant plus de la moitié de la population mondiale, avaient une densité téléphonique inférieure à 1. Tant que les infrastructures de télécommunications seront insuffisantes, la société mondiale de l'information demeurera une pure fiction.
D'une région à une autre, les chifrfres varient. Le cas le plus frappant est celui de l'Afrique qui, pour un certaine nombre de raisons, a accumulé les retards dans le développement de ses infrastructures de base. Les efforts qu'elle peut faire pour rattraper son retard sont annihilés par l'augmentation démographique. Positive en valeur absolue, la croissance est négative en valeur relative en raison de l'augmentation de la population. Le deuxième obstacle tient à l'absence d'investissements. Il faut considérer la question sous deux angles différents. Premièrement, les investissements dans les infrastructures de base ne représentent que 25 pour cent des recettes des télécommunications, alors que le double serait nécessaire pour parvenir à un résultat satisfaisant. Le deuxième problème tient au fait que les investissements n'assurent pas le même niveau de développement lorsque les infrastructures de base font défaut. Ainsi, 1 500 abonnés sont nécessaires dans un pays membre de l'OCDE pour constituer un réseau, mais il en faut 25 pour cent de plus dans un pays en développement. En outre, ces pays doivent payer le matériel en devises, ce qui, compte tenu de leur dette extérieure, pose un véritable problème.
Deux autres obstacles d'importance croissante tiennent à l'inadaptation des structures, c'est-à-dire à la réglementation et à l'insuffisance de la coopération régionale en matière de télécommunications. Nous avons par exemple une organisation régionale qui couvre quasiment toutes les régions géographique; or, en Afrique cette organisation existe sur le papier mais ne fonctionne pas véritablement. Au Moyen-Orient, l'Union des télécommunications a été dissoute et le conseil qui lui est lié n'a pas les ressources nécessaires pour mener une politique satisfaisante des télécommunications.
Les enjeux économiques de la société de l'information sont considérables: 500 millions de dollars environ ont été dépensés l'année dernière pour les télécommunications, mais des milliards pour l'électronique, les transactions financières contrôlées électroniquement, les transports, l'aviation, etc. Les énormes sommes engagées ne doivent pas laisser penser que la ligne de démarcation entre les «info-riches» et les «info-pauvres» suit celle qui sépare les pays développés et les pays en développement. Certains pays en développement, comme la Malaisie qui ont des politiques bien définies de l'information et des télécommunications, ont progressé rapidement alors que, même dans les pays les plus riches, l'accès à la technologie de l'information est très inégal.
J'ai dit au début de mon intervention que les télécommunications étaient la base, la pierre angulaire de la société de l'information. Elles supposent une infrastructure de base, mais elles servent elles-mêmes à leur tour d'infrastructure de base à tous les autres services. Pour mesurer les obstacles qui s'opposent à l'instauration de cette société de l'information et à un partage véritable des ressources de l'information, nous devons tenir compte d'autres paramètres et en particulier du taux de pénétration de l'industrie de l'information. Il faut examiner la répartition des ordinateurs par milliers d'habitants, des logiciels et des industries de l'interface et du protocole. La société de l'information repose sur la convergence des télécommunications, de l'industrie informatique, et de l'industrie du contenu. Ce troisième élément, qui englobe les banques de données, les services d'information, la production audiovisuelle, le cinéma, la photographie et d'autres produits audiovisuels, est très important.
L'industrie du contenu est à peine développée dans les pays en développement, si ce n'est en Inde et en Egypte. L'informatique est sous-représentée, mais il faut cependant mentionner un certain développement du secteur des logiciels en Inde et l'apparition d'un secteur de la technologie de l'information en Asie du Sud-Est. Pour ce qui est des télécommunications, la capacité de charge des réseaux des pays en développement est tellement faible qu'il faudrait un plan d'urgence assorti d'investissements d'un montant minimum de 200 millions de dollars pour opérer un redressement. Pour réduire cette facture, nous invitons nos partenaires de l'industrie, du secteur privé et du gouvernement à revoir les règlements afin de faciliter l'introduction des nouvelles technologies, du réseau câblé, des réseaux satellites et des réseaux de radio télédiffusion.
Convergence multimédia et problèmes sociaux
dans l'industrie des télécommunications
de Malaisie
Mohamed Shafie BP Mammal(22)
Les télécommunications constituent le principal secteur d'avenir en Malaisie. Les changements qui s'y produisent visent à suivre le rythme de l'évolution de la technologie des télécommunications, de l'informatique et des transmissions par satellite. Il devrait bientôt y avoir convergence de ces trois services cependant que se profile la société de l'information. La Malaisie est un maillon de l'information et des infrastructures mondiales qui ouvrent la voie à l'économie de l'information. Les opérateurs des réseaux de télécommunications du pays souhaitent par une mise à niveau des techniques et des services moderniser le réseau et constituer une réserve de travailleurs polyvalents. La toute nouvelle université des télécommunications, l'Université de Malaya, et différents collèges techniques proposent des cours sur les applications des nouvelles technologies. Le multimédia est un sujet très prisé par les étudiants qui savent que, quelle que soit leur spécialité, ils devront avoir des connaissances techniques suffisantes. L'intégration des différents systèmes d'information en une autoroute de l'information est inéluctable.
Le chômage structurel est apparu après que Telecom Malaysia et d'autres opérateurs du secteur des télécommunications eurent licencié nombre d'opérateurs manuels des systèmes analogiques. Le gouvernement, les employeurs et les travailleurs s'efforcent, avec l'aide des syndicats, de trouver les moyens de réduire l'impact du décalage entre les qualifications disponibles et les qualifications demandées. Le gouvernement a pour priorité le relèvement de la qualité de l'enseignement et, pour permettre aux jeunes travailleurs d'acquérir une formation polyvalente de qualité, il a levé en grande partie les obstacles à la poursuite d'études à l'étranger. Les établissements sont bien conscients du fait que, pour bien préparer leurs élèves, ils doivent leur assurer une solide formation en informatique.
Evolution des relations professionnelles. L'émergence du multimédia et la convergence des industries de l'information ont eu d'importantes répercussions sur le marché du travail et les salaires des travailleurs permanents, des travailleurs temporaires et des travailleurs à temps partiel. Les premiers sont syndiqués. Le syndicat s'assure que ceux de ses membres qui ont été licenciés reçoivent la formation nécessaire pour s'adapter au nouvel environnement. Cependant, les personnes qui signent des contrats et travaillent à domicile sur leur ordinateur personnel ou en réseau, et celles qui sont payées à la pièce -- en fonction de leur production -- sont hors du champ d'action des syndicats et associations, lesquels s'occupent des travailleurs permanents. Les conditions de travail des travailleurs d'appoint sont négociées individuellement, et les rémunérations peuvent donc fluctuer en fonction de l'offre et de la demande. L'efficacité des syndicats s'en trouve amoindrie puisque les travailleurs d'appoint et les travailleurs indépendants n'ont personne pour les représenter et coordonner leurs relations sociales et professionnelles avec l'employeur. Les fédérations de syndicats des télécommunications sont les mieux placées pour traiter les questions de représentation des travailleurs du multimédia.
Alors que nous approchons de l'ère des autoroutes de l'information, il subsiste des incertitudes; par exemple, le remplacement des anciennes qualifications par de nouvelles s'effectue-t-il au même rythme que les changements qui affectent le secteur du multimédia et de la technologie de l'information? Nous notons qu'il faut clairement faire la distinction entre la simple acquisition de nouvelles qualifications et l'adaptation à de nouvelles méthodes de travail lorsque les compétences anciennes sont devenues obsolètes. Le gouvernement envisage très sérieusement de donner aux écoliers une bonne formation en informatique.
L'évolution future des relations professionnelles dans le domaine de la technologie, de l'information et du multimédia. Le Conseil consultatif national du travail de Malaisie, en sa qualité d'organe tripartite, est bien placé pour débattre des répercussions de la convergence multimédia sur l'emploi. Il discutera de l'externalisation du travail multimédia courant.
La convergence multimédia:
l'Afrique en ligne de mire
Wilfred Kiboro(23)
En cette fin de XXe siècle, la presse est confrontée en Afrique à des problèmes graves et immédiats. On lit moins les journaux, et les jeunes se tournent vers d'autres médias pour s'informer et se distraire. Les journaux attirent de ce fait de moins en moins d'annonceurs, et ils sont de plus en plus confrontés à la concurrence du Web en tant que sources d'informations et supports publicitaires. Le support matériel devient de moins en moins important, et pour ainsi dire sans intérêt. Les revues sont diffusées électroniquement. Les livres deviennent interactifs. Des films sont enregistrés sur disques laser. Des interviews paraissent sous les formes les plus variées. Les moyens de diffusion d'une œuvre artistique ne sont plus immuables.
Le présent colloque sur le multimédia est la première occasion qui nous est donnée à tous, gouvernements, employeurs et travailleurs, de reconsidérer l'impact d'une telle évolution dans nos sphères respectives, et peut-être de formuler des recommandations quant aux sujets d'intérêt commun. Il ne fait aucun doute que le multimédia séduit de plus en plus un éventail très large d'entreprises. Les divertissements, les applications pédagogiques, la publicité, les jeux vidéo, les services d'information, la télévision, la télévision par câble sont tous en train de devenir fortement interactifs. On peut difficilement dire aujourd'hui où s'arrêtent la télévision et le câble et où commencent les applications interactives.
Dans les pays en développement et dans beaucoup d'autres régions du monde, l'information, composante essentielle du multimédia, est toujours contrôlée par les gouvernements. L'obligation faite aux journaux, aux stations de radio et de télévision, et même aux journalistes, dans certains cas, de solliciter une licence demeure un moyen de contrôler le flux d'informations et d'exercer une sorte de censure. Les pays d'Afrique et les autres pays en développement qui éprouvent encore le besoin de subordonner l'octroi de licences à des conditions très strictes devraient peut-être revoir leur position, car celle-ci ne favorise guère le développement des médias et pourrait même laisser le pays désespérément à la traîne. Dans le monde d'aujourd'hui, il ne paraît pas très raisonnable de vouloir contenir la technologie dans des limites géographiques étroites.
Le deuxième point que j'aimerais soulever concerne l'accès à l'évidence inégal des pays développés et en développement à l'information. La plupart des serveurs Internet sont implantés aux Etats-Unis, et les autres principalement en Europe. Cette situation inquiète ceux d'entre nous qui viennent des pays en développement. Les «info-riches» continueront-ils à dominer les «info-pauvres» pour la simple raison qu'ils ont accès à l'information et à des techniques plus évoluées?
Enfin, les changements radicaux qui sont en train de se produire sur le lieu de travail suscitent de profondes préoccupations. Dans les années à venir, le mot «travailleur» sera encore plus difficile à définir. Parmi ceux qui donnent au multimédia son contenu, il est très difficile de distinguer le journaliste de l'éditeur et du technicien qui réunira le tout. A quel moment interviennent les travailleurs des télécommunications ou le personnel de la télévision et des autres organismes qui créent des produits nouveaux? Autrefois, dans le secteur de l'imprimerie, par exemple, il y avait les imprimeurs, les journalistes, les commerciaux, etc., mais aujourd'hui tout le monde est réuni au même endroit dans le même bureau. Je comprends donc parfaitement la crainte que peuvent éprouver les syndicats à l'idée de céder du terrain. Les employeurs devraient prendre en considération cette préoccupation des travailleurs. En l'absence de toute plate-forme pour les négociations collectives, les droits des travailleurs seront-ils automatiquement respectés par les employeurs? Les travailleurs peuvent-ils s'en remettre aux employeurs pour la défense de leurs droits? Bien que ces questions ne soient pas à l'ordre du jour de ce colloque, j'espère que les trois groupes qui sont représentés ici finiront pour le moins par mieux comprendre les préoccupations des uns et des autres.
Je représente pour ma part un groupe d'employeurs. Pour les employeurs, la question essentielle est celle de la survie. Le but du jeu est de rester dans les affaires, de survivre et de prospérer. Si nous n'y parvenons pas, il n'y a pas de garantie de l'emploi possible. Par ailleurs, les travailleurs doivent se demander sérieusement s'ils auront toujours un emploi demain.
Je pense que les personnes qui ont une solide formation de base auront probablement beaucoup moins de mal à s'adapter aux innovations qu'entraînera la convergence multimédia. Cependant, en Afrique, comme dans les autres pays en développement où la plupart des travailleurs n'ont même pas fait d'études secondaires, c'est une toute autre donne qui se profile. Il ne sera pas facile de recycler ces personnes pour leur permettre d'affronter les problèmes que créera ce nouvel environnement. Il faudra bien, un jour ou l'autre, s'occuper de ce problème.
Parmi les problèmes mondiaux que pose l'explosion du multimédia sur le lieu de travail, il faut citer:
a) l'évolution de la notion de travailleurs. Cette évolution appelle des ajustements et en particulier une réforme de l'enseignement de nature à préparer les futurs travailleurs aux tâches qui les attendent sur leurs lieux de travail. Les entreprises doivent former des travailleurs polyvalents, car dans le monde du travail d'aujourd'hui, et plus encore dans celui de demain, on ne saurait se contenter d'une seule compétence;
b) la sécurité de l'information, surtout en ce qui concerne les transactions financières;
le déclin des syndicats, l'affaiblissement du pouvoir de négociation collective des travailleurs et tout ce que cela implique; et
d) les différentes lois concernant le multimédia que les gouvernements devront faire passer.
Enfin, il faut se préoccuper de toute urgence des très fortes disparités de niveau entre les pays développés et les pays en développement dans le domaine technique. Dans cet ordre d'idées, on évoquera l'assujettissement persistant des pays en développement par les pays développés qui contrôlent les flux mondiaux d'informations, la menace qui plane sur les cultures autochtones et la nécessité de trouver un moyen de préserver notre diversité culturelle.
Le coût de la technologie de l'information doit être ramené à un niveau abordable. Je rêve du jour où les villageois africains pourront accéder à Internet depuis leur village, aujourd'hui privé d'eau et d'électricité. Nous espérons qu'ils pourront regarder Sky News sur leur téléviseur portatif mais peut-être n'est-ce là qu'un rêve.
La convergence multimédia: l'expérience égyptienne
Nagwa Abdalla Abd-El Hafez(24)
Avec la création de réseaux internationaux comme Internet et les nouvelles autoroutes de l'information, le monde est en train de se transformer en un énorme village planétaire, en une société mondiale de l'information. Le gouvernement égyptien a clairement exprimé son désir de participer à cette société et a dès lors mis l'accent sur le développement des secteurs de haute technologie, et en particulier sur la production de logiciels. Un travail important a été accompli dans les écoles et les universités. Un centre d'appui à l'information et à la prise de décisions (IDSC) a été créé au niveau gouvernemental. C'est un centre important chargé d'assurer une formation de haut niveau aux plus brillants des diplômés de l'université. Il fait appel à des experts et des consultants pour aider les organismes et les entreprises publics à se doter de centres informatiques et pour mener d'autres actions encore.
J'aimerais dire ici quelques mots sur le multimédia, sur son impact sur les enfants et sur ce que nous faisons aujourd'hui en Egypte pour préparer nos enfants à la société de l'information de demain. Nous nous livrons à des expériences pratiques au cours desquelles nous utilisons des programmes multimédia pour communiquer certaines informations aux enfants, et les logiciels dont nous disposons aujourd'hui permettent d'accéder à cette information, laquelle est présentée aux enfants sur le mode plaisant sous forme d'images, de dessins animés, de morceaux de musique et de vidéo-clips.
Nous avons créé une cité pour la production des médias appelée Cité du 6 octobre -- dans laquelle on trouve un centre d'information destiné spécialement aux enfants. Ce centre est équipé d'un réseau informatique qui permet aux enfants d'accéder d'une manière amusante et plaisante par simple effleurement d'un écran tactile à des jeux culturels et à des informations éducatives. Le but de ce centre est de permettre aux enfants de se familiariser avec le multimédia et les technologies de l'information en général. Nous avons entrepris la mise au point d'un logiciel spécial qui servira de guide multimédia. Nous avons également créé un programme multimédia qui permet aux visiteurs d'obtenir n'importe quelle information sur n'importe quel endroit de la cité et n'importe quelle manifestation intéressante.
Nous avons également créé une bibliothèque électronique. Nous avons rassemblé des encyclopédies et d'autres informations transcrites sur disque compact que nous tenons à la disposition de tout un chacun. Nous avons utilisé une tour de disques compacts comprenant 35 lecteurs, que nous avons reliée au réseau au moyen d'un programme multimédia. Pour obtenir l'information ou le disque compact désiré, il suffit à l'enfant d'effleurer l'icône correspondante. L'ouverture d'une bibliothèque électronique était le deuxième objectif de ce centre.
Notre troisième objectif était la création d'une bibliothèque classique pour enfants. Il suffit à l'enfant d'insérer dans la base de données le titre et la date de publication de l'ouvrage, pour retrouver ainsi celui-ci. Pour donner envie aux enfants d'utiliser l'ordinateur et leur permettre de se familiariser avec lui, nous avons ajouté une fiche «résumé» qui était tout particulièrement susceptible de les intéresser. Après avoir lu un livre, l'enfant peut en faire une évaluation personnelle sur l'ordinateur, évaluation qu'il pourra imprimer et ramener à la maison. Nous regroupons ensuite les résumés et critiques, qui nous permettent de réévaluer les livres en tenant compte du point de vue des enfants eux-mêmes.
Le quatrième objectif de ce réseau est de fournir un accès à Internet. Tout le réseau informatique est aujourd'hui relié à Internet au moyen d'une ligne que nous louons.
(Le conférencier a ensuite passé une cassette vidéo montrant des enfants en train de travailler sur un ordinateur dans le centre. On y voit également la démonstration du logiciel spécialement conçu pour la Cité des médias. Il suffit d'effleurer l'écran pour obtenir des informations sous forme de textes, de sons et de vidéo-clips. On y voit encore un enfant choisissant à la bibliothèque électronique un CD-ROM sur la musique pour se renseigner sur différents instruments musicaux. Enfin, une jeune écolière parle du résumé qu'elle a fait d'un livre.)
Pays en développement, l'Egypte doit préparer ses enfants à la société d'information de demain dès l'école. Nous devons faire en sorte que les enfants savent d'entrée de jeu utiliser un ordinateur. En Egypte, nous avons commencé à familiariser les enfants avec l'ordinateur, divertissement et source d'informations.
Discussion générale sur la société
de l'information: un défi mondial
Thomas Lukusa Tshiananga, du groupe des travailleurs, a rappelé aux participants la situation catastrophique dans laquelle se trouvait son pays, le Zaïre. Les pouvoirs publics ont délibérément détruit le réseau téléphonique public pour favoriser le secteur privé et les réseaux satellitaires. Rares sont les personnes qui ont accès à ces services. Même l'information de base est hors de portée du plus grand nombre. Les quotidiens coûtent plusieurs fois le salaire mensuel d'un fonctionnaire, et même d'un professeur d'université ou d'un médecin. La plupart des Zaïrois doivent se contenter de lire les gros titres des journaux en passant dans la rue.
Chris Pate, secrétaire du groupe des travailleurs, a insisté sur le fait que la mondialisation avait nettement accentué la polarisation entre riches et pauvres dans ce domaine du multimédia. C'est ce que montre le secteur de l'imprimerie au Zimbabwe et en Zambie, qui risque de disparaître complètement avec l'ouverture des frontières au commerce international. Or cette disparition priverait les deux pays de la base nécessaire au développement du multimédia. Pour éviter cela, les gouvernements devraient utiliser certains mécanismes de soutien, comme l'ont fait les Canadiens. Toutefois, les pays en développement n'ont ni les ressources ni le pouvoir politique nécessaires à cet effet. Il incombe dès lors à l'OIT et au système des Nations Unies dans son ensemble de soutenir les initiatives, qui seraient coordonnées au niveau international. Sinon, la polarisation entre riches et pauvres ne fera que s'accentuer.
Carlos Alberto de Almeida, du groupe des travailleurs, a évoqué l'énorme fossé qui sépare les pays pauvres des pays riches, et a fait remarquer que c'était surtout dans le secteur de l'information que l'on pouvait constater une concentration toujours plus grande du pouvoir entre les mains de quelques-uns. S'en remettre aux mécanismes du marché, c'est priver de tout débouché les produits d'information nationaux, déstabiliser les centres de recherche des pays en développement et surtout affaiblir les cultures nationales. Il s'est demandé s'il ne serait pas possible d'organiser une conférence internationale sur les communications pour examiner ces questions, comme l'avait proposé son syndicat, la Federación Nacional de Périodistas (Brésil), de concert avec la Fédération internationale des journalistes.
Aidan White, de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), a fait part de la préoccupation que lui inspirait le phénomène d'exclusion qui frappait ceux qui n'avaient pas accès à la technologie de l'information. Il s'agit d'un problème non seulement technique mais de ressources humaines. Les besoins d'initiation aux nouvelles technologies de l'information sont considérables. L'OIT devrait s'intéresser à la meilleure utilisation possible des ressources dans le monde de demain, seul moyen d'éviter que l'écart ne se creuse entre «info-riches» et «info-pauvres».
Tony Lennon, du groupe des travailleurs, a évoqué le problème de la domination culturelle que posait l'utilisation par le nouveau centre d'informations destiné aux enfants égyptiens de logiciels fournis en anglais par Microsoft. Le marché arabe n'est apparemment pas encore assez important pour que ces programmes d'ordinateur soient traduits dans les langues locales. Il y a des raisons de douter de la volonté des industries du multimédia de fabriquer des produits locaux dans les pays les moins développés financièrement. L'intervenant ne partage pas l'optimisme de certains quant à la rentabilité de l'édition multimédia. L'exemple du Nord et, en particulier, l'échec des services d'abonnement sur Internet apportent un démenti à cette vision optimiste des choses.
George Mensah Aryee, du groupe des employeurs, a mis en doute le lien que d'aucuns établissaient entre le développement des télécommunications et la croissance démographique. La surpopulation est-elle vraiment un obstacle à l'amélioration des infrastructures de télécommunications? Selon lui, l'insuffisance des politiques des pays en développement en matière de télécommunications serait due uniquement à des problèmes de financement. Les gouvernements des pays en développement ont énormément de mal à réunir les fonds nécessaires à l'achat de biens et de services dont les prix sont en fait imposés par les pays développés. Pour ce qui est du rapport coût-efficacité, la politique de compression systématique des coûts pourrait donner naissance à une société où les robots auraient pris la place des hommes. C'est là une tendance qu'il faut surveiller de près.
Réponse des membres de la table ronde
Kareem Boussaid a évoqué un certain nombre de conférences organisées par des organisations internationales qui traitaient de questions d'actualité ayant un rapport avec le secteur des médias et des télécommunications. L'UIT organise tous les quatre ans d'importantes conférences sur ce thème; la dernière s'est tenue à Buenos Aires en 1994, et la prochaine devrait avoir lieu en 1998 à Malte. La Banque mondiale doit tenir une conférence sur le savoir au service du développement à l'ère de l'information en juin 1997. Par ailleurs, l'UIT collabore avec l'UNESCO depuis 1989 afin de faire progresser l'idée de taux préférentiels pour le multimédia, d'entreprendre des études sur la communication et d'élaborer de concert une politique internationale des télécommunications. S'agissant de la question de savoir s'il était possible financièrement d'élaborer des produits locaux pour éviter la domination culturelle, il a fait remarquer qu'en principe le marché devait couvrir ses coûts de développement et que certains marchés étaient trop exigus pour que ce soit possible. Cependant, les actions et politiques publiques peuvent être d'une très grande utilité dans la mesure où elles pèsent sur ces marchés, comme l'exemple de l'Egypte le montre. Cependant, le rôle que pourraient jouer les organisations internationales dans la fourniture de services ne soulève pas seulement un problème de faisabilité, mais aussi des problèmes politiques. Lorsque l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a adopté une annexe à l'accord sur les télécommunications, l'Union européenne a refusé d'en étendre l'application aux produits audiovisuels, rendant ainsi impossible toute offre de services dans ce domaine. La croissance démographique n'est pas en soi un obstacle au développement des télécommunications, mais il y a un lien entre les deux dans la mesure où le niveau de développement de l'infrastructure des télécommunications se mesure au nombre d'abonnés pour 100 habitants. Le principal facteur de progrès est la réorganisation du secteur des télécommunications. La privatisation et la libéralisation stimulent le développement, comme on le voit en Amérique latine et aux Caraïbes. Les facteurs de production locaux peuvent aussi être un obstacle à l'amélioration de l'efficacité. Ainsi, le coût d'une ligne téléphonique dans des pays tels que le Bénin, le Burundi, le Mali ou le Tchad est de 20 000 dollars, contre 1 500 dollars en moyenne ailleurs.
Wilfred Kiboro a déploré la situation désastreuse qui régnait au Zaïre mais a expliqué que ce n'était pas le seul pays africain
où les gens ne pouvaient pas se permettre d'acheter un journal. Dans beaucoup de pays africains, le tirage des journaux
comparé au chiffre de population est extrêmement faible, probablement inférieur à 0,001 pour 100 000 habitants, mais
chaque exemplaire est lu par pas moins de 20 personnes. La convergence multimédia pourrait favoriser une baisse du prix
des journaux, comme cela a été le cas dans l'entreprise de presse de l'intervenant. Les coûts de distribution devraient baisser
fortement avec la mise en service d'un système d'impression par satellite; il ne sera alors plus nécessaire de transporter les
journaux par camion dans tout le pays. Toutefois, la convergence multimédia et le processus concomitant de la
mondialisation placent les pays du tiers monde dans un état d'infériorité très marqué. Les moyens d'impression et la
radiotélédiffusion sont déjà entre les mains de quelques grands groupes occidentaux. L'Afrique est inondée de films
américains qui exaltent les valeurs occidentales et qui ne s'intéressent guère aux valeurs sociales ou religieuses locales. Dans
le monde des médias, en général, l'Afrique est vue par le reste du monde à travers les yeux d'étrangers qui ne comprennent
rien à sa situation socio-économique. Les nouvelles technologies informatiques et l'écart grandissant entre info-riches et
info-pauvres risquent même d'aboutir à ce paradoxe que les informations concernant l'Afrique viendront non pas du
continent lui-même, mais de New York ou de Baltimore.
Tendances de l'emploi
dans la société de l'information
L'adaptation à la clientèle des marchés
de la technologie, des services,
des biens et du travail
Marie-Louise Thorsén Lind(25)
Le présent colloque porte sur la transition vers une société de l'information susceptible d'offrir d'immenses possibilités aux individus comme aux entreprises du monde entier et d'ouvrir de nouveaux espaces à la croissance économique et au bien-être social. Pourtant, à la lecture de l'ordre du jour de ce colloque, j'ai commencé à me demander quel pouvait être l'objet de ces discussions. Sommes-nous ici pour remettre en question les avantages d'une technologie qui rassemble déjà les gens ordinaires à un rythme puissant et leur fournit de prodigieux moyens d'améliorer leur vie professionnelle et individuelle?
Les sociétés d'aujourd'hui sont en rapide mutation vers une réalité que nous commençons seulement à comprendre. A quoi pourraient bien parvenir les partenaires sociaux en essayant de guider le cours de cette technologie qui est utilisée non seulement dans les synthétiseurs, les lecteurs CD, les systèmes de communication numériques et les publications assistées par ordinateur, mais aussi dans toute une gamme de produits, tels que les systèmes de freinage ABS, les montres, les cuisinières, les ascenseurs, les appareils auditifs, les stimulateurs et l'étonnante chirurgie au laser. Au départ, ce concept de société de l'information ne concernait que les personnes maniant l'information et non pas celles produisant des biens. Il a été inventé par l'Américain John Nesbit dans les années soixante-dix. Depuis, cette société de l'information s'est progressivement transformée en une société du savoir qui est probablement un moteur plus puissant pour les marchés mondiaux d'aujourd'hui et de demain que la numérisation, qui est le sujet du présent colloque. Néanmoins, cela ne diminue en rien l'importance d'une technique qui a fait ses preuves en tant qu'outil de création sur les marchés mondiaux pour les médias, les soins de santé, les communications, les industries manufacturières, le commerce de détail, les assurances, la banque et dans d'autres domaines où le travail des uns profite aux autres.
La vie dans la société moderne est elle-même déjà très numérisée. Nous utilisons la technologie de l'information dans la voiture et à la maison. Nous l'utilisons au bureau; elle sert à contrôler toutes sortes de choses utiles telles que les avions qui nous ont amenés ici à ce colloque. Nous l'utilisons pour sauver des vies dans les unités de soins intensifs et nous l'utilisons pour apprendre avec l'aide des nouveaux médias. Cette évolution n'est pas guidée par la technologie mais par des individus. La technologie de l'information a été créée par les gens et ils s'en servent maintenant pour rendre de nouvelles choses possibles.
Jusqu'ici j'ai ajouté trois nouvelles tendances -- mondialisation, compétence et créativité humaine -- à l'ordre du jour de ce colloque. Ces tendances sont évoquées dans le document de travail et sont généralement considérées comme de puissants moteurs du changement des sociétés actuelles. En raison de la nature sociale de ce colloque, je me concentrerai sur une autre tendance -- l'adaptation massive à la clientèle. Depuis les années soixante-dix, cette tendance gagne des entreprises dans pratiquement toutes les branches à travers le monde, y compris les médias et l'industrie de l'information, en les forçant à changer simplement pour pouvoir rester dans la course et être capables de continuer à fournir des emplois. Adapter un produit à la clientèle, c'est le rendre spécial. J'utilise les termes «adaptation massive à la clientèle» pour décrire la nécessité tant pour les employeurs que les salariés de créer de la valeur pour les consommateurs qui sont les véritables décideurs sur les nouveaux marchés mondiaux.
Permettez-moi d'illustrer ce point de vue en remontant à 1975, époque à laquelle j'ai commencé à travailler dans l'industrie de l'information. A cette époque, c'était un véritable paradis pour les techniciens. Les consommateurs n'avaient qu'à accepter les systèmes créés par des personnes expertes en informatique mais pratiquement imperméables aux besoins des usagers. Nous avons maintenant des logiciels de PC tels que Word et Windows, qui sont conçus pour le consommateur.
Un besoin similaire d'adaptation à la clientèle a rapidement modifié le visage de l'industrie manufacturière. Souvenez-vous du début des années quatre-vingt lorsque les fabricants de voitures du monde entier ont découvert que les clients optaient pour des voitures japonaises de bonne qualité et bon marché qui pouvaient être adaptées aux souhaits des consommateurs et même être livrées plus vite et dans les délais. Les fabricants de voitures du monde entier ont dû eux-mêmes s'adapter à leurs clients tout simplement pour rester dans la course.
La même chose est en train de se produire dans la banque et les assurances, deux domaines qui sont en train de fusionner. Dans mon pays, vous pouvez vous assurer et obtenir un prêt immobilier au bureau de poste. Vous allez à la banque quand cela vous convient à l'aide d'un téléphone ou d'un PC. De la même façon, les gens commencent à faire leurs achats en dehors des villes où ils peuvent trouver toute une gamme de produits de haute qualité à des prix nettement inférieurs. Le résultat est que les magasins du centre-ville sont en train de perdre des clients et doivent s'adapter. Cela est bien entendu en train d'imposer des changements dans la vie professionnelle et sur les marchés du travail. La technologie de l'information peut jouer ou ne pas jouer un rôle central dans ce processus, mais elle est rarement le facteur déterminant. Ce qui importe c'est l'usage que les personnes tournées vers le consommateur font de cette technologie. Ce qui importe c'est le rythme auquel cette technologie est remise entre les mains des personnes ordinaires et, enfin, la manière dont elles l'utilisent pour répondre à leurs propres besoins et à ceux de leurs familles.
Comment pouvons-nous guider le cours de cette technologie? La numérisation est à présent utilisée pour créer des avantages compétitifs sur les marchés caractérisés par un changement continu. Ceci rend d'autant plus difficile la tâche de prévoir l'avenir sur les marchés du travail qui ont toujours dépendu de la concurrence entre les produits et les individus. Jusqu'ici les employeurs et les travailleurs du monde entier ont découvert que le meilleur moyen de rester dans les affaires était de suivre les vieilles formules telles que «ce sont les clients qui font les fins de mois» et «rester en tête est le plus sûr». L'amélioration constante est devenue le mode de survie des entreprises et des individus.
Tous ces changements sont le fait d'individus. Appelez-les forces du marché, si vous le souhaitez, mais ces forces brutes du marché c'est vous, c'est moi. Nous intervenons sur le marché lorsque nous choisissons un programme télévisé, faisons nos courses quotidiennes, achetons des vêtements, des voitures, des réfrigérateurs et des appareils photographiques. Nous créons même des marchés par le fait que nous avons des enfants qui ont besoin d'une éducation et que nous avons nous-mêmes besoin de soins spécialisés à la fin de notre vie. A ce jour, personne n'a réussi à couler les hommes dans un même moule, que ce soit pour choisir avec qui vivre, quoi acheter, où aller ou avec qui faire des affaires. C'est nous, en tant que consommateurs, qui poussons à plus de flexibilité dans le travail. C'est essentiellement à cause de nous que les entreprises utilisent des méthodes et des techniques qui leur permettront d'élever la qualité et d'en abaisser les prix. C'est nous qui sommes à l'origine d'une demande de développement personnel continu et de ce qui semble être à première vue de nouveaux contrats sur les marchés du travail. Ces contrats ne sont pas seulement, soit dit en passant, des contrats de travail pas plus qu'ils ne sont essentiellement des contrats de courte durée. Ils associent, comme ils l'ont toujours fait, des emplois plus ou moins durables et des contrats commerciaux selon des modalités un peu différentes de celles qu'imaginaient les spécialistes du marché du travail au cours des cinquante dernières années. Les marchés du travail de demain sont en train d'être créés et recréés en ce moment même par les affaires que les gens concluent les uns avec les autres. Il s'ensuit des demandes de travail qualifié différentes et parfois imprévisibles. On y verra aussi une combinaison de contrats de travail et d'entreprise. Cela sera en partie déterminé par ce que vous et moi sommes en train de faire sur le marché et en partie par le cadre créé par la technologie, les méthodes, les compétences et la réglementation.
C'est un véritable défi pour ce colloque de commencer une discussion sur la manière de venir en aide à l'individu dans une société mondiale de l'information adaptée à la clientèle, fondée sur le savoir et en perpétuelle évolution, d'autant plus que nous savons maintenant que la réglementation de demain devra reposer sur une nouvelle base. Les règles d'hier ne fonctionnent plus. Elles sont rapidement contournées par le changement; elles créent parfois des obstacles à la prospérité et sont donc court-circuitées par les personnes mêmes que le législateur cherche à protéger. Nous devons nous livrer à tout un travail de réflexion, et je suis ravie d'avoir eu la possibilité de participer à ce processus.
Kevin Tinsley(26)
Je note quatre choses dans le présent document: i) certaines tendances récentes dans la croissance de l'emploi dans les industries multimédias; ii) les facteurs économiques présents dans le développement et la convergence des marchés multimédias et leur impact sur l'emploi; iii) l'évolution de la nature de l'entreprise et de son contrat avec l'individu; et iv) les principes de réglementation du marché du travail qu'il vaudrait mieux adopter.
J'affirme que les industries multimédias convergentes profitent largement tant aux travailleurs qu'aux entrepreneurs et que les deux parties devraient avoir toute liberté de conclure des contrats dans un cadre juridique minimal fixé par les pouvoirs publics. La réglementation, ou toute autre forme d'intervention, ne devrait être envisagée que dans les domaines où les informations peuvent s'avérer insuffisantes pour permettre aux personnes de prendre des décisions économiquement rationnelles. Les pouvoirs publics devraient, par leur intervention, limiter les risques d'échec du marché ainsi que les leurs en procédant à une évaluation tant des coûts que des bénéfices et en concevant des mesures compatibles avec les principes du marché. Ils devraient favoriser la décentralisation, séparer le producteur du fournisseur et, si possible, mettre en place des marchés là où il n'y en avait pas auparavant.
L'emploi dans les industries multimédias continue à se développer de manière sensiblement plus rapide que dans l'ensemble de l'économie. L'emploi dans les secteurs industriels étroitement liés au multimédia a augmenté de 15 pour cent au cours des trente derniers mois contre environ 6 pour cent dans l'ensemble de l'économie. La croissance dans la fabrication des équipements de communication a été de 23 pour cent au cours de la même période, tandis qu'elle était de 28 pour cent dans les services des télécommunications. De tels taux de croissance paraîtront sûrement modestes d'ici cinquante ans, en partie en raison de la convergence dans les marchés multimédias. Cette convergence a une double dimension: elle s'opère, d'une part, entre les industries multimédias elles-mêmes et, d'autre part, avec les autres industries manufacturières et les secteurs des services.
Les industries multimédias sont jeunes et en pleine croissance. Cinq facteurs apparaissent à des degrés divers à mesure que la convergence s'établit. Ce sont l'expansion, l'innovation, la concentration, la coopération et la compétition. Examinons-les les uns après les autres:
La présente analyse donne à penser que l'impact net sur l'emploi devrait être positif, notamment à long terme. Il faudrait, pour favoriser au maximum l'emploi, laisser ces facteurs se développer pleinement. Autrement dit, les pouvoirs publics devraient limiter au maximum leur intervention. Ainsi, ils devraient: i) fixer un cadre juridique pour les contrats; ii) n'intervenir qu'en cas de défaillance du marché; et iii) intervenir en cas de nécessité, d'une manière compatible avec le marché, en s'attaquant aux causes plutôt qu'aux symptômes.
La nature de l'emploi semble lentement évoluer à mesure que les échanges et la concurrence mondiale s'intensifient. Le travail temporaire s'est développé au cours des deux dernières années, mais reste faible au regard des normes de l'UE, et il a tendance à plafonner. Il n'y a guère de raisons de croire à une insécurité grandissante de l'emploi. La rotation globale du personnel n'a guère changé au cours des dix dernières années. La majorité des travailleurs occupent leur emploi depuis plus de cinq ans et environ 70 pour cent, depuis au moins deux ans.
Il n'en reste pas moins que des changements sont en cours et qu'ils affectent l'organisation de l'entreprise et le contrat qu'elle passe avec l'individu. Les entreprises sont en train de devenir plus petites et plus horizontales avec un écrasement de leur hiérarchie et un intérêt plus grand porté aux équipes et aux alliances avec d'autres organisations. Les décisions tendent à être plus décentralisées. Les entreprises gagnent en flexibilité sur un triple plan: sur le plan fonctionnel, lorsqu'un niveau de qualification élevé et la collaboration permettent le passage d'une tâche à l'autre, ce qui repousse les frontières de la profession et élargit les compétences individuelles; sur le plan numérique, par le biais des effectifs, de la durée du travail, de l'utilisation de personnel à temps partiel et temporaire; enfin, en ce qui concerne leurs rapports internes et externes, lesquels s'établissent sur la base de contrats formels ou informels.
Le contrat entre l'individu et l'entreprise est également en train de changer. Des faits isolés montrent que: i) la rotation du personnel dans le multimédia est nettement supérieure à la moyenne; ii) les personnes travaillent souvent en tant que travailleurs indépendants et non pas comme salariés même s'ils se retrouvent au côté des autres employés dans le même bâtiment œuvrant pour la même entreprise; iii) la promotion ne se fonde pas sur les qualifications formelles mais plutôt sur le rendement et l'aptitude; enfin, iv) la rémunération ne prend pas exclusivement la forme de salaires. Des récompenses intangibles, telles qu'un plus grand pouvoir dans l'entreprise, peuvent remplacer des gains purement monétaires. Importante également est la remise d'actions de la société, ce qui fait du travailleur un actionnaire. Tant le travailleur que l'employeur y trouve son intérêt. Le travailleur reçoit un avoir à la place d'un revenu; il est intéressé à la réussite de l'entreprise et il y injecte du capital.
De l'avis du gouvernement du Royaume-Uni, les principes fondant la réglementation devraient être les mêmes pour tout marché. Pour optimaliser la flexibilité, nous devons avoir le moins de rigidités possible. Le gouvernement devrait fixer un cadre juridique et appliquer le critère de défaillance du marché à toute réglementation proposée. Ce critère pourrait être appliqué, par exemple, aux questions de santé, de sécurité ou de discrimination.
De même, il faudrait, avant d'engager une action, soupeser les chances d'échec et le risque que les inconvénients l'emportent sur les avantages. L'action devrait être compatible avec le marché. Prenons, par exemple, l'action à mener en matière de sécurité et de santé: elle pourrait reposer sur le principe de la gestion des risques -- les entreprises étant seules juges -- et non pas sur un ensemble de réglementations détaillées et contraignantes s'appliquant à tous, indépendamment des circonstances.
Un marché du travail souple permet à l'entreprise de s'adapter rapidement aux changements économiques, tels qu'une variation de la demande ou de l'offre. Les individus ont avantage à appartenir à une organisation dans laquelle leur potentiel peut être plus facilement optimalisé. Les individus peuvent recevoir des avoirs ainsi que des revenus et jouir d'une plus grande liberté en acceptant des contrats de travail périodiques qu'en travaillant à longueur de semaine ou d'année. Un marché du travail souple favorise la prospérité des entreprises et ouvre donc de plus grandes perspectives d'emploi. Les avantages ne vont toutefois pas sans risques. Dans un marché du travail fluide, le risque dominant est le chômage.
Le chômage est un phénomène naturel dans une économie dynamique. Beaucoup de personnes au chômage un jour se trouvent entre deux emplois et réclament dans l'intervalle des allocations chômage. Le rôle de l'action gouvernementale pour ces chômeurs de courte durée doit être de fournir des revenus -- lorsque les gens sont réellement à la recherche d'un travail -- ainsi que des informations qui aideront le marché du travail à fonctionner de manière plus efficace. Néanmoins, la préoccupation essentielle du gouvernement doit être d'aider les chômeurs de longue durée à acquérir les qualifications nécessaires pour leur permettre de trouver du travail. En outre, les pouvoirs publics doivent aussi tenir compte des chômeurs de longue durée lorsqu'ils décident de la nature des réglementations applicables au marché du travail.
Les chômeurs de longue durée, et en particulier les personnes qui se sentent exclues du monde du travail, tireront au maximum parti d'un régime réglementaire limitant les rigidités sur le marché du travail. On ne pourra parvenir à une souplesse du marché du travail qui offrira les plus grandes possibilités d'emploi aux chômeurs qu'en limitant au maximum les réglementations qui s'y appliquent.
Il ne faut pas perdre de vue trois facteurs capitaux. Premièrement, lorsque les indemnités de chômage sont trop élevées, elles peuvent rendre plausible le départ des salariés dont les revendications salariales ne sont pas satisfaites. Cela renforce le «pouvoir interne» au détriment de la création potentielle d'emplois et désavantage ainsi ceux qui cherchent à travailler. Deuxièmement, les salaires minimaux limitent la dispersion des salaires qu'entraîne la déréglementation des marchés. Comme ils créent du chômage, ils ne sont pas un outil efficace de redistribution des revenus et peuvent même accroître l'inégalité générale. Troisièmement, les coûts du travail non salariaux et certaines réglementations sociales du marché du travail augmentent le coût de l'embauche et du licenciement de travailleurs. Ils découragent ainsi la création d'emplois et en particulier celle des emplois faiblement rémunérés qui mettent à la charge de l'entreprise des coûts non salariaux relativement élevés. Au Royaume-Uni, les coûts non salariaux du travail -- et notre taux de chômage -- sont parmi les plus faibles de l'UE. A notre avis, la souplesse du marché du travail, conséquence de sa déréglementation, y est pour beaucoup. Parmi les autres facteurs qui appellent une déréglementation, on trouve notamment les restrictions concernant la durée du travail qui peuvent gêner les jeunes industries en plein essor, telles que le multimédia, et freiner la création d'emplois.
En tant que gouvernement, nous devons nous préoccuper de l'ensemble de la population active et non pas uniquement des personnes qui travaillent. Si nous pensons qu'il vaut mieux laisser aux individus le soin de décider de leur contrat de travail, le plus grand risque qu'ils aient à faire face c'est le chômage. La réglementation du marché du travail doit donc être conçue pour aider les chômeurs dans toute la mesure possible. Une diminution de la réglementation du marché du travail favorise le plus haut niveau d'emploi possible.
Le marché est l'une des réussites suprêmes de l'humanité en matière de coopération sociale. Il a donné un pouvoir aux individus et les a libérés de la discrimination plus sûrement qu'aucune réglementation. Je crois aussi à la justice sociale et je me rappelle le point de vue de John Rawls, qui a déclaré que, pour assurer la justice sociale, il faudrait s'attacher à accroître les possibilités des plus démunis. C'est la raison pour laquelle il faudrait accorder un poids important aux chômeurs lors de la prise des décisions concernant la réglementation du marché du travail.
Le déplacement du travail dans le domaine
de la communication visuelle
Etienne Reichel(27)
Mon approche de la question du déplacement du travail est sectorielle et partielle. Je parlerai davantage des faits que des principes. Je représente une association qui s'occupe de communication visuelle -- textes, images et images animées -- et qui le fait depuis déjà un certain nombre d'années. Nous réunissons essentiellement des imprimeries. En d'autres termes, notre association réunit des personnes qui passent très douloureusement à la convergence multimédia.
Manifestement, on assiste à un déplacement du travail. Dans la branche graphique, les postes de travail déplacés sont de plus en plus nombreux. Ce phénomène a lieu quotidiennement avec la disparition d'entreprises et la création de nouvelles entreprises. Les entreprises ont le choix entre se lancer dans la convergence multimédia comme acteurs ou simplement comme partenaires; il y a aussi celles qui ne se sont pas engagées dans cette voie et qui probablement ne le feront jamais.
En Suisse, l'industrie graphique comprend environ 3 000 entreprises, essentiellement des maisons d'édition ou des imprimeries employant entre 1 et 500 salariés. A l'échelon européen, il y a environ 60 000 entreprises qui emploient approximativement 1 million de travailleurs et ont un chiffre d'affaires annuel d'environ 75 milliards d'écus. Il s'agit là d'une branche économique qui a pris récemment conscience de la nécessité de partager le monopole qu'elle détenait depuis près de quatre siècles dans le domaine de la communication. Le déplacement s'effectue à un rythme effréné en raison des progrès spectaculaires de l'électronique. L'interactivité, les possibilités de travail en groupe et l'instantanéité de la transmission de l'information engendrent un transfert d'activités.
Dans le secteur de la communication visuelle, ce transfert présente des similitudes frappantes avec l'avènement de la mécanisation dans la période de la révolution industrielle au cours du siècle dernier. En ce qui concerne la branche, on note des gains de productivité dans un domaine à forte valeur ajoutée qui exerce des effets accrus sur la composante humaine du processus de production et provoque des changements structurels, auxquels s'ajoutent ceux liés à la concurrence des nouveaux médias qui, depuis le début des années quatre-vingt-dix, connaissent l'essor que vous savez.
L'automatisation des méthodes de travail a entraîné une diminution de l'intervention de l'homme. Le transfert de données et la suppression de certaines phases de production (CTP par exemple) ont conduit à une réduction du nombre des emplois traditionnels de la branche. Le travail de 20 typographes est maintenant effectué par six travailleurs qualifiés. Il y a eu une concentration des centres de production qui s'est donc traduite par une pression très forte sur les petites et moyennes entreprises -- traditionnellement génératrices d'emploi. Pour l'heure, un épiphénomène dont la conséquence économique est importante mais de nature passagère, tend à l'atomisation partielle de la branche, tout au moins d'une partie de la production. L'informatique permet à des professionnels de s'installer et de produire. Près de 30 pour cent des salariés qui ont perdu leur emploi se mettent à leur compte et interviennent sur le marché.
Malgré l'ampleur de ces changements, l'industrie graphique ne pourra que bénéficier de l'avènement d'une convergence multimédia. Le produit multimédia continuera de s'accompagner de l'écrit même si la part de ce dernier sera plus monopolistique, comme cela a été le cas dans le passé. Quand la production multimédia augmente, l'écrit augmente également.
Parallèlement, les emplois dans l'industrie graphique ou les communications audiovisuelles sont dans une certaine mesure transférables au sein des unités de production. Nous savons par exemple que le traitement de l'image ou l'opération de mise en page sur le réseau nécessitent la coopération de différents spécialistes. Ce processus de création fonctionne avec succès.
D'importants progrès ont été accomplis mais il s'est révélé difficile de définir de façon claire, dans un souci de qualité, les nouveaux rôles des compositeurs, des animateurs ou d'autres spécialistes dans les industries de communication visuelle. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Le produit imprimé a une longue durée de vie. La convergence multimédia s'est traduite dans une large mesure par une accélération du temps, mais l'être humain semble avoir développé des anticorps. Si ce qui l'intéresse c'est l'extraction instantanée de listes d'information ou ce qui apparaît à l'écran, il souhaite toujours avoir un travail imprimé; il veut une belle image et il la veut palpable et non pas simplement sur l'écran.
Nous pouvons attester le transfert des places de travail sous l'effet de la convergence multimédia. Ceci démontre que toutes ces professions peuvent s'adapter. Il faut néanmoins conserver les règles gouvernant les conditions de travail et la formation professionnelle doit se poursuivre. L'entreprise doit être souple. Le partenariat social reste essentiel et nous permettra la mise en commun des efforts en faveur de la formation et du perfectionnement professionnel.
Discussion générale sur les tendances
de l'emploi dans la société de l'information
Chris Warren, vice-président des travailleurs, a noté que, si les orateurs précédents avaient affirmé que l'emploi était appelé à se développer dans l'économie de l'information, ils ne s'étaient pas étendus sur la nature des emplois qui seraient créés et sur les effets que ceux-ci auraient sur les personnes qui travaillaient effectivement dans la branche. Les travailleurs ont vu leurs droits et leurs conditions de travail gravement altérés. Désireux d'introduire plus de flexibilité, les employeurs font appel à des travailleurs «atypiques» en espérant qu'ils «subventionneront» les travailleurs permanents; de fait, ils leur refusent les mêmes droits et salaires. Utilisée par les employeurs dans les secteurs en plein essor de l'industrie du contenu, cette stratégie s'analyse en fait comme une tentative délibérée de remettre en cause bon nombre des acquis obtenus par les syndicats. Si ce problème est avant tout l'affaire des syndicats et doit être résolu par des négociations entre partenaires sociaux, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les travailleurs qui ont été contraints d'accepter des relations quasi contractuelles ou une relation de non-emploi soient à même de bénéficier du même accès aux organisations syndicales et des mêmes droits collectifs. Dans bon nombre de pays toutefois, le cadre juridique empêche ces travailleurs et syndicats de s'organiser de manière active. C'est le cas non seulement dans certains des pays les moins avancés mais aussi dans certains des pays les plus développés, comme les Etats-Unis. Les gouvernements doivent s'affranchir de cette fiction juridique qui veut que les personnes engagées dans une relation contractuelle aient le même pouvoir de négociation avec leurs employeurs et que, par exemple, «un journaliste free-lance détienne le même pouvoir de négociation que Rupert Murdoch».
Walter Durling, vice-président des employeurs, s'est demandé quels étaient les droits que les travailleurs avaient peur de perdre et quels étaient les acquis syndicaux remis en cause par les employeurs. La liberté de négociation est un droit fondamental inhérent à toute société démocratique et libre, un droit que ni les employeurs ni les travailleurs ne veulent perdre. La technologie peut rendre plus difficile l'exercice de cette liberté de négocier, mais elle ne la menace ni ne la supprime. Bien au contraire, elle nous assure une plus grande liberté et un développement social bien plus marqué que par le passé.
Tony Lennon, du groupe des travailleurs, a insisté sur le fait que ce n'était pas la technologie elle-même qui inquiétait mais ses effets, à savoir la concentration de la propriété et du pouvoir, une évolution des formes d'emploi, une remise en cause de la diversité et des produits fabriqués localement. Dès le départ, les travailleurs syndiqués ont considéré le droit de négocier comme acquis et cru fermement dans la représentation collective. C'est pourquoi le passage à une relation plus individualisée avec l'employeur qu'impliquent les nouvelles formes de travail les inquiète; ils y voient une modification des rapports de force aux dépens des travailleurs organisés et au profit de l'employeur. Les free-lances et les travailleurs dits indépendants exigent aussi des droits sociaux ainsi que la possibilité d'être représentés collectivement par un syndicat.
Ulrich Holtz, du groupe des employeurs, a insisté sur le fait que l'image du travailleur ayant besoin d'un représentant pour rétablir l'équilibre avec l'employeur appartenait au passé. Pendant les douze années qu'il a travaillé dans l'industrie, il a remarqué que les travailleurs étaient devenus de mieux en mieux préparés à prendre leur destinée en main, c'est-à-dire à négocier eux-mêmes leurs salaires et leurs conditions de travail. Par ailleurs, les employeurs de l'industrie multimédia ont pris conscience qu'ils ne pourraient survivre que s'ils offraient à leurs salariés de bonnes conditions de travail et de rémunération et des avantages substantiels.
Jürgen Warnken, représentant du gouvernement allemand, a souligné que le processus de convergence n'affecterait pas uniquement le secteur des médias, mais l'ensemble de l'économie de l'information, y compris le secteur bancaire et des phénomènes comme les achats et le commerce électroniques. L'orateur s'est déclaré sceptique quant aux potentialités commerciales et à la convivialité pour le consommateur de ces nouvelles pratiques. Il a fait allusion à un article sur les achats de Noël via Internet dans lequel un consommateur faisait part des déconvenues qu'il avait éprouvées en tentant d'accéder aux fournisseurs via Internet et d'imaginer à quoi ressemblaient en réalité les articles présentés sur l'écran. Le consommateur a finalement préféré se rendre dans un magasin où il pouvait voir et toucher les produits.
Tony Lennon a mis en doute l'idée que les nouveaux matériels audiovisuels puissent avoir une durée de vie courte. Le fait que les conglomérats multimédias ont de plus en plus tendance à acheter de vieux films ou des cassettes vidéo pour constituer un fonds constamment réutilisable porterait plutôt à conclure à l'inverse, à savoir à une très longue durée de vie du produit. La libéralisation et la déréglementation ne constituent pas les meilleurs moyens de répondre à la convergence multimédia. Récusant l'idée selon laquelle la diversité supposait une réglementation minimale, l'orateur a cité l'exemple de la radiotélédiffusion britannique où une réglementation très stricte avait assuré une très grande diversité que ce soit au travers des émissions destinées aux minorités ou du contenu culturel. Les industries liées aux télécommunications n'ont pas besoin d'une déréglementation pour prospérer. L'exemple de la British Telecom montre que l'entreprise privée la plus lourdement réglementée du pays peut faire des bénéfices colossaux. La réglementation peut assurer un service public de haute qualité qui satisfait aux exigences du secteur commercial.
Ulrich Holtz considère la privatisation comme le meilleur moyen d'assurer une diversité des produits. On peut le constater facilement dans le domaine de la radiotélédiffusion. Il y a dix ans, les téléspectateurs ne recevaient qu'environ quatre chaînes en Europe. Aujourd'hui, ils en reçoivent une cinquantaine dont un large éventail de chaînes étrangères qui offrent des possibilités de publicité pour les produits internationaux. C'est là la conséquence de la privatisation.
Réponse des membres de la table ronde
Marie-Louise Thorsén Lind a reconnu qu'il était pratiquement impossible de prévoir la nature des emplois en gestation. Personne ne peut prévoir l'issue de cet enchaînement rapide de changements qui se sont marqués, entre autres, par la création spectaculaire de biens, de services et de processus automatisés. Les marchés du travail sont déjà en train d'évoluer sous l'effet des changements. Les recherches récemment menées en Suède ont montré qu'on utilisait d'ores et déjà l'éventail existant des contrats employeur/employés pour promouvoir la souplesse. Certains travailleurs sont salariés, d'autres sont indépendants et d'autres encore sous-traitants. Les contrats sont actuellement établis en partie aux conditions des salariés et en partie aux conditions des employeurs. Il est probable que la situation restera inchangée sous réserve d'une légère tendance à l'augmentation du nombre des contrats commerciaux de longue durée. En dépit de la raréfaction probable des débouchés, il est néanmoins peu vraisemblable que la société bascule dans le chômage. Le marché du travail évoluant, les syndicats doivent, eux aussi, accepter la nécessité de changer faute de quoi ils risquent de ne plus pouvoir aider leurs membres à l'avenir.
Kevin Tinsley a expliqué que tout pronostic sur la nature des emplois en gestation reposait non pas sur des faits réels, mais sur des témoignages isolés. Selon ses sources, un plus grand nombre de personnes s'installeraient à leur compte non pas parce qu'elles y étaient contraintes, mais pour des raisons de convenance personnelle. L'emploi indépendant leur assurerait davantage de liberté et de meilleurs revenus. L'exemple de British Telecom, selon lui, ne plaide pas en faveur d'un renforcement de la réglementation mais d'une privatisation, étant donné que les prix se sont effondrés après la transformation du monopole public en une entreprise privée. Si l'on déréglementait British Telecom encore plus, on renforcerait la concurrence et on abaisserait encore plus les prix. Enfin, l'orateur a précisé que par «diversité» il n'entendait pas seulement la diversité culturelle, mais tout simplement la diversité des points de vue sur la manière dont la société devait être gérée. En l'absence d'un large accord sur la question au Royaume-Uni, la meilleure solution serait de laisser la plus grande liberté possible pour limiter le conflit.
Etienne Reichel a souligné la nécessité de la diversité et l'importance de disposer des moyens économiques d'y parvenir. Faute de quoi, un consommateur de l'information ne disposerait que de fast-foods et les fast-foods vieillissent plutôt mal.
Evolution du nombre
et de la nature des emplois
Quels emplois disparaissent?
Quels emplois sont créés?:
Le cas de la New Times Corporation
George Mensah Aryee(28)
Je structurerai l'exposé que je consacre aux problèmes de l'emploi soulevés par la convergence multimédia au Ghana et dans mon entreprise, la New Times Corporation, autour de trois grand thèmes: a) le processus de convergence -- sa nature et sa portée; b) son impact sur l'emploi et les conditions de travail; et c) l'évolution de la nature des emplois et des niveaux de qualification exigés.
Au fil des années, comme nous le savons, nombre de technologies nouvelles ont évolué au Nord et progressent à un rythme que la plupart des nations du Sud sont incapables de soutenir. L'énergie nucléaire, le génie génétique, les ordinateurs et les moyens de production électroniques affectent chacun d'entre nous et ont un impact sur la société et le monde naturel. Si ces percées technologiques génèrent de grandes quantités de biens et de services, elles consomment des quantités importantes de ressources naturelles, sans parler des millions de personnes réduites au chômage et désormais inemployables.
Au cours des dernières années, le concept d'assistance technique et de transferts technologiques transfrontières, associé à la notion de participation mondiale au développement, est devenu à la mode dans de nombreuses régions du monde. Le Nord offre au Sud des aménagements techniques à des conditions apparemment séduisantes, qui sont hautement rémunératrices. Ces technologies de pointe sont à la fois productives et séduisantes. Les ordinateurs et le matériel électronique promettent tous une puissance saisissante sur simple pression d'un bouton, la sortie de milliers de produits en un temps éclair. La séduction des transferts technologiques est telle que les sociétés sont aujourd'hui confrontées à une évolution rapide des techniques et des marchés qui suppose de la part des cadres dirigeants une capacité de faire face aux changements qui garantissent la pérennité et la croissance de l'entreprise. La New Times Corporation, entreprise de presse et d'édition dont je suis le directeur général, ne fait pas exception à la règle.
L'impact sur la New Times Corporation. Les grandes réformes engagées pour développer les infrastructures et l'industrie au Ghana ont démarré bien avant l'indépendance; elles visaient au départ à créer une base industrielle et à africaniser le personnel de la haute fonction publique et des entreprises publiques et privées. Un programme de choc a été lancé pour parvenir à l'autosuffisance et de là est née la New Times Corporation.
La New Times Corporation est une entreprise de presse et d'édition qui utilise des machines très variées. Certaines, rendues obsolètes par les progrès techniques, ont été remplacées. L'entreprise disposait au départ de rotatives à commande mécanique. Ce procédé d'impression impliquait une multiplicité d'opérations complexes et longues: collecte d'informations, linotypie, composition, gravure, retour au service d'information pour lecture, renvoi à la linotypie pour corrections finales et enfin impression sur rotatives.
Il était très tentant, du fait de l'histoire complexe de la New Times Corporation qui a été au départ l'organe d'un parti, de recruter des militants. Cependant, la décentralisation de la politique de l'emploi a permis de diversifier rapidement le recrutement. Ainsi, les services du personnel ont pu pourvoir les postes tout au long de l'interminable chaîne de fabrication. En 1974, la New Times Corporation comptait 633 postes de travail dont la plupart n'étaient pas qualifiés.
Les progrès techniques et les transformations sociales ont fait apparaître des formes et des conditions de travail nouvelles. Les changements techniques rapides ont pu avoir des effets destructeurs sur l'emploi en raison de l'intensification de la concurrence internationale et de la mondialisation. Mettant à profit les progrès techniques, la New Times Corporation est passée d'un procédé d'impression mécanique à un procédé électrique et électronique, ce qui a eu pour effet de simplifier radicalement le processus de fabrication. Le personnel était jusqu'alors nombreux puisque, selon nos estimations, la production seule mobilisait 288 personnes.
A la faveur de la modernisation, nous sommes passés de rotatives à commande mécanique à un système électronique d'impression rotative Offset. La composition et la mise en page informatisées qui utilisent au mieux le système de mise en page et les maquettes électroniques ont éliminé la linotypie et la mise en page manuelle qui obligeaient à couper les textes imprimés à la largeur des colonnes et à les assembler en une maquette avec les titres. Les stades de production ont été ramenés de six à quatre, le temps d'impression a été grandement réduit et le nombre des salariés est tombé à 78. Le journal est distribué beaucoup plus tôt dans l'ensemble du pays.
Des résultats similaires ont été enregistrés dans les imprimeries commerciales et dans les services comptables qui utilisent désormais des ordinateurs pour effectuer des opérations jusqu'alors accomplies manuellement. Le personnel de ces services a été réduit de 50 pour cent.
Ces transformations techniques ont imposé des restructurations pour tenir compte des nouvelles réalités. Ma direction a été confrontée, du fait même de la modernisation, à certains changements. Le coût social et les conséquences qui s'ensuivent sont énormes.
Plusieurs initiatives audacieuses ont été prises qui ont toutes pour but de relever le niveau de qualification du personnel, d'améliorer le bien-être et les conditions de travail et, fait plus important encore, de créer un environnement favorable au travail productif. L'un des buts fondamentaux de ces programmes était de restructurer et de simplifier les pratiques, les procédures et réglementations lourdes, dépassées qui avaient constamment pesé sur l'efficience, l'efficacité et la productivité dans l'entreprise et qui avaient miné le moral du personnel des décennies durant.
Il a fallu réorienter le personnel que la modernisation avait rendu inemployable et/ou inutile. La direction, en concertation avec le ministère de l'Information et le syndicat, a décidé de licencier ceux de ses salariés qui n'avaient aucune qualification et qui ne pouvaient pas suivre une formation. Pour ceux dont les qualifications, les talents et les connaissances pouvaient trouver à s'employer ailleurs dans l'entreprise, des stages de formation ont été organisés en informatique et en électronique afin de leur permettre de prendre la direction des services informatisés de comptabilité et d'impression des journaux ou de travailler en leur sein. Pour la première fois depuis de nombreuses années, des salariés ont suivi des stages de formation pour améliorer leur efficacité et leur efficience dans les domaines de la gestion et autres.
Nous devons créer un nouveau travailleur qui soit professionnellement formé, tendu vers un résultat, qui s'investisse dans sa profession, qui ait le souci de l'efficacité et une bonne intelligence de l'environnement complexe, concurrentiel dans lequel il doit travailler. Par ailleurs, la direction a entrepris de rechercher activement du personnel compétent, formé et plus qualifié afin d'améliorer l'efficacité de l'entreprise. C'est là un processus qui est en cours depuis maintenant trois ans.
L'idée était d'améliorer le niveau de qualification et les performances de nos ressources humaines afin d'assurer un renouveau institutionnel et de meilleures prestations de services. Les salariés qui pouvaient être recyclés ont reçu la formation qui convenait, cependant que ceux qui ne pouvaient suivre une formation ont été licenciés et ont perçu des indemnités.
La question est la suivante: doit-on en rester là? Il semblerait que des stages de formation doivent être organisés à l'échelon national à l'intention des travailleurs qui ont été licenciés du fait de l'introduction de nouvelles technologies et qui ont pu se tourner vers le secteur informel.
Perspectives en matière d'emploi
dans la presse américaine
Bernie Lunzer(29)
Il est difficile de saisir pleinement l'impact de la convergence sur le secteur de l'imprimerie. Les effets sont tout à fait considérables. Lorsque les gens pensent convergence, ils pensent souvent World Wide Web. Il existe actuellement quelque 200 sites d'information sur le Web aux Etats-Unis qui fonctionnent au quotidien. Nous pourrions les considérer comme des sites voués à l'information sérieuse.
Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'ils pourraient être moins nombreux l'année prochaine car le Web n'est pas rentable. On ne fait pas actuellement beaucoup d'argent sur le Web, au moins dans notre secteur. On avait fondé de grandes espérances sur les placards publicitaires, mais on reporte à présent ses espoirs sur les petites annonces. L'abonnement apparaît comme une formule vouée à l'échec. La vérité est que, lorsqu'on subordonne l'accès à un service à la souscription d'un abonnement, on prive son site d'une grande partie du trafic.
La Newspaper Guild représente des personnes travaillant sur environ 14 des 200 sites actuellement en fonctionnement. Nombre de ces personnes ont en fait un double rôle: elles se partagent entre le secteur de l'imprimerie et le Web. Dans l'ensemble, nous avons constaté une légère progression des effectifs dans les salles de rédaction, parmi les journalistes et les agents de production, et un léger recul dans les services. C'est là l'une des conséquences néfastes de la convergence. L'utilisation de réseaux grande distance et de réseaux locaux a en fait permis une assez large délocalisation des emplois dans les services. Prenons par exemple des journaux qui paraissent à Detroit, dans le Michigan, à Saint-Paul, dans le Minnesota, et même à San José, en Californie. Si, pour une raison quelconque, vous n'avez pas reçu votre journal, vous pouvez téléphoner pour en demander la raison. L'appel est transmis à Miami où il se trouve quelqu'un pour vous répondre et pour répercuter le message au journal local via le réseau grande distance. On a tenté ainsi, au prix d'un grand chambardement, de regrouper dans un centre régional un grand nombre de postes qui étaient jusqu'alors dispersés dans tout le pays. Si donc des emplois ont été créés dans les salles de rédaction, d'autres ont été supprimés dans les services.
En dépit de la faible rentabilité du secteur, les batailles juridiques font rage. Les droits de propriété intellectuelle sont à l'origine d'une formidable bataille dont les protagonistes sont les indépendants tout autant que nos membres qui relèvent de conventions collectives. Les contrats que les écrivains indépendants sont appelés à signer sont choquants. Il faut se souvenir que les écrivains indépendants sont très peu payés. Ils cèdent pour l'avenir tous leurs droits au directeur de la publication et reçoivent très peu en échange. Les directeurs de publication se battent pour avoir le contrôle et la propriété du produit parce qu'ils pensent à l'avenir.
Les questions de compétence et de sous-traitance donnent également lieu à des affrontements. Une affaire récente opposait des journalistes à un directeur de publications qui entendait donner une interprétation extensive à la clause de non-concurrence. La convergence a pour effet d'élargir la notion de concurrence. Bien que la rentabilité soit faible, les gens tentent de se préparer à toute éventualité en se dotant de moyens d'action nouveaux.
Pourquoi les directeurs de publications sont-ils sur le Web? Peut-être par peur d'être distancés. Chacun croit que cette technologie va évoluer dans un certain sens, mais personne ne sait actuellement lequel. Des alliances nouvelles se nouent entre différentes sociétés et différents types de médias. Les fusions se multiplient dans le secteur. La concentration du secteur des médias augmentant, d'aucuns se demandent avec inquiétude à quoi vont aboutir ces alliances et fusions. La concurrence entre les nouvelles sources diminuera et de plus en plus de journaux emploieront de moins en moins de personnes.
Un certain nombre de nos reporters qui travaillaient auparavant exclusivement pour la presse écrite ont désormais accès à la télévision. Soit la télévision utilise leurs articles, soit elle les interviewe. Certains de nos membres ont commencé à travailler comme exploitants de systèmes et responsables du courrier électronique qui est adressé aux différents sites du Web. Nous sommes préoccupés par le changement de nature de notre travail mais également par la qualité du contenu. La qualité du contenu diminuant, nous apportons beaucoup moins aux consommateurs, aux citoyens et à la société dans son ensemble.
Nos reporters voient la pression des délais s'accentuer, le produit de leur travail étant utilisé tout au long de la journée et non pas en fin de journée. Il y a également dans les salles de rédaction elles-mêmes un énorme problème de sécurité lié aux tensions à répétition. Certains perdent leur emploi entre 35 et 40 ans pour avoir été soumis à des tensions à répétition. C'est là un problème auquel on n'aurait même pas songé à l'époque de la machine à écrire. Le problème prend aujourd'hui de plus en plus d'acuité car il y a des gens qui travaillent huit à dix heures d'affilée sans quitter leur terminal.
Nous nous attendons encore à des changements rapides et nous nous efforçons d'y faire face au jour le jour. Nous ne sommes pas des gens qui ne savons que dire non. Nous nous efforçons dans la mesure de possible de travailler avec les employeurs. Nous croyons à certains projets de cogestion et avons travaillé avec les employeurs à l'amélioration du produit. Malheureusement, il existe beaucoup de concepts séduisants tels que le travail en équipe et la qualité des programmes de travail qui sont utilisés de manière cynique pour simplement simplifier les processus de fabrication et réduire le personnel. Nos membres s'enflamment pour les nouvelles technologies et en ont souvent une bien meilleure appréhension que beaucoup d'employeurs. Ils trouvent l'avenir excitant et ils tentent de le gérer au jour le jour. Où nous mène-t-il, nous ne le savons pas.
Comment les directeurs de journaux
peuvent préserver des emplois
et en créer de nouveaux
Heinz-Uwe Rübenach(30)
Comment les directeurs de journaux peuvent-ils préserver des emplois et en créer de nouveaux? La réponse dépend d'un certain nombre de facteurs au premier rang desquels le marché de la presse, le développement des nouveaux médias numériques et la relation entre les deux.
Si nous considérons le développement futur de la presse, la question qui se pose en tout premier lieu est de savoir si les journaux survivront. A l'heure actuelle, il ne fait réellement aucun doute que les gens continueront à lire des journaux. Il est exclu qu'au cours des prochaines années les nouveaux produits multimédias et les services en ligne puissent évincer les journaux. En revanche, les services en ligne peuvent d'ores et déjà concurrencer les journaux dans des domaines particuliers comme celui des annonces immobilières ou des offres d'emploi. Dans des domaines innovants comme l'annonce de forums ou l'achat de billets pour des manifestations exceptionnelles, ils sont même mieux adaptés et d'un usage plus commode pour le consommateur que les journaux puisqu'on peut les tenir constamment à jour et que les billets peuvent être commandés directement. Il se pourrait que les services multimédias l'emportent dans ces domaines. Cependant, à supposer que les journaux continuent de paraître en tant que tels, il n'y a pas lieu de penser que l'emploi est menacé. Les journalistes et les autres employés des journaux devront adapter leur activité aux nouvelles technologies afin de soutenir la concurrence et de préserver leur emploi, mais c'est en fait ce qu'ils font depuis longtemps. Nous voyons depuis plus de vingt ans les activités des journaux se développer et s'adapter aux nouvelles technologies. Les rédactions locales sont depuis des années reliées électroniquement aux rédactions centrales. Les journalistes produisent depuis des années sur leur propre ordinateur des pages prêtes pour l'impression. Le secteur doit continuer à encourager ces changements progressifs.
Nous avons aujourd'hui en Allemagne trop de typographes. C'est là la conséquence de certaines conventions collectives qui ont été conclues il y a une quinzaine d'années. Elles ne prenaient pas en compte la technologie de l'époque et elles sont encore moins adaptées en période de récession. Il faudrait réviser ces réglementations anciennes. Cela aurait dû en fait être fait il y a des années.
Le travail des journalistes a-t-il évolué ou doit-on s'attendre à des changements majeurs? Considérons les principaux aspects du travail journalistique. Les journalistes doivent fournir une information exacte, à jour, et, par conséquent, leurs conditions et leur temps de travail dépendent d'événements sur lesquels leurs employeurs n'ont en fait aucune prise. Cela a été vrai de tout temps et cela le sera encore à l'avenir. Les conditions de travail des journalistes doivent donc faire une large place à la flexibilité. Il ne devrait pas y avoir non plus de changement dans la structure du personnel. Les journaux emploient un grand nombre de journalistes free-lance et cela ne devrait pas changer. Il n'y a pas lieu de craindre une augmentation du nombre des journalistes free-lance aux dépens du personnel permanent car le domaine d'activité et les flux d'informations resteront inchangés. Le télétravail, quant à lui, n'est pas réellement un phénomène nouveau. Les rédactions locales sont depuis longtemps reliées aux rédactions centrales, ce qui leur permet d'échanger des informations et des produits par voie électronique.
J'aimerais en venir maintenant aux médias numériques. Un certain nombre d'entreprises de presse distribuent leurs journaux à la fois électroniquement et sous forme d'imprimés. S'il faut s'attendre à ce que des prestataires en ligne locaux et régionaux proposent certains services comme la vente de billets, la commande de marchandises et la banque électronique, ce sont en fait les entreprises de presse qui sont les mieux placés pour développer ces services. Ils ont dans le cadre de leur activité établi d'étroites relations avec l'administration, avec des organismes de toute nature, les entreprises et les institutions culturelles. Ils savent comment préparer et présenter l'information à des fins particulières. Les journaux devront certainement recruter pour développer leurs services en ligne, mais les journalistes seront également sollicités pour diriger des débats par exemple. Les services en ligne n'en sont qu'à leurs débuts, mais nous pouvons d'ores et déjà observer que de nouveaux emplois sont créés sans que pour autant des anciens soient supprimés.
Une revue allemande spécialisée dans le problème des médias(31) a récemment établi, après avoir étudié 45 services en ligne, que chacun d'entre eux employait en moyenne 5,84 personnes. Un grand nombre de ces services sont des entreprises nouvelles et, s'ils réussissent, leurs effectifs augmenteront.
Je me suis livré à une enquête similaire auprès de l'Association européenne des directeurs de journaux. Il en ressort que, au Royaume-Uni, au Danemark, en Suède, en Finlande et en France, chaque service en ligne emploie en moyenne trois personnes, plus précisément des journalistes. Ce sont des personnes nouvellement recrutées qui ne viennent pas des services de presse classiques. En Allemagne, une moyenne de six emplois permanents sont créés par service en ligne auxquels s'ajoutent cinq postes free-lance. Aucun poste n'a été supprimé dans les entreprises de presse à la suite du développement des services en ligne. Même s'ils ne sont pas absolument représentatifs ou complets, ces chiffres sont révélateurs d'une tendance générale: lorsque des journaux créent des services en ligne, ils créent des emplois.
On discute en Allemagne de l'émergence possible d'un nouveau type d'emploi, celui de journaliste en ligne. Le profil professionnel du journaliste a certainement évolué au cours des dernières années et il continuera à le faire à l'avenir, mais on ne peut en aucun cas parler d'une rupture totale ou d'un profil radicalement nouveau. Les journalistes doivent travailler normalement sur des ordinateurs et mettre à profit les nouvelles techniques pour être professionnellement efficaces et actifs. Ils ont appris à le faire afin de pouvoir vendre leurs produits. Le développement des nouvelles formes de présentation changera certes le profil professionnel mais pas fondamentalement.
Enfin, s'agissant de la relation entre la presse et les médias numériques, envisagée sous l'angle de la politique des médias, je crois que les directeurs de journaux devraient avoir libre accès à tous les services en ligne, qu'ils devraient pouvoir librement les proposer, qu'il ne devrait y avoir aucune restriction dans ce domaine et aucun problème de propriété.
Les droits d'auteur sont une des clés de la future société de l'information. Si une entreprise de presse qui offre le travail d'un journaliste, également dans le cadre d'un service en ligne, n'est pas en mesure de gérer et de contrôler l'utilisation du produit qui en découle, elle sera incapable de réunir les fonds nécessaires pour investir davantage dans la technologie. Sans ce financement, l'avenir devient moins prometteur et l'emploi risque d'en souffrir. Il est de l'intérêt de tous que les directeurs de journaux voient qu'ils peuvent tirer pleinement parti de leur investissement. Si tel n'était pas le cas, les coûts induits par les services en ligne augmenteraient considérablement. La pression de la concurrence sur le marché européen ne pourrait qu'augmenter puisque, en effet, les directeurs de journaux américains ne doivent pas payer pour des usages multiples.
Il importe que les prestataires de services puissent savoir exactement quels utilisateurs ont accès à un service en ligne déterminé et quel usage ils en font. Ils doivent avoir les moyens techniques de le contrôler de façon à s'assurer un refinancement.
Enfin, certains ont fait valoir qu'il faudrait familiariser les enfants des écoles avec le multimédia afin qu'ils apprennent très tôt à utiliser les services en ligne. En tant que directeur de journal, j'ajouterai qu'ils ne devraient pas se limiter à un seul média, voire au multimédia, mais ils devraient apprendre à utiliser la télévision, la radio et les journaux. Ils doivent apprendre à choisir le média qu'ils veulent utiliser à un moment déterminé. Il faut leur donner la possibilité de se tourner vers la source d'informations qu'ils jugent la mieux adaptée à leurs besoins.
Discussion générale sur l'évolution
de la nature des emplois
et des niveaux de qualification exigés
M. Michel Muller du groupe des travailleurs a mis en doute les différents pronostics qui faisaient état d'une création d'emplois par la société de l'information; il se fondait en cela sur le fait que la population active est souvent confrontée à la situation inverse, et notamment à des suppressions d'emplois. En France, les industries graphiques ont perdu au cours des dix dernières années 20 000 emplois, ce qui a ramené les effectifs de 110 000 à 90 000 et a obligé les entreprises à mettre sur pied des plans sociaux très coûteux pour favoriser le reclassement des personnes licenciées. Si les progrès techniques ont réellement créé des emplois, comme d'aucuns le suggèrent, il aurait été préférable de financer des études fiables sur les créations et suppressions d'emplois plutôt que des plans sociaux qui ont souvent créé des emplois artificiels. Ces études devraient mettre en lumière les compétences et qualifications rendues nécessaires par la convergence technologique et la disparition des barrières qui séparaient le secteur de l'imprimerie, le journalisme et les autres vecteurs de l'information. La convergence soulève un autre problème, celui de la concentration. Un petit nombre de grands groupes contrôlent non seulement l'ensemble de la presse écrite mais aussi un large éventail d'autres médias, ce qui met en danger le pluralisme. Il faudrait examiner les différents avantages fiscaux accordés à la presse et les adapter aux réalités nouvelles auxquelles sont confrontées les entreprises multimédias et de presse. La gestion de l'ensemble des problèmes sociaux et sociétaux soulevés par les nouvelles technologies exige un large accord. La conclusion de conventions collectives s'impose puisqu'aussi bien ni les négociations individuelles ni le marché ne peuvent régler seuls ces problèmes.
Tony Lennon du groupe des travailleurs est revenu sur la nécessité d'études approfondies concernant la nature et le nombre des emplois créés, études qui mettraient au jour les tendances régionales et sectorielles. La concentration soulève un double problème. Premièrement, du fait même des économies d'échelle qu'ils réalisent et de leur désir d'améliorer leur efficacité, les conglomérats multinationaux ont plus tendance que les sociétés nationales implantées dans un seul pays à réduire leurs effectifs et à s'opposer au personnel sur la question des conditions de travail et de rémunération. Deuxièmement, la concentration soulève des problèmes politiques et culturels dans la mesure où elle met en cause la diversité culturelle. Les Etats et les partenaires sociaux devraient protéger la diversité et la culture nationales.
Marie-Louise Thorsén Lind du groupe des employeurs a fait observer que la société de l'information apporterait non pas la concentration mais le pluralisme. Expression de ce pluralisme, de nouvelles formes de négociations sont apparues. Tous les travailleurs ne veulent pas de nos jours des conventions collectives; certains préfèrent les négociations individuelles. Il faudrait respecter un tel choix.
Nestor Cantariño du groupe des travailleurs a fait part des préoccupations que lui inspiraient les observations impliquant un rejet de la participation des syndicats dans les relations professionnelles. Les employeurs et même certains gouvernements peuvent préférer des négociations individuelles, mais de telles idées font planer une menace sur le tripartisme, tel que l'entend l'OIT.
Dominique Schalchli, représentant du gouvernement français, a fait remarquer que la question essentielle n'était pas de privilégier les contrats individuels aux dépens de la représentation collective mais de reconnaître que la conduite des négociations collectives devait évoluer.
Ulrich Holtz du groupe des employeurs a déclaré que ce débat était d'ores et déjà dépassé. Dans l'industrie du logiciel, un nouveau type de travailleurs est apparu. Ces travailleurs demandent plus de flexibilité dans leur travail. Il y a même une demande de flexibilité plus forte de la part des salariés que des employeurs. Le désir de flexibilité a souvent supplanté le revenu comme principal sujet de discussion.
Walter Durling, vice-président du groupe des employeurs, a insisté sur le fait que les conventions collectives ne devaient pas être un moyen d'entraver le progrès technique mais devaient l'accompagner.
Marco Biagi, représentant du gouvernement italien, a fait valoir que la raison d'être des conventions collectives n'était pas d'empêcher ou d'accélérer l'introduction des nouvelles techniques. Elle constituait simplement le meilleur moyen de réguler en souplesse les nouvelles formes de travail. Les négociations collectives étaient de loin la méthode la plus souple pour gérer les relations professionnelles et elles étaient donc généralement préférables à une réglementation et à une législation stricte. De nouveaux types de travail en sont encore au stade expérimental et les partenaires sociaux sont généralement mieux placés que les gouvernements pour faire œuvre de pionniers en les régulant.
José Luis Erosa Vera du groupe des employeurs a souligné que le multimédia en tant que tel n'existait pas. Ce qui existe ce sont certains services que des entreprises ou des secteurs peuvent assurer et certaines activités telles que le journalisme qui peuvent être régulées de multiples façons, y compris par la négociation collective. Les employeurs ne mettent pas en cause la négociation collective, mais ils récusent simplement l'idée qu'il existe un multimédia qui donne lieu à une négociation ou à une réglementation. Il peut y avoir une modernité, de nouvelles technologies ou une évolution de certains types de travail dans une entreprise ou un secteur donné, mais c'est tout.
Tony Lennon a répliqué que, s'il pouvait être difficile de décrire le secteur du multimédia, un certain nombre de branches distinctes connaissaient une évolution comparable et le processus devait être régulé par voie de conventions collectives entre les partenaires sociaux.
Le groupe des employeurs a souligné que, s'il n'était pas opposé aux négociations collectives en tant que telles, il s'élevait contre l'idée de faire des conventions collectives le seul moyen de réguler les conditions de travail dans un domaine donné de la technique. Une telle idée met à mal la liberté d'action de chacun. Chaque salarié a le droit de déterminer s'il veut négocier sur une base collective ou individuelle. Lorsqu'il recrute, l'employeur a pour but principal d'obtenir la collaboration de la personne en question et celle-ci ne collaborera que si les conditions de travail sont satisfaisantes. En bref, l'intention de légiférer est préjudiciable au développement de la société. On ne peut imposer par voie de loi des négociations collectives.
Tony Lennon s'est inscrit en faux contre cette idée et a souligné qu'on pouvait imposer par voie de loi des négociations collectives pour définir la fonction, les activités et les conditions de rémunération des salariés. Le progrès technique n'a pas remis en cause le pouvoir que les employeurs ont sur leurs salariés, et donc la nécessité de s'organiser. L'habitude qu'ont les salariés de s'organiser pour fixer les conditions de rémunération est bien antérieure à l'apparition des syndicats. L'histoire montre également que les négociations collectives n'excluent pas un haut degré de flexibilité puisque ce sont les travailleurs très qualifiés, indépendants et sans doute assez flexibles qui ont constitué les premières organisations collectives avant l'âge industriel.
Carlos Alberto de Almeida du groupe des travailleurs a évoqué les différences de situation entre les pays développés et les pays en développement, différences qui tenaient aux conditions particulières dans lesquelles avaient été introduites les nouvelles technologies. De nombreux pays du tiers monde ont vu les crédits de l'éducation largement amputés. Les travailleurs n'ayant aucune chance de recevoir une formation professionnelle, les nouvelles technologies ont aggravé le chômage. Alors que nombre de travailleurs ont été licenciés, le petit nombre de ceux qui avaient les qualifications nécessaires ont dû accepter de nombreuses responsabilités nouvelles. Cette multiplication des fonctions a entraîné un allongement de la journée de travail et, comme aucune augmentation n'a été consentie en contrepartie des responsabilités nouvelles, le salaire des travailleurs a en fait diminué. Faibles dans la plupart de ces pays en raison des conditions politiques existantes, les syndicats peuvent difficilement relever les nouveaux défis que sont le chômage structurel ou l'allongement de la journée de travail sans contrepartie équitable, sans parler d'autres problèmes comme la protection des droits d'auteur dont sont titulaires les journalistes. Le BIT devrait donc engager les gouvernements de ces pays à organiser des stages de formation et de recyclage. En outre, les syndicats devraient être informés par avance de l'introduction des nouvelles technologies. Ils pourraient alors établir des plans pour permettre aux travailleurs de s'adapter à ces technologies et engager des négociations collectives. Enfin, la presse ne touchant qu'une minorité de la population dans des pays comme le Ghana ou le Brésil, faute d'être à la portée du plus grand nombre, les gouvernements feraient bien de lancer des programmes pour stimuler l'expansion de la presse et du lectorat au lieu de faire porter tous leurs efforts sur les nouvelles technologies. Ces programmes contribueraient non seulement à relever le niveau culturel mais également à accroître le nombre des emplois dans le secteur.
Réponse des membres de la table ronde
Bernie Lunzer a fait observer que la rapidité des changements techniques donnait le vertige. Il est plus que jamais nécessaire d'assurer aux travailleurs une formation continue. Par ailleurs, les salariés ont besoin d'être véritablement représentés pour faire face aux nouvelles pressions. Aux Etats-Unis, les lois jouent contre les travailleurs. Une personne qui s'efforce de constituer un syndicat pour assurer une représentation collective a toutes les chances d'être licenciée. La négociation est assimilée à une conspiration et appelle une action antitrust. En bref, la situation dans laquelle se trouve le pays censé être le plus développé du monde est tout à fait déplorable.
Heinz-Uwe Rübenach a reconnu l'existence d'une tendance à la concentration dans les médias, mais celle-ci s'expliquait en partie par la nécessité de réunir les capitaux nécessaires à toute nouvelle avancée. Dans l'Europe continentale en général et en Allemagne en particulier, les conventions collectives apparaissent comme un bon moyen de réguler les conditions de travail. Cependant, les syndicats ont souvent demandé des conditions de travail qui étaient irréalistes. Ne s'accomodant plus de cet état de fait, des entreprises et des salariés ont entrepris de négocier des accords locaux, des accords d'entreprise ou même des contrats individuels pour fixer leur propre sort. Le manque de réalisme des syndicats a également mis en difficulté les unions patronales car les entreprises ne veulent plus être liées par des conventions collectives inacceptables. Préférant résoudre les problèmes à leur niveau, les entreprises ont commencé à quitter les unions patronales. C'est pourquoi Heinz-Uwe Rübenach demandait instamment aux travailleurs d'envisager de manière plus réaliste l'évolution future des conditions de travail.
George Mensah Aryee se félicitait de ce que les participants n'aient pas limité leur tour d'horizon aux pionniers du progrès technologique mais aient examiné également les problèmes particuliers des pays en développement. Les pays africains sont bien avancés dans la voie de la transition vers l'économie de marché et ils ont besoin d'un peu de soutien pour progresser techniquement. George Mensah Aryee a également souligné que les pays africains voulaient croire qu'il y avait quelque avantage à utiliser les négociations collectives comme un moyen propre à assurer un juste équilibre sur la voie du développement.
Shinji Matsumoto(32)
On dit souvent que le multimédia développera la sensibilité artistique et culturelle et ouvrira un nouveau monde de communication. On considère qu'il pourrait constituer l'un des secteurs clés du Japon au XXIe siècle. On en donne souvent une description flatteuse. Aujourd'hui, j'aimerais toutefois évoquer un autre aspect des développements récents, à savoir l'impact de la technologie numérique sur les musiciens-interprètes.
Jusqu'à la fin des années soixante, si vous alliez dans un studio d'enregistrement, vous rencontriez 50 musiciens, dont des solistes, jouant ensemble sous la direction d'un chef d'orchestre. Tous travaillaient ensemble sur une œuvre musicale. Compositeurs, chanteurs et musiciens-interprètes partageaient temps et espace et, en étroite communication les uns avec les autres, ils réalisaient de concert l'enregistrement. La création d'une œuvre collective développait un sentiment de solidarité.
De nombreux musiciens de studio travaillaient comme salarié pour une société d'enregistrement. Hier, un membre employeur a fait remarquer que de nombreux travailleurs, dont des musiciens, préféraient être travailleurs indépendants; en fait, nous musiciens, préférons être employés de société d'enregistrement. De relation contractuelle, la relation de travail est devenue une relation de non-emploi. Les liens entre musiciens et employeurs se sont beaucoup relâchés, et c'est un grave sujet de préoccupation.
Avec l'évolution technologique, l'enregistrement simultané a progressivement disparu. Les différentes catégories d'instruments, comme les instruments à percussion, les instruments à cordes, les instruments à vent et les cuivres, sont enregistrées séparément et les ingénieurs du son les combinent ultérieurement sur une bande sonore. Ensuite, on ajoute l'élément vocal. De ce fait, les musiciens-interprètes se contentent de jouer leurs parties d'après la partition sans même écouter l'ensemble du morceau.
Au milieu des années soixante est apparu le synthétiseur qui a permis le recours à des sources sonores numériques. Cette innovation a bouleversé les studios d'enregistrement. Le synthétiseur a remplacé l'homme qui a disparu de la scène d'enregistrement. L'art du programmeur des synthétiseurs est mis à contribution pour rapprocher autant que possible le son de celui souhaité par les compositeurs. Les synthétiseurs ont remplacé dans un premier temps les instruments produisant de simples ondes sonores, puis la quasi-totalité des instruments, la technologie de l'échantillonnage permettant de créer toute une variété de sons. Remplaçant presque tous les instruments, le synthétiseur en est venu à dominer l'ensemble du monde musical. Aujourd'hui, les seuls instruments acoustiques restants sont extrêmement spécialisés. Les instruments de musique ne servent qu'à ajouter de la profondeur et une certaine atmosphère à la musique électronique.
Ensuite, l'interface MIDI a fait son apparition. L'ordinateur a pris le contrôle du synthétiseur, et les musiciens-interprètes ont été encore plus menacés. Des années de formation difficile leur avaient appris à exprimer leur talent musical et ils s'étaient enfin imposés comme musiciens. Or, avec l'introduction de synthétiseurs contrôlés par ordinateur, même les personnes sans qualification musicale professionnelle pouvaient entrer des données dans l'ordinateur et participer à la production musicale. La situation professionnelle des musiciens s'est donc trouvée menacée. Il est cependant rare que des instruments acoustiques soient remplacés par des synthétiseurs ou des ordinateurs dans les morceaux à succès. En revanche, les bandes musicales de film, la musique commerciale, la musique utilisée dans les jeux informatiques ou les sources sonores destinées au karaoké sont faites principalement de sons mécaniques produits par les synthétiseurs. Dans ces conditions, nombre de musiciens de studio luttent pour leur survie face à la montée du chômage technologique.
Les programmeurs de synthétiseur qui ont remplacé les musiciens ont d'abord connu une très grande popularité. Toutefois, avec les progrès technologiques, les synthétiseurs sont devenus très bon marché, d'un emploi facile, et la programmation ne requiert plus de qualifications particulières.
Tous ces changements ont été lourds de conséquences pour les conditions de travail des musiciens de studio, et trois problèmes essentiels sont apparus. Premièrement, vivant sous la menace permanente de chômage, les musiciens ne sont pas assez puissants, ni individuellement ni collectivement, pour négocier véritablement une amélioration de leurs conditions de travail, ce qui a entraîné une baisse relative des droits d'enregistrement. Au cours des dix dernières années, la redevance minimum perçue par les musiciens de studio pour une radiodiffusion a augmenté en moyenne de 35 pour cent mais les droits sur les disques n'ont progressé que de 20 pour cent. Deuxièmement, les musiciens de studio étant des travailleurs indépendants, ils n'ont pas droit aux mêmes avantages sociaux que les salariés. S'ils perdent leur emploi, ils ne reçoivent aucune allocation chômage. Le troisième point touche aux droits d'auteur et aux droits voisins. La question est de savoir si les programmeurs de synthétiseur ou producteurs de sons utilisant l'informatique entrent dans la catégorie des musiciens-interprètes pouvant se prévaloir de la loi sur le droit d'auteur et s'ils peuvent demander une rémunération au titre des droits voisins.
En quoi la vie et le travail des artistes interprètes ont-ils changé du fait de la progression de la production multimédia? Un grand nombre des CD-ROM actuellement produits doit être utilisé sur des ordinateurs multimédias. Cette situation n'a pas amélioré les perspectives d'emploi des musiciens-interprètes. Les morceaux de musique sont pour la plupart repris de CD. Même lorsqu'il est décidé de créer de nouveaux sons, ceux-ci sont produits par un tout petit nombre de personnes. La télédiffusion numérique multi-chaînes a commencé à utiliser les satellites de communication. Néanmoins, la majorité des émissions ne font que reprendre des programmes existants ou des programmes étrangers importés au Japon. La légère augmentation de la couverture des concerts en direct n'a pas procuré davantage de travail aux musiciens.
Les fournisseurs du contenu multimédia ou les télédiffuseurs insistent sur l'importance du contenu, mais en fait, au lieu de sortir de nouveaux produits, ils se contentent généralement d'en importer de l'étranger ou de réutiliser ceux qui existent.
En conséquence, dans de nombreux cas, les droits voisins accordés aux artistes interprètes sont en butte à des attaques. Pour se produire, les musiciens-interprètes sont fréquemment obligés de céder leurs droits voisins sur le programme aux producteurs.
En 1993, on a commencé à débattre d'un nouveau traité pour protéger des artistes interprètes et producteurs de phonogrammes à l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), traité qui a été adopté à la fin de l'année dernière. De nombreux musiciens-interprètes espéraient une meilleure protection de leurs droits eu égard aux besoins de l'ère multimédia, mais la convention adoptée a un caractère anachronique et a beaucoup déçu. Elle ne reconnaît pas le droit des artistes interprètes sur les productions audiovisuelles.
La nature de la communication sociale a changé. L'économie est devenue la préoccupation
dominante, et les gens ont cessé de réfléchir ou de consacrer du temps à la culture et à l'art. Ils absorbent aujourd'hui passivement un certain type de culture et leur vie est devenue assez superficielle. Le progrès technologique récent n'a pas nécessairement contribué au développement chez l'homme de nouvelles aptitudes. Mon cas en est un exemple: ainsi, j'utilise toujours un logiciel de traitement de texte pour écrire et ce discours ne fait naturellement pas exception. Ce logiciel me permet de retoucher et d'améliorer mon texte, mais la contrepartie est que j'ai oublié nombre des caractères chinois que je connaissais auparavant. Autrefois, pour écrire un rapport, je consultais de nombreux livres, journaux et revues alors qu'aujourd'hui j'utilise simplement une base de données sur CD-ROM ou Internet et j'associe les données que j'ai sélectionnées pour terminer le paragraphe.
L'intrusion de l'informatique dans notre vie fait que nous ne réfléchissons plus. Notre intelligence nous sert à faire fonctionner des logiciels et à acquérir un certain savoir-faire. Lorsqu'on voit des enfants absorbés dans des jeux informatiques, on est inquiet: le développement de leur individualité ou de leur sensibilité ne risque-t-il pas d'en être hypothéqué? Je ne rejette naturellement pas le progrès social que la science et la technologie ont apporté, mais je crains qu'à l'avenir les gens ne sachent plus se parler face à face et ne passent des journées entières devant un écran d'ordinateur.
Naturellement, le développement des réseaux informatiques permet aujourd'hui à tout un chacun de communiquer librement avec des personnes vivant aux antipodes et même dans un monde virtuel. Mais les relations humaines et l'expression de notre individualité devraient-elles se limiter à ces échanges virtuels? En apparence, le multimédia élargit notre monde, mais je me demande s'il ne s'agit pas d'une simple illusion. Il est possible que l'être humain soit enfermé par l'ordinateur dans certaines limites et que notre sensibilité culturelle et artistique soit étouffée par la capacité des logiciels. Je crains que la sensibilité et la créativité diminuant, nous finissions par vivre dans une société superficielle.
Permettez-moi maintenant de m'attarder sur les répercussions du multimédia sur le développement de notre culture. Les pays développés tout autant que les pays en développement doivent conserver leurs traditions. Le Japon est très ouvert à la culture et à la technologie étrangères. Nous avons assimilé la technologie et la science étrangères, nous sommes parvenus à les commercialiser et avons commencé à exporter leurs produits, ce qui a permis un redressement économique très rapide après la guerre. C'est vrai également de la culture. Nous avons toujours respecté les produits étrangers. Par exemple, la moitié des disques numériques commercialisés au Japon est étrangère. En ce qui concerne la musique classique, un concert sur quatre est donné par des artistes étrangers, et la moitié des recettes de ces manifestations va à l'étranger. Cette attitude fait que la culture étrangère envahit le Japon et que le marché intérieur est en fait dominé par des produits étrangers. Malgré cela, le gouvernement ne favorise qu'insuffisamment la préservation et le développement de la culture japonaise. Les possibilités de se produire ont progressivement reculé, faute d'un soutien apporté aux activités culturelles. Pour moi, cette question est encore plus grave que celle du chômage technique.
Avec le développement des réseaux d'information, le monde se rétrécit et il est merveilleux de pouvoir se livrer à des échanges culturels sur de grandes distances et d'approfondir la compréhension mutuelle entre les hommes. Nous devons cependant faire attention à respecter les cultures et les systèmes sociaux nationaux. Nous devons également élaborer des conventions, des systèmes et des règles qui répondent aux nécessités des sociétés avancées de l'information à l'ère du multimédia. Les artistes interprètes s'adressent directement, de par leur profession, à la sensibilité culturelle et artistique. Nos activités incitent les gens à vivre mieux et ceux-ci, à leur tour, nous encouragent à développer de nouvelles approches créatives. Des années d'efforts ont permis une création artistique d'une grande richesse et le progrès social. Plus le développement technologique est rapide, plus les activités artistiques devraient occuper une place importante. L'activité artistique est ce qui fait la spécificité du genre humain. Je suis persuadé que la société multimédia ne pourra se développer que si nous donnons à la sensibilité humaine et à l'expression artistique la place qui leur revient.
John Morton de la Fédération internationale des musiciens a rappelé que la convergence technique n'était pas un phénomène nouveau pour les artistes interprètes. En fait, ces derniers ont fait partie des premières victimes de la technologie, qu'il s'agisse du développement de l'enregistrement sonore et de la cinématographie, de la convergence des technologies, ou de la diffusion de ces enregistrements par la radio et la télévision. Cette évolution a radicalement dissocié l'artiste-interprète de la présentation de l'œuvre dans le temps et dans l'espace, et elle a été lourde de conséquences pour les activités musicales et théâtrales. Les musiciens se sont tournés il y a soixante-dix ans environ vers l'OIT pour qu'elle examine les problèmes sociaux et économiques soulevés par la convergence entre l'enregistrement et la radio. L'OIT a largement participé à l'élaboration de la Convention de Rome adoptée en 1961 et qui protège les droits non seulement des artistes interprètes mais également des producteurs de disques et des organismes de radiodiffusion, ces derniers ayant également reconnu la nécessité d'une intervention. Les artistes interprètes apprécient à sa juste valeur la contribution pratique essentielle qu'apporte l'OIT aux discussions en cours sur les droits des artistes interprètes, des auteurs et des producteurs. L'histoire de l'OIT montre que les délibérations tripartites peuvent déboucher sur des propositions et des mesures équilibrées. Les préoccupations que nourrissent actuellement les artistes interprètes face à la convergence vont au-delà des simples questions d'enregistrement et de radiodiffusion, c'est-à-dire de fixation et de diffusion traitées par la Convention de Rome. Elles portent sur des questions comme la réutilisation et la modification d'une partie de leur prestation, la facilité avec laquelle on peut sans autorisation et sans frais accéder à leur œuvre et l'utiliser, ainsi que la difficulté à établir des relations collectives dans le monde éclaté de la production et des utilisateurs. Les artistes interprètes sont pleinement conscients du fait que l'évolution technologique en cours, si elle est dangereuse, comporte également des avantages considérables en termes de distribution et d'utilisation de leurs travaux. Le progrès technologique actuel n'était certainement ni inévitable ni prédéterminé. L'homme peut contrôler la technologie et décider de ses structures et de ses utilisations. Il est néanmoins nécessaire de voir comment cette évolution peut s'inscrire dans des cadres bien établis. En outre, les artistes interprètes insistent lourdement sur la nécessité de préserver une diversité des ressources culturelles. A quelques exceptions près, l'ensemble des artistes interprètes souhaite une représentation collective. Même les artistes très connus, qui peuvent négocier facilement leur rémunération eux-mêmes, continuent à travailler dans le cadre de conventions collectives. L'idée de renforcer le dialogue social, d'améliorer les structures économiques et juridiques et de contrôler l'applicabilité des normes ne sera pas du goût des idéologues partisans de la libération des forces du marché ou des «techno-anarchistes» convaincus que l'évolution technologique, quelle qu'elle soit, ne peut être que bénéfique, mais elle séduira certainement les personnes concernées qui participent au présent débat.
Katherine Sand du groupe des travailleurs a estimé que la question de la propriété intellectuelle des artistes interprètes revêtait, dans le cadre de la révolution multimédia, une importance essentielle, compte tenu de l'érosion des droits des artistes interprètes observée dans le monde entier. La pression imposée à ceux-ci, par le biais de contrats les obligeant à abandonner leurs droits, n'a cessé de se renforcer. Les artistes interprètes devraient toujours conserver un lien avec leur œuvre et être financièrement intéressés à son utilisation, à sa réutilisation et à sa modification, toutes choses qui ont pris beaucoup d'importance. La nouvelle production multimédia utilise de plus en plus la voix des artistes interprètes dans les jeux informatiques ou le matériel audiovisuel sur Internet. Tous ces points devraient être débattus avec les employeurs. Si les artistes interprètes sont dans l'ensemble assez optimistes sur les débouchés qu'offrent ces nouvelles technologies, il serait abusif de parler d'une société de l'information mondiale. Dans de nombreuses régions du monde, les acteurs ne sont absolument pas concernés par ce nouveau phénomène, et cette situation est lourde de conséquences pour la production nationale et la préservation des cultures nationales. Enfin, les artistes interprètes virtuels créés de manière numérique ne mettront sans doute pas les acteurs au chômage. Pour créer des acteurs numériques, il faut au départ des artistes en chair et en os. De plus, même à l'ère du multimédia, le grand public souhaitera toujours voir des acteurs vivants.
José Luis Erosa Vera du groupe des employeurs a déclaré que la discussion des problèmes de travail liés à la radiotélédiffusion devrait se limiter à la première retransmission d'une prestation. Les problèmes liés à l'utilisation secondaire ou subsidiaire de la prestation d'un artiste-interprète ressortent du domaine des droits d'auteur et sont donc du ressort de l'OMPI et non de l'OIT. Les problèmes que rencontrent actuellement dans leur travail les musiciens, les artistes interprètes ou les acteurs sont certainement liés à l'évolution technologique récente. La technologie entraîne très souvent des licenciements. Cependant, la responsabilité n'en revient pas aux employeurs -- contrairement à ce qui aurait pu laisser croire l'allusion faite au manque de contrats --, mais aux artistes qui ne sont pas parvenus à suivre l'évolution technologique. Les techniciens sans connaissance musicale ont donc pu remplacer les musiciens dans des compositions ou prestations musicales.
Pier Verderio du groupe des travailleurs a estimé que la société de l'information pouvait transformer certains spectacles non rentables en activités lucratives. Ainsi, les opéras ou les pièces de théâtre qui n'ont jamais beaucoup rapporté d'argent faute de pouvoir toucher un grand public pourraient bientôt voir leur marché s'élargir considérablement. En d'autres termes, des manifestations qui étaient traditionnellement inscrites dans un espace bien déterminé pourraient voyager et, par conséquent, devenir rentables. La société de l'information, entité virtuellement mondialisée, entraînera une crise de la fiscalité dans la mesure où il deviendra impossible de préciser le lieu de production ou de vente et, par conséquent, le lieu d'imposition. La protection sociale étant souvent financée par l'impôt, le problème a de vastes implications. Il est nécessaire d'envisager d'autres modes de financement. Les entreprises et les autres entités juridiques pourraient être imposées autrement que ceux qui assurent véritablement le financement du système. Une société basée sur la production immatérielle appelle une nouvelle conception de la fiscalité.
Marc Blondel, président du colloque, a évoqué le problème que soulevait en France la situation particulière des artistes vis-à-vis de la caisse interprofessionnelle d'assurance chômage. Les intermittents du spectacle sont dans une situation de plus en plus précaire, leurs contrats sont souvent de courte durée et la rotation du personnel est considérable. Ils mettent donc largement à contribution la caisse d'assurance chômage, et les salariés des autres secteurs, voyant une part croissante de leurs cotisations utilisée de cette manière, ont commencé à remettre en cause l'ensemble du système. Ils rejettent l'argument selon lequel leur cotisation devrait être considérée comme une subvention indirecte à la culture et à la créativité; ils estiment que ce n'est pas là la fonction d'une caisse d'assurance chômage. Le problème soulève néanmoins un certain nombre de questions quant à la solidarité sociale et à ses limites, à l'intervention de l'Etat et à la manière dont il devrait assumer la responsabilité qui est la sienne de préserver la culture et la créativité.
Nagwa Abdalla Abd-El Hafez, représentant du gouvernement égyptien, a fait état de son expérience dans le domaine de la radiodiffusion et a déclaré que, si un studio d'enregistrement pouvait être remplacé par un ordinateur et un logiciel, l'ordinateur ne pouvait néanmoins pas remplacer le talent de l'homme. Dans le domaine musical, il faut encore des musiciens de talent pour rassembler les enregistrements séparés de plusieurs instruments. Même avec un logiciel de pointe, les ordinateurs ne peuvent toujours pas produire de dessins animés à la place des artistes. En résumé, l'ordinateur permet à l'homme de donner la pleine mesure de son talent mais il ne peut remplacer une personne de talent.
Shinji Matsumoto est convenu que le talent de l'homme ne pouvait être remplacé par l'ordinateur, mais a souligné l'importance d'une plus grande reconnaissance sociale des artistes interprètes. On insiste trop souvent sur le rôle des ordinateurs et on minimise la contribution de l'homme.
Les problèmes sociaux auxquels sont aujourd'hui confrontés les artistes interprètes sont certainement liés à l'évolution technologique, mais les plans de production et, par conséquent, les décisions quant à la manière d'appliquer les nouvelles technologies relèvent des employeurs. De ce fait, ce n'est pas seulement la technologie mais également les employeurs et les entreprises qui sont responsables des problèmes actuels des artistes.
Enfin, il n'est plus possible de réserver l'examen des problèmes liés à la propriété intellectuelle à une seule organisation, qu'il s'agisse de l'OMPI ou de l'UNESCO. La ligne de démarcation entre les organisations internationales s'efface. L'intervention de l'OIT en ce domaine se justifie dans la mesure où de nombreux artistes interprètes sont obligés de céder leurs droits pour pouvoir se produire. Il y a là un problème social et non pas un problème de droits d'auteur.
L'impact de la convergence
sur les qualifications exigées
Les implications de la convergence
multimédia sur les qualifications
qui seront exigées à l'avenir
Phil O'Reilly(33)
Evoquant les implications de la convergence multimédia sur les qualifications qui seront exigées à l'avenir, j'exposerai le point de vue des directeurs de journaux néo-zélandais. J'estime que, dans la marche vers la convergence, les journaux ont de solides atouts en ce qui concerne l'organisation du travail et les qualifications exigées. Bien qu'on puisse prévoir de profonds changements dans les qualifications exigées, nombre des éléments fondateurs de l'avenir sont d'ores et déjà présents dans les journaux et les changements s'opéreront plutôt dans la continuité que par une rupture avec le passé. Une solution peut être bonne pour une société et désastreuse pour les autres; les conventions de l'OIT devraient en tenir compte.
Permettez-moi de dire quelques mots de la presse néo-zélandaise. La Nouvelle-Zélande compte environ 3 millions et demi d'habitants qui ont à leur disposition 26 quotidiens et deux journaux du dimanche. Les jours de parution des journaux, les quotidiens tirent à quelque 850 000 exemplaires qui sont distribués à travers tout le pays et qui sont lus par approximativement 1,7 million de personnes. Les directeurs de quotidiens emploient environ 5 000 personnes.
Que font les journaux néo-zélandais pour se préparer aux changements qui s'annoncent? Face au processus de convergence, la réaction la plus visible des journaux à travers le monde a été jusqu'à présent d'explorer les possibilités qu'offrait Internet de proposer un média alternatif aux lecteurs et aux publicitaires. Deux journaux néo-zélandais ont actuellement des sites actifs sur le Web, mais je prévois que le nombre des journaux présents sur le Web augmentera considérablement au cours de l'année qui vient ou des deux prochaines années, l'expérience des collègues et l'analyse des tendances à l'étranger jouant ici un rôle déterminant.
Les journaux sont bien placés pour soutenir la concurrence sur Internet puisqu'ils détiennent de grandes quantités d'informations et que, de surcroît, ils ont la capacité et l'expérience nécessaires pour habiller cette information et la rendre attrayante. Cependant, Internet est un nouveau média qui appelle en tant que tel un nouveau mode de pensée. Internet n'est pas un journal en ligne.
Internet étant très différent des journaux classiques, l'expérience montre en Nouvelle-Zélande qu'il faut faire appel à une personne acquise à ce nouveau média pour faire démarrer un site. Celle-ci peut venir du journal ou être recrutée à l'extérieur. Le chef d'équipe fera appel à des gens du journal et probablement aussi à des consultants extérieurs qui, en unissant leurs efforts, peuvent faire fonctionner le site. Il y a certainement eu des créations nettes d'emplois dans les journaux à travers toute la Nouvelle-Zélande à la suite du développement des sites sur Internet. Les créations nettes d'emplois sont actuellement très modestes mais elles devraient augmenter au fur et à mesure que de nouveaux journaux relèveront le défi d'Internet.
Quelles sont les implications de la convergence sur la demande de travail qualifié? Les implications varient largement. Dans certains cas, les changements sont minimes si tant est qu'il y en ait. Un journaliste reste un journaliste. Dans d'autres cas, un changement important est nécessaire. Un graphiste spécialiste de l'écrit peut avoir besoin d'une importante formation complémentaire pour concevoir et tenir à jour une page sur le Web. Toutes les personnes travaillant sur le projet doivent compléter leur formation pour comprendre comment le média fonctionne.
Qui les aidera à acquérir ces compétences nouvelles? Il est un peu facile de suggérer que, d'une manière générale, les travailleurs qui se positionnent sur le marché du travail convergent devront de plus en plus acquérir des compétences nouvelles à leurs propres frais et en prenant sur leur temps de loisirs. La formation complémentaire sera encore largement financée par les employeurs à l'avenir, au moins dans la presse néo-zélandaise. Les journaux continueront à prendre largement en charge la formation de leurs employés afin que ceux-ci puissent contribuer à la mise au point et à la croissance d'un produit excellent, quelle qu'en puisse être la nature. Des savoir-faire, comme la collecte et l'organisation de l'information, l'établissement d'une maquette, le graphisme et tout autre moyen de retenir l'attention du lecteur ou de l'internaute, des compétences techniques comme l'informatique, seront à l'avenir au moins aussi importants, sinon plus, qu'ils ne le sont aujourd'hui. La convergence ne change rien à ces impératifs.
Ce que je prévois toutefois, c'est un meilleur recoupement entre la formation générale et les besoins des journaux en matière de formation. Je m'explique. Traditionnellement, il appartient aux parents et à l'Etat de transmettre les savoirs fondamentaux; l'avenir n'y changera rien. Cependant, les savoirs fondamentaux eux-mêmes ne peuvent qu'évoluer compte tenu des défis nouveaux à relever. Je ne vous donnerai qu'un exemple: l'Etat néo-zélandais investit d'ores et déjà des sommes très substantielles dans l'informatique à l'école. C'est essentiel si l'on veut que les jeunes qui quittent l'école aient les compétences nécessaires non seulement pour entrer dans le supérieur mais également pour trouver un emploi.
Pour ce qui est des journaux, la situation est un peu plus complexe. La plupart de ceux qui donnent un contenu aux journaux comme les journalistes ont déjà une formation supérieure. C'est également de plus en plus vrai du personnel technique, des concepteurs, des graphistes, des opérateurs de saisie avant impression, etc. Il est dès lors capital de fixer des normes en matière de formation, de les développer et de les contrôler au niveau du supérieur, et je suis content de pouvoir dire que le système qui a été mis en place pour le faire en Nouvelle-Zélande fonctionne très bien.
La Nouvelle-Zélande a un système national de qualifications qui permet de faire valoir ses compétences par-delà les barrières professionnelles et qui reconnaît aux employeurs et aux travailleurs un pouvoir de contrôle sur la formation ainsi qu'un droit de regard aux établissements d'enseignement. L'Etat finance en grande partie le premier cycle du supérieur mais les employeurs et travailleurs ont leur mot à dire sur le contenu de l'enseignement et sur l'évaluation des résultats. Ainsi conçu, ce système ouvre la voie à l'acquisition de compétences dans des disciplines de plus en plus divergentes. Si le système fonctionne bien, c'est aussi parce qu'il est fondé sur les compétences. Le concept d'apprentissage a disparu de la scène néo-zélandaise.
Notre secteur bénéficie de l'excellente coopération qui s'est instituée entre les employeurs et les syndicats dans le domaine de la formation. Les uns et les autres ont en ce domaine depuis longtemps mené une action constructive. Cela ne veut pas dire que notre modèle fonctionne en tout état de cause. Toute structure de consultation et de coopération imposée entraînerait presque certainement sa destruction. Le système de coopération salariés/employeurs fonctionne dans le secteur de l'impression parce qu'il est volontaire et repose sur des intérêts communs. Il incombe aux employeurs de donner à leur personnel la formation nécessaire pour l'utilisation d'un certain type de matériel ou le travail dans certains lieux particuliers. Dans notre secteur, en Nouvelle-Zélande, les salariés sont, je le répète, habituellement partie prenante au processus. Les employeurs investissent des sommes importantes non seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi dans la formation sur les lieux de travail.
Le système de formation ne réagit bien sûr qu'avec retard aux nouveaux besoins que crée le progrès technique en matière de compétences. Il n'y a à cela rien de nouveau! Cependant, nous pensons que notre système réduit au minimum le temps de réaction parce qu'il est en grande partie contrôlé par les acteurs du secteur. Nous sommes, en Nouvelle-Zélande, tout à fait habitués aux changements technologiques et à la pression croissante de la concurrence qui pousse au changement, au développement des compétences et à l'acquisition d'une formation polyvalente.
Cela ne veut pas dire toutefois que certains salariés (et salariés potentiels) ne se formeront pas eux-mêmes. C'est dans la nature du marché du travail convergent et il n'y a rien de nouveau à cela. Les changements s'opèrent déjà et s'opéreront de plus en plus à un rythme tel que ceux qui se trouvent à la pointe de la technique tendront à se former eux-mêmes dans une partie au moins de leur domaine d'activité. Cela tient, à mon avis, au moins en partie au fait que le désir d'être à la pointe de la technique marque un intérêt mais ne donne pas une qualification. Ou pour dire les choses autrement, la passion n'est pas un comportement appris.
Je voudrais à présent exposer la manière dont je conçois le rôle du BIT dans le processus. Permettez-moi de parler en tout premier lieu de la note que nous avons tous reçue en arrivant ici. Bien qu'elle soit très utile à plus d'un titre, elle énonce un certain nombre d'hypothèses qui ne sont pas nécessairement confirmées par les faits, et les mots employés ne sont malheureusement pas neutres. Ainsi, la note donne une vision apocalyptique de l'avenir à laquelle je ne souscris pas pour ma part lorsque, page 5, elle dit que, à l'âge de l'information, «les individus seront forcés de lutter pour survivre dans une jungle électronique avec les mécanismes de survie qui ont ont été mis au point au cours des précédentes décennies» et qui pourraient être «mis à rude épreuve par les changements».
La note cite vers la fin un certain nombre de conventions de l'OIT. J'ai relevé qu'au moins deux de ces conventions, les conventions nos 87 et 98, étaient entrées en vigueur au début des années cinquante. Je pense que nous pourrions tous tomber d'accord sur le fait que le monde était à l'époque très différent. Je pense qu'il est également extrêmement intéressant de relever que l'une des principales raisons pour lesquelles notre planète a tellement changé au cours des quarante dernières années a été le développement de mass média extrêmement bon marché et efficaces. Le fait que les échanges d'informations d'une communauté à l'autre à travers le monde aient atteint un niveau sans précédent a entraîné, entre autres, la fin du pouvoir d'imposer. Ou, pour être plus constructif, il a abouti à la prise de conscience que les différents individus et communautés emprunteront une myriade de chemins différents pour atteindre le même objectif. Je ne suis pas convaincu que les conventions de l'OIT écrites dans les années cinquante rendent bien compte de cette nouvelle réalité.
Je voudrais toujours affirmer que les salariés, où qu'ils travaillent, méritent une protection adéquate en termes de négociations, de liberté d'association, etc. Cependant, je voudrais également dire que les employeurs, les salariés et les gouvernements devraient être libres à l'époque de la convergence de décider pour eux-mêmes de la meilleure réponse à apporter aux problèmes généraux. Peut-être certains des problèmes soulevés par la convergence multimédia donnent-ils à penser que le BIT devrait revoir ses conventions, veiller à ce que les principes qui y sont inscrits restent universels et valables au XXIe siècle et ne mettent pas en cause la liberté de choix quant aux modalités d'application.
Ce qui est absolument certain en ce qui concerne la convergence multimédia est qu'aucun modèle n'est valable pour tous. Cela n'a jamais été le cas et cela ne sera certainement jamais le cas à l'avenir.
Frank Werneke(34)
En RFA, la discussion d'une réforme des professions touchant aux médias tourne autour de deux questions fondamentales: comment adapter les professions existantes et quelles nouvelles professions et qualifications sortiront des transformations du monde de l'information et du multimédia? En Allemagne, toute révision de la définition des professions, des niveaux de compétence et des qualifications n'intervient qu'après une discussion et évaluation tripartite. Les révisions sont opérées au niveau fédéral sur la base d'une nouvelle loi.
Pour comprendre les changements qui affectent les profils ou qualifications professionnels dans le multimédia, il peut être utile d'imaginer le marché de l'emploi comme un ensemble de trois cercles concentriques. La partie centrale représente le noyau du multimédia. C'est là que les catalogues électroniques, les CD-ROM et les services en ligne sont mis au point et produits. A peine 11 ou 12 000 personnes y travaillent et leur profil professionnel est classique. Le taux de croissance à l'intérieur de ce premier cercle est considérable.
Le deuxième cercle englobe la publicité, la radio télédiffusion, la presse écrite et la production audiovisuelle, c'est-à-dire la télévision et la radio. Il fait travailler environ 500 000 personnes en Allemagne et offre quelque 14 000 places d'apprentis.
Le troisième cercle comprend un grand nombre de secteurs très différents, comme le tourisme, le commerce, la banque et l'assurance. Nous pouvons prévoir que tous ces secteurs auront besoin à l'avenir de spécialistes du multimédia: il y aura des banquiers, des commerciaux et des hommes d'affaires multimédias. Vu la complexité du multimédia, il se peut que les concepts anciens de professions et de compétences perdent de leur utilité. Il est difficile de concevoir de la même manière une qualification dans le multimédia et dans l'imprimerie ou l'édition. A l'heure actuelle, le cœur du multimédia compte très peu de personnes qui aient une formation classique dans d'autres domaines des médias. A l'avenir, nous aurons besoin de quantités de gens qui ont des compétences multimédias: directeurs multimédias, concepteurs multimédias, techniciens multimédias. Il y aura une expansion rapide des nouvelles professions et qualifications professionnelles qu'il faudra définir.
Une autre approche possible des changements, qui affectent dans le secteur de l'information et de la communication les professions et les profils professionnels, fournie par le modèle dit des trois grappes que les partenaires sociaux ont mis conjointement au point. Le concept se fonde sur différents buts et grappes pour montrer comment nous pouvons définir ou adapter les contenus professionnels.
La première grappe regroupe les responsables du contenu, c'est-à-dire les journalistes et les graphistes. Dans la plupart des cas, il n'est pas nécessaire de définir une nouvelle profession comme celle de journaliste multimédia. Le problème est, au contraire, d'adapter les professions existantes aux nouvelles exigences. Ainsi, IG Medien participe à l'élaboration d'un programme de maîtrise sur les médias qui s'adressera à des personnes qui ont fait du graphisme ou qui sont diplômées d'un institut d'arts graphiques.
La deuxième grappe comprend la technologie qui sous-tend le multimédia, c'est-à-dire pour l'essentiel les technologies de l'information et de la communication. Nous avons ici l'industrie du logiciel et le secteur des télécommunications. Dans cette grappe, quatre nouvelles professions sont en passe d'être créées.
La troisième grappe peut se définir comme la grappe de l'intégration des médias et du multimédia. Elle couvre des professions et des compétences qui existent déjà dans le monde des médias. Le but n'est pas de créer de nouvelles professions multimédias, mais de se fonder sur les professions et compétences existantes pour définir de nouveaux types professionnels.
Pourquoi est-il essentiel de définir et de décrire de nouvelles professions? Nous ne pouvons nous borner à supposer que les changements s'effectueront dans le cadre d'un processus d'autorégulation. Il y a en fait trois grandes raisons qui font qu'il est important de définir de nouvelles professions: primo, offrir des possibilités de formation professionnelle initiale pour les nouvelles professions; secundo, guider les gens qui travaillent déjà dans le secteur des médias et qui veulent acquérir une formation complémentaire ou se recycler; et, tertio, guider les PME. En définissant les niveaux de qualification ou les professions, nous les aidons à s'adapter aux changements structurels.
La création de nouvelles professions ou la redéfinition des professions existantes se heurte dans le secteur des médias à un problème, celui de la diversité des tendances. Certaines entreprises travaillent déjà avec des services en ligne ou mettent au point des CD-ROM, alors que d'autres sont restées très classiques. Elles utilisent des procédés anciens, ne font guère usage des nouvelles technologies de la communication et de l'information et sont très éloignées de l'intégration des médias. Manifestement, ces entreprises évoluent à des rythmes différents et nous devons en tenir compte.
Ce processus de définition devrait aboutir l'an prochain. Il embrasse l'ensemble du secteur de l'imprimerie et l'audiovisuel en général. Nous discutons à l'heure actuelle des compétences professionnelles nécessaires en aval de la production. Nous envisageons de donner de la profession de concepteur ou de serveur média une définition telle qu'elle couvre différents secteurs. La préparation à ces nouvelles professions multimédias ne sera donc pas organisée de la même manière que la formation de typographe ou d'imprimeur. Elle doit être plus flexible. Nous envisageons un programme modulaire pour les deux première années d'études, mais plus encore pour la troisième année. Les étudiants pourront choisir leurs modules en fonction du type d'entreprise qu'ils intégreront -- entreprise classique qui utilise des procédés anciens, entreprise qui utilise déjà des nouveaux médias ou peut-être entreprise du secteur audiovisuel. Ainsi, la formation sera organisée en cinq branches à l'instar des nouveaux médias: administration, aspects techniques, intégration des médias, fabrication et production des médias.
Le multimédia n'est pas un phénomène confiné à un seul pays, comme le montre par exemple le World Wide Web. La question des qualifications doit être discutée non seulement à l'échelon national, mais également dans un cadre international ou même mondial. Les différents programmes de formation ou approches doivent être discutés et comparés afin que nous puissions coordonner notre travail. C'est l'un des problèmes dont nous aurons à nous occuper à l'avenir.
Par ailleurs, nous devons mettre sur pied non seulement des programmes de formation de base, mais également des programmes de formation complémentaire sur la base des qualifications existantes à l'intention des travailleurs du secteur audiovisuel ou d'autres domaines de la technologie multimédia. Nous devons veiller à la qualité de la formation complémentaire et nous assurer également qu'il y a des qualifications définies d'un commun accord, reconnues par exemple à l'échelle de l'Europe.
Formation et recyclage: les nouveaux défis
Adzhar Ibrahim(35)
Jusqu'à présent, la discussion s'est envolée à 1 000 pieds, la convergence multimédia n'étant envisagée que d'un point de vue macrophilosophique ou social. Je voudrais revenir sur terre et examiner le domaine particulier de la formation à l'ère de la convergence multimédia.
Les discussions ont été en grande partie centrées sur l'impact de la convergence sur le divertissement et le journalisme. Bien que ces secteurs soient à la pointe de la révolution multimédia, il faut s'attendre à ce qu'avec le progrès de nombreux autres catégories professionnelles soient affectées -- ceux qui travaillent dans l'enseignement privé et public, les personnels de santé et les administrateurs nationaux et locaux --, sans parler des utilisateurs finals du multimédia. La formation continuera à être importante et le recyclage deviendra plus essentiel encore. Comme les autres technologies nouvelles, le multimédia a créé de nouveaux besoins de formation et de recyclage mais il offre aussi un bon moyen et une grande chance de rendre cette formation et ce recyclage plus profitables.
Si les tendances actuelles se confirment, les travailleurs peuvent s'attendre à changer d'emploi plusieurs fois au cours de leur carrière, alors que, dans le passé, nos pères ont probablement travaillé pour un seul employeur jusqu'à leur retraite. Les changements d'emploi fréquents rendent nécessaire un gros effort de formation et de recyclage. Autrefois, l'expérience avait beaucoup plus d'importance qu'elle n'en a aujourd'hui. L'expérience comptera encore à l'avenir mais moins que par le passé du fait de l'évolution rapide des connaissances et des techniques. Face à ces changements, il n'y aura pas d'autre choix que de continuer à apprendre sa vie durant et de se former continûment.
L'accélération des progrès techniques exige un recyclage constant. Ce changement est dû, dans une certaine mesure, au phénomène d'obsolescence, mais il est, pour l'essentiel, la conséquence de l'innovation et de la créativité qui se manifestent dans le domaine des techniques de l'information. Comme on dit, «seul le paranoïaque survit» et il y a beaucoup de paranoïaques qui tentent de surclasser les autres en proposant de nouvelles technologies de l'information encore plus séduisantes.
De nombreux postes à faible qualification technique, comme certains emplois anciens dans l'imprimerie, et même certains travaux non qualifiés comme le relevage des compteurs, exigent des qualifications techniques de plus en plus élevées au fur et à mesure que le temps passe. Les personnes faiblement qualifiées sont licenciées. Nombre d'entre elles auront besoin d'une formation complémentaire dans des domaines qui sont entièrement nouveaux pour elles, si tant est qu'elles puissent retrouver un emploi.
Les coûts de formation prendront une importance essentielle car les coûts, en général, jouent un rôle déterminant dans la compétitivité des entreprises. La formation utilise ses propres ressources, mais elle en utilise également d'autres. Elle tient les salariés éloignés de leur poste de travail. Peut-être aurait-il mieux valu qu'ils emploient leur temps à maintenir la compétitivité, à être innovants et à s'occuper des clients. L'efficacité de la formation sera donc mise en avant. Si la formation doit être considérée comme un investissement et non pas comme un coût, elle doit être très payante.
A mon sens, le multimédia est une combinaison de ce que les dernières techniques et les techniques plus anciennes doivent offrir. Un morceau de papier est un média et tous les médias sont un élément du multimédia. La formation qui utilise le multimédia n'a pas besoin d'être entièrement basée sur l'ordinateur. Elle peut emprunter aux techniques anciennes ce qui est disponible et efficace. Un multimédia utilise le papier, par exemple.
C'est un fait avéré mais regrettable que plus une personne a besoin d'un recyclage, moins elle est susceptible d'être à son aise avec le multimédia. Les personnes sont souvent licenciées en fin de carrière, et ce sont elles qui ont les plus grandes difficultés à assimiler les nouvelles techniques et les nouvelles façons de faire. Il est tout à fait nécessaire de sensibiliser ces personnes à la nécessité de changer et d'accepter la nouveauté.
La simulation sur ordinateur devient de plus en plus facile au fur et à mesure que le temps passe en raison de l'augmentation de la puissance du matériel informatique et de la baisse de son prix. Le multimédia offre la possibilité de procéder à des simulations et il permet un apprentissage virtuel. C'est une grande force. La recherche a montré que les gens apprenaient davantage, plus vite, et retenaient beaucoup plus s'ils avaient été en mesure de simuler et de visualiser les choses. Le multimédia est d'un très grand secours.
Le multimédia nous permet également de combiner travail et formation en temps réel. Point n'est besoin, par conséquent, de sortir du bureau ou de l'atelier pour recevoir une formation. C'est une bénédiction pour la productivité. Le multimédia offre encore d'autres possibilités de dispenser une formation en dehors de la salle de classe, et il permet aux formateurs d'adapter les programmes de formation aux besoins du public auquel il s'adresse et d'avancer au rythme qui convient.
Le multimédia ne se prête pas à tous les types de formation. Nous savons que, si nous tentons de créer une culture d'entreprise ou de développer le travail d'équipe, les outils du multimédia ne sont pas nécessairement les mieux adaptés. Tout le monde n'a pas la même pointure, et la formation multimédia ne remplacera pas tous les autres types de formation dont nous avons besoin. En fait, le risque est grand que nous accordions trop d'importance à la technique et pas assez aux gens. Si l'utilisation des outils du multimédia a pour effet de limiter les relations interpersonnelles, elle pourrait en fin de compte être une source d'aliénation et de problèmes sociaux. C'est un problème auquel il faut prendre garde.
Les outils du multimédia doivent être bien intégrés. Il ne s'agit pas seulement d'installer des gens devant un ordinateur et de passer des CD. Nous devons nous assurer que la combinaison de techniques qui sont mises à notre disposition est la bonne. Il faut tenir compte des préférences des intéressés. Un enfant de 5 ou 10 ans est probablement tout à fait à son aise avec les dernières techniques, mais une personne de 50 ans les trouvera très intimidantes. Mal aiguillée, cette dernière pourrait être totalement rebutée par les nouvelles techniques et ce que vous vous efforcez de lui enseigner. La formation doit partir d'un niveau suffisamment bas pour obtenir l'adhésion des stagiaires, et le matériel pédagogique et les méthodes de formation ne doivent pas les effaroucher.
La formation multimédia soulève un autre problème qui tient à la difficulté de savoir dans quelle mesure les stages de formation ont été fructueux. Parfois, les gens peuvent apprendre à leur propre rythme dans une salle réservée à cet usage, derrière des portes closes, sur leur lieu de travail ou peut-être même à la maison si l'ordinateur familial est relié au serveur du bureau. Il est très difficile de mesurer tout le bénéfice qui est retiré de cette formation et de l'investissement qu'elle représente. En outre, certains instructeurs traditionnels pourraient se sentir menacés par les avancées de la formation multimédia dans la mesure où leur travail pourrait très bien être effectué en ligne.
Parmi les gros problèmes que soulève la formation multimédia, il faut citer celui du respect de la vie privée. Il est techniquement possible, en utilisant les derniers outils de la formation multimédia, de suivre tout ce que le stagiaire fait -- combien de fois il appuie sur les touches, combien d'heures ou de minutes il passe, dans quelle mesure les résultats sont satisfaisants, quels sujets il choisit et quels fichiers il télécharge. L'ensemble de ces informations peuvent être conservées quelque part dans un fichier. Cela pourrait poser à la longue le problème du respect de la vie privée.
Une autre question importante est celle de savoir qui paiera pour la formation de ceux qu'il est le plus difficile de former et qui sont les moins à même de se le permettre. Ce sont avant tout des personnes âgées qui ont été licenciées ou qui travaillent dans les secteurs anciens et qui ont besoin d'évoluer. Les employeurs ne formeront que leurs propres employés, pas ceux qui pointent au chômage. Ainsi, selon toute apparence, il reviendra à l'Etat de dégager les crédits nécessaires pour former les personnes qui, autrement, resteraient à la charge du contribuable. Le mieux serait de se saisir du problème sans attendre et de tenter de l'étouffer dans l'œuf. Autrement dit, il faudrait former les gens le plus tôt possible afin qu'ils ne deviennent jamais durs à former ou intimidés par la formation dont ils ont besoin.
Dans mon propre pays, la Malaisie, le principal sujet de discussion a été l'an passé, ou au cours des deux dernières années, un projet appelé Super couloir du multimédia. C'est une zone d'environ 700 km2 où l'Etat investit véritablement des milliards de dollars dans des infrastructures physiques, telles que les réseaux à large bande. Le gouvernement soumet également au Parlement des projets de loi pour favoriser la mise au point de logiciels, la protection des droits de propriété intellectuelle, stimuler et garantir les investissements. Nous, Malaisiens, pensons que nous sommes à un tournant et que nous avons la possibilité, en sautant certaines étapes du développement, de nous retrouver à parité avec les nations développées. C'est probablement la seule occasion qui nous sera donnée et, si nous la ratons, ce sera pour de bon. Aussi s'agite-t-on dans le pays pour s'assurer que nous ne raterons pas cette occasion.
Peut-être y a-t-il d'autres pays en développement qui pensent de même, mais il y en a beaucoup d'autres qui risquent de se réveiller trop tard et de découvrir qu'ils ont à jamais raté le coche. De nombreuses régions du monde n'auront pas accès à la technologie dont nous parlons et se retrouveront encore plus à la traîne. Il y aura un abîme entre les nantis et les autres.
Les besoins en matière de formation:
comment la France y répond-elle?
Dominique Schalchli(36)
Comment le marché de la formation multimédia évoluera-t-il en France? Sommes-nous capables de définir les besoins futurs en matière de formation? Comment le problème du financement sera-t-il résolu? Telles sont quelques-unes des questions qui me sont venues à l'esprit alors que je me préparais à rendre visite à l'organisme bipartite responsable de la formation des travailleurs, y compris des travailleurs indépendants, dans les domaines des loisirs et des médias. Bien que, dans le cadre de mon travail, je m'occupe depuis un certain temps de problèmes de formation, je ne suis pas un spécialiste du multimédia. Les discussions qui se sont tenues à l'institut nous ont donné un aperçu de la situation actuelle de la France en matière de formation.
Qu'est-ce que la formation multimédia? Existe-t-elle? Est-elle facilement identifiable? Pour répondre à ces questions, l'institut a fait imprimer des listes de programmes de formation. Sur les 35 000 stages de formation financés en 1996 par l'institution, 378, soit environ un pour cent du total, concernent le multimédia. Il semblerait, à ce qu'on m'a dit, que d'autres stages de formation traitent aussi de certains aspects du multimédia, le chiffre de un pour cent serait donc probablement beaucoup trop faible. Même si c'est le cas, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui en France la formation multimédia, même dans le secteur des médias et des loisirs, paraît extrêmement limitée comparée à tous les stages de formation et cours d'éducation permanente qui sont proposés aux adultes.
Par ailleurs, les stages de formation multimédia sont généralement de courte durée. Sur les 378 stages qui étaient consacrés au multimédia, 181 duraient moins de 100 heures, près d'un tiers entre 100 et 400 heures, et seulement 26 plus de 1 000 heures. J'en ai conclu que ces cours de formation étaient trop brefs pour répondre aux besoins de recyclage qui se faisaient jour dans ces professions en pleine mutation.
Comment l'offre de formation est-elle structurée en France? J'ai pu lire un grand nombre de catalogues de centres de formation, mais aucun ne donnait une idée précise de la manière dont l'offre était structurée. Y a-t-il dans ce domaine des centres importants? Ces centres sont-ils répartis à travers tout le pays ou la formation est-elle centralisée? Je n'ai pas obtenu de réponse satisfaisante sur ce point. La vérité est que, pour l'instant, personne ne le sait.
J'en conclus que le marché de la formation multimédia n'est pas encore bien structuré. C'est même l'anarchie la plus complète. Les initiatives partent dans tous les sens sans que l'on puisse percevoir derrière tout cela une stratégie cohérente. La main invisible évoquée par Adam Smith semble inopérante sur le marché de la formation. Ainsi, il faudra bien un jour ou l'autre que les autorités prennent leurs responsabilités dans ce domaine et interviennent dans la structuration du marché et la définition des grandes orientations si elles veulent que la formation se développe de manière cohérente.
Cela vaut encore plus pour la formation des travailleurs en général. On a beaucoup parlé de la formation scolaire initiale, mais l'un des problèmes les plus préoccupants est la formation des personnes de plus de 40 ans. S'agit-il d'une génération perdue pour le multimédia? J'aimerais croire le contraire. Je suis même certain que si nous avions une politique concertée avec les autorités, il serait facile d'initier les plus de 40 ans au multimédia au lieu de les laisser à l'écart des nouvelles technologies.
Quels seront les besoins futurs en matière de formation dans le multimédia? Avons-nous une idée de la manière dont les professions et métiers du multimédia vont évoluer? En France, nous avons établi des distinctions relativement claires entre ceux qui conçoivent les projets, ceux qui les exécutent (comme les techniciens du son, de l'éclairage et de la vidéo qui devront être formés aux nouvelles technologies) et ceux qui mettent au point les technologies de l'information. Ces trois grandes catégories sont certes bien définies, mais elles sont insuffisantes. Nous devrons entreprendre des études aussi bien sur le plan national qu'à l'échelle internationale pour mieux cerner les métiers et les professions qui sont susceptibles de naître dans le secteur du multimédia et la formation qu'ils exigeront.
On en arrive ainsi à la question du financement. Dans le document de travail établi pour ce colloque, il est dit que, d'après certains observateurs, c'est probablement sur les travailleurs que retomberont, pour l'essentiel, la charge et le coût de la formation, qu'il s'agisse de formation initiale, de formation continue ou d'adaptation à de nouveaux besoins professionnels. Cette observation m'a frappé. J'en étais même un peu choqué. Cela signifie-t-il que, demain, les travailleurs du multimédia devront supporter le coût de leur formation? En France, les employeurs et les syndicalistes ont engagé des discussions sur la possibilité d'un cofinancement, mais personne n'a encore évoqué l'éventualité d'une prise en charge par les salariés du coût de leur formation. En ira-t-il autrement dans le multimédia? Lorsque j'ai posé cette question, on m'a répondu que, d'ores et déjà, chacun s'en tirait en se formant lui-même! Les individualistes purs et durs se forment eux-mêmes au multimédia par tous les moyens possibles, en s'inscrivant à des stages de formation à temps partiel ou en empruntant des ouvrages didactiques ou des CD-ROM. La formation se fait au petit bonheur la chance, mais c'est ainsi que va le monde.
Les partenaires sociaux doivent absolument discuter de cette question du financement de la formation multimédia, que ce soit sur une base bipartite ou tripartite. L'expérience, aux niveaux national et international, montre que la formation professionnelle est un domaine où les contradictions entre employeurs, travailleurs et gouvernements, lorsqu'elles existent, sont minimes. Il est tout à fait possible de parvenir à un consensus. A mon avis, la question du financement de la formation multimédia doit être incluse de toute urgence dans les discussions générales sur la formation. En France, la formation continue fait déjà l'objet de discussions et j'espère qu'il continuera à en être ainsi avec l'appui des partenaires sociaux.
Nous terminerons par la question du choix entre formation individuelle et formation collective. Le mot «multimédia» et l'expression «travailleurs multimédia» dénotent peut-être une approche plus individualiste que celle qui prévaut dans d'autres secteurs. Si tel était le cas, les stages de formation et les programmes de formation structurés seraient une occasion de regrouper des personnes pour définir des stratégies, échanger des idées, régler peut-être des conflits et travailler davantage en groupe, ensemble. Cela ne nuirait certainement pas à l'épanouissement de l'individu. Bien au contraire.
La formation pour les employeurs
et les salariés
Robert Zachariasiewicz(37)
On a beaucoup parlé des avantages que les économies modernes retiraient des techniques de pointe. Il apparaît que le progrès technologique ne supprime pas de bons emplois mais en crée. Selon le Bureau des statistiques du travail, l'emploi net aux Etats-Unis devrait augmenter d'environ 14 pour cent de 1994 à 2005. Toutes les catégories d'emplois qui exigent la poursuite d'études au-delà du lycée devraient enregistrer un taux de croissance supérieur à la moyenne, laquelle est de 14 pour cent.
Aux Etats-Unis, la formation est généralement assurée par l'entreprise. Selon la Société américaine de formation et de développement, les entreprises américaines consacreraient près de 55 milliards de dollars par an à la formation complémentaire, soit 20 pour cent de plus qu'en 1984. Or le nombre des travailleurs a depuis augmenté de 24 pour cent. Autrement dit, les dépenses du secteur privé n'ont pas vraiment suivi. C'est là un fait extrêmement troublant, les qualifications ayant aujourd'hui une importance bien plus grande qu'au début des années quatre-vingt.
Les nouvelles technologies de l'information et la mondialisation de l'économie qui leur est liée bouleversent les conditions d'emploi dans les secteurs les mieux rémunérés des différentes économies. Aux Etats-Unis, le fait fondamental est que l'emploi à plein temps cède la place à l'externalisation et à la sous-traitance, à l'emploi temporaire et au travail indépendant.
Alors que dans beaucoup d'autres économies importantes l'assurance maladie et vieillesse n'est pas à la charge des entreprises, il leur revient traditionnellement le soin de former et de recycler ceux de leurs salariés qui sont les mieux rémunérés. La formation est une question clé dans tous les pays. La formation continue est extrêmement importante si l'on veut que les travailleurs soient au fait des dernières technologies et s'adaptent à l'évolution rapide des besoins en matière de compétences.
C'est un fait si bien reconnu aux Etats-Unis qu'il est à l'origine des propositions fiscales inscrites dans la Déclaration des droits de la classe moyenne présentée par le Président des Etats-Unis. Si elles étaient approuvées, ces propositions procureraient aux individus les moyens financiers de poursuivre leurs études; elles prévoient en effet des déductions fiscales générales pour tous les types de formation et d'enseignement, et des crédits d'impôt limités pour les deux premières années d'études universitaires. Le reproche que l'on peut faire à ces propositions est qu'elles ne sont pas assez ciblées et qu'elles ne donnent pas l'assurance que les ressources sont utilisées à bon escient. Y a-t-il d'autres mesures et programmes qui sont utilisés dans d'autres pays pour faire face à ce problème (fonds pour la formation, centres de formation, comptes individuels-formation, contrats de formation, etc)? Si nous voulons être sûrs que, indépendamment de leurs conditions d'emploi, les travailleurs suivent l'enseignement et la formation continue nécessaires pour rester compétitifs, peut-être devrions-nous créer des comptes individuels-formation. Cela garantirait, en marge du système fiscal, un minimum de ressources pour la formation.
L'autre question qui se pose est de savoir si la formation professionnelle ou l'apprentissage traditionnel peuvent être organisés de manière à assurer ce surcroît de flexibilité que réclame la technologie? Si l'économie est mieux servie par des travailleurs qualifiés et formés qui se sentent impliqués, on doit se poser la question de savoir comment s'assurer une telle main-d'œuvre.
Il ne semble pas qu'aujourd'hui les travailleurs doivent assumer la charge de se former et de se recycler. La plupart des grands employeurs considèrent la formation comme un investissement et pas simplement comme un coût. Il serait toutefois intéressant de savoir si d'autres secteurs prennent les mêmes engagements et opèrent les mêmes changements que ceux évoqués par MM. O'Reilly et Werneke à propos de l'imprimerie et de l'industrie graphique. Nous devons essayer de voir quels sont les programmes de formation qui répondent le mieux aux besoins de ces secteurs. Nous pourrons ensuite avoir une discussion suivie sur les responsabilités des gouvernements, des employeurs et des travailleurs en matière de formation.
Discussion générale concernant l'impact
de la convergence sur les qualifications
exigées
Adriana Rozenzvaig, conseillère des travailleurs, a appelé l'attention sur l'hétérogénéité qui caractérise le secteur du contenu du fait non seulement des différences qui existent entre régions et pays, mais aussi de la coexistence au sein des entreprises de salariés très qualifiés et de travailleurs peu qualifiés. S'il est vrai que les travailleurs qualifiés peuvent négocier pour eux-mêmes, on ne peut pas en dire autant pour les travailleurs qui ont un niveau d'instruction très bas. Le recyclage et la formation complémentaire revêtent une très grande importance. La question de la formation et du recyclage est souvent abordée par les syndicats dans le cadre des négociations collectives. Une intervention tripartite est nécessaire. En Amérique latine, l'Etat s'occupe malheureusement très peu de l'amélioration des compétences. Les entreprises devraient s'intéresser à cette question pour plusieurs raisons. Premièrement, le secteur de l'information devient de plus en plus complexe et requiert des travailleurs qualifiés. Deuxièmement, les produits vendus demandent souvent de la part des consommateurs certaines capacités intellectuelles et des moyens financiers. Ces produits ne trouveraient pas acquéreur dans un pays où il y aurait des millions de personnes qui savent à peine lire et écrire. Les entreprises ont donc intérêt à éduquer les gens. Avant de songer à soulever la question de l'utilité des conventions nos 87 et 98 sur la liberté syndicale et le droit de négociation collective, rappelons-nous qu'il y a des pays où des enfants fabriquent des microprocesseurs et où des maquiladores interdisent formellement la création de syndicats, mettant ainsi en cause la liberté d'association. L'importance de ces deux droits fondamentaux ne doit certainement pas être mise en doute. L'OIT doit demeurer vigilante pour ce qui touche à l'application de ces conventions fondamentales.
Walter Durling, vice-président employeur, a souligné que les employeurs ne s'en étaient pas pris aux conventions nos 87 et 98 et qu'ils n'avaient pas parlé de manière méprisante des droits qu'elles consacraient. Il faut, bien au contraire, se servir de la liberté d'association et des négociations collectives pour améliorer la situation dans le secteur.
Kevin Tinsley, représentant du gouvernement du Royaume-Uni, a fait remarquer que la formation était un de ces domaines où la «main invisible» chère à Adam Smith était inopérante. C'est un cas classique de défaillance du marché. Cela pose la question de savoir qui paiera pour assurer une formation suffisante. Les employeurs pourraient continuer à en payer la plus grosse partie, mais ils rechignent souvent à investir dans le capital humain, ce genre d'investissement étant difficile à amortir. Afin de surmonter ces réticences, on pourrait envisager d'instituer des droits de transfert. Si une entreprise a formé un salarié et si celui-ci décide ensuite de la quitter pour une autre, le nouvel employeur versera à l'ancien une indemnité pour couvrir les frais de formation. Il serait également possible de taxer les employeurs pour assurer le financement de la formation. L'Etat utiliserait le produit de la taxe pour offrir des bons-formation. Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent assurément intervenir en cas de licenciement. Ils doivent assurer une formation aux chômeurs pour leur permettre de retrouver un emploi. En général, la réponse à la question de savoir comment atteindre un niveau optimum de formation dépend étroitement des institutions existant dans le pays. Le système de formation peut donc être très différent selon qu'il existe ou non depuis longtemps dans le pays des organisations bipartites ou tripartites.
Pour Chris Warren, vice-président des travailleurs, ce qui caractérise la formation c'est moins son hétérogénéité que sa bipolarité. D'une manière générale, ceux qui ont un emploi stable, comme le personnel des grandes entreprises, continueront, à la différence du personnel précaire, à avoir accès à la formation et au recyclage. Actuellement, le personnel précaire doit supporter le coût de sa formation. Ce fardeau pèse tout particulièrement sur les chômeurs, les personnes sous-employées et ceux qui travaillent très peu. Employeurs et pouvoirs publics doivent en ce domaine assumer leurs responsabilités.Les pouvoir publics doivent assurer une formation ou l'encourager tout en s'en remettant, pour l'assurer, à des institutions non étatiques. Les employeurs, qui ont besoin d'une main-d'œuvre temporaire flexible et qui en tirent avantage, devraient pour le moins participer au financement des stages de formation.
Jean-Pierre Lehr, du groupe des employeurs, a souligné que le secteur de l'information visuelle avait besoin, pour survivre, d'une main-d'œuvre hautement qualifiée. Ces vingt dernières années, 15 pour cent des investissements faits dans le multimédia sont allés au matériel technique. Ces appareils très perfectionnés, qui valent entre 100 000 et 2 millions de dollars, doivent être confiés à des techniciens très qualifiés, qui doivent en permanence recevoir une formation. Il est aussi essentiel que le secteur dispose d'un volant de travailleurs occasionnels ou à temps partiel bien formés, car il est fréquent dans les branches d'activité telles que la télévision que l'on ait besoin au pied levé de renforts. Il va de soi que les travailleurs permanents ont besoin, tout comme les travailleurs occasionnels ou les travailleurs à temps partiel, d'une formation suffisante. Les employeurs ont mis en place, en concertation avec les travailleurs, un mécanisme de financement qui devrait garantir une formation appropriée.
Michel Muller, du groupe des travailleurs, a évoqué les problèmes de l'accès à une formation appropriée, en phase avec le progrès technique, et de la reconnaissance de nouvelles qualifications. En France, des commissions consultatives paritaires se sont penchées sur la question, et des mesures ont été prises pour assurer le financement de la formation. Il reste, toutefois, à revoir, pour l'adapter aux besoins du multimédia, l'approche traditionnelle qui portait à proposer pour chaque secteur -- pour le spectacle ou les arts graphiques par exemple -- une formation particulière. Il faudrait prévoir un tronc commun pour toutes les branches de l'industrie du contenu. L'OIT devrait encourager tant les Etats que les employeurs à offrir ce type de formation.
Barbara Motzney, représentante du gouvernement canadien, a insisté sur la complexité de la convergence multimédia et de la société de l'information, et elle a mis en garde contre tout schématisme. Le déclin des grandes entreprises et la montée des petites et moyennes entreprises, qui devraient être le moteur de la croissance dans le secteur de l'information, posent un autre problème en matière de formation: les PME n'ont souvent que très peu de ressources financières à consacrer à la formation. Aucun stage de formation ne permettra, à lui seul, d'affronter les défis qui s'annoncent. Il faut absolument trouver de nouveaux modèles qui donnent une autre dimension à la formation. Il est indispensable de développer les capacités vitales.
Réponse des membres de la table ronde
Phil O'Reilly a souligné que la liberté d'association et la négociation collective étaient d'une importance capitale et qu'il fallait les défendre. Il faudrait toutefois s'assurer que les conventions nos 87 et 98 n'auront rien perdu de leur pertinence au XXIe siècle. Aussi serait-il bon de les examiner à la lumière des bouleversements qui affectent le marché de la convergence multimédia.
Selon Robert Zachariasiewicz, les problèmes auxquels est confronté le multimédia sont en grande partie de même nature que ceux qu'ont connus d'autres industries. Le discours actuel sur la nécessité d'initier les travailleurs du multimédia au maniement de matériels extrêmement onéreux n'est pas sans rappeler les propos qui étaient tenus il y a cinquante ans dans le bâtiment. Cependant, la question du financement de la formation est aujourd'hui plus complexe. Employeurs, travailleurs, Etats fédérés et fédéraux devraient tous investir dans la formation. Si n'importe qui peut s'acheter un logiciel pour acquérir de nouvelles compétences techniques, comme la capacité de créer une page sur le Web, reste à savoir où trouver les fonds nécessaires. Si la convergence multimédia supprime des emplois, elle ouvrira bien des débouchés intéressants. Cependant, ces créations d'emplois seront le fait de petites entreprises comptant entre 20 et 25 travailleurs, ce qui pose de nouveau le problème du financement, les PME n'ayant pas d'argent à investir dans la formation. Les nouvelles technologies et le phénomène de convergence posent de nombreux problèmes, comme celui du financement et des possibilités de formation, de la défense du droit de s'organiser et de négocier, de la généralisation de l'assurance vieillesse et maladie. Ces problèmes figurent au nombre des priorités recensées par l'ancien ministre américain du Travail, Robert Reich. En conclusion, on peut dire qu'il y a de nombreux problèmes à résoudre, et il est à espérer que l'OIT aidera à trouver les solutions appropriées.
Les technologies de l'information
et l'avenir du contrat de travail
Le télétravail en Italie:
le rôle de la négociation collective
Marco Biagi(38)
Le progrès technologique est un phénomène très complexe non seulement du point de vue technique, mais aussi parce qu'il suppose un changement radical d'optique sur le plan social. C'est pourquoi les nouvelles technologies -- et notamment le télétravail -- sont aussi contestés et continuent à se heurter à autant de résistance et de frictions.
En tant que spécialiste du droit du travail, je constate que le télétravail trouve difficilement sa place dans le cadre juridique italien, lequel établit une distinction très nette entre le salarié et le travailleur indépendant, justiciables de deux régimes de protection différents. Le système juridique ignore cette nouvelle forme de travail: le télétravail n'est certainement pas illégal, mais il n'est pas réglementé par le système juridique. Sa diffusion s'en trouve très fortement entravée.
Le télétravail n'est absolument pas répandu en Italie. On ne dispose d'aucune statistique officielle à ce sujet, mais il semble que le nombre des télétravailleurs soit des plus réduits. D'où peut venir cette résistance? Selon un sondage d'opinion récemment effectué par l'Institut milanais de recherche privé Teknova, le télétravail susciterait chez les salariés, les employeurs et les syndicats des sentiments contrastés. Quelque 86 pour cent des travailleurs sont en principe intéressés par cette forme de travail pour autant que certaines tâches puissent également être exécutées sur les lieux de travail habituels. Les employeurs, de leur côté, formulent des réserves quant aux changements qu'ils risquent d'entraîner sur le plan organisationnel et juridique, et ils s'interrogent sur la manière d'évaluer la performance, de calculer le salaire et de contrôler à distance le travail effectué. Par tradition, les syndicats sont hostiles au télétravail parce qu'ils y voient l'annonce de licenciements ou d'une introduction ou réintroduction du travail à la pièce. Ils semblent néanmoins y être plus favorables lorsqu'il est introduit à titre expérimental et dans le cadre d'une négociation, comme cela a été le cas pour Telecom Italia.
Le système juridique actuellement en vigueur en Italie dresse des obstacles à l'introduction du télétravail. Une loi, adoptée en 1970, interdit à l'employeur d'utiliser des moyens audiovisuels et autres installations similaires pour surveiller ou contrôler les salariés à distance. Le droit du travail manifeste une très grande méfiance à l'égard des moyens techniques de surveillance. Il dispose que seule une convention collective peut lever les restrictions légales. Or, de nos jours, les accords de ce type sont particulièrement rares.
Le plus important d'entre eux est probablement celui qui introduit le télétravail à Telecom Italia, la première société de télécommunications italienne. Un accord d'entreprise a été négocié et signé en 1995. Fait intéressant, il a été négocié dans un contexte marqué par des mutations et des compressions de personnel. Telecom Italia a lancé un projet de télétravail à domicile pour redéployer ceux de ses salariés qui risquaient sinon d'être licenciés. L'introduction du télétravail était un moyen d'éviter les licenciements ou du moins d'en limiter le nombre.
La direction avait choisi une activité qui semblait se prêter tout particulièrement au télétravail: les renseignements téléphoniques. Auparavant, lorsque vous demandiez un renseignement, l'opérateur qui répondait se trouvait dans la même zone géographique que vous. Aujourd'hui, la réponse viendra probablement de loin, selon toute vraisemblance du sud de l'Italie. Pour des raisons stratégiques, la direction de Telecom Italia a choisi de regrouper les opérateurs des services de renseignements dans des villes d'Italie du Sud particulièrement exposées au risque de licenciement. Il s'agit d'une expérience à laquelle participent, sur la base du volontariat, 200 opérateurs. Il est prévu qu'ils travaillent à temps partiel à domicile pendant au moins trois ans. La société se charge d'installer tout l'équipement qui leur est nécessaire et règle les notes d'électricité. Il y a eu conversion des contrats de travail à temps plein en contrats de travail à mi-temps. Il va sans dire que tous les salariés désireux de participer à ce projet ne peuvent pas être retenus. Ils doivent d'abord démontrer que leur domicile se prête à l'accomplissement de leurs tâches. Leur lieu de travail doit être séparé des parties de la maison réservées à la vie de famille, et être conforme aux normes techniques ainsi qu'aux normes de sécurité et de santé. Les candidats intéressés doivent manifester un réel intérêt pour le télétravail.
D'un point de vue juridique, le télétravail implique en l'occurrence simplement un déplacement du lieu de travail. Il n'affecte en rien le rôle ou le grade des salariés dans l'entreprise. Les télétravailleurs doivent, par conséquent, s'acquitter des tâches qui leur sont assignées et ils font l'objet d'une surveillance de la part de leur employeur. D'une manière générale, la discipline et la réglementation du travail auxquelles il sont soumis restent plus ou moins les mêmes, qu'il s'agisse de la durée du travail ou de l'aménagement du temps de travail. Le travail à domicile est exécuté pendant les heures de travail de l'établissement auquel sont rattachés les salariés et par roulement selon des modalité à préciser. Les fonctions hiérarchiques de routine liées aux relations employé/employeur sont assurées par télétraitement.
Comme il a été dit plus haut, le télétravail a donné lieu à des négociations difficiles parce que la loi interdit d'utiliser des moyens audiovisuels et d'autres équipements similaires pour surveiller et contrôler à distance l'activité des travailleurs. L'accord prévoit d'utiliser le même système de contrôle indirect que pour les opérateurs de saisie qui travaillent dans l'entreprise -- un voyant s'allume lorsque l'opérateur commence à travailler. De plus, la console du télétravailleur est équipée d'un système de reconnaissance vocale. L'accord précise que le télétravailleur fait toujours partie de l'entreprise et que toutes les informations et instructions administratives lui seront transmises électroniquement. Les parties a la convention sont également convenues que des mesures seraient prises pour assurer une bonne socialisation des télétravailleurs. Après trois ans de télétravail, un salarié peut demander à retravailler dans l'entreprise. A l'instar des syndicats, la direction espère que le télétravail séduira les salariés et qu'il pourra être étendu à d'autres services.
L'accord n'est pas particulièrement novateur ni audacieux. C'est simplement un premier pas dans la voie d'une diffusion du télétravail. A ce jour, vingt mois environ après l'entrée en application de l'accord, le principal problème paraît venir du manque de socialisation des travailleurs. Ils se sentent quelque peu isolés et ont parfois l'impression d'être abandonnés par leur direction. Ils craignent également de voir le déroulement de leur carrière ralenti. Ils jugent leur situation précaire et à la merci d'une possible compression du personnel.
Le second cas qui a retenu notre attention est celui d'Italtel qui a introduit le télétravail au début de l'année 1995. L'accord conclu prend acte de l'intérêt manifesté par les deux parties pour le télétravail et envisage son institution à Italtel. Il s'agit d'une expérience qui doit être tentée «sans aucune contrainte réglementaire ou pratique susceptible d'en compromettre ou d'en déterminer par avance l'issue». Le principal sujet de préoccupation des syndicats étant les perspectives de carrière et la situation professionnelle des salariés concernés ainsi que les risques d'isolement, l'accord garantit la participation de représentants syndicaux aux évaluations périodiques des travailleurs et il prévoit l'utilisation possible des moyens de communication pour la transmission des bulletins syndicaux. Enfin, l'entreprise et les représentants syndicaux sont convenus de réfléchir à une possible poursuite et extension de l'expérience ainsi qu'à l'établissement d'un accord-cadre «fixant les conditions et modalités d'une réglementation appropriée du télétravail». Cette expérience sera bien sûr conduite sur la base des observations et résultats échangés.
Pour ce qui est des conditions particulières de l'expérience, une lettre a été soumise pour approbation à chaque télétravailleur, conformément à la convention collective. Le fait essentiel est que le télétravail a été introduit sur la base du volontariat, le travailleur et l'entreprise étant libres d'interrompre l'expérience à tout moment. Le télétravailleur travaillera périodiquement dans les locaux de l'entreprise. Afin de rendre le télétravail plus attrayant, il a été décidé que les télétravailleurs n'effectueraient pas d'heures supplémentaires et ne travailleraient pas la nuit ou les jours fériés. Par ailleurs, la société s'est engagée à verser périodiquement aux télétravailleurs une somme forfaitaire en remplacement des primes auxquelles ils ne peuvent prétendre comme, par exemple, le supplément cantine.
Le télétravail, tel qu'il est conçu par les accords passés chez Telecom Italia et chez Italtel, est un travail salarié. C'est nouveau mais pas vraiment innovant. Le télétravail peut toutefois représenter bien davantage. Sur le plan juridique, il peut avoir de multiples facettes: travail de chef d'entreprise, prestations de services ou exécution d'une tâche en qualité de travailleur indépendant, contrat de coopération, voire contrat de travail décentralisé, par exemple. Le télétravail est une notion abstraite et générale et, tôt ou tard, il faudra inventer une nouvelle terminologie. Le télétravail ne se ramène pas au simple fait d'être relié à un client, à un employeur ou à toute autre personne par une technologie. Il s'agit d'un phénomène sociologique qui exigera probablement de nouvelles définitions sur le plan juridique.
Au sein des deux sociétés précitées, la question a été posée de savoir si la direction avait intérêt à introduire le télétravail et si les travailleurs avaient intérêt à l'accepter. Pour la direction, l'organisation du télétravail est une opération difficile, complexe et coûteuse. Les chefs d'entreprise ne sont souvent pas préparés à gérer les ressources humaines de cette manière. Il faut du temps pour obtenir un bon fonctionnement du télétravail. Les deux études de cas et les autres expériences sur lesquelles je me suis penché m'ont néanmoins conduit à penser que le télétravail pourrait créer pour la direction à l'avenir un avantage compétitif. Pour quelle raison?
Lorsqu'elle instaure le télétravail, la direction doit inévitablement revoir les structures de l'entreprise dans un souci d'efficacité. Il est pour ainsi dire indispensable de rechercher et d'obtenir l'adhésion des salariés, dans la mesure où cette forme de travail ne peut fonctionner efficacement que si les télétravailleurs y sont étroitement associés. Compte tenu de l'état des relations professionnelles en Italie, il est impossible d'introduire le télétravail si les syndicats ne coopèrent pas étroitement avec la direction. Il est facile de voir qu'une telle expérience est de nature à créer des relations professionnelles plus cordiales, moins antagonistes et plus propices à la coopération. Les deux partenaires sociaux participent à la même expérience. Ils frayent ensemble des voies nouvelles. Ils se sentent plus proches.
Je suis néanmoins troublé par le fait que notre expérience montre que le télétravail ne procède pas toujours d'un libre choix. Les travailleurs rechignent au télétravail dès lors qu'il existe d'autres solutions viables. Le télétravail est aux termes de la loi facultatif, mais dans la réalité les travailleurs n'optent pour le télétravail qu'en l'absence de toute autre alternative. J'en viens donc à me demander dans quelle mesure le choix est véritablement libre s'il n'y a pas d'autre option envisageable. Nous devrions probablement prêter plus d'attention à cette distinction volontaire/involontaire et faire preuve d'une plus grande sincérité.
Comment réguler au mieux les nouvelles formes de travail liées aux nouvelles technologies et notamment le télétravail? A mon avis, la négociation collective est préférable à la législation. Après tout, dans la plupart des pays, la législation est quelque peu dépassée. Elle prend difficilement en compte les nouvelles réalités et, en particulier, les nouvelles formes de travail. Elle ne peut suivre l'évolution des techniques. Ainsi, le législateur ne devrait intervenir qu'une fois ancrées les nouvelles pratiques; la négociation collective est dans tous les cas préférable. Les deux partenaires sociaux pourraient pour les besoins d'expériences inédites, définir à titre expérimental de nouvelles règles qui fassent une grande place à la flexibilité. Ces règles pourraient, être revues périodiquement au vu des résultats de l'expérience. Par la négociation collective, il est possible de parvenir à un véritable consensus -- et non pas à une orientation imposée d'en haut -- à un accord commun sur la meilleure façon de tirer parti des nouvelles technologies sans tomber dans leurs pièges. En Italie, en France, en Espagne et dans bien d'autres pays du globe où la négociation collective est une pratique bien ancrée dans les habitudes, je peux d'ores et déjà prédire que ce sont des conventions collectives qui, dans un avenir proche, réguleront les nouvelles technologies.
Discussion générale sur le télétravail
et sur le rôle de la négociation collective
Aidan White de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a déclaré que les journalistes étaient des partisans fervents de la technologie et se félicitaient des perspectives qu'ouvraient les changements et notamment les nouveaux services d'information. Cependant, les turbulences que connaît la profession soumettent les journalistes à d'inacceptables pressions: les emplois à plein temps se font plus rares, la sécurité et la santé au travail sont de plus en plus négligées, les investissements dans la formation diminuent et les possibilités offertes au journalisme d'investigation vont s'amenuisant. Les études confirment ces tendances. Le pourcentage de journalistes indépendants a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie; il avoisine les 40 pour cent en Allemagne et est de 30 pour cent au Royaume-Uni. Cette évolution ne traduit pas un désir soudain des journalistes de se mettre à leur compte; elle est simplement due au fait qu'ils n'ont pas d'autre choix. La pression à laquelle ils se trouvent soumis est devenue inacceptable. En tant qu'auteurs, les journalistes ont tout intérêt à protéger leurs droits économiques en ce qui concerne l'exploitation future de leur travaux, mais la défense des droits moraux est également importante à l'ère de la manipulation numérique. L'OIT doit continuer à jouer son rôle dans le domaine de la propriété intellectuelle. Le contenu et la qualité de la nouvelle société de l'information sont des questions qui préoccupent tout particulièrement les journalistes. Un dialogue nourri est indispensable pour parvenir à un accord et créer un cadre nouveau mieux adapté à l'évolution technologique. Ce colloque devrait être suivi de mesures propres à favoriser un tel dialogue, à défendre les valeurs démocratiques fondamentales et à susciter des recherches conjointes. Toutes ces mesures sont indispensables si l'on veut que le changement profite à tous et que les nouvelles branches d'activité se développent.
Dominique Schalchli, représentant du gouvernement français, a fait observer que, au lieu de se concentrer sur les spécialistes de l'information aux prises avec le multimédia, une discussion sur le télétravail devrait examiner les conséquences du progrès technologique pour les entreprises de demain, et notamment pour celles qui ne se sont pas spécialisées dans les services d'information. Il a évoqué la convention (no 177) sur le travail à domicile, 1996, qui présente le télétravail comme une forme de travail à domicile propre à la société postindustrielle. Le télétravail devrait par conséquent être examiné dans le cadre défini par cette convention.
Walter Durling, vice-président des employeurs, a mis en garde contre la tentation de restituer le télétravail dans le cadre de la convention sur le travail à domicile, vu les conditions dans lesquelles celle-ci avait vu le jour. Le groupe des employeurs du Conseil d'administration s'est opposé pendant près de cinq ans à l'inscription du travail à domicile à l'ordre du jour de la Conférence. La raison invoquée initialement pour soumettre le problème du travail à domicile à une commission technique était les conditions de travail des Indiens fabricants de cigares. Le groupe des employeurs de cette commission était opposé à toute recommandation ou convention, au motif qu'il s'agissait d'une question régionale par nature. Aussi la convention sur le travail à domicile a-t-elle été adoptée sans l'approbation des employeurs. En raison du manque de données et d'analyses sur le sujet, cette convention n'apporte pas et ne saurait apporter de réponse aux nouveaux progrès de la technologie. Le télétravail ne cesse d'évoluer. Le matériel et les logiciels devenant plus sophistiqués, on peut s'attendre à une transformation du télétravail.
Kevin Tinsley, représentant du gouvernement du Royaume-Uni, a fait observer que, si le travail à domicile et le télétravail pouvaient avoir des traits communs, ils se distinguaient l'un de l'autre par le fait que l'un reliait électroniquement les travailleurs à leur employeur et l'autre non.
Jürgen Warnken, représentant du gouvernement allemand, a relevé beaucoup de similitudes entre l'Italie et son propre pays en matière de télétravail. Une surveillance étroite des télétravailleurs via les nouveaux médias n'est ni possible ni souhaitable. Lorsque les employeurs et les travailleurs entretiennent de bonnes relations, les horaires de travail peuvent rester relativement flexibles, le travailleur étant libre de les moduler. Cette faculté est inscrite dans un projet de convention collective actuellement en discussion en Allemagne. En outre, il est indispensable de laisser au télétravailleur la possibilité de retourner à une forme de travail plus traditionnelle s'il découvre que le télétravail est incompatible avec son mode de vie. Ces deux libertés sont indispensables si l'on veut tirer pleinement parti des potentialités du télétravail, forme de travail nouvelle qui intéresse non seulement les emplois peu qualifiés, mais aussi d'autres postes à hautes responsabilités, plus exigeants. Le développement du travail indépendant et l'augmentation parallèle du nombre des contrats individuels ne signifient pas que les conventions collectives et les relations professionnelles actuelles sont condamnées, mais simplement qu'elles doivent s'adapter. Certains travailleurs ne sont sans doute plus intéressés par les conventions collectives actuelles, mais ils pourraient apprécier certaines interventions des organisations collectives. Les conventions collectives pourraient ménager une grande flexibilité et en particulier la latitude de fixer comme on le veut ses horaires de travail.
Frank Werneke du groupe des travailleurs a déclaré que, dans de nombreux secteurs, beaucoup de travailleurs avaient marqué leur intérêt pour le télétravail, mais celui-ci devrait être pratiqué en alternance dans le cadre d'une relation de travail ordinaire. Les conventions collectives devraient en fixer les modalités précises. L'orateur est convenu de la nécessité de réguler des phénomènes nouveaux comme le télétravail par des conventions collectives qui tranchent sur les anciennes. Le principal est toutefois de parvenir à de tels accords. Les télétravailleurs ne sont, en général, pas représentés collectivement parce que le télétravail, dans sa forme actuelle, n'est en réalité pas une forme protégée de travail en alternance, mais est organisé en marge de l'entreprise. Ce déséquilibre des forces rend souvent impossible la conclusion de conventions collectives. Dans ces conditions, l'Etat doit intervenir pour fixer des normes minimales. En outre, la représentation des travailleurs devrait être organisée de manière à inclure les télétravailleurs. Il est non seulement dans l'intérêt des travailleurs, mais également dans celui des employeurs, de parvenir à des accords collectifs. L'union patronale allemande ne veut pas attendre qu'il y ait de grandes manifestations.
Chris Pate de la Fédération internationale des arts graphiques (FGI) est revenu sur la question du caractère volontaire du télétravail. Bien que certaines catégories de salariés aient apparemment manifesté un certain intérêt pour le télétravail, les cadres moyens et subalternes semblent y opposer une certaine résistance. Les recherches menées en Europe et en Nouvelle-Zélande montrent que des incidents ont éclaté lorsque la récession économique a obligé les parents à combiner télétravail et garde des enfants. Pour dissimuler cet état de choses, ces personnes sont même allées jusqu'à cacher leurs enfants dans des armoires lorsque les surveillants de l'entreprise venaient leur rendre visite. Le télétravail risque de scinder la population active en deux: un noyau de salariés mieux protégés, mieux rémunérés et plus qualifiés, et une seconde catégorie, celle des télétravailleurs, qui pourrait même devenir une sorte de ghetto pour les femmes. Il faudrait appliquer aux télétravailleurs les normes de l'OIT et la directive du Conseil de l'Union européenne concernant l'aménagement du temps de travail. Les conventions collectives devraient en assurer l'application. L'OIT, quant à elle, devrait veiller à ce que ses normes soient appliquées.
Kevin Tinsley a fait observer que, si le télétravail avait un coût, il avait également des retombées bénéfiques. Les gestionnaires doivent en tenir compte dans la façon dont ils organisent le travail. Le télétravail peut être utilisé non seulement pour réduire les coûts, mais aussi pour améliorer l'efficience d'une branche d'activité, et partant, pour préserver des emplois. Il profite à terme à l'emploi. Les études montrent un large intérêt des travailleurs pour le télétravail. Ce sont les employeurs qui sont réticents et qui sont lents à tirer parti des possibilités nouvelles qu'offre la technologie. Pour que le télétravail soit librement choisi, il faut offrir davantage de possibilités d'emploi. L'incidence que peut avoir le télétravail sur les économies régionales ne se limite pas à l'Italie, où le fossé entre le nord et le sud s'est encore creusé, mais elle s'étend à la politique régionale des autres pays.
Marco Biagi a souligné qu'il fallait distinguer le travail à domicile du télétravail. Si le législateur devrait à terme réguler le télétravail, son intervention serait aujourd'hui prématurée. Les travailleurs qui ont opté pour le télétravail devraient être libres soit de faire machine arrière et de revenir à une forme de travail plus traditionnelle, soit de poursuivre l'expérience. Le télétravail n'étant pas toujours librement choisi, la direction devrait prendre des dispositions en vue de mieux associer, motiver et encourager les télétravailleurs. Il faut consentir des investissements pour développer la formation, la motivation et de nouvelles techniques de gestion des ressources humaines. Sinon, le télétravail pourrait devenir contre productif. Pour prévenir l'apparition d'une population active à deux vitesses, il est indispensable de garantir aux télétravailleurs les mêmes droits fondamentaux qu'aux salariés traditionnels, notamment en ce qui concerne la durée du travail. En Europe, par exemple, la directive du Conseil de l'Union européenne concernant l'aménagement du temps de travail devrait s'appliquer aux télétravailleurs. Le télétravail a, entre autres, pour avantage de permettre de mieux concilier la vie professionnelle et les responsabilités familiales et de s'épargner le désagrément de faire la navette entre le bureau et le domicile.
Les changements de nature
des relations de travail
Walter Durling(39)
Je vous convie aujourd'hui à un voyage, un voyage imaginaire. Imaginez-vous assis dans cette même salle; quelque chose a changé, mais vous ne savez pas pourquoi -- pas encore. Imaginez que, m'étant levé de mon siège, je suis arrivé devant vous et que je suis sur le point de parler:
Messieurs, Mesdames, avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous demanderai de régler votre montre sur la mienne. Nous sommes le mercredi 29 janvier 2022 et il est exactement 10 h 14. Pour écarter toute supposition immédiate, je puis révéler que c'est Futura, la drogue miracle de Clark et Layman, qui a rendu possible ce voyage et qui me donne tout mon allant. Vous devez à présent savoir que le micro que j'ai en face de moi est une simple perche. Ils satisfont les caprices des membres de ma génération qui ne peuvent s'adapter aux enceintes sonores individuelles qui entourent le sommet de votre tête et prennent naissance à la base de votre siège. Ils tiennent à mettre ces horribles écouteurs lourds et inactifs. Si on les laissait faire, ils tripoteraient les boutons et les commandes au lieu d'utiliser les ordinateurs individuels plats qu'ils ont devant eux pour enclencher leur propre service de traduction. A ce propos, on a installé juste à temps pour le colloque ces écrans holographiques.
J'ai été invité à traiter des progrès du multimédia et de son impact sur la dynamique des relations de travail. Permettez-moi toutefois, avant d'en venir là, de jeter un regard rétrospectif sur les vingt-cinq dernières années et de retracer tous les progrès techniques qui se sont succédé depuis 1997.
Depuis le premier colloque consacré à la convergence multimédia qui s'est tenu dans cette même salle en janvier 1997, la révolution technologique a continué sans désemparer. Elle a entièrement renouvelé le concept de bureau. Les machines à écrire mécaniques et électriques ont désormais leur place dans les musées nationaux partout dans le monde. Le clavier de l'ordinateur n'est utilisé que dans le monde analphabète. Pour le 25e anniversaire du premier colloque consacré à la convergence multimédia, le Bureau a réussi à obtenir un échantillon des derniers gadgets et innovations. Vous pouvez communiquer oralement avec votre ordinateur individuel ou avec votre robot électronique (ou RE, si vous voulez être à la page) et vous pouvez converser dans n'importe quelle langue, y compris en wu, langue de la province du Jiangsu, ou en fujianese, langue de la province du Fujian. Nous le devons au bureau pékinois de la société Microsoft.
La voix métallique que vous entendez traduire mes paroles n'est pas due à une déficience du module de traduction universelle qui est logé dans les sous-sols de ce bâtiment. Comme vous le savez, ce module a remplacé les interprètes humains il y a deux ans. Le son métallique est principalement dû à un défaut de réglage dans l'installation des enceintes sonores individuelles. La délimitation de chaque enceinte exige encore des réglages minutieux lors de l'installation des bobines à la base des sièges. Ces bobines doivent être ajustées de façon à ce que le champ sonore accompagne les mouvements de votre tête, mais les réglages nécessaires seront effectués sous peu.
Quelle est la nature véritable des changements apportés par la technologie? C'est simple. Toutes les relations de subordination ont fait place à des rapports de collaboration. Les secrétaires ont été remplacées il y a longtemps par ce que nous appelons aujourd'hui des assistants. De leur capacité à communiquer avec les instruments techniques dépend l'efficacité des techniques de gestion. De nos jours, la plupart d'entre nous dictons nos lettres et nos mémorandums directement au robot électronique. Nos assistants prennent connaissance de nos instructions et peuvent les compléter dans la mesure où ils y sont habilités. Ils peuvent agir même lorsqu'ils se rendent à la cafétéria grâce aux écrans holographiques disposés dans le couloir. La taille de ces écrans plats est de 50 pouces, soit l'équivalent de 1 m 25 en diagonale, et certains sont doués des cinq sens. Ils entendent, ils voient, ils sentent, ils fournissent des données gustatives et permettent un toucher interactif. Une assistante peut même goûter le mélange de café qu'elle s'est préparé en léchant l'écran holographique. Ses papilles gustatives sont immédiatement activées par des impulsions électroniques. Qu'on compare cela au travail fastidieux auquel les secrétaires d'antan étaient astreintes. Les assistants n'ont plus à manier des papiers. Il suffit de simples instructions orales pour que les mots, les concepts, les diagrammes, les dessins et les images s'assemblent sur les écrans holographiques. Seule la demande du monde analphabète maintient en activité nos papeteries. Les instruments technologiques actuels nous permettent de mettre un terme au déboisement du monde alphabétisé.
La distinction entre gestionnaires et administratifs ne cesse de s'estomper. Le bureau «démocratique» que je qualifierais de technologique ignore les hiérarchies. Le Centre de traitement de la société analyse et mesure l'efficacité et l'importance de la contribution de chacun des assistants. Il détermine comment ils influencent et améliorent les processus de production. Il n'enregistre pas seulement les données et les temps; il calcule également leurs salaires en conséquence. Comme vous le savez, les contrôles ne sont plus depuis longtemps effectués par les hommes, mais assurés par le centre. La nouvelle génération d'écrans holographiques qui arrivera sur le marché à l'automne prochain fournira des données complètes et de meilleure qualité qui s'adresseront aux cinq sens.
Le contrôle de qualité des contributions orales comme du reste celui des produits et des services a atteint un tel degré de perfectionnement qu'aucun sens humain ne peut rivaliser avec les centres de traitement de la cinquième génération. Les assistants pourront donner des instructions verbalement ou par simple effleurement de l'écran. Les écrans holographiques offrent des services de téléphonie vidéo et en duplex dans le monde entier. Leurs nouvelles propriétés gustatives et olfactives ont suscité des débats animés dans l'ensemble des médias, et les comédiens ont eu une bonne journée avec la question du respect de la vie privée.
Les écrans holographiques incorporent des contrôles de sécurité comme la reconnaissance de la voix, l'analyse des empreintes digitales et l'examen de l'image personnelle. On dit que les nouveaux attributs sensitifs peuvent imiter les phéromones de ces satanés papillons estivaux. Cela devrait faire vendre davantage d'écrans pour les portes ou les entrées des bungalows sur les plages ou les terrains de camping. Les écrans holographiques ont profondément modifié les relations entre les salariés et la direction dans les établissements industriels. Le monde analphabète en reste aux négociations collectives de type ancien qui prennent du temps et demandent la participation de chacun.
Les responsables de la société peuvent, devant leurs écrans, conduire des négociations collectives en ayant au bout des doigts, en toute sécurité et unilatéralement, des informations financières et des chiffres de production détaillés pour les aider. Ils peuvent approuver chaque accord en posant la main droite ou gauche sur l'écran. Les responsables syndicaux ont de leur côté à leur disposition toutes les données financières et salariales que leur ont fournies les pouvoirs publics et leurs propres organisations. Il est facile de voir l'écriture sur le mur ou, je devrais dire, l'écran.
La durée des accords passés avec les syndicats ne cesse de se réduire; vous ne devriez pas être surpris d'apprendre que des accords ont été passés pour un mois afin de mieux coller aux demandes du marché. Les recrutements sont largement facilités par les derniers instruments technologiques. Les entretiens personnels peuvent s'effectuer entre le bureau et le domicile du candidat, et il est possible de s'assurer sur le Net le concours de psychologues, de médecins et de formateurs en leur donnant des consignes orales. Ce qui autrefois prenait du temps est aujourd'hui l'affaire de quelques minutes. Le médecin peut effectuer son examen tandis que vous vous entretenez avec le candidat. Le psychologue peut également juger les réponses du candidat et obtenir un profil psychologique en quelques secondes; de son côté, le formateur peut automatiquement déceler les faiblesses du candidat et décider des correctifs à apporter, le tout en une séance qui prend habituellement moins de dix minutes. L'énorme banque de données disponible sur le Net nous donne la faculté de comparer les lectures et les radiographies faites du candidat même par nos propres concurrents. Nous avons pratiquement toute la population employable au bout de nos doigts. Il suffit d'effleurer l'écran.
Le domaine des services professionnels a plus que quintuplé au cours des dix dernières années. La première génération des spécialistes diplômés de l'université multiplie à présent les incursions dans ce qui était le domaine d'activités des travailleurs et ce qui était appelé les cols blancs. Les services sur le Net et l'ampleur du réseau ont favorisé le travail à domicile et l'apparition de centres de traitement modulaires indépendants dans les centres commerciaux suburbains et même dans les grands ensembles résidentiels.
Les petites et moyennes entreprises n'ont plus besoin d'autant de biens immobiliers que pendant la révolution industrielle et la deuxième moitié du siècle dernier. Les prix des immeubles flambent à présent dans la plupart des quartiers des centres-villes. Il est impossible de prévoir quand s'arrêtera cet emballement dans le renouveau des centres-villes. Les immeubles de bureau vendent des condominiums reconvertis comme des petits pains. Les familles élisent domicile en plein cœur des cités.
Tous ces progrès techniques ont-ils exigé une redéfinition de l'employeur et de l'employé? Non. L'importance et la nature du capital investi dans une entreprise de production qui fait des bénéfices ont peut-être changé quelque peu, mais la technologie a favorisé une diversification des PME. L'assistant et l'ouvrier d'usine pourraient se définir comme des personnes physiques qui s'engagent, aux termes d'un accord verbal ou écrit, individuel ou collectif, explicite, tacite ou présumé, à servir manuellement ou intellectuellement une autre personne physique ou juridique sous les ordres, le contrôle et l'autorité de laquelle ils se placent. L'employeur est toujours la personne physique, juridique ou constituée en société qui bénéficie des services des travailleurs qui sont placés sous son contrôle. Comme je vous l'ai dit, les contrôles peuvent être effectués par des personnes physiques ou électroniquement. Nous avons toujours des gourous qui disent aux assistants et ouvriers d'usine qu'ils ne feront jamais d'argent en travaillant pour les autres. Il y a des systèmes qui portent les gens à travailler quelques heures seulement par semaine pour gagner ce dont la plupart des gens rêvent. Le fait est que les progrès techniques continueront à favoriser la créativité et la quête de l'indépendance. On a besoin de sentir que l'on est à la barre du bateau, de son bateau. C'est pour ces deux raisons que le nombre des travailleurs indépendants continuera à augmenter. Les cyberentrepreneurs jouent un rôle moteur dans le domaine de la technologie. Ils utilisent leur imagination pour créer de nouveaux biens et services qui satisfont aux besoins et aux désirs d'un monde alphabétisé hautement sophistiqué. Nous espérons que la technologie sera utilisée pour répondre à ces besoins et pour préserver la paix dans le monde. C'est mon voyage.
L'évolution des conditions d'emploi
et ses répercussions sur les relations
professionnelles
Tony Lennon(40)
Du point de vue des syndicats, l'identité et la nature de l'employeur constituent l'un des principaux paramètres qui rendent compte de la nature des relations de travail. A l'heure actuelle, nous assistons à ce que j'appelle un choc des cultures entre les trois principaux sous-secteurs qui apparaissent dans le multimédia. Chaque groupe a des relations de travail spécifiques.
Le premier groupe rassemble les fournisseurs de contenu, c'est-à-dire une grande partie de l'audiovisuel et de la production intellectuelle comme, par exemple, les organismes de radiotélédiffusion, les sociétés de production cinématographique, des pans de l'industrie musicale et les maisons d'édition. Très souvent, dans ce secteur, les entreprises publiques côtoient des entreprises privées. S'il faut demander à ceux qui dirigent ces sociétés pourquoi ils le font, beaucoup répondront qu'ils croient à la qualité de leurs produits et dans les valeurs du service public. C'est ce qu'ils pensent dans leur for intérieur. Les relations professionnelles dans le secteur restent bonnes ou commencent tout juste à se dégrader. Elles sont assez solides, mais la reconnaissance des syndicats fait place aux contrats individuels.
Le deuxième groupe est celui des sociétés de distribution au nombre desquelles les sociétés de télécommunication. C'est grosso modo une chaîne de distribution qui associe également, dans certains cas, des entreprises privées et publiques. Les acteurs du secteur entendent aussi fournir un produit de qualité mais, aujourd'hui, presque tous se préoccupent d'engranger des bénéfices. Même dans les entreprises publiques, le profit est à présent un sujet de préoccupation. Les relations professionnelles ont, dans ce secteur, perdu de leur efficacité. Dans certains cas, elles se sont défaites complètement. De nombreuses maisons d'édition ne reconnaissent plus les syndicats et beaucoup de stations de radiotélévision ne traitent plus avec eux. C'est un groupe intermédiaire.
Le troisième groupe englobe tous les nouveaux opérateurs, depuis l'entreprise individuelle jusqu'aux alliances mondiales qui pèsent 5 millions de dollars en passant par les «start-up». L'un des traits majeurs de ces nouveaux opérateurs est qu'ils appartiennent tous au secteur privé. Si vous les interrogez sur leur motivation, ils peuvent tenir des discours visionnaires, mais le profit est leur mobile premier. Pour ce qui est des relations professionnelles, beaucoup des gens du secteur ne sont pas syndiqués -- ils ne sont pas nécessairement contre les syndicats, mais ils ne sont tout simplement pas syndiqués. Le choc des cultures que j'évoquais plus haut se marque au traitement que ces trois groupes réservent actuellement aux syndicats.
Les branches d'activité qui relèvent du premier groupe ne sont pas nouvelles. Si des vieux metteurs en scène revenaient dans un studio après cinquante ans d'absence, ils pourraient nommer pratiquement tous les métiers qui interviennent dans la réalisation des films: machiniste de plateau, premier assistant, clapman, chef électricien, bruiteur. Ce sont là des titres qui n'ont pas changé en l'espace de cinquante ans.
Pourquoi l'industrie du film n'a-t-elle pas changé? Passons en revue tous les arguments possibles. N'y a-t-il eu aucun progrès dans ce secteur? C'est bien sûr manifestement faux. L'industrie du film est de nos jours techniquement très sophistiquée. Est-ce parce que les syndicats sont particulièrement forts? Certes, beaucoup de syndicats du cinéma sont forts et c'est un secteur où le taux de syndicalisation est très élevé mais, quelle que soit votre force, vous ne restez pas sans bouger pendant cinquante ans. Est-ce parce que les employeurs sont particulièrement généreux et qu'ils sont bons envers leurs employés? Vous pouvez en juger par vous-mêmes.
A mon sens, c'est dans le processus de production que réside l'explication. Dans l'industrie du film, il faut des années pour qu'une idée prenne corps. Trouver de l'argent et s'occuper de la distribution prend des mois, voire des années. Les opérations postérieures au tournage comme le montage représentent des semaines et des mois de travail. La distribution est une affaire d'années, voire de décennies. La vente de produits dérivés peut se prolonger pendant des dizaines d'années. Le cycle du produit est en fait extrêmement long et la production en est un des moments forts.
Que se passe-t-il à ce stade? Quiconque a participé à la réalisation d'un film vous dira que, si le processus paraît durer des années, il ne prend en fait que quelques semaines ou que quelques mois, et c'est une véritable panique. Les personnes qui sont impliquées dans la réalisation d'un film, et en particulier les producteurs et les responsables de l'industrie du film, se concentrent sur la tâche du moment et non pas sur le cycle du produit. Ils peuvent penser qu'il n'est pas réellement utile de s'attaquer à des problèmes qui sont une affaire de trois mois, alors qu'ils tireront leur argent des dix-neuf ans et neuf autres mois.
Considérons maintenant les nouveaux opérateurs. Beaucoup d'entre eux ont également tendance à faire porter tous leurs efforts sur la tâche du moment. C'est bon pour les relations professionnelles. Lorsque les employeurs paniquent, c'est bien pour les syndicats. Nous intervenons, ils veulent que quelque chose soit fait immédiatement, nous donnons notre prix et ils paient. Beaucoup de projets dans ce domaine sont nouveaux. Les sociétés se lancent dans la création. Elles sont petites, manquent d'expérience et n'ont tout simplement pas réfléchi au processus dans lequel elles s'engagent. Elles ont des délais à respecter et elles n'ont le temps de penser à rien d'autre qu'au travail qui les attend.
Cela nous amène à parler de leur autre trait caractéristique. Très souvent nouvelles, ces entreprises n'ont aucune expérience des relations professionnelles et les personnes qu'elles emploient sont souvent novices en matière de gestion. Nombre d'entre elles sont petites. C'est un fait capital du point de vue des relations professionnelles car il est plus facile de traiter avec une grande entreprise qui a un service du personnel, une culture de la gestion et une histoire.
Ces petits opérateurs ont pour caractéristique d'être en plein essor. La plupart ont démarré depuis peu et sont sur une courbe ascendante. C'est un fait important pour les relations professionnelles. Beaucoup des nouvelles entreprises du secteur de l'informatique peuvent soutenir qu'elles n'ont pas besoin de syndicats parce qu'elles sont en plein essor et que leur personnel est bien sûr heureux. Le personnel est heureux en partie parce que l'entreprise n'a jamais connu de crise. La plupart des petites maisons d'édition multimédia qui créent des titres n'ont jamais été obligées de procéder à des licenciements collectifs. Elles n'ont pas connu de récession. Aussi le personnel peut-il ne pas ressentir le besoin de relations professionnelles convenables.
Quels problèmes cela pose-t-il aux syndicats? Le secteur se transforme à un rythme vertigineux. Cela ne va pas sans créer des difficultés aux syndicats qui, comme beaucoup d'institutions, évoluent parfois lentement. Pour tenir compte de l'état des relations professionnelles dans le secteur, nous devons apprendre à changer.
La nature des changements fait également problème aux syndicats puisque en effet les employés «atypiques» sont souvent considérés comme des travailleurs indépendants. Il y a à l'évidence des employeurs qui estiment que ces salariés ne sont pas de véritables employés. Il est difficile d'amener les employeurs à parler de leurs employés à temps partiel quand il n'y a pas un véritable engagement réciproque.
Parfois, nous avons des difficultés à identifier l'employeur. L'industrie du film en donne une illustration. Les sociétés cinématographiques ont pour tout actif une plaque de cuivre à leur nom apposée sur la porte du bureau qu'elles louent et un carnet d'adresses. Dans ces conditions, il est très difficile de repérer l'employeur. Quand, enfin, vous l'avez identifié et vous tentez de lui parler, vous apprenez que la société est en cessation de paiement ou a déménagé. C'est un problème pour nous.
L'âge des salariés est également important. Ils sont jeunes. Ils appartiennent à une génération qui n'a pas nécessairement hérité d'un sens aigu de la solidarité et d'une claire conscience de la nécessité des syndicats. Les jeunes se préoccupent rarement de la retraite, de la sécurité de l'emploi ou du recyclage à mi-carrière. Cependant, la nouvelle génération de travailleurs peut changer d'attitude dans quinze ans quand elle aura des obligations et une famille et quand elle prendra conscience du fait qu'un jour elle partira à la retraite.
Le licenciement des travailleurs est un autre problème qui préoccupe les syndicats. Il ne faut pas oublier que les travailleurs licenciés représentent pour nous un problème aussi grave que les nouveaux travailleurs parce qu'ils sont encore membres du syndicat et qu'ils veulent encore du travail. C'est pourquoi la définition d'une stratégie pour faire face au problème figure au nombre des objectifs prioritaires des syndicats.
Le dernier problème auquel sont confrontés les syndicats n'est pas tant un problème qu'un défi et une opportunité. Les services aux membres sont devenus une part plus importante du travail syndical dans pratiquement tous les pays. Les salariés «atypiques» ont généralement une carrière éclatée. Ils travaillent pour différents employeurs et peuvent travailler régulièrement à temps partiel. L'une des principales décisions que les syndicats ont à prendre porte sur la stratégie à adopter pour combler le fossé qui sépare leurs membres en termes de conditions d'emploi.
Il est courant de nos jours que les travailleurs du secteur adhèrent aux syndicats pour bénéficier des services qu'ils offrent (formation professionnelle, assurance, service -- conseil juridique et fiscal). Il y a dix ans, c'eut été dans mon pays une trahison -- une négation de la lutte des classes -- que d'offrir ces services mais, aujourd'hui, nous devons nous assurer qu'ils sont offerts aux membres. Cela indique que les besoins des gens et les sujets que les syndicats pourraient souhaiter aborder avec les employeurs seront différents à l'avenir car nous pensons, en des termes nouveaux, à faire la soudure entre les périodes où les gens ne travaillent pas à temps plein.
Dans mon syndicat, la BECTU, qui est le principal syndicat de l'audiovisuel en Grande-Bretagne, nous avons tenté de savoir ce qui était arrivé à ceux de nos membres qui avaient été licenciés au cours des deux ou trois dernières années. Entre un tiers et la moitié travaillent dans la branche comme free-lance, le plus souvent pour leur ancien employeur. Entre un quart et un tiers changent de profession et quittent le secteur lorsqu'ils sont licenciés. S'ils sont jeunes, ils retournent souvent à l'université; s'ils sont plus âgés, ils font quelque chose de plus reposant. Enfin, entre 15 et 25 pour cent des membres licenciés choisissent la préretraite. Ils peuvent le faire parce qu'ils avaient, avant d'être licenciés, un poste permanent.
Ce dernier chiffre est assez préoccupant. Dans la plupart des pays développés, environ la moitié de la population de plus de 55 ans n'a pas d'emploi rémunéré. Beaucoup ont pris leur retraite après avoir été licenciés et, dans la plupart des cas, ils ne s'en tirent pas trop mal. Aux Etats-Unis, ils ont probablement clos à 55 ans leur premier plan d'assurance vieillesse ou en ont souscrit un deuxième. Dans mon pays, ils peuvent avoir à cet âge terminé de payer le prêt hypothécaire qui grevait leur logement, et les contrats qui les lient à leur employeur dans les secteurs traditionnels leur garantissent des indemnités de licenciement. Aussi ne souffrent-ils pas trop. Qu'adviendra-t-il en revanche de la jeune génération quand elle arrivera à un âge où les progrès les réduiront au chômage? Ils n'auront pas de plan d'assurance vieillesse. Ils n'auront pas fini de payer leur maison. La population vieillissant, les caisses publiques d'assurance vieillesse connaissent d'ores et déjà des difficultés. Je pense que nous avons la responsabilité sociale de nous intéresser à ce groupe parce que des problèmes se profilent à l'horizon.
Les travailleurs ne redoutent pas le changement, mais nous avons besoin de dialoguer. Il serait possible de le faire au mieux dans le cadre des structures existantes, mais il faudrait élargir le débat pour couvrir les problèmes que j'ai soulevés ici et peut-être quelques autres encore. Nous sommes réunis parce que nous sommes attachés en tant que groupes à la liberté d'association et à la négociation collective. C'est important pour nous parce que beaucoup des problèmes que j'ai évoqués ne peuvent être réglés par les individus. Ils ne peuvent être résolus que par un dialogue entre partenaires sociaux.
J'ai dressé une liste des problèmes dont il faudrait, à mon avis, discuter dans les nouvelles branches du secteur. On y
trouvera:
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Certains des problèmes soulevés traditionnellement par les syndicats se posent toujours dans les mêmes termes. Il en va ainsi des conditions de rémunération et de travail. D'autres changent. Comment, par exemple, définir la sécurité de l'emploi lorsque les gens ont des carrières éclatées? La formation est devenue un problème parce que les salariés «atypiques» découvrent que c'est de plus en plus aux individus d'assumer la charge de leur propre formation même si les coûts en sont parfois prohibitifs.
La rapide obsolescence des compétences dans le secteur offre un bon exemple des nouveaux problèmes qui surgissent. Depuis le début des années soixante-dix, nous avons vu se succéder cinq ou six générations de matériel graphique électronique. Lorsque ce matériel ô combien onéreux arrive sur le marché, quelques privilégiés s'initient à son maniement et deviennent par là même pour quelque temps des travailleurs qu'on s'arrache. Leurs qualifications sont recherchées et ils peuvent faire payer chèrement leur travail. Cependant, une nouvelle génération de machines fait son apparition 18 ou 24 mois plus tard et c'en est fini de ces gens. Ils doivent repartir de zéro. Le problème est de plus en plus patent et il devrait faire l'objet de discussions. Le dernier problème figurant dans la liste, et non le moindre, est celui de la propriété intellectuelle qui est d'une importance essentielle pour les travailleurs. Les droits de propriété intellectuelle des travailleurs qui ont créé l'information sont presque aussi importants que le contrat qui prévoit une rémunération. Lorsque des gens participent à la création de nouvelles formes d'information, ou lorsque le travail est utilisé sous d'autres formes, ce qui est courant dans l'audiovisuel, ils doivent avoir leur part de bénéfice. Ce peut être une source de revenus très importante pour les travailleurs qui ont une carrière éclatée et ne peuvent espérer travailler cinq jours sur sept pendant quarante ans.
Certains problèmes nouveaux pour le secteur sont en fait anciens. Nous avons l'habitude de les traiter dans les conventions collectives. Beaucoup de gens disent qu'ils n'ont pas besoin des syndicats, mais je pense qu'ils changeront radicalement d'attitude lorsque le secteur arrivera à maturité et passera par des cycles normaux et par des crises qui mettront à l'épreuve les travailleurs. Il y aura alors un cadre de discussion et de coopération qui fonctionnera dans l'intérêt de tous.
Discussion générale sur le changement
de nature des relations de travail
Michel Muller du groupe des travailleurs s'est demandé ce que serait l'entreprise de demain, où elle serait située, quelles nouvelles structures et relations sociales apparaîtraient et à quoi ressemblerait le travail. Si ces questions ne sont pas nouvelles, il faudrait porter sur elles un regard nouveau. Si les statistiques montrent que les créations d'emplois sont largement le fait des PME, elles révèlent également que beaucoup de grandes sociétés créent de petites entreprises qui ont le statut de filiales. Parce qu'ils ont pratiquement un droit de vie ou de mort sur ces petites entreprises, les grands groupes ont une responsabilité sociale majeure quant à la création d'emplois. La multiplication des contrats individuels à laquelle on assiste dans les secteurs où les entreprises traditionnelles ont commencé à disparaître n'est possible que parce qu'il existe encore un tissu social bien structuré. L'humanité doit veiller à ce qu'il subsiste un solide tissu social, même lorsque les entreprises traditionnelles n'existent plus. L'être humain devrait rester au cœur de tout scénario afin de corriger les aspects néfastes des changements technologiques.
André Nayer, expert indépendant, a fait remarquer que l'élément humain était au cœur de toutes les discussions qui portaient sur l'emploi futur. Il avait travaillé comme consultant pour un groupe d'entreprises virtuelles qui avait créé une entreprise «réelle» au Canada. Or, tous les arrangements préliminaires s'étaient faits par téléphone, par fax, par messagerie électronique et par téléconférence. Cependant, lorsqu'il s'est agi de recruter, les clients ont voulu voir les candidats en chair et en os. Travailler avec quelqu'un à ses côtés n'est pas la même chose que travailler avec quelqu'un qui est relié par ordinateur ou par téléphone. Il s'est demandé comment les syndicats seraient structurés demain et comment les employeurs entendaient faire face aux problèmes que soulevait la diversification des conditions d'emploi.
Ulrich Holtz du groupe des employeurs a fait observer que les secteurs de haute technologie n'avaient pas toujours été prospères et qu'ils avaient eux-mêmes eu des passes difficiles du fait de l'âpreté de la concurrence. Nombre d'entreprises actuelles n'existeront plus demain. Les négociations collectives peuvent avoir moins d'influence sur certaines de ces entreprises de haute technologie. Les syndicats et les employeurs doivent faire preuve de plus d'imagination pour maintenir le dialogue social.
Heinz-Uwe Rübenach du groupe des employeurs a fait remarquer que les entreprises avaient de tout temps dû s'adapter au marché pour survivre et prospérer. Elles doivent structurer l'emploi en conséquence. La rapidité et la puissance actuelles des forces du marché imposent de réagir sans attendre. Les systèmes traditionnels sont dépassés et doivent être revus. Il existe de multiples façons de faire face aux répercussions sociales et aux conséquences politiques. Il faut analyser et traiter les problèmes secteur par secteur, branche par branche.
Réponse des membres de la table ronde
Walter Durling a insisté sur le principal message qu'il entendait faire passer: l'humanité ne doit pas avoir peur de la technologie. La technologie ne changera pas fondamentalement les relations humaines. Des moyens de communication perfectionnés, des mécanismes de négociation inédits et des nouveaux types de conflits feront leur apparition, mais les relations entre salariés et employeurs resteront les mêmes. Lorsque le film a été inventé, les gens ont eu peur que le théâtre ne soit condamné, mais celui-ci a survécu. Lorsque est apparue la télévision, les gens ont craint qu'elle ne fasse disparaître les cinémas, mais la suite a montré que ces craintes étaient vaines. On ne doit pas appréhender l'avenir. La peur du lendemain ne doit pas nous conduire à étouffer la créativité par des réglementations. Il faut faire preuve de créativité pour créer de nouveaux emplois. Il faudrait renforcer l'esprit d'entreprise par un recours aux nouvelles technologies afin de créer des emplois pour ceux qui ont été licenciés. Il faut s'attaquer aux problèmes lorsqu'ils se présentent et non pas les devancer.
Tony Lennon a fait valoir que les relations de travail se transformaient d'ores et déjà à un rythme rapide. Il faut simplement identifier et discuter les problèmes. Quelque imprévisibles que soient ces changements, il est essentiel de ne pas perdre de vue l'esprit humain. Bien qu'il soit impossible de prévoir quelles seront demain les structures des syndicats, il est probable qu'ils favoriseront les relations individuelles avec leurs membres. Leurs grands rassemblements aux portes des usines appartiennent au passé. Les syndicats doivent envisager l'établissement de nouveaux rapports avec leurs membres. Les nouvelles technologies devraient les y aider pour autant qu'elles soient bien utilisées. S'il est vrai que le multimédia connaît des hauts et des bas comme n'importe quelle autre branche d'activité, il n'en demeure pas moins que les petites entreprises qui dominent le secteur ne survivront pas à des crises prolongées. Elles risquent plus que d'autres d'être emportées par les crises.
Convergence multimédia
et relations professionnelles
Peter Leisink(41)
La convergence est un processus -- assez inégal -- et non un état de fait. La convergence -- ou plus largement la naissance d'une économie de l'information -- est techniquement possible, mais sa concrétisation dépendra des acteurs et des stratégies économiques, sociales et politiques. Il sera nécessaire de procéder à des ajustements institutionnels majeurs, notamment dans le domaine de la réglementation, de la formation, de la gestion d'entreprise et des relations professionnelles elles-mêmes.
Le présent exposé porte précisément sur ces ajustements institutionnels. Je commencerai par prendre la mesure du phénomène des réseaux et de la flexibilité dans les industries des médias, et j'en analyserai les effets sur les relations professionnelles en général, et les négociations collectives en particulier.
La révolution des technologies de l'information et de la communication n'est pas simplement une révolution technique. Elle introduit un paradigme technico-économique radicalement nouveau. Ses effets se font sentir dans tous les secteurs et tous les services, et influent même sur la conception, la gestion et la surveillance des systèmes de production et de prestation de services. On voit se profiler une nouvelle logique d'organisation -- la mise en réseaux -- qui rend obsolète l'ancien modèle de production de masse, fondé sur les chaînes de montage, à standardisation des produits, et les économies d'échelle. Ce modèle présupposait un marché de masse, caractérisé par une demande et des procédés technologiques peu diversifiés. La donne a profondément changé. La production en série cède la place à une production flexible, car l'industrie doit désormais satisfaire une demande imprévisible. Le fonctionnement en réseau et la flexibilité dans tous les procédés et toutes les formes d'organisation se sont imposés grâce aux nouvelles technologies de l'information. Un phénomène qui illustre bien cette évolution est celui du «toyotisme», nouvelle forme d'organisation du travail qui comprend des systèmes de livraison juste à temps, le contrôle de la qualité totale et le principe de «zéro défaut». Un autre exemple est celui des réseaux interentreprises. Les articles Benneton ou Nike sont fabriqués sous licence ou par des sous-traitants sous la direction d'une grande société. Autre forme d'organisation en réseau, de grandes sociétés nouent des alliances stratégiques pour pouvoir mobiliser les énormes capitaux nécessaires pour la mise au point d'une technologie, comme celle du décodeur numérique. L'apparition de réseaux horizontaux d'entreprises n'implique pas pour autant un recul des grandes bureaucraties verticales et certes pas leur disparition totale. Lorsque des entreprises comme Philips et Sony coopèrent, chacune reste une grande société mais elles sont organisées en un réseau horizontal.
Dans quelle mesure en va-t-il de même du secteur des médias? Les données empiriques ressortant d'enquêtes nationales et d'études de cas mettent en lumière le phénomène de «la mise en réseaux» dans diverses branches du multimédia. L'industrie cinématographique des Etats-Unis et celle de la culture au Royaume-Uni nous fournissent deux exemples éloquents de désintégration verticale d'entreprises autrefois vouées à la production de masse, et de l'apparition d'un système de production flexible et spécialisé, reposant sur des alliances. Les sociétés publiques de téléradiodiffusion désormais sont éclatées en petites unités (sociétés de production, installations techniques, etc.) qui coopèrent ou sont en concurrence ouverte avec elles. Une récente enquête sur les sociétés néerlandaises de production audiovisuelle montre que la moitié, sinon les trois-quarts d'entre elles, devraient produire des CD-ROM et des CD-I en 1996, et que plus de la moitié d'entre elles prévoient de s'organiser en réseau avec d'autres entreprises, par exemple des SSII (sociétés de services d'ingénierie et d'informatique), afin de disposer des compétences nécessaires.
Le secteur de l'édition pourrait faire figure d'exception, vu l'émergence de grandes transnationales comme Reed Elsevier et Wolters-Kluwer. Cependant, une observation plus attentive révèle que les différentes filiales et divisions de ces groupes jouissent d'une large autonomie interne. La même logique d'organisation en réseau est à l'œuvre au sein de la société; elle permet de réagir avec souplesse aux variations du marché, à l'innovation technologique et aux pressions politiques. Le phénomène ne dénote pas tant la fin des grandes sociétés puissantes qu'une crise dans leur modèle traditionnel d'organisation fondé sur l'intégration verticale et une gestion fonctionnelle, hiérarchique.
Bien entendu, toutes les branches du secteur des médias ne connaissent pas une progression de la production flexible de produits diversifiés. Dans maints pays, les journaux restent un produit standard destiné à un marché de masse, et les entreprises de presse ont plus ou moins conservé une forme d'organisation bureaucratique à intégration verticale. Cependant, la flexibilité progresse dans ce secteur. La mise en page automatique, par exemple, a entraîné la combinaison de deux tâches, la composition et la rédaction. Dans les services publicitaires, les tâches commerciales et le travail de conception graphique sont désormais intégrés. Une étude menée au Royaume-Uni dans le secteur du livre montre que les fonctions de correction d'épreuves et de rédaction ont été externalisées et s'effectuent désormais à domicile. La grande majorité de ces travailleurs ont pris le statut d'indépendants, non de leur propre chef mais par suite de fusions d'entreprises, de délocalisation ou de licenciements. Or cette forme d'emploi tient plus du travail précaire que du travail indépendant, car ces personnes n'ont que peu d'autonomie et sont généralement tributaires d'une seule maison d'édition.
Les effets généraux de la révolution des technologies d'information et de communication -- c'est-à-dire le fonctionnement en réseau et la flexibilité -- sont tout à fait manifestes dans le secteur des médias. Dès lors, quelles en sont les conséquences pour les relations professionnelles?
Nous avancerons à cet égard une première thèse: la révolution des technologies de l'information et de la communication, associée à la convergence multimédia, rend inadéquats les cadres de discussion traditionnels; ni le secteur ni l'entreprise ne saurait par exemple constituer l'unique cadre des négociations collectives. La notion de secteur devient de plus en plus évanescente et trop instable pour y bâtir des conventions collectives. Les discussions syndicats-employeurs doivent s'organiser à plusieurs niveaux, celui du secteur mais aussi celui de l'entreprise et même le niveau international.
Lorsque les nouvelles machines de photocomposition sont apparues sur le marché, durant les années soixante-dix, les agences de publicité et les sociétés d'arts graphiques ont commencé à effectuer un travail de traitement du texte et de l'image qui était traditionnellement l'apanage des ateliers de préimpression et même de petits ateliers de graphistes. Dans bien des pays, ni les agences de publicité ni les sociétés d'arts graphiques n'avaient conclu de convention collective ni n'envisageaient d'en avoir une. Les ateliers de lithographie et les syndicats estimaient q'il s'agissait là d'une concurrence déloyale et ont essayé d'imposer leur convention collective aux agences de publicité et aux sociétés d'arts graphiques, mais sans grand succès. La diffusion des procédés d'impression assistée par ordinateur et celle simultanée des photocopieurs, des photocopieurs couleur et même de matériel d'impression numérique, tels que nous les connaissons aujourd'hui, ont abaissé le coût d'entrée dans la branche, coût sur lequel les syndicats n'ont aucune prise. Les ateliers de publication assistée par ordinateur (PAO) et les entreprises d'arts graphiques offrent à bas prix aux clients un travail de préimpression et d'impression de qualité acceptable. Si ces firmes peuvent pratiquer des tarifs avantageux, c'est souvent parce qu'elles ne sont pas assujetties à une convention collective qui leur imposerait des restrictions sévères en matière de temps de travail par exemple.
Il serait illusoire d'imaginer que les ateliers de publication assistée par ordinateur vont appliquer la convention collective du secteur de l'imprimerie. Ils s'en garderont bien. Par ailleurs, comment accepter que les ateliers de PAO effectuent un travail de préimpression tout en insistant pour que les ateliers traditionnels continuent d'observer la convention collective de l'imprimerie? C'est une solution qui est vouée à l'échec. Cet exemple montre que, du fait des progrès techniques, le segment traditionnel de l'imprimerie ne constitue plus un cadre valable pour les conventions collectives. D'un autre côté, les nouveaux secteurs, celui de la PAO par exemple, et d'autres domaines du multimédia n'ont pas d'infrastructure organisationnelle, notamment des unions patronales avec lesquelles les syndicats pourraient négocier. Le secteur n'est plus une base de négociation valable.
Pas plus que le secteur, les entreprises n'offrent une base adéquate pour les négociations. Tout d'abord, en raison de la prédominance des PME dans le secteur des médias, il serait impossible aux syndicats de négocier des accords d'entreprise. Ensuite, la diffusion de plus en plus large de la logique de l'organisation en réseau tend à «vider de sa substance» cette entité qu'est l'entreprise, et crée en lieu et place des firmes «virtuelles» qui n'existent que pour la durée d'un projet. Lorsque par exemple le Syndicat néerlandais des imprimeurs a produit un CD-I sur le lancement des autoroutes de l'information, il a fait appel à un photographe, un graphiste et un spécialiste en logiciel, qui ont travaillé en équipe jusqu'à l'achèvement du projet. L'équipe a ensuite été dissoute, et c'en était terminé. Ce type d'organisation éphémère, qui ne dure que le temps d'un projet, est caractéristique du secteur de l'audiovisuel. Dans ces conditions, l'entreprise n'offre pas non plus une base viable sur laquelle fonder les négociations collectives. Indépendamment de cela, nous ne pensons pas que le secteur du multimédia ait actuellement une culture des relations professionnelles qui l'inciterait à négocier avec les syndicats traditionnels des médias. Nous ne croyons pas non plus que la maturation du secteur puisse amener les travailleurs et les entreprises à se tourner vers les syndicats en cas de récession.
Puisque ni le secteur ni l'entreprise ne sont susceptibles d'offrir une base adéquate à la négociation collective, il va falloir se pencher très sérieusement sur les conséquences du processus de convergence en lui-même si l'on veut maintenir le dialogue social. Il faudrait un accord valable pour l'ensemble du multimédia, qui fixe au moins les conditions d'emploi essentielles. Un tel accord multimédia ne peut ni ne doit bien évidemment prévoir des conditions d'emploi uniformes pour l'ensemble des domaines concernés. Car, même s'il y a convergence, les secteurs et les entreprises restent fort différents les uns des autres. L'accord multimédia envisagé se bornerait à énoncer certaines règles fondamentales en matière d'emploi. Chaque module de l'accord devrait pouvoir être adapté aux spécificités des secteurs et entreprises. L'ensemble des conditions d'emploi arrêtées d'un commun accord dans une entreprise donnée serait le résultat des discussions menées par les employeurs et les travailleurs ou leurs représentants à différents niveaux: au niveau du secteur du multimédia, éventuellement du sous-secteur et, bien entendu, de l'entreprise. C'est ce que, dans le jargon des relations professionnelles, nous appelons une «articulation».
C'est l'approche qui a été suivie par les unions patronales et les syndicats de l'imprimerie des Pays-Bas. Des négociations sont justement en cours pour arrêter le projet paritaire de convention pour les entreprises des médias. Dans un premier temps, cet accord couvrira le secteur de l'impression et ses différents sous-secteurs -- la préimpression, la publication des journaux, l'imprimerie générale et la sérigraphie. Mais il pourrait être facilement étendu, au prix de quelques modifications, à d'autres secteurs de l'industrie du multimédia. Il n'est pas sûr, toutefois, que le projet séduise les agences de publicité et les entreprises d'arts graphiques, encore que leur culture les porte à accepter des réglementations paritaires. Cela nous conduit à notre deuxième thèse.
Le secteur des loisirs et des médias est de plus en plus un secteur à forte intensité de savoir; aussi existe-t-il, de plus en plus, un intérêt mutuel au développement de relations professionnelles fondées sur une «coopération constructive». Cette approche est propice à la création, à la production et à l'exploitation commerciale des produits culturels. Dans le domaine du multimédia, il y a toujours eu des secteurs où la culture d'entreprise était plus ou moins fermée à la négociation collective. Les agences de publicité et les ateliers d'arts graphiques aux Pays-Bas en sont un bon exemple. Au cours des dix dernières années, les négociations individuelles sont devenues de plus en plus fréquentes ainsi que la remise en cause de la reconnaissance des syndicats. Mais cette approche, me semble-t-il, est erronée car elle revient à assimiler le libre jeu du marché à une absence de règles. Aucun marché, y compris le marché de l'emploi, ne peut fonctionner efficacement, même sur le plan purement économique, autrement que dans le cadre d'un ensemble de règles. Les droits de propriété intellectuelle offrent un bon exemple de ce type de réglementation. Les produits culturels -- textes journalistiques, musique, images graphiques, textes littéraires, jeux vidéo, progiciels et autres produits -- ne peuvent être exploités commercialement qu'après avoir été juridiquement convertis en propriété intellectuelle. Ce n'est que lorsque les entreprises peuvent empêcher d'autres entrepreneurs ou consommateurs d'exploiter commercialement leurs produits que les industries de la culture peuvent survivre.
La Fédération internationale de l'industrie phonographique affirme que, chaque année, plus d'un million de CE pirates affluent en Europe, représentant une perte en droits d'auteur de plus de deux milliards de dollars E.-U. Grâce à Internet, il est techniquement possible de réaliser des enregistrements numériques parfaits de musiques, ce qui met en péril non seulement les intérêts commerciaux des fournisseurs de contenu, mais le développement même des produits multimédias et, partant, l'ensemble du secteur. De fait, la lenteur du développement du multimédia s'explique, du moins en partie, par les problèmes liés aux droits d'auteur. La réglementation et le contrôle sont donc des éléments vitaux pour le fonctionnement du marché des produits culturels, et c'est pourquoi les groupes économiques et les Etats qui choisissent de soutenir et de protéger ces industries et entreprises stratégiquement importantes coopèrent pour assurer la protection de ces droits.
Les droits de propriété intellectuelle servent non seulement les intérêts commerciaux des entreprises mais aussi les intérêts professionnels des créateurs. Les litiges et les conflits auxquels ils donnent lieu montrent combien il est important de régler ces aspects par le dialogue social et la négociation collective. L'aspect commercial est peut-être le plus facile à traiter. Je crois savoir par exemple que les éditeurs norvégiens ont accepté de verser environ 150 dollars E.-U. par mois aux journalistes pour l'usage multiple. Les droits moraux concernant l'intégrité du produit sont beaucoup plus difficiles à réglementer. La question des droits de propriété intellectuelle montre à quel point les employeurs autant que les travailleurs ont intérêt à négocier collectivement et à arrêter d'un commun accord une réglementation.
Un autre sujet d'intérêt commun est l'amélioration des programmes de formation. La formation est vitale pour le développement des médias, mais toutes les branches du secteur n'en ont pas également conscience. Une récente enquête sur les travailleurs du secteur de l'impression aux Pays-Bas montre que 15 pour cent seulement suivent une formation professionnelle. Et, sur ce total, 70 pour cent l'ont fait de leur propre initiative, tandis que les 30 pour cent restants l'ont fait à la demande de leur employeur. Parmi ceux qui n'ont pas suivi de formation complémentaire, 55 pour cent ont invoqué le manque de temps ou le coût de la formation. Un tiers d'entre eux ont déclaré qu'ils en savaient assez ou qu'ils n'avaient pas envie de suivre des cours.
J'estime en conséquence que, dans l'intérêt de l'employeur autant que du travailleur, les conventions collectives devraient consacrer le droit, par exemple, à une semaine de congé-formation payée. Le travailleur qui affirme ne pas avoir le temps de suivre une formation ne pourrait plus invoquer ce motif. Les employeurs qui veulent rendre la formation continue obligatoire pour les travailleurs pourraient obtenir l'aval des syndicats si cette obligation pesait sur l'ensemble des travailleurs et non pas seulement sur les plus qualifiés. Ceux qui acceptent de suivre une formation continue pourraient aussi bénéficier d'un traitement de faveur en termes d'emploi dans le secteur.
L'exemple du secteur de l'imprimerie pourrait nous inciter à voir surtout, dans la formation, une aide aux travailleurs dont les emplois sont menacés. Certes, cette formation est socialement vitale pour eux, car la presse écrite va continuer à décliner au cours des années à venir. Mais la formation n'est pas seulement un instrument de politique sociale. Elle a également son importance en termes de capital humain.
L'industrie néerlandaise des loisirs et de l'audiovisuel est de plus en plus active sur le marché européen depuis cinq à dix ans. Pour être compétitive, elle ne doit pas seulement avoir un bon rapport coût-efficacité, mais aussi offrir des produits de qualité. Prenant acte du poids économique de l'audiovisuel aux Pays-Bas, le ministère de l'Economie a décidé, en 1990, d'aider ce secteur en lui allouant les fonds nécessaires à la création d'un centre paritaire de formation. Aussi étrange que cela puisse paraître, le secteur a décliné l'offre. Mais, en 1993, l'heure était venue de créer un centre paritaire de formation qui aurait pour mission de mettre en place un système complet de formation professionnelle. Il est chargé d'effectuer chaque année une enquête sur la formation et le marché de l'emploi dans l'audiovisuel, afin de prévoir l'évolution des besoins des entreprises en matière de qualifications et d'organiser de nouveaux stages de formation pour y répondre. L'enquête de 1996 montre par exemple qu'environ un quart des sociétés de l'audiovisuel ont, dans les domaines de la rédaction, de la production et dans les services commerciaux, des postes vacants qu'elles ont des difficultés à pourvoir faute de candidats présentant les qualifications ou l'expérience requises. Le centre de formation a donc pris les mesures nécessaires pour satisfaire cette demande. Cet exemple illustre bien l'intérêt mutuel des employeurs et des syndicats à ce type de coopération constructive.
La troisième et dernière thèse appelle l'attention sur certains traits des conventions collectives, qu'elles soient «classiques» ou «flexibles». Il est nécessaire, nous semble-t-il, de négocier des conventions flexibles et de prévoir des «articulations» dans le processus de négociation, parce que les branches du multimédia sont très différentes les unes des autres et que de tels accords sont de nature à stimuler l'innovation. Cela dit, l'absence de tradition contractuelle dans la publicité et les arts graphiques aux Pays-Bas ne signifie pas que ces secteurs soient totalement opposés à une réglementation collective des conditions d'emploi. Mais les syndicats doivent comprendre que le caractère normatif des conventions collectives traditionnelles, qui fixent dans les moindres détails et de manière uniforme les niveaux de salaire, les horaires de travail, etc. pour chaque type d'emploi, est contraire à la culture des agences de publicité et ateliers d'arts graphiques, qui souhaitent plus d'autonomie -- et contraire également à la culture d'importants groupes de travailleurs dans ces secteurs.
La réglementation collective des conditions d'emploi n'est pas totalement inconcevable dans ces branches, mais une certaine sélectivité s'impose. Certains domaines, tels que la formation et les régimes de retraite, pourraient se prêter à ce type de réglementation, ce qui n'est pas le cas des horaires de travail. Par ailleurs, la réglementation collective ne devrait pas empêcher la conclusion d'accords spécifiques au lieu de travail. Ces accords pourraient même s'écarter des conventions de branche, si les travailleurs de l'établissement en cause l'acceptaient.
A quelle nécessité répondent cette sélectivité et cette flexibilité? L'une des explications, partielle, réside dans la spécificité culturelle. Les secteurs de la publicité et de la création n'ont pas la même culture d'entreprise que le secteur de l'imprimerie, par exemple, et ces propriétés que sont la sélectivité et la flexibilité présentent plus d'attrait pour les travailleurs culturels. Une enquête effectuée par nos soins sur les conditions d'emploi dans la publicité montre que pas moins de 86 pour cent de l'ensemble des travailleurs préfèrent fixer leurs conditions de salaire sur une base individuelle. Le personnel administratif et les secrétaires n'ont pas sur ce point une attitude fondamentalement différente de celle des directeurs artistiques ou financiers. Les uns et les autres se sentent parfaitement capables de négocier eux-mêmes leurs salaires et leurs horaires. Il ne faudrait pas en déduire pour autant qu'ils ne sont pas conscients de leur situation dans l'entreprise. De fait, presque la moitié des employés des agences de publicité voient leur relation avec leur entreprise comme une relation employeur-employé, et ils sont aussi nombreux à croire à une communauté d'intérêts entre la direction et les employés qu'à l'inverse. Cela ne veut pas dire non plus que les travailleurs des agences de publicité soient incapables de comprendre la nécessité ou l'intérêt d'une organisation collective. Mais les problèmes qui, à leurs yeux, appelleraient une action collective ne sont pas les conditions de rémunération sur lesquelles ont porté traditionnellement les revendications et les conventions collectives.
Environ les deux tiers des personnes interrogées considèrent que les organisations collectives sont nécessaires. Certaines souhaiteraient que les syndicats offrent une gamme plus large de services dans le domaine de la sécurité sociale, mais deux fois plus nombreux sont celles qui mettent en avant des problèmes professionnels tels que la formation et les perspectives de carrière. Les syndicats devraient invoquer des intérêts autres que les questions traditionnelles de salaire et de problèmes au quotidien, par exemple la formation et la carrière, s'ils veulent proposer des conventions collectives plus adéquates et plus séduisantes aux travailleurs de ces secteurs.
On pourrait faire valoir que les travailleurs de la publicité manifestent des préférences plus variées en matière d'emploi et qu'ils souhaitent davantage d'autonomie que ceux d'autres sous-secteurs; j'ai toutefois pu constater aussi des divergences de vues sur la durée du travail et les horaires flexibles dans des entreprises plus traditionnelles de préimpression, par exemple. J'en conclurai que si les syndicats se refusent à tenter l'expérience d'une adhésion «à la carte» et de conventions collectives «sur mesure», ils se couperont de plus en plus d'une grande partie du personnel du multimédia. L'association de la convergence et de la différenciation dans l'industrie des médias, sans parler de la diversification des styles de vie, exige de toute évidence une «dénormalisation» de la réglementation de l'emploi.
Les conventions collectives doivent faire place à une certaine sélectivité et flexibilité; il y va de l'efficacité de l'entreprise. Mais il importe de trouver un juste équilibre entre l'efficacité et l'équité. La participation des travailleurs à la fixation des conditions d'emploi garantit l'équité mais elle est aussi importante à un autre titre. Avec l'accroissement de l'autonomie dans le travail, elle apparaît de plus en plus comme un facteur décisif de succès dans l'utilisation des nouvelles technologies et dans la mobilisation de la créativité et de l'innovation. Ces qualités sont vitales pour les entreprises du multimédia.
Comme nous le disions au début de cet exposé, la convergence progresse de manière inégale. Son rythme et les changements qu'elle entraîne varient d'un secteur à l'autre et d'une région du monde l'autre. Le BIT devrait continuer à observer ce processus et poursuivre au niveau régional le type de discussions que nous menons ici. C'est en effet entre les régions que se manifestent les disparités et c'est à ce niveau que l'on pourrait définir le mieux les politiques permettant d'en gérer les effets.
Il n'existe pas de statistiques comparatives fiables sur le processus de convergence et ses effets qui permettraient de cerner les changements qualitatifs et quantitatifs de l'emploi, sans parler de ceux de l'organisation du travail, des relations professionnelles et des exigences de qualifications. Aussi serait-il utile d'effectuer des recherches afin de mesurer l'effet des politiques nationales en ce domaine. En quoi, par exemple, la promotion des cultures régionales et nationales influe-t-elle sur l'emploi? Quelles retombées aurait la création d'un système intégré de formation au multimédia analogue à celui que l'Allemagne met en place? Des études et recherches plus poussées pourraient nous procurer les informations qui nous font défaut actuellement et, partant, une base plus solide pour l'élaboration des politiques et les négociations collectives. J'espère d'ailleurs que l'analyse et les suggestions ici présentées contribueront à éclairer des gouvernements et les acteurs sociaux sur les politiques destinées à stimuler l'innovation économique et sociale.
La diffusion de ce type d'informations est extrêmement importante. L'organisation du présent colloque est certes un moyen de communiquer l'information, mais une approche plus systématique est nécessaire. L'idéal serait que les organisations soient reliées par «les autoroutes de l'information», mais il faudrait pour cela que les pays en développement bénéficient d'une aide considérable.
Le développement du multimédia et de la société de l'information exige des ajustements institutionnels. Il suppose une adaptation sociale. Tout dépend aussi de la manière dont les gouvernements, les employeurs, les travailleurs et leurs organisations articuleront leurs politiques. La négociation collective est, selon moi, un bon moyen de faciliter ces changements et d'en gérer les conséquences. Encore faut-il que la conception des conventions collectives change profondément. Le BIT pourrait y aider en encourageant les partenaires sociaux à poursuivre leurs discussions afin de rechercher des formes appropriées de conventions collectives flexibles. Soulignons à nouveau que les activités régionales seraient des plus utiles à ce travail.
Discussion générale sur la convergence
multimédia et les relations professionnelles
Robert Zachariasiewicz, représentant du gouvernement des Etats-Unis, a fait observer que de nombreux aspects du multimédia n'étaient ni totalement nouveaux ni spécifiques au secteur. Aucune branche n'est à l'abri de mauvaises décisions de gestion. Quant aux différents niveaux de relations professionnelles, plusieurs des idées évoquées ont déjà été appliquées dans le secteur du bâtiment qui a une activité cyclique, est décentralisé et a une main-d'œuvre très mobile qui n'est liée à aucun employeur en particulier. La plupart des employés concernés par l'enquête néerlandaise sur les agences de publicité déclarent préférer négocier leurs salaires sur une base individuelle, tout en souhaitant une représentation collective pour traiter de problèmes comme les politiques de formation et de carrière; mais, là encore, c'est un fait qui n'est pas propre au secteur des médias. Les modalités d'organisation du travail sont en mutation constante, et les syndicats sont appelés à se réinventer. Autrement dit, il ne leur reste plus qu'à s'adapter ou périr.
Bernie Lunzer, du groupe des travailleurs, a souligné que les syndicats n'étaient pas totalement dépourvus de flexibilité. Ils se sont réellement efforcés d'instaurer de nouveaux systèmes et de collaborer avec les employeurs à des programmes communs, par exemple sur la qualité du travail. Aux Etats-Unis, la presse écrite repose dans une large mesure sur des accords d'entreprise qui sont très flexibles. Les syndicats sont prêts à s'adapter, mais à condition d'être sur un pied d'égalité avec leurs interlocuteurs.
Katherine Sand, du groupe des travailleurs, a évoqué les graves problèmes rencontrés par les syndicats d'artistes exécutants et interprètes pour obtenir ne fût-ce qu'un minimum en matière de conditions de travail. Les problèmes sont particulièrement aigus dans l'industrie du cinéma, compte tenu du caractère très éphémère d'entreprises qui parfois n'existent que le temps de tournage d'un film, c'est-à-dire quelques semaines. Elle souhaiterait savoir comment appliquer l'approche modulaire des relations du travail décrite par le Dr Leisink aux syndicats d'artistes interprètes et exécutants.
André Nayer, expert indépendant, a expliqué qu'il était difficile de représenter les artistes dont la situation professionnelle pouvait changer très rapidement. Si un groupe de musique organise par exemple une tournée et désigne l'un des membres du groupe en tant qu'administrateur, ce dernier, de salarié, devient, au regard de la loi, employeur. Ce genre de situation est également très fréquente dans le multimédia.
José Luis Erosa Vera, du groupe des employeurs, a précisé que ceux-ci n'avaient jamais nié les avantages des conventions collectives. La multiplication des contrats individuels tient à la fois à la spécialisation technique des travailleurs du multimédia et au caractère souvent spécifique de leur activité. Il ne faut pas remettre en cause les droits moraux d'un auteur sur son œuvre; ceux-ci doivent lui être à jamais acquis. En revanche, les droits qui peuvent être transférés par contrat, par exemple les droits d'auteur, pourraient faire l'objet de négociations individuelles. Les entreprises et, dans certains pays, les syndicats représentent les intérêts liés à ces droits. Mais, en tout état de cause, ce sont des questions qui relèvent de la compétence de l'OMPI. Elles ne sont pas directement liées aux problèmes de travail qui se posent dans le secteur du multimédia et, partant, ne sont pas à l'ordre du jour du BIT.
Jim Wilson, de l'Internationale des médias et du spectacle (IMS), a souligné qu'il n'existait que trois syndicats au monde qui se consacrent exclusivement au secteur de la publicité en Argentine, au Brésil et au Japon. Sur deux des trois principaux marchés de la publicité, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, les publicitaires ne sont pas bien organisés. Ils se répartissent traditionnellement en deux groupes, les «créatifs» -- au moins 50 pour cent du personnel -- qui ne sont habituellement pas syndiqués, et les employés administratifs, qui se syndiquent plus facilement. Mais, avec l'apparition du multimédia, les tâches et les intérêts des uns et des autres se rejoignent. Aujourd'hui, les créatifs effectuent leur propre travail de secrétariat et les employés de bureau se livrent à un travail de création. Syndiqués ou non, ces travailleurs ont tout intérêt à mener des négociations collectives, et le droit d'auteur est devenu un problème majeur. Le droit d'auteur est également important pour bien d'autres groupes professionnels représentés par l'IMS, notamment les scénaristes, les réalisateurs, les directeurs artistiques et les artistes des médias visuels. L'OMPI aborde la question de la propriété intellectuelle sous l'angle du titulaire des droits, mais n'a jamais traité du droit d'auteur en soi. D'autres organisations internationales, par exemple l'Organisation mondiale du commerce, en ont également discuté. Le BIT s'y intéresse depuis longtemps; c'est la seule organisation qui l'envisage du point de vue du créateur salarié. De ce fait, l'OIT est évidemment le forum approprié pour évoquer ces questions de propriété intellectuelle.
Neal McLary, du groupe des employeurs, relève que l'expansion du secteur de la publication assistée par ordinateur, favorisée par la faiblesse des charges fixes et une grille salariale assez contestable, a eu des effets préjudiciables sur la plupart des imprimeries australiennes. La chute rapide du coût du matériel de préimpression a poussé les grandes imprimeries à se tourner vers ce secteur. Celles-ci se sont toujours considérées comme des entreprises manufacturières. Il leur faut maintenant faire un saut quantitatif et passer d'une éthique axée sur le produit à une autre centrée sur le service au client. Elles doivent se concevoir à la fois comme des entreprises de service et des entreprises manufacturières. Si elles parviennent à franchir le pas, leurs perspectives d'avenir seront bien meilleures, tandis que celles des entreprises de publication assistée par ordinateur seront probablement plus sombres.
M. Peter Leisink a précisé que si le multimédia n'avait pas l'exclusivité de certains problèmes il occupait une place à part du fait de l'ampleur et de la profondeur des changements causés par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. La transformation d'une activité industrielle en une activité de service, ou le passage du secteur public au secteur privé, oblige à repenser complètement les relations professionnelles dans le secteur. Ce sont l'ensemble des branches concernées qui devraient se concerter pour régler les multiples problèmes organisationnels et sociaux que soulèvent le processus de convergence ainsi que les questions connexes de qualification et de réglementation. Cependant, la diversité des traditions des sous-secteurs concernés rend difficile une harmonisation à ce niveau.
Quant au passage d'une activité de production à une activité de services, un tiers des entreprises néerlandaises de préimpression ne l'ont pas opéré suffisamment vite et ont sombré. Si certaines ont survécu, c'est grâce non à l'adaptation mais à l'innovation. L'une des plus grandes entreprises néerlandaises de préimpression a engagé des consultants pour conseiller les clients sur l'achat de matériel et de logiciels d'infographie et pour dispenser une formation. En conséquence, les qualifications et le statut des employés de cette entreprise se sont fortement diversifiés. Environ 80 pour cent du personnel est encore couvert par la convention traditionnelle de l'imprimerie, tandis que les nouveaux embauchés ne relèvent d'aucune convention. Voilà le type de changements fondamentaux qui, dans ce secteur, exigent la plus grande attention si l'on veut qu'ils soient gérés de manière socialement responsable.
La propriété intellectuelle n'est pas seulement une question d'intérêts économiques mais aussi un problème lié à l'emploi. Lors de récentes négociations avec les employeurs de la presse écrite, le Syndicat des journalistes néerlandais a demandé que soient reconnus aux salariés des droits de propriété intellectuelle. Conscient de la lourdeur des investissements faits par les directeurs de journaux dans la publication électronique et les activités en ligne, le syndicat était prêt à remettre l'examen de la question des salaires et à renoncer à sa demande d'indemnisation pour usage multiple. Les employeurs n'ont pas voulu un tel accord et le problème reste en suspens, mais le secteur pourrait le payer cher par la suite.
Les nouvelles technologies estompent la ligne de démarcation entre le travail technique et le travail créatif. Les techniciens font de plus en plus un travail de création. C'est par exemple le cas, dans les ateliers d'arts graphiques, des opérateurs de PAO qui sont concepteurs et jouissent de plus en plus d'une liberté de création. La question se pose de savoir si les produits de leur créativité doivent être considérés comme des produits intellectuels, alors qu'ils ont été recrutés pour effectuer un travail technique. C'est là un exemple des problèmes de propriété intellectuelle liés à l'emploi, qui ne doivent pas être escamotés dans les négociations collectives.
Quant aux problèmes d'emploi des artistes interprètes et exécutants, plusieurs syndicats néerlandais ont commencé à travailler avec une entreprise en réseau afin de déterminer s'il serait possible d'offrir aux salariés et aux indépendants qui n'emploient personne des services nouveaux. Ils ont créé un organisme qui s'acquitte des obligations de l'employeur -- le paiement des impôts et cotisations sociales. Il s'agit là d'un effort pour trouver un nouvel équilibre entre la flexibilité et le besoin de sécurité des intermittents du spectacle. Il faudrait voir si d'autres services pourraient être offerts.
L'alternative n'est plus pour les entreprises et les syndicats de s'adapter ou de périr mais de s'adapter ou d'innover, la dernière option étant la meilleure.
Les relations professionnelles
à l'ère de l'information
Nestor Roberto Cantariño(42)
A l'horizon du troisième millénaire, nous voici portés par une vague qui nous propulse sans état d'âme vers un prétendu «progrès», pourtant loin d'être inoffensif. Le pouvoir économique vise moins le développement de l'expression artistique et culturelle que le commerce et le libéralisme. L'Amérique latine et d'autres régions dites «du tiers monde» commencent à percevoir les conséquences d'une mondialisation à géométrie variable, partiellement fondée sur les technologies de l'information et de la communication. Or les problèmes d'aujourd'hui ne sauraient être réglés par des solutions partielles. La difficulté pour les organisations de travailleurs, les employeurs et surtout les pouvoirs publics est, face à ces tendances, d'agir dans l'intérêt de tous les membres de la collectivité. L'effort doit porter en priorité sur la protection des travailleurs qui ont le plus de peine à s'adapter aux nouvelles formes de travail et sur la formation des jeunes au seuil de leur vie professionnelle.
On entend souvent dire que le savoir et l'information sont des ingrédients nécessaires à la démocratie, au libre-échange, à la liberté de communication et à l'exercice des droits civiques. Les restrictions d'accès et le contrôle total des systèmes de communication et d'information conduisent à des déséquilibres et à des abus de pouvoir dans le domaine économique et politique.
Nous rejetons cependant l'idée selon laquelle la numérisation serait tout simplement une forme de démocratisation puisqu'elle met l'information et le savoir à la disposition de tout un chacun. Il se trouve en effet que les artistes, les interprètes et autres travailleurs des médias risquent fort d'être privés de leur bien le plus précieux -- c'est-à-dire leur originalité d'expression et la reconnaissance de leur qualité d'auteur -- si leur travail est converti en produits numérisés interchangeables. Il est à la fois injuste et contraire à l'éthique de vouloir considérer l'expression artistique comme un simple produit d'information numérique. La non-reconnaissance des droits des auteurs et des artistes interprètes et exécutants entraîne une concentration du pouvoir entre les mains de ceux qui exploitent leur travail et le transforment en produits culturels. Le danger est évident. Si l'approche adoptée en ce domaine n'associe pas l'ensemble des intéressés et si une bataille s'engage pour le contrôle du savoir, celle-ci risque de mettre en péril la démocratie dans la société de l'information.
Il faudrait avoir à l'esprit trois axiomes fondamentaux. Premièrement, tous les moyens d'information et de communication ont une fonction sociale et doivent servir la société. Deuxièmement, il faudrait porter un coup d'arrêt à la concentration et à la monopolisation. Troisièmement, il n'y a pas d'alternative à la liberté d'expression dans les sociétés démocratiques modernes. La communication de l'information doit obéir à une éthique; il faut se souvenir que les individus ont droit à la vérité et à la connaissance.
D'aucuns pensent que l'information est un attribut moderne du pouvoir et qu'elle ne devrait être accessible qu'à des groupes sélectionnés. Nous pensons au contraire que l'information est l'un des ingrédients de base de la démocratie et que ce principe devrait être universellement reconnu. Il est essentiel que la société de l'information -- le monde du savoir -- ménage un accès libre et aisé à l'information. Un nombre suffisant de réseaux devrait permettre aux flux d'informations d'échapper à l'arbitraire d'un quelconque monopole.
Le progrès n'est pas neutre, pas plus au plan politique qu'au plan idéologique. Il ne suffit pas de veiller à ce que nous ayons tous accès aux mêmes produits, comme les téléviseurs par exemple, car cela ne suffit pas à éliminer les sources de discrimination et d'exclusion sociale. De fait, un débat fondamental se déroule actuellement dans le domaine des communications et de la création artistique. Il porte sur les notions d'universalité et de spécificité, de niveau régional et de niveau national, de vérité et d'apparence. Nous devons respecter et promouvoir la production nationale de toutes les formes d'expression audiovisuelle et artistique. La société de l'information doit prendre en compte notre individualité au lieu de nous imposer des modèles. A cet égard, il ne faut jamais oublier que, si la technologie est un facteur de modernité, c'est aussi un instrument de concentration du pouvoir économique et politique entre les mains des nations industrialisées. Appliquée à la communication, la technologie peut renforcer la dépendance et la perte d'identité. Aussi, pour protéger l'environnement culturel et les droits des travailleurs de l'audiovisuel dans une société «technicisée», faut-il en premier lieu s'attacher aux problèmes de société et aux obligations de l'Etat envers celle-ci.
La numérisation et la convergence de l'audiovisuel et des télécommunications vont de pair avec une transformation des entreprises, désormais plus tournées vers les services que vers la production de biens. Durant l'ère industrielle, les principaux facteurs économiques étaient le travail physique et le capital, mais aujourd'hui le facteur décisif est l'information. Le savoir et les autres biens incorporels sont devenus des instruments stratégiques de premier ordre. Nous pensons ici, plus spécifiquement, aux brevets, aux droits d'exclusivité, etc. La prééminence, dans la production des biens culturels, du savoir et des droits sur les biens incorporels est encore plus manifeste à la lumière des principes qui gouvernent la production de masse.
En Amérique latine, les employeurs s'intéressent aux télécommunications parce qu'ils y voient un moyen de développer leurs activités de radiotélédiffusion. Ces projets trouvent leur origine dans la privatisation des sociétés de télécommunication qui, il y a encore quelques années, étaient des entreprises publiques. L'objectif est d'assurer à ces entreprises une position dominante, de diffuser des émissions directement et d'offrir des services à valeur ajoutée. Mais quelles sont les retombées de ces activités? Elles ont de nombreuses répercussions, à commencer par la concentration de l'accès à l'information entre les mains d'une poignée de dirigeants, l'installation de lignes extérieures individuelles dans de vastes régions, la disparition des sociétés de radiotélédiffusion indépendantes -- cablo-opérateurs ou producteurs locaux, le transfert possible de services de la société de radiotélédiffusion à l'entreprise de télécommunications, la disparition de nombreuses formes de travail, la transformation de certaines autres, le déplacement ou le licenciement d'employés et, enfin, l'affaiblissement des organisations de travailleurs et la rétrocession de leur pouvoir aux employeurs ou à ceux qui utilisent leurs services et qui ramènent la négociation au niveau individuel.
Une mauvaise interprétation de ces tendances peut conduire à une triple crise de l'emploi: la première serait le résultat de la situation économique actuelle, la deuxième serait de nature structurelle et liée à la nouvelle division du travail. Enfin, le secteur de l'audiovisuel est notoirement frappé par le chômage technique, lequel peut toucher des catégories entières de travailleurs, lorsque l'innovation change de terrain. Les problèmes de recyclage et de réinsertion débouchent sur une crise de l'emploi.
Quel est le rôle de l'Etat? En principe, il devrait favoriser le développement de la société de l'information, et non l'exclusion d'origine éducationnelle ou sociale. Les travailleurs doivent pouvoir bénéficier du développement de la société de l'information. Des stratégies doivent être mises au point pour créer des conditions propices à la création d'emplois par l'investissement et l'innovation. Des stratégies doivent être mises sur pied pour assurer une formation continue et de reconversion aux travailleurs dont les emplois sont affectés. Il faudrait garantir des conditions équitables pour l'établissement des contrats et des conventions collectives. Il serait bon de promouvoir la production et le contenu nationaux. Il conviendrait de compléter la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins. Il y a lieu d'assurer une meilleure protection des droits des travailleurs dans le domaine artistique, en tenant compte de la versatilité de la demande dans ce secteur. Il faudrait reconsidérer la conception des indemnités et allocations, de la sécurité sociale, de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse pour mieux coller aux réalités auxquelles sont confrontés les artistes interprètes et exécutants.
Les syndicats ont de multiples tâches à remplir: élargir l'accès à l'information et encourager le plus possible sa diffusion, associer d'autres secteurs de la société à la défense des droits des travailleurs, expliquer l'impact de la technologie sur la vie quotidienne des artistes et les risques qu'elle fait peser sur leurs sources de revenus, avoir parmi les dirigeants syndicaux des spécialistes à même d'utiliser la technologie et de gérer un bureau technologique, mettre en place des structures et des moyens permettant aux travailleurs de rompre leur isolement et de conserver toutes leurs chances, discuter les problèmes avec les employeurs dans le cadre de la négociation collective, maintenir les travailleurs dans le cadre des règlements en vigueur afin d'éviter toute concurrence déloyale entre les employeurs, reconnaître les modes de paiement juste pour l'usage multiple des œuvres artistiques, mettre au point des mécanismes pour assurer le financement de la formation en période de chômage et de la formation continue, etc.
Nous vivons à une époque qui fait de la technologie une religion et où le succès des peuples et des nations se mesure à leur aptitude à utiliser cette technologie. Malheureusement, cette approche ne répond pas aux besoins de l'ensemble d'une société. Les pouvoirs publics, les employeurs et les syndicats doivent adopter des recommandations et des lignes directrices pour mettre en garde contre les conséquences d'un tel triomphalisme car, finalement, ce triomphe ne profite qu'à un tiers seulement de la population mondiale. Quelle que soit l'ampleur des efforts qui seront consentis, les deux autres tiers semblent être voués à l'exclusion et à la pauvreté. Il est donc urgent que l'OIT fixe par des conventions des objectifs en vue de structurer le débat sur les moyens de réduire les coûts sociaux liés à l'introduction de technologies.
Mikael Waldorff(43)
La société de l'information n'a pas d'avenir sans les artistes interprètes et exécutants -- ceux-là mêmes que je représente. Elle a toujours eu -- et aura toujours -- besoin d'une part de création et, de ce fait, elle ne peut se passer des artistes. Le divertissement est le moteur de la société de l'information, et c'est pourquoi les artistes de l'audiovisuel peuvent dans une certaine mesure avoir confiance dans l'avenir.
Le scénario nouveau de la convergence multimédia représente un énorme défi pour les syndicats d'artistes interprètes et exécutants de l'audiovisuel. Tout en étant conscients des possibilités qui s'offrent à nous, nous pensons que notre modèle traditionnel de négociation collective est mis à rude épreuve par les nouvelles relations professionnelles issues de la numérisation. Pourquoi en est-il ainsi?
Il faut d'emblée préciser que les droits de propriété intellectuelle des artistes exécutants font partie intégrante de leurs droits de salariés. Ces droits en sont même l'élément essentiel, puisque les droits versés en contrepartie de l'utilisation de leur travail sont ce qui leur permet de survivre partout dans le monde. C'est pourquoi le paiement des droits d'usage est un élément crucial de toutes les conventions collectives pour les acteurs.
L'œuvre audiovisuelle n'est plus produite à l'intention d'un marché bien défini et parfaitement connu comme le cinéma ou la télévision. Aujourd'hui, la plupart des œuvres audiovisuelles sont autant destinées au cinéma et à la télévision, qui font office de «vitrines», qu'à un énorme marché secondaire qui comprend les cassettes vidéo, la télévision à péage, la vidéo sur demande, le marchandisage sur Internet et bien d'autres circuits. Il n'existe toujours pas, dans la plupart des pays, de conventions collectives qui accordent aux artistes exécutants une rémunération juste pour ces utilisations. Le vrai problème est que personne, pas même le producteur, n'est en mesure d'estimer la valeur économique de ces usages. Ceux-ci sont aujourd'hui qualifiés de «secondaires», mais ils pourraient bientôt ne plus l'être. Pourtant, les incertitudes qui entourent le marché ne peuvent que conforter les producteurs dans leur volonté d'acquérir tous les droits moyennant un versement forfaitaire, de préférence modique.
Dans notre métier, les employeurs sont plus anxieux que les travailleurs, et cette anxiété se traduit par des contrats abusifs. Pour votre information, et pour vous amuser, je vais vous lire un de ces contrats:
Je soussigné cède par le présent acte à la Walt Disney Co., dans l'ensemble de l'univers et à perpétuité, ou pour la période maximale prévue par la loi, tous les droits actuels et futurs de toute nature et de tout caractère découlant de mes services, y compris les droits d'auteur, tous les droits économiques et autres droits d'exploitation, leur renouvellement et leur extension, ainsi que l'exploitation ou la non-exploitation de ces droits dans tous les médias aujourd'hui connus ou à venir.
En somme, cette déclaration englobe tout ce qui existe, du moins dans notre univers connu. En raison du poids inégal des parties à la négociation, les artistes exécutants acceptent souvent ces conditions minables pour décrocher le contrat. Aussi les producteurs vont-ils continuer à tirer profit des prestations de l'artiste, souvent durant des décennies, sans avoir jamais à lui verser aucun supplément.
Le problème ne réside pas dans un manque de flexibilité des artistes. Nos conventions prévoient la possibilité, pour un acteur, de négocier des conditions spéciales, dans le respect des conditions minimales arrêtées d'un commun accord pour l'ensemble des acteurs. N'oublions pas que Robert de Niro, Sharon Stone et Arnold Schwarzenegger travaillent dans le cadre d'une convention collective négociée par un syndicat.
L'intégration verticale est aussi source de problèmes pour les artistes exécutants. Lorsqu'une société domine non seulement la production, mais aussi les chaînes de distribution des films, les studios d'enregistrement et même les satellites de télévision, deux phénomènes apparaissent. Tout d'abord, la position dominante des grandes sociétés étouffe les secteurs plus traditionnels de la production audiovisuelle. C'est ce qui s'est produit avec la télévision de service public partout dans le monde. Deuxièmement, les conventions collectives fondées sur le paiement de redevances sont beaucoup plus difficiles à faire appliquer. Il est frappant de constater combien est grande la collusion entre les producteurs de télévision et les organismes de diffusion, qui font souvent partie du même groupe économique. Cela permet de fixer le prix des émissions à un niveau artificiellement bas, ce qui réduit d'autant les redevances versées aux artistes. Autre fait caractéristique, la production est sous-traitée à de nombreuses petites entités.
Les relations économiques évoluent également. La coproduction internationale est de plus en plus courante, et ce pour deux raisons. Les grandes sociétés recherchent des partenaires locaux susceptibles de leur ouvrir certains marchés nationaux; de leur côté, les petites sociétés nationales ont besoin des grandes entreprises pour financer leurs projets. Mais la contrepartie, c'est que ce sont les grandes sociétés qui imposent leurs conditions. Voilà pourquoi, dans le monde entier, les syndicats d'artistes exécutants déplorent des violations de leurs conventions. Si le syndicat s'insurge, on lui dit qu'aucun acteur local ne sera engagé. Donc, si vous voulez décrocher un contrat, vous devez céder l'ensemble de vos droits et, souvent même, accepter des contrats abusifs qui font l'impasse sur la santé, la sécurité, etc.
Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là. Souvent, il est créé, le temps d'un tournage, une société qui joue le rôle de coproducteur local. Lorsque le film est tourné, la société se volatilise, et les droits aussi -- envolés les cotisations à la caisse de retraite, les congés payés, etc. En Europe de l'Est, en Amérique latine et en Afrique, nous avons vu des sociétés disparaître avant qu'elles n'aient payé le cachet de base pour un jour de travail. Citons l'exemple -- qui n'est pas flatteur pour mon pays -- d'une actrice russe qui n'a reçu aucun argent. Elle a eu un réfrigérateur. Les contrats individuels: parlons-en! En fait, elle n'avait même pas de contrat. L'agent russe, qui devait être un ancien fonctionnaire du Parti, a pour sa part fait une bonne affaire. Bien entendu, nous ne souhaitons pas faire cesser la pratique de la coproduction, mais nous refusons qu'elle entraîne une exploitation des acteurs dans les pays en développement et les autres.
La convergence multimédia véhicule un puissant modèle industriel venu du monde anglophone. Elle s'accompagne d'une demande plus pressante de cession des droits -- ce qu'il est convenu d'appeler le «copyright model» -- qui protège le producteur et non l'artiste. Le phénomène constitue une menace majeure pour la survie des acteurs et des productions dans les petits pays. Et cela, non pas seulement parce que le paiement des droits d'usage est la condition nécessaire au maintien d'une main-d'œuvre qualifiée sur un marché où le travail est sporadique, mais aussi, et surtout, parce que la production culturelle nationale va diminuer si elle est contrainte de s'aligner sur ce modèle. Il est tout simplement impossible de produire un film d'art et d'essai pour un marché incertain et étroit, aux mêmes conditions qu'un film en anglais qui a un accès garanti à un vaste marché international. Le modèle nordique, qui prévoit le versement à l'acteur sous forme d'acompte puis de droits d'une juste part des recettes escomptées, est la seule option possible, et il s'impose désormais pour des raisons de politique culturelle.
Face à tous ces problèmes, nous devons revoir notre stratégie de négociation collective. Nous envisageons à présent des conventions collectives internationales. Nos employeurs sont souvent des entreprises implantées dans le monde entier, aussi est-il évident que nous devons conclure, pour les coproductions internationales, des conventions qui garantissent une protection minimale acceptable. Il convient aussi de souligner que les artistes et les producteurs ont néanmoins des intérêts communs dans divers domaines. Les nouveaux médias sont difficilement contrôlables, et les abus tels que le piratage commencent à poser de très graves problèmes à toutes les parties. Nous avons ici une tâche commune. Nous avons aussi tous intérêt à l'institution de prélèvements sur la reproduction privée, la retransmission par câble et d'autres usages publics, prélèvements qui devraient être équitablement répartis entre tous les intéressés, comme c'est le cas dans les pays nordiques, en Allemagne et en France. Je suis convaincu que l'image traditionnelle de relations antagonistes est aussi dépassée que les techniques d'enregistrement des années vingt.
Les gouvernements doivent aussi le comprendre. La communauté internationale doit fixer certaines normes pour la protection des artistes interprètes et exécutants. Il est absurde que le nouveau traité de l'OMPI laisse de côté l'audiovisuel, alors que c'est là qu'est l'avenir. Nous insistons pour que le BIT poursuive ses travaux en ce domaine, œuvre de longue haleine qui est plus utile que jamais, et nous tenons à remercier le Bureau pour avoir vigoureusement défendu ces droits à l'OMPI.
Enfin, ce dialogue que nous engageons à présent sous les auspices du BIT est extrêmement important. Les travailleurs que nous représentons sont prêts pour l'avenir multimédia, mais ils sont aussi extrêmement vulnérables. Les producteurs n'ont pas le droit de puiser dans ce vivier de talents flexibles et motivés pour les rejeter à l'eau quand ils n'en ont plus besoin. Il est inacceptable que leur responsabilité s'arrête là. Les artistes interprètes et exécutants ont besoin que leurs droits soient respectés par les employeurs et défendus par les pouvoirs publics. Ce n'est qu'en coopérant pour atteindre cet objectif que nous parviendrons à un modus vivendi acceptable dans le monde de la numérisation.
Conséquences de la convergence
pour le mouvement syndical
Carlos Alberto de Almeida(44)
La convergence des technologies a durement touché le Brésil, en tant qu'elle a mis en cause les droits des travailleurs, les valeurs démocratiques et même la souveraineté nationale. L'analyse de la situation brésilienne est intéressante car, quoique «pays en développement», le Brésil est considéré comme une puissance émergente ayant de bonnes perspectives d'avenir dans le cadre de l'économie mondiale. La technologie offre la possibilité de rationaliser le travail, d'en réduire la durée et de favoriser les activités intellectuelles et même les loisirs. Mais rien de tout cela ne s'est produit jusqu'à présent. Bien au contraire, les professionnels des médias -- cadres, journalistes ou autres -- effectuent de plus en plus d'heures. Si la législation du travail et les droits des professionnels étaient rigoureusement respectés, on constaterait que ces nouvelles technologies apportent d'extraordinaires bienfaits. Mais tel n'est pas le cas au Brésil. Les journalistes sont souvent appelés par téléphone le week-end pour effectuer des heures supplémentaires non payées.
Le problème de la révolution technologique devrait toujours être resitué dans son contexte sociopolitique. Dans les pays où la législation protège les travailleurs, certains problèmes d'ajustement peuvent se poser; mais, lorsque les innovations interviennent dans un contexte marqué par une remise en cause généralisée des droits des travailleurs et une violation de la Constitution au profit des oligopoles, le problème est d'une toute autre ampleur.
Durant les années quatre-vingt, lorsque le mouvement syndical brésilien a refait surface après des années de dictature, la situation était très favorable à la réglementation sociale et à la protection légale des travailleurs. La Constitution était en cours d'élaboration. La technologie a donné lieu à d'importants débats, et de nombreuses lois constitutionnelles favorables aux travailleurs ont été adoptées. Lorsque, par exemple, les entreprises introduisaient des nouveautés technologiques telles que l'ordinateur, le vidéotexte etc., elles étaient tenues en vertu de la Constitution de créer un comité paritaire. Les professionnels ne pouvaient être licenciés et devaient être affectés à d'autres postes compatibles avec leurs tâches antérieures. Mais jusqu'à présent, la nouvelle Constitution n'a pas réellement été appliquée. Quatorze ans après l'adoption des textes, le Syndicat des journalistes de São Paulo n'a obtenu qu'une recommandation non contraignante stipulant que, lors de l'introduction de nouvelles technologies, les employeurs devaient libérer les journalistes pour leur permettre de suivre une formation complémentaire. Les journalistes n'ont aucune garantie de réemploi ni de reconnaissance de leur nouvelle formation de la part de l'entreprise ou des pouvoirs publics.
L'article 7 de la Constitution fédérale du Brésil dispose que les travailleurs doivent être protégés des conséquences de l'automatisation. Mais les règlements d'application n'ont jamais vu le jour. Les employeurs ont exercé des pressions afin qu'aucun règlement d'application ne soit pris, privant ainsi la disposition constitutionnelle de toute valeur légale. Quant à l'innovation technologique, seuls les intérêts des employeurs sont pris en compte. Les travailleurs ne peuvent pas exprimer leur avis pour ce qui est de leur propre adaptation et intégration au processus. Les licenciements sont fréquents.
Davantage de technologie, davantage de travail. Le Syndicat des journalistes affilié à la fédération nationale a constaté une baisse du nombre de journalistes en même temps qu'une augmentation considérable du volume de travail. Le phénomène s'explique par la création de toute une série de services d'information qui ont été implantés un peu partout et dont beaucoup utilisent les nouvelles technologies. Selon le syndicat de São Paulo, les professionnels sortant des universités sont trop nombreux pour le nombre d'emplois disponibles dans les médias. Certains journalistes sont allés grossir les rangs des chômeurs. Les autres sont prêts à effectuer cinq ou six heures de plus que la durée journalière légale pour conserver leur emploi. L'innovation technique a donc abouti à un allongement de la journée de travail des journalistes, qui produisent davantage, mais ont moins de droits sociaux et des syndicats affaiblis, le tout sur fond de récession économique et de chômage chronique.
La révolution technologique et l'amenuisement des droits des travailleurs. Au Brésil, le secteur des médias donne des signes de déclin manifestes. Auparavant, la convention collective disposait que les journalistes devaient être rémunérés pour toute réutilisation de leur travail, mais les employeurs ont obtenu la suppression de cette disposition. Le chômage structurel, l'allongement de la journée de travail sans contrepartie et la méconnaissance des droits syndicaux ont créé une atmosphère d'incertitude et d'anxiété face à l'innovation technologique et aux besoins de recyclage. Certes, le recyclage est une nécessité, mais il dépend du bon vouloir des grandes entreprises dans la mesure où le système d'éducation est insuffisant et où les syndicats sont affaiblis. Le gouvernement n'a lancé aucun programme pour répondre aux besoins des travailleurs. Il s'agit là d'une situation très grave pour un pays comme le Brésil, où 12 pour cent à peine de la population active est allée au-delà de la première année de l'école primaire. C'est sans doute le cas aussi dans d'autres pays du tiers monde.
L'innovation technologique. Pour relever le défi des nouvelles technologies de la communication sur une grande échelle, des capitaux considérables sont nécessaires. La convergence technologique est donc dirigée par des monopoles qui poussent à la privatisation et à la déréglementation au niveau mondial. L'une des conséquences les plus graves de cette situation est l'élimination des centres nationaux de recherche. Les grands groupes internationaux vont probablement étendre leur domination sur le marché brésilien, au détriment de la production nationale. La technologie sera achetée à l'étranger et nombre de nos chercheurs hautement qualifiés émigreront. Ils auront consacré en pure perte des années à la mise au point des technologies adaptées au climat tropical, et nous resterons techniquement tributaires de l'étranger si nous exportons nos emplois qualifiés vers les principaux pays producteurs de technologies.
Qui plus est, la Fédération des travailleurs des télécommunications a dénoncé l'attitude du gouvernement qui a refusé de créer, avec la participation des travailleurs, des forums pour discuter des conséquences de la convergence technologique pour la démocratie et la culture. Dans la course à la domination du marché, une poignée d'entreprises se livrent une concurrence débridée. La technologie n'est pas synonyme de démocratie, quel que soit le mode de répartition du capital. Les nouvelles technologies et la déréglementation n'engendrent pas non plus une plus grande liberté; bien au contraire, elles favorisent la formation d'oligopoles et la concentration du capital.
Le cas du Brésil est paradoxal. La télévision brésilienne possède ses propres capacités de production, et les films brésiliens sont connus dans le monde entier. Mais, au lieu d'un accroissement de la production et d'un renforcement de la présence du cinéma brésilien sur le marché mondial, on constate une poussée des productions étrangères au détriment de la production nationale. L'apparition de la télévision câblée ou la transmission directe par satellite n'a pas eu pour effet de diversifier l'offre et d'accroître la liberté de choix. En fait, la diversité culturelle s'est même appauvrie au Brésil. Par exemple, on n'entend plus la délicieuse «salsa» d'Argentine. Cela est encore techniquement possible, bien sûr, mais l'oligopole impose sa dictature quant au contenu des émissions. Les droits sociaux sont remis en cause, et la même histoire est publiée dans les quotidiens, dans les revues et en ligne: c'est la mort de la diversité culturelle. Telle est la nouvelle religion qui veut que le marché soit la mesure de toute chose.
Aux Etats-Unis, les journalistes ont rejoint les travailleurs de la télévision, car au niveau du secteur ils sont unis par la numérisation. Au Brésil, les travailleurs de différentes branches du secteur des communications sont également en train de s'unir. Le BIT devrait organiser des recherches, des études et des colloques pour étudier en profondeur cette tendance, compte tenu des spécificités de chaque branche d'activité.
Puisque les pouvoirs publics ont manqué à leur mission et que les syndicats sont faibles, c'est à l'OIT qu'incombe la défense de l'intérêt public. Une étude devrait être entreprise pour déterminer comment et quand appliquer la nouvelle technologie et comment une consultation des travailleurs peut garantir son introduction dans de bonnes conditions.
L'absence de réglementation est préjudiciable. De fait, la législation est le résultat d'un processus démocratique et doit être constamment améliorée. L'héritage social de l'humanité, qui s'est accumulé pendant des siècles de dur labeur, ne doit pas être dilapidé.
Discussion générale sur les relations
professionnelles à l'ère de l'information
Shinji Matsumoto, du groupe des travailleurs, a souligné que les artistes interprètes et exécutants n'avaient pas peur de la technologie et n'y étaient pas défavorables, mais que la progression devait s'effectuer de manière équilibrée afin d'être réellement bénéfique. Le fait que les ordinateurs peuvent déjà outrepasser les limites physiques des humains et celles des instruments traditionnels -- ce qui leur permet de faire ce que les musiciens ne peuvent pas -- mérite une réflexion philosophique. Il faut donner aux artistes interprètes et exécutants la possibilité de se former et de se recycler de façon à leur permettre de relever les défis auxquels ils sont confrontés. Il faudrait tout particulièrement faire porter l'effort sur les travailleurs indépendants de plus de 40 ans. Alors que les organisations de travailleurs du spectacle existent toujours, il est très difficile de repérer les unions patronales. En effet, l'activité des employeurs n'est plus, comme autrefois, circonscrite à un secteur précis, tel que l'enregistrement, la production de films ou la diffusion, de sorte qu'il devient de plus en plus difficile de savoir par quelles organisations ils sont représentés et donc avec qui négocier. Le BIT a déjà organisé une réunion sur les conditions d'emploi et de travail des artistes exécutants en 1992. Le Bureau devrait continuer à favoriser le dialogue dans le secteur du multimédia et la société de l'information.
Wilfred Kiboro, du groupe des employeurs, a confirmé que la formation était un élément essentiel. Pour s'assurer la loyauté de leur personnel, les employeurs doivent dans toute la mesure possible lui offrir la possibilité de se former et ne devraient pas considérer les plus de 40 ans comme trop vieux ou incapables de se recycler. Il y a lieu de redéfinir les relations entre employeurs et employés, afin de protéger les droits des travailleurs et de garantir à ces derniers une juste récompense pour leur contribution. L'histoire montre qu'il existe une interdépendance entre les employeurs et les travailleurs, et la plupart des employeurs admettent qu'ils n'auraient pu déployer leur activité s'ils n'avaient pu compter sur un personnel motivé. Mais, de leur côté, les travailleurs devraient se montrer plus compréhensifs face aux pressions croissantes qui pèsent sur les entreprises. La concurrence est le moteur du changement et de l'ensemble du processus de convergence multimédia. Les entreprises doivent donc réagir à cette âpre concurrence mondiale pour pouvoir survivre. Si elles échouent, les travailleurs en souffriront aussi. C'est pourquoi les travailleurs peuvent être appelés à effectuer des heures supplémentaires sans contrepartie. Néanmoins, les employeurs sont conscients du problème que peut poser la technologie en provoquant le déplacement de certains emplois.
Walter Durling, vice-président des employeurs, a fait observer que les arts du spectacle ont profité au mieux de la technologie. Les théâtres fonctionnent avec des décors réglés par ordinateur; le cinéma utilise largement l'informatique. Les films peuvent maintenant être vendus sous forme de disques compacts en plusieurs versions; le consommateur peut sélectionner la langue et même la forme de l'écran. En un mot, la nouvelle technologie a valorisé les arts du spectacle. Le «World Wide Web» permet de communiquer instantanément, à peu de frais, avec le monde entier ce dont personne n'aurait osé rêver il y a dix ans. Son potentiel et ses avantages doivent être évalués à leur juste valeur.
Chris Warren, vice-président des travailleurs, a souligné combien il était important d'examiner l'impact de la technologie sur le travail et les relations professionnelles dans le secteur de l'information. Il est bien que le BIT aborde les nouveaux problèmes sociaux dans les secteurs convergents, et notamment la formation, la sécurité et les autres besoins sociaux des employés. Le BIT devrait prévoir des activités dans ces domaines, il apporterait ainsi une aide immense non seulement aux employés et aux employeurs du secteur de l'information, mais aussi à tous ceux qui souhaitent informer.
Tony Lennon, du groupe des travailleurs, a noté que les travailleurs étaient préoccupés par la perspective d'un monde à deux vitesses, dans lequel certains pourraient profiter de la nouvelle technologie et de ses avantages, et les autres non. Il importe de trouver les moyens de prévenir l'exclusion sociale à laquelle peuvent conduire les progrès techniques. Dès lors que la technologie multimédia, le courrier électronique ou le World Wide Web par exemple, est la forme dominante de la communication, les représentants syndicaux devraient pouvoir en faire usage pour communiquer avec leurs organisations sans se heurter à la réticence des employeurs. Ceux-ci doivent reconnaître aux travailleurs le droit de se regrouper en usant des moyens de communication. Il y va de la liberté d'association.
John Morton, de la Fédération internationale des musiciens (FIM), a noté que les artistes interprètes et exécutants, en particulier les musiciens, avaient depuis des décennies des conventions collectives flexibles, mais que la convergence multimédia en rendait la conclusion de plus en plus difficile. Alors que des musiciens sont encore attachés à des opéras, des orchestres et des ballets, la plupart ont des emplois atypiques. Beaucoup d'entre eux enregistrent et mixent leurs chansons dans leur propre studio ou dans leur garage avant de nouer des relations commerciales avec une grande maison de disques. D'autres ont une «relation de quasi-emploi» avec un studio d'enregistrement qui fait appel à eux par intermittence -- autrement dit, ils ont le statut de travailleurs indépendants mais ils sont en fait des salariés. Lorsque la loi assimile ces musiciens à des travailleurs indépendants, il est très difficile de les organiser pour fixer des conditions et des taux standard. Cette diversité des conditions d'emploi entraîne une fragmentation du rôle de l'employeur. Il est parfois difficile de savoir qui est l'employeur et certains d'entre eux ne sont pas très conscients de leurs obligations et responsabilités. Le BIT devrait étudier de plus près la situation des musiciens eu égard à ces conditions d'emplois atypiques. Il devrait par ailleurs, conformément à ses principes, encourager le développement des négociations collectives dans ce domaine particulier.
Dominique Schalchli, représentant du gouvernement français, a déclaré que la question de la reproduction secondaire ou multiple des œuvres des artistes interprètes et exécutants -- comme d'ailleurs d'autres professions -- ressort davantage du domaine du travail que de celui de la propriété intellectuelle. Cette question doit par conséquent être discutée dans le cadre de l'OIT.
Walter Durling a exhorté les participants à ne pas se montrer trop pessimistes quant aux effets sociaux du développement technologique et de la convergence multimédia. Il a rappelé que l'image négative d'une main-d'œuvre réduite à l'esclavage dans ce classique du cinéma qu'est le film «Métropolis» n'était jamais devenue réalité. C'était simplement un mauvais rêve. Les employeurs souhaitent une liberté d'action tout autant que les travailleurs. Ils souhaitent un dialogue entre les partenaires sociaux sans ingérence de l'Etat. Si les syndicats ont évidemment le droit d'utiliser les moyens modernes de communication tels que le courrier électronique pour promouvoir la liberté d'association, certains problèmes éthiques peuvent se poser s'ils utilisent les équipements de l'employeur dans ses locaux et durant les heures de travail.
Réponse des membres de la table ronde
Mikael Waldorff a souligné que la nouvelle technologie et la numérisation ne changeaient pas réellement le travail des acteurs. Pour un artiste de l'audiovisuel, travailler pour un jeu vidéo interactif, pour un film ou une production télévisée ne fait guère de différence, puisque les uns et les autres participent au multimédia. Le changement réside dans l'usage qui est fait du travail et sa distribution. Ce problème occupe une place de plus en plus importante dans les relations professionnelles et doit trouver une solution satisfaisante dans les conventions collectives et dans les contrats individuels.
Nestor Cantariño a déclaré que les progrès techniques accroissaient les responsabilités des pouvoirs publics et des employeurs. De même, ceux qui gèrent l'information et les connaissances portent aussi une plus grande responsabilité sociale. La mondialisation a déclenché un raz-de-marée d'informations et pèse lourdement sur les pays jeunes du monde en développement qui luttent pour leur identité culturelle. L'accès permanent à la connaissance et à la technologie offert par le monde occidental entraîne une transculturation qui ne favorise pas la sauvegarde de l'histoire et des coutumes de ces jeunes pays. Si le développement technologique ne sert pas à améliorer le niveau de vie des populations, il ne sert à rien. Il importe de ne pas creuser l'écart entre les «info-riches» et les «info-pauvres».
Carlos Alberto de Almeida a relevé que la liberté d'association restait largement théorique dans son pays, le Brésil, où les employeurs licenciaient et persécutaient les travailleurs pour la simple raison qu'ils étaient membres d'un syndicat. Les changements devraient à l'avenir s'opérer de manière plus humaine, dans le respect des droits des travailleurs. Puisque l'humanité s'est montrée capable de tant de grandes réalisations et innovations, pourquoi ne saurait-elle prévoir certains des changements qu'entraînera la nouvelle technologie et aider les gens à s'y adapter d'une manière plus humaine et plus raisonnable?
Le rôle de l'OIT
M. Marc Blondel, président du colloque, a ouvert la séance en rappelant dans quel contexte s'inscrivaient les discussions. Ce colloque n'était ni une réunion sectorielle au sens formel du terme ni une commission paritaire dont l'objectif aurait été de parvenir à des conclusions négociées. Néanmoins, il importait que les travaux débouchent sur certaines orientations ou directives concernant les mesures de suivi à prendre.
Des inquiétudes ayant été exprimées au sujet de l'élaboration d'une éventuelle convention sur le multimédia, le président a clairement indiqué qu'un colloque n'offrait pas la possibilité d'engager des négociations sectorielles en vue de l'élaboration d'une convention. Pour qu'un tel débat ait lieu, il aurait fallu qu'au préalable le Conseil d'administration en décide ainsi sur la base d'un texte, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Le président s'est également fait l'écho des inquiétudes qui s'étaient exprimées au sujet du mandat de la réunion. Il a estimé que cette question n'était en l'occurrence pas pertinente. Le but de la discussion était simplement de voir si un consensus pouvait se faire jour sur les mesures de suivi déjà proposées ou celles qui pourraient l'être au cours des débats. Ces propositions n'étaient pas des conclusions négociées, suivies d'un vote, mais plutôt la reprise des points d'accord relevés au cours de la réunion. La position des groupes sur les autres points resterait distincte.
Le président a souligné ensuite que toutes les parties n'étaient pas favorables à la formule du colloque. Certains auraient préféré une approche plus traditionnelle. Si les résultats du colloque ne se révélaient pas probants, la réunion n'aurait servi l'OIT ni sur le plan interne ni vis-à-vis de l'extérieur. Les préoccupations exprimées notamment par les travailleurs, concernant la formule, ne se dissiperaient pas davantage, et l'impact des travaux sur l'évolution du domaine du multimédia pourrait s'en trouver amoindri. Il était donc dans l'intérêt de toutes les parties de favoriser l'émergence d'un consensus de base permettant d'éclairer des travaux de l'OIT.
Le président a ensuite ouvert la discussion sur la base des déclarations contenues dans le document suivant: Le rôle de l'OIT, SMC/5.
Le rôle de l'OIT
A. Déclaration du représentant du gouvernement français
L'OIT devrait mener à bien une analyse quantitative et qualitative du télétravail tel qu'il existe aujourd'hui et tel qu'il est prévu pour demain, afin de poursuivre les travaux entamés par la Conférence internationale du Travail de 1996 avec l'adoption de la convention (no 177) sur le travail à domicile, 1996.
B. Déclaration du groupe des employeurs
Le groupe des employeurs participant au colloque souhaite, à la suite de ses réunions de groupe, faire la déclaration suivante:
1. Le multimédia est un terme générique qui embrasse diverses activités s'inscrivant dans le contexte des développements technologiques, notamment dans le domaine des communications. On ne peut, sans méconnaître la vraie nature des progrès en cours, postuler que ce terme répondra toujours à cette définition.
2. L'OIT devrait revoir les normes existantes afin de veiller à ce qu'elles n'étouffent pas la créativité et l'esprit d'entreprise nécessaires à la création d'emplois et à la pleine exploitation des progrès technologiques qui bénéficient à l'humanité.
3. Compte tenu du rythme actuel du progrès technologique, l'OIT serait peut-être bien inspirée de comparer les conditions de travail et les conditions sociales qui existaient lors de l'adoption de la plupart des normes existantes avec celles qui prévalent actuellement dans les sociétés développées et les pays en développement.
4. Les employeurs participant à ce colloque se réservent le droit d'exprimer tout autre point de vue ou opinion qu'ils jugeraient souhaitable ou opportun de faire valoir à la lumière du reste des débats et avant leur conclusion.
C. Déclaration du groupe des travailleurs
1. Programme des réunions sectorielles
2. Activités de suivi régionales de l'OIT
3. Propriété intellectuelle
4. La formation dans la société de l'information
5. Réseaux de technologie de l'information
6. Etudes et recherches à entreprendre
a) étude de l'évolution de la nature du travail, et en particulier des nouvelles formes d'emploi;
b) analyse de l'application et de la mise en œuvre du droit du travail en vigueur, des systèmes de sécurité sociale et des normes de l'OIT dans la mesure où ils concernent le personnel temporaire du multimédia;
c) élaboration de normes relatives au télétravail dans le secteur du multimédia.
7. Examen par l'OIT de l'évolution du paysage médiatique
M. Dominique Schalchli, représentant du gouvernement français, a souhaité supprimer, dans la proposition de son gouvernement, toute mention de la convention (no 177) sur le travail à domicile, 1996, afin de ne pas donner prise à des malentendus. En 1996, la question du télétravail n'a pas été l'un des thèmes principaux du débat sur le travail à domicile. Cependant, il s'agit là d'une question importante et l'OIT serait bien inspirée d'y prêter la plus grande attention. S'agissant du point c) de la partie 6 de la déclaration des travailleurs, l'orateur a invité à la prudence parce qu'il était trop tôt pour envisager l'élaboration de normes relatives au télétravail dans le secteur du multimédia. Il faudrait d'abord procéder à une étude plus approfondie de la question.
M. Walter Durling, vice-président des employeurs a, à propos du mandat de la réunion, cité le paragraphe 14 du document GB.265/STM/1 du Conseil d'administration sur le Colloque sur la convergence multimédia, lequel est ainsi libellé: «La commission voudra sans doute recommander que le colloque ait pour but un échange de vues sur les questions sociales et de travail liées à la convergence multimédia et que ses résultats se traduisent par un document contenant un compte rendu des discussions et des extraits des exposés présentés.» Rien dans ce document n'appelle à l'émergence d'un consensus de base sur quelque question que ce soit. L'orateur exprimait donc bel et bien la position du groupe des employeurs lorsqu'il a déclaré que les membres de ce groupe n'avaient pas pour mission de négocier un consensus de base sur quelque question que ce soit touchant aux multimédias. S'ils étaient venus au colloque, c'était pour procéder à un échange de vues, s'informer, s'instruire, mais non pour s'asseoir à une table de négociation et discuter d'un document. Le but ultime de ce colloque est donc un échange de vues. La distribution d'un résumé des débats et d'un condensé des exposés présentés serait utile à tout un chacun.
M. Valentin Klotz, secrétaire général de la réunion, a d'abord remercié tous les participants pour leurs interventions et les échanges de vues très stimulants des trois jours précédents. En 1995, le Conseil d'administration a entrepris une évaluation de son programme d'activités sectorielles. Ce colloque est la première réunion du Secteur des médias, de la culture et des arts graphiques tel que l'a défini le Conseil d'administration. Il ne s'agit pas d'une réunion ad hoc du multimédia en tant que tel. Cette réunion s'inscrit dans le cadre du programme des activités sectorielles, pour le secteur des médias, de la culture et des arts graphiques. A la suite de l'évaluation, le Conseil d'administration a également décidé que, pour assurer un traitement régulier à chacun des vingt-deux secteurs définis dans le programme, il fallait accorder une attention plus soutenue aux activités de suivi telles que les services consultatifs techniques, les séminaires et la recherche. Les ressources allouées à un secteur dans les deux ans suivant une réunion sectorielle devraient être consacrées à ce type d'activité. Etant donné que ce colloque a lieu au cours de la période biennale 1996-97, aucun crédit n'a été prévu pour une réunion supplémentaire dans le projet de programme et de budget 1998-99. Cependant, le Bureau espère bien que cette réunion fournira des orientations pour les activités de suivi qui devront être menées au cours de cette période.
M. Tony Lennon, du groupe des travailleurs, a noté que les travailleurs avaient brièvement indiqué dans quel domaine l'OIT pourrait utilement entreprendre de nouvelles activités. Ils ne proposaient que des activités ou des analyses qui devaient se faire entièrement sous le contrôle de l'OIT. Il est essentiel de sensibiliser davantage les partenaires sociaux du monde entier aux changements à venir et de développer leur capacité d'adaptation. C'est dans cet esprit que le groupe des travailleurs a fait des propositions pour les activités futures. L'orateur a instamment demandé au groupe des employeurs de donner à l'OIT des indications quant aux questions qui revêtent pour eux de l'importance.
Mme Barbara Motzney, représentante du gouvernement canadien, se faisant l'interprète de son gouvernement, a déclaré qu'il était important que l'OIT poursuive ses efforts dans ce domaine. En trois jours, une énorme quantité de connaissances ont été mises en avant et une multiplicité de points de vue se sont exprimés. La réunion doit donner au secrétariat des indications quant aux activités qu'il doit mener en ce domaine au cours du prochain exercice. Même si l'on ne peut pas véritablement parler de consensus, des messages essentiels et des thèmes très clairs sont revenus dans les discussions. Par conséquent, forte du soutient des représentants des gouvernements allemand, américain, égyptien, français et hongrois, la représentante du gouvernement canadien a souhaité compléter la déclaration des travailleurs sur la question de la formation dans la société de l'information. Les gouvernements reconnaissent l'importance capitale que revêtent la formation dans la société de l'information et la responsabilité qui incombent de ce fait à l'ensemble des partenaires sociaux. Par conséquent, ils encouragent l'OIT:
a) à établir, à recueillir et à diffuser largement des informations sur les programmes et les actions de formation et de recyclage, y compris sur les expériences réussies et les enseignements tirés;
b) à étudier les possibilités de collaboration entre les personnes, les milieux d'affaires, les milieux sociaux, les communautés et les institutions pour la promotion d'une culture qui valorise l'apprentissage permanent. Il est essentiel d'en favoriser l'avènement par l'éducation et par une initiation des jeunes enfants à l'informatique et à ses outils (ordinateurs, logiciels, applications multimédias et toutes autres sources et instruments médiatiques).
S'exprimant ensuite en sa qualité de représentante du Canada, elle s'est félicitée des déclarations faites par les deux autres groupes. Elle a instamment demandé à l'OIT de faire tous les efforts nécessaires pour proposer un cadre pour les discussions, les débats et les recherches, et pour cerner les problèmes et les secteurs impliqués dans la convergence multimédia. Ce cadre serait très utile non seulement à l'OIT, mais aussi à d'autres organisations qui sont confrontées à ce phénomène à la fois multidisciplinaire et multisectoriel.
M. Jürgen Warnken, représentant du gouvernement allemand, a réaffirmé son soutien à la proposition commune qui venait d'être formulée. Il a proposé de mener des recherches et des activités dans le domaine plus large des technologies de l'information, une attention toute particulière devant être portée aux différences régionales.
M. Kenji Tsunekawa, représentant du gouvernement japonais, a instamment demandé à l'OIT d'étudier les liens qui existaient entre le développement des multimédias et les créations d'emplois. Le Bureau devrait tirer parti, pour ce faire, de ses équipes multidisciplinaires et de ses activités de coopération technique. Il devrait aussi mesurer le glissement qui s'opère au détriment des relations professionnelles collectives et au profit des relations professionnelles individuelles et qui ne peut que s'accentuer avec le développement des industries du multimédia. Il est indispensable que, étudiant les problèmes auxquels est confrontée la société de l'information, l'OIT collabore avec d'autres agences spécialisées des Nations Unies comme l'UIT, l'OMPI ou l'OMC. L'orateur a également souligné que tous les mandants de l'OIT souhaitaient que l'Organisation soit un centre d'excellence en matière de questions sociales et il a instamment demandé au Bureau d'élever le niveau de compétence de son personnel. Ce colloque tranche sur les autres réunions sectorielles de l'OIT où seuls les participants choisis pour siéger au sein de la commission de rédaction ont beaucoup à faire, les autres n'étant pas autorisés à prendre part aux débats. Cependant, le dernier jour de la réunion, les participants ont la possibilité d'adopter certaines résolutions et conclusions indiquant l'orientation que devraient suivre les gouvernements et l'OIT. En revanche, au cours de ce colloque, chaque participant a eu la possibilité d'intervenir dans les discussions, mais aucun document final n'a été adopté. Les deux formules présentent des avantages et des inconvénients. Peut-être pourrait-on en corriger les défauts.
M. Lennon a officiellement associé le groupe des travailleurs à chacune des déclarations des représentants des gouvernements. Les travailleurs ont beaucoup apprécié le colloque, mais les difficultés qui ont surgi lors du débat final les portent à croire qu'une réunion tripartite ordinaire avec des règles clairement comprises et, au final, des conclusions négociées aurait été préférable.
M. Durling a réaffirmé sa position, à savoir que le groupe des employeurs ne s'engagerait pas dans des négociations. Le Bureau a recueilli, en l'espace de trois jours, énormément d'informations. La réunion de personnes venues du monde entier avec des exposés tout préparés sur une question déterminée donne déjà au Bureau toute une série d'indications pour les deux prochaines années. Le groupe des employeurs a fait sa déclaration à la demande du Bureau. Cette déclaration fondée sur les observations faites au cours du colloque ne comportait ni conclusions ni recommandations. C'était une simple déclaration.
Le président a prié le Secrétaire général de prendre note des positions de chaque groupe.
M. Klotz a fait observer que de nombreuses propositions avaient été faites durant la réunion par les membres des trois groupes. Celles-ci seront récapitulées dans un rapport final reprenant les diverses déclarations et discussions. Cet ensemble d'éléments guidera l'OIT dans les travaux qu'il consacrera aux secteurs des médias, de la culture et des arts graphiques.
M. Blondel a remercié tous les participants d'avoir pris part au colloque et facilité sa tâche de président. Enfin, il a formulé l'espoir qu'il y ait d'autres colloques de ce type à l'avenir mais, de préférence, avec des conclusions claires et précises. Puis il a déclaré le colloque officiellement clos.
* * *
La pertinence de principes tels que la liberté d'association et le droit à la négociation collective, l'élimination de la discrimination et l'égalité des chances a été réaffirmée au cours des débats. Cependant, la rapidité des changements en cours dans le secteur met les partenaires sociaux au défi de trouver des mécanismes appropriés pour conforter ces droits de l'homme fondamentaux et pour étendre le dialogue social.
On trouvera ci-après une récapitulation des propositions faites par les participants au cours du colloque concernant les activités futures de l'OIT:
Il a été mis à la disposition de tous les membres, conseillers techniques et observateurs avant la fin du colloque un questionnaire destiné à recueillir leur avis sur divers aspects de la réunion. Sur les 61 participants présents, 32 ont répondu au questionnaire, à savoir 4 représentants gouvernementaux (3 délégués et 1 conseiller technique), 10 représentants des employeurs, 17 représentants des travailleurs (11 délégués, 3 conseillers techniques et 3 observateurs) et 1 observateur des ONG. Le taux de réponses a donc été de 52 pour cent.
La grande majorité de ceux qui ont répondu a semblé plus que satisfaite tant du sujet de la réunion que des thèmes de la discussion. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre eux ont jugé le choix de la question à l'ordre du jour excellent ou bon, et 94 pour cent ont été satisfaits des thèmes choisis. S'agissant de la qualité de la discussion, 30 des 32 personnes qui ont répondu se sont déclarées satisfaites.
Quatre-vingt-huit pour cent des personnes qui ont répondu ont jugé excellent ou bon le document de travail rédigé par le Bureau du point de vue de la qualité de l'analyse, les autres se déclarant satisfaits. Sur les 32 qui ont répondu, 28 se sont déclarés satisfaits de son objectivité et ont jugé sa présentation et sa clarté excellentes ou bonnes.
S'agissant du temps réservé à la discussion, la plupart des participants ont estimé d'une manière générale que les tables rondes et les réunions de groupes avaient disposé de suffisamment de temps, mais une forte minorité (41 pour cent) a trouvé que trop peu de temps avait été laissé à la discussion générale.
Les dispositions pratiques et administratives ont été jugées excellentes ou bonnes dans 30 réponses sur 32.
Un grand nombre de participants ont exprimé leur reconnaissance au BIT pour avoir organisé cette réunion à un moment aussi opportun. Beaucoup ont estimé avoir beaucoup appris sur les préoccupations des sous-secteurs qu'ils connaissaient auparavant mal. Les échos obtenus à ce jour des participants, oralement ou par écrit, ont été positifs.
D'autres observations ont été reçues:
Un représentant gouvernemental a instamment prié le Bureau de continuer à se concentrer sur les sujets intéressant l'avenir des relations professionnelles, et il a qualifié ce colloque de premier pas intéressant dans le sens d'une vision à plus long terme. Plusieurs participants ont proposé de traiter plus en profondeur des sujets spécialisés ou des questions intéressant certains sous-secteurs dans le cadre de petits groupes de travail tripartites qui feraient ensuite rapport à la réunion plénière. Les partenaires sociaux tireraient profit d'activités concrètes de suivi. Un certain nombre de représentants des travailleurs se sont déclarés déçus par l'absence de conclusions et de résolutions. Plusieurs d'entre eux ont noté que tous les sous-secteurs n'étaient pas également représentés dans le groupe des employeurs et dans celui des travailleurs. Deux participants ont proposé qu'à l'avenir les documents soient soumis, traduits et distribués aux participants avant la réunion afin de leur permettre de mieux se préparer à des discussions approfondies. Un participant a engagé vivement le Bureau à mettre à jour son matériel informatique. On trouvera ci-après le questionnaire et les résultats présentés sous forme de tableau.
QUESTIONNAIRE D'ÉVALUATION
Colloque sur la convergence multimédia
Procédant à une évaluation des réunions sectorielles, le Bureau désire connaître l'avis des participants afin de disposer des données de base qui lui permettront d'en mieux connaître la qualité, l'utilité et l'efficacité. Comme une telle enquête n'a de sens que si l'on dispose d'un nombre suffisant de réponses, nous vous remercions à l'avance de bien vouloir prendre le temps de répondre aux questions ci-dessous et de nous communiquer vos observations éventuelles sur la réunion à laquelle vous avez participé.
1. Comment jugez-vous la réunion selon les différents critères ci-dessous? (cocher une case par ligne)
|
Excellent |
Bon |
Satisfaisant |
Médiocre |
Insuffisant |
Choix de la question à l'ordre du jour |
(19)59% |
(10)31% |
(2)6% |
(1)3% |
( ) |
Choix des thèmes pour discussion |
(5)16% |
(21)68% |
(3)10% |
(2)6% |
( ) |
Niveau de la discussion |
(4)13% |
(14)44% |
(12)37% |
(2)6% |
( ) |
Intérêt de la réunion pour le secteur |
(5)17% |
(8)28% |
(12)41% |
(1)3% |
(3)10% |
2. Comment jugez-vous la qualité du document de travail selon les différents critères ci-dessous?
(cochez une case par ligne)
|
Excellent |
Bon |
Satisfaisant |
Médiocre |
Insuffisant |
Qualité de l'analyse |
(7)23% |
(20)65% |
(4)13% |
( ) |
( ) |
Objectivité |
(6)19% |
(17)53% |
(5)16% |
(4)13% |
( ) |
Présentation et clarté |
(12)38% |
(16)50% |
( 4)13% |
( ) |
( ) |
3. Comment jugez-vous le temps alloué à la discussion? (cochez une case par ligne)
|
Trop long |
Suffisant |
Trop court |
Tables rondes |
(3)9% |
(26)81% |
(3)9% |
Débats |
( ) |
(19)59% |
(13)41% |
Réunion des groupes |
(2)7% |
(21)72% |
(6)21% |
4. Comment jugez-vous les dispositions pratiques et administratives (secrétariat, documents, traduction, interprétation)? (cochez une case)
Excellent (18) 56%, Bon (12) 38%, Satisfaisant (1) 3%, Médiocre (1) 3%, Insuffisant ( ).
5. A quel titre avez-vous participé à la réunion?
Gouvernement: |
Délégué ( ) |
Conseiller technique ( ) |
Observateur ( ) |
Observateur OIG ( ) |
Employeur: |
Délégué ( ) |
Conseiller technique ( ) |
Observateur ( ) |
Observateur ONG ( ) |
Travailleur: |
Délégué ( ) |
Conseiller technique( ) |
Observateur ( ) |
|
6. Autres observations (veuillez continuer au verso si nécessaire)
Merci de votre coopération. Veuillez placer ce questionnaire dans la boîte qui se trouve au bureau des inscriptions et des informations.
Liste révisée des participants
1. Ce montant inclut les dépenses consacrées aux télévisions, aux radios, à la redevance, à la télévision câblée, aux jeux, etc., ainsi qu'aux supports d'information. «Welcome to the entertainment economy», dans Business Week, 14 août 1995, p. 41.
2. Snoddy, R.: «A publisher who had a global electronic dream» dans Financial Times, 16 octobre 1995. Voir aussi Jackson, T.: «The biggest story in the book world» dans Financial Times, 31 juillet 1995.
3. Les «cinq grandes» entreprises d'enregistrement sont PolyGram, filiale de Philips, le groupe hollandais de l'électronique grand public, Sony Music, qui fait partie de Sony, groupe japonais d'électronique et de loisirs; Warner Music, filiale de Time Warner des Etats-Unis; BMG, filiale de Bertelsmann en Allemagne; et EMI Music, qui fait partie de Thorn EMI au Royaume-Uni. Voir «Recorded music sales bound towards $40bn» dans Financial Times, 17 avril 1996.
4. Chiffre de 1989 cité dans Gray, L., et Seeber, R.: «The industry and the unions: An overview» dans Under the stars: Essay on labour relations in arts and entertainment (ILR Press/Cornell University Press, Ithaca, 1996), pp. 26-27.
5. Pour une analyse approfondie des changements structurels intervenus dans l'industrie américaine du film et de la télévision et leur incidence sur l'emploi et les relations de travail, voir Christopherson, S.: «Flexibility and adaptation in industrial relations: The exceptional case of the U.S. media entertainment industries» dans Under the stars, op. cit., pp. 86-112.
6. UIT: TeleGeography cité dans «WTO needs telecoms deal for its credibility» dans Financial Times, 18 mars 1996, et «Shifting Allegiances» dans International Telecommunications, article paru dans une étude du Financial Times, 19 septembre 1996.
7. «Shifting Allegiances», op. cit.
8. Le nombre de lignes téléphoniques pour 100 habitants est de 68 en Suède, 63 aux Etats-Unis et 61 en Suisse et au Danemark. «International Telecommunications», op. cit.
9. Union internationale des télécommunications (UIT): The Telecommunications development gap, annexe A (Genève, 1996).
10. «A world wide web for tout le monde» dans Business Week, 1er avril 1996, p. 32.
11. «The new music biz» dans Business Week, 15 janvier 1996, pp. 20-25.
12. Voir, par exemple, Vittet-Philippe, P.: «Foire du livre de Francfort: vitrine de l'édition électronique», I&T Magazine (Commission européenne, Bruxelles), avril 1996, no 19, pp. 17-21, pour un examen de l'approche européenne du multimédia et de l'édition électronique.
13. Verity, J.: «A company that's 100% virtual», Business Week, 21 novembre 1994, p. 47.
14. L'observateur se nomme Jeremy Thomas, Président du British Film Institute, cité dans Tagliabue, J.: «European films: The sequel», dans International Herald Tribune, 27 février 1996.
15. Rawsthorn, A.: «Here's looking at you, kid, x 1000», dans Financial Times, 19 juin 1995. Voir aussi Andrews, N.: «Pixillating the pixels», dans Financial Times, 30 janvier 1995, et «Computers come to Tinseltown», dans The Economist, 24 décembre 1994 - 6 janvier 1995, pp. 89-91.
16. Pour une analyse plus approfondie de ces tendances, voir Katz, H. (responsable de la publication): Telecommunications: World-wide restructuring of work and employment relations (Ithaca, N. Y., Cornell University Press, à paraître).
17. Voir, par exemple, BIT: La sécurité de l'emploi et du revenu à la lumière des changements structurels et techniques survenus dans les industries graphiques, compte tenu des autres médias, troisième Réunion technique tripartite pour les industries graphiques, rapport II (Genève, 1990); MacDonald, G.: The emergence of global multi-media conglomerates, Programme relatif aux entreprises multinationales, document de travail no 70 (Genève, BIT, 1990); rapport concernant la Réunion tripartite sur les conditions d'emploi et de travail des journalistes (Genève, BIT, 1990); rapports concernant la Commission paritaire des postes et télécommunications (Genève, BIT, 1991); rapports concernant la Réunion tripartite sur les conditions d'emploi et de travail des artistes interprètes (Genève, BIT, 1992); Bolton, B., et collaborateurs: Telecommunications services: Negotiating structural and technological change (Genève, BIT, 1993); et Chesnais, P.: L'impact de la nouvelle société de communication sur les professions concernées par le droit d'auteur et les droits voisins, OIT/UNESCO/OMPI/ICR.15/5.III, établi pour la 15e session ordinaire du Comité intergouvernemental de la Convention de Rome.
18. Expert en analyse politique du Service de la politique de radiotélédiffusion du Canadian Heritage.
19. Ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales de la République fédérale d'Allemagne.
20. Secrétaire fédéral de l'Alliance des médias, des spectacles et des arts, Australie.
21. Chef du service Affaires extérieures de l'Union internationale des télécommunications.
22. Président de l'Union nationale des employés des télécommunications de Malaisie.
23. Administrateur général et président directeur général de Nation Printers and Publishers Ltd., Kenya.
24. Chef du département central d'informatique de la section de radiodiffusion du ministère de l'Information de la République arabe d'Egypte.
25. Département de la recherche et du développement de la Confédération suédoise des employeurs.
26. Fonctionnaire principal de la Division de l'analyse du marché du travail, ministère de l'Education et de l'Emploi, Royaume-Uni.
27. Directeur suppléant, VISCOM, Association suisse pour la communication visuelle.
28. Président directeur général de la New Times Corporation (Ghana).
29. Secrétaire trésorier de la Newspaper Guild (Etats-Unis).
30. De l'Association allemande de directeurs de journaux.
31. Sage & Schreibe, numéro spécial, 5/1996.
32. Secrétaire général du Syndicat des musiciens du Japon.
33. Directeur général de l'Association néo-zélandaise des directeurs de journaux.
34. De l'Industriegewerkschaft Medien (Syndicat des travailleurs des médias), Allemagne.
35. Directeur général, Ressources humaines, Binariang Sdn Bhd, Malaisie.
36. Chargé de mission à la Mission internationale du ministère du Travail et des Affaires sociales de la République française.
37. Directeur des affaires publiques, Bureau des affaires internationales du travail, Département du Travail des Etats-Unis.
38. Professeur en droit du travail à l'Université de Modène, professeur adjoint de gestion comparative des ressources humaines au Centre universitaire Johns Hopkins de Bologne et président de l'Association italienne de recherche en relations professionnelles.
39. Directeur des Solutions informatiques mondiales d'AT&T et directeur des relations humaines de la Charter Communications International Inc., & Phoenix Data. M. Durling est un membre employeur du Conseil d'administration du BIT.
40. Président de la Broadcasting Entertainment Cinematograph & Theatre Union (BECTU), Royaume-Uni.
41. Professeur associé d'études sociales, Université d'Utrecht, Pays-Bas.
42. Secrétaire général de la COSITMECOS (Confédération syndicale des travailleurs des médias de la communication sociale).
43. Association des acteurs danois.
44. Président de la FENAJ (Fédération nationale des journalistes professionnels), Brésil.